II. RÉNOVER LES PROCÉDURES D'AMÉNAGEMENT

M. AUBY, professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas, président de l'Association française de droit des collectivités locales

Je voudrais d'abord remercier très vivement MM. Hérisson et Althapé d'avoir eu la gentillesse d'inviter l'Association française de droit des collectivités locales à participer à cette journée. Mes collègues et moi sommes très heureux et fiers de pouvoir apporter notre modeste concours à la réflexion menée aujourd'hui.

Avec votre assentiment, je vais m'accorder une légère licence terminologique en considérant que le sujet que je vais essayer d'explorer avec vous peut être compris comme incluant à la fois les procédures opérationnelles dont usent les collectivités, et l'encadrement des opérations privées de promotion et de construction. Je crois que les deux sujets sont suffisamment liés pour qu'on les amalgame l'un à l'autre.

1° - La première chose que je ferai est d'essayer de résumer aussi objectivement que possible les critiques qui sont habituellement faites au droit existant dans ces deux domaines que je viens d'évoquer. Naturellement, l'exercice est difficile parce que sur cette question il y a très légitimement des points de vue différents. Mais enfin, il y a des critiques qui sont très couramment et majoritairement adressées au droit tel qu'il existe. Je crois que ces critiques pointent essentiellement les défauts suivants:

- D'abord, une critique fréquemment adressée qu'on entend émettre dans les milieux spécialisés d'aménagement, mais elle est plus largement ressentie, et qui consiste à dire : notre droit d'urbanisme, aussi bien dans ce domaine que dans d'autres, a été conçu à une époque où le problème central était celui du développement urbain. Et aujourd'hui, ce n'est plus la question centrale, qui est plutôt celle de l'action sur la ville existante. On plaide à juste titre que beaucoup de mécanismes, à la fois dans le domaine de la planification, mais aussi dans le domaine opérationnel, ne sont pas vraiment adaptés à l'action sur le tissu urbain existant.

- La deuxième critique qui est très couramment adressée consiste à dire que notre droit de l'urbanisme est ainsi fait qu'il suscite une quantité énorme de contentieux extrêmement préjudiciables. C'est vrai dans tous les domaines, mais c'est vrai notamment dans celui des procédures d'aménagement. On sait bien qu'elles génèrent de plus en plus de contentieux et que ceux-ci causent des dégâts importants à la fois aux opérateurs privés, dont les opérations sont bloquées, mais aussi aux collectivités publiques, dont la responsabilité est parfois recherchée lorsqu'elles ne sont pas dans des situations encore plus graves.

Un exemple formidable a été donné récemment par la confirmation venue du Conseil d'Etat d'une condamnation faramineuse, 1,5 milliard de francs, prononcée à l'encontre de l'établissement public de l'Aménagement de la Défense, qui avait cru, sans doute de bonne foi, pouvoir exiger d'un constructeur une participation de ce montant. Celle-ci a été jugée illégale et l'EPAD est condamné à rembourser cette participation pour un montant tout à fait astronomique. Cette mésaventure, au maximum dans ce cas-là, peut arriver dans des proportions plus ou moins grandes dans n'importe quelle commune.

- Un dernier registre de critiques procède de l'idée que notre droit de l'urbanisme dans sa globalité n'est peut-être pas totalement accordé aux évolutions que l'on sent se produire aujourd'hui dans l'action publique, dans les modes de pilotage de l'action publique. Il a été déjà dit que notre droit d'urbanisme ne faisait pas une place suffisante à la décentralisation. C'est un avis relativement fréquent, pas unanime, mais c'est celui des rapporteurs du groupe de travail du Sénat. Je le partage totalement.

De même, on entend souvent dire que notre droit de l'urbanisme, et notamment dans ce secteur des procédures opérationnelles et de l'encadrement des opérations de construction et d'aménagement, fait trop de place encore au réglementaire, à l'unilatéral, à ce goût très prononcé que nous avons pour les grandes pyramides juridiques, et ne sacrifie pas suffisamment à d'autres modes de gestion plus concertés et plus contractuels, plus démocratiques si l'on veut, dans ce sens de conventionnel et de concerté.

Je crois qu'on peut résumer à peu près comme cela les critiques majoritaires.

2° - Je me tourne maintenant vers le projet de loi qui est actuellement discuté au Sénat puisqu'adopté hier même à l'Assemblée Nationale. Sur ces deux domaines dont je suis en train de parler, c'est-à-dire les procédures opérationnelles publiques et le cadre juridique dans lequel se développent les opérations de construction et promotion, qu'apporte ce texte ?

Je vais vous dire ce que j'en ai compris et ce que j'ai retenu, qui m'a paru particulièrement important ici.

a) Du côté des opérations publiques d'aménagement, il faut noter d'abord une redéfinition des objectifs de la politique d'aménagement qui sont formulés dans l'article L.301 du Code de l'urbanisme, avec l'introduction de l'idée de projet urbain. Je sais que les professionnels, notamment les urbanistes, le considèrent comme une inflexion dans la manière de comprendre l'aménagement. Il en a été un peu question tout à l'heure.

L'essentiel est à l'évidence ce qui concerne le mécanisme des ZAC. La plus grande part des dispositions leur est consacrée. Avec quelles modifications ? Je suis obligé d'être prudent ici parce que les modifications qui sont apportées ne sont pas comprises unanimement de la même manière, et j'avoue d'ailleurs ne pas les comprendre tout à fait sur certains points comme on les comprend dans les milieux des professionnels de l'aménagement, et notamment dans ceux de l'économie mixte.

Si je résume les modifications apportées à la procédure de ZAC, j'y trouve ceci : d'abord le projet de loi entend supprimer le document d'urbanisme qui s'attachait aux ZAC, c'est-à-dire le plan d'aménagement de zone, pour rabattre la réglementation de la zone sur le POS, ou plutôt le PLU, lequel incorporerait les éléments que l'on trouvait dans le PAZ. C'est certainement un apport qui va susciter des discussions parce que la production d'un document d'urbanisme spécifique était un aspect très fort de la procédure de ZAC.

Et puis, un autre aspect est celui sur lequel se développent des débats que je trouve un peu étranges aujourd'hui et qui concerne la concession d'aménagement de ZAC. Le projet de loi décide tout simplement de supprimer l'expression de concession d'aménagement dans le code de l'urbanisme, avec la volonté de marquer que, selon les pouvoirs publics, la concession d'aménagement n'est pas véritablement une concession, ce qui, pense-t-on, permettra d'éviter durablement qu'elle soit emprisonnée dans des règles qui pourraient être communautaires et qui pourraient concerner les concessions.

Je ne crois pas qu'il suffise de débaptiser pour éloigner les dangers juridiques que l'on craint ici. Mais cela n'est pas l'essentiel. L'essentiel est que sur cette modification, qui est a priori purement terminologique, s'est greffé un débat devenu vif dans les milieux de l'économie mixte, consistant à dire que c'est le mécanisme même de la concession d'aménagement en tant qu'elle est ce mécanisme rôdé par lequel les collectivités confient les opérations à des sociétés d'économie mixte, dans la plupart des cas, en leur confiant le pouvoir d'exproprier et en prenant en charge le déficit des opérations, c'est cela qui serait en cause et qui serait menacé.

J'attends que l'on m'explique en quoi il en va ainsi à partir simplement d'une modification de la terminologie.

J'ajouterai ceci : il y a tout de même un article d'une importance probablement assez grande qui est introduit dans la loi. Il semble banal, il consiste à dire que lorsque la collectivité confie à n'importe qui la réalisation d'une opération de ZAC, son conseil délibère sur la participation financière de la collectivité aux acquisitions foncières et aux équipements publics à réaliser dans la ZAC. Je comprends que la collectivité va décider d'aider financièrement l'aménageur de la ZAC en prenant en charge un certain nombre d'acquisitions foncières. Cette disposition est peut-être plus importante qu'elle n'en a l'air a priori. Je ne m'attarderai pas.

b) En ce qui concerne maintenant, non plus les opérations publiques d'aménagement, mais l'encadrement juridique des opérations de promotion et de construction qui viennent après, y a-t-il de grands bouleversements dans le texte que le Sénat est en train d'examiner ? Honnêtement, je ne le crois pas. L'essentiel de ce que j'ai pour ma part repéré est ceci : d'abord de manière à aider les opérateurs et à leur faciliter les choses, quelques allégements sont décidés ici et là. Par exemple, on a déjà repéré la suppression de la déclaration de travaux qui, dans certains cas, se substituait au permis de construire. Je ne suis pas sûr que tout le monde ait immédiatement réalisé que cette suppression signifie que les opérations correspondantes seront purement et simplement soumises au permis de construire.

Dans un registre d'allégement et de satisfaction de certains besoins de sécurité juridique, le texte modifie un peu les contours du certificat d'urbanisme en indiquant que, dorénavant, le certificat d'urbanisme portera garantie en ce qui concerne les aspects financiers de l'opération pour laquelle on demandera ultérieurement un permis de construire, alors que, pour le moment, il n'engageait aucunement la collectivité sur ce terrain.

Aspect financier : c'est l'autre volet intéressant de ce qui concerne les permis de construire et opérations de construction et promotion en général. Il fait l'objet d'une sorte de remue-ménage textuel. La fiscalité de l'urbanisme est passablement transformée au passage. Je ne crois pas pour autant qu'il s'agisse d'un grand bouleversement de fond, mais il faudra bien repérer que la participation pour dépassement de COS est supprimée. Que la participation pour les aires de stationnement l'est aussi. Cela n'est pas négligeable sur le plan financier ; dans certaines communes, le produit de cette participation est très important. On crée aussi une participation des riverains aux frais d'installation des voies publiques. Tout cela est un peu technique. Je ne crois pas qu'au total cela modifie considérablement les volumes financiers, mais sur le plan de l'éventail juridique, il en résultera des changements importants.

Si je pose, pour conclure, la question : le projet de loi actuel est-il une réponse aux grands défauts relevés plus haut ? Je suis obligé de répondre négativement. Il n'est pas une réforme d'ampleur sur les questions que j'ai évoquées. Il est plutôt une succession de modifications ponctuelles, dont beaucoup étaient d'ailleurs déjà demandées depuis longtemps et dont beaucoup sont bienvenues (d'autres sont plus discutables). Mais je crois que ce serait mentir que de dire que dans le domaine précis des procédures d'aménagement et du droit régissant la promotion et la construction, ce texte est inspiré par un souffle considérable. Mais ce n'était pas son objet essentiel, qui était plutôt du côté du logement social, à propos duquel je crains que l'urbanisme lui-même n'ait pas grand-chose à proposer.

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