III. ADAPTER LES DOCUMENTS D'URBANISME
M. JEGOUZO, président honoraire de l'Université Paris I
Merci au Sénat d'associer des universitaires à ce travail de réflexion sur un texte en cours de route. Ils y sont très sensibles et c'est une expérience qu'il faudra renouveler. En même temps, vous nous posez une question difficile. Il est toujours très délicat d'évaluer des textes, même quand ils sont promulgués ; évaluer un texte à mi-parcours, est encore plus difficile. Ceci doit nous conduire à être prudents dans les jugements et les appréciations.
A priori, si nous jetons un regard extérieur sur la réforme de la planification, le changement est lourd. Exit le schéma directeur, remplacé par le schéma de cohérence territoriale. Même chose pour le POS, même le PAZ disparaît.
Ce sont les outils privilégiés dont nous avions l'habitude qui s'en vont. Nous nous étions habitués au schéma directeur et au POS. J'étais récemment à une séance de travail au Vietnam où on savait qu'en France, existent le schéma directeur et le POS. Il y avait une connaissance internationale de ces instruments. C'est un point que me chagrine un peu, mais les étiquettes ne font pas la qualité du vin.
Les objectifs de la loi sont clairs : en dehors de ceux liés à la politique de la ville, il y a deux objectifs qui correspondent assez nettement à ceux du rapport du groupe de travail du Sénat.
- L'objectif de simplification. Elle est nécessaire mais il faut aussi s'en méfier. Peut-on simplifier le droit au 21 ème siècle ? Je n'en suis pas persuadé. Dans cette loi, en vue de simplifier, on supprime des mesures qui avaient été prises par une loi de simplification il y a quelques années ! Je parle de la déclaration préalable. Peut-on simplifier des systèmes complexes à une époque où se multiplient les articulations entre le droit européen, le droit de l'aménagement du territoire, etc. ? Il faut être prudent. D'autant plus que, parallèlement, on se fixe d'autres objectifs tels que le développement durable, qui est l'ambition de concilier protection et aménagement. Or cela est plutôt de nature à créer de la complexité.
Alors, pour y arriver, l'économie générale de la réforme est la suivante. Au sommet, des principes généraux, puis un certain nombre de textes d'application générale : les lois Littoral et Montagne qui demeurent, les DTA ne changent pas et restent situées dans la même hiérarchie. On arrive au schéma de cohérence territoriale remplaçant les schémas directeurs. Et en dessous, les modifications les plus importantes puisque le POS est remplacé par le PLU, mais celui-ci intègre le plan d'aménagement de zone. Il y a à cet égard une sorte d'" absorption ". Enfin le projet relance les cartes communales, outil simplifié.
Que penser de ce dispositif ? Le texte tel qu'il est sorti de l'Assemblée nationale n'a pas fait l'objet de modifications fondamentales par rapport au projet de loi. Est-ce l'indice d'une indifférence ou d'une approbation totale ? Je n'en sais rien, mais il y a eu sur ce volet " urbanisme " une discussion relativement peu ardue.
Sur les principes mêmes de la réforme, un des objectifs affirmés est celui de cohérence. Je crois qu'à cet égard la formule qui est utilisée consistant à affirmer un certain nombre de principes généraux me paraît très originale. C'est une formule déjà utilisée par la loi Barnier dans le domaine de l'environnement. On a commencé par mettre en tête du futur Code de l'environnement un certain nombre de principes généraux.
Ces principes, si on les regarde bien, reprennent des objectifs qui étaient déjà contenus dans toute une série de lois : la loi sur l'eau, sur l'air, etc., il n'y a pas d'innovation quant au contenu, même s'il paraît complexe et parfois contradictoire. L'innovation, c'est l'affirmation très claire, très déterminée de ces principes comme normes directrices du droit de l'urbanisme. Sur le terrain de la mise en cohérence, cela ne peut qu'aider.
Cela va également permettre de faire progresser l'idée du développement durable. J'ai vu qu'un amendement de l'Assemblée nationale renvoyait également aux principes généraux du droit d'environnement. Ainsi, c'est un corps général de principes de l'aménagement et de l'environnement qui est en train se construire dans le droit français. On pourrait dire que cela va ouvrir un champ très important au contentieux. Mais est-ce très différent de ce qui existait ? Le principe d'équilibre et les principes du droit de l'environnement existaient déjà. L'essentiel de l'évolution tient plutôt à ce que des juristes, administrateurs et élus français vont devoir s'accoutumer à des techniques d'inspiration un peu anglo-saxonne, qui sont moins des règles millimétrées que des principes d'action qu'il faut ensuite appliquer d'une manière plus ou moins évolutive.
Autre évolution intéressante : on supprime les lois d'aménagement et d'urbanisme en tant que catégorie juridique. C'est une bonne chose. La loi, c'est la loi. Il faut lui donner sa pleine valeur sans créer des sous-catégories de lois d'une portée incertaine.
Un des chantiers les plus ambitieux de la loi, porte sur la planification. Le rapport du groupe de travail du Sénat signalait très justement la panne des schémas directeurs. Celle-ci est un peu moins grave qu'il y a quelques années, mais malgré tout, la procédure ne fonctionnait pas très bien. Est-ce que la réforme va réussir à relancer cette procédure ? Je pense qu'on prend un certain nombre de moyens pour cela comme le fait que la réforme insiste sur le lien entre urbanisation et desserte par les transports et les moyens de déplacement. La mise en oeuvre de ceci va se révéler délicate, mais le principe est intéressant.
Le projet en tire une règle, dont je pensais qu'elle aurait soulevé beaucoup de discussions : en l'absence de schéma de cohérence territoriale, on ne peut pas ouvrir à l'urbanisation les zones d'urbanisation future des POS. Apparemment, ceci n'a pas rencontré d'opposition. Est-ce le signe de ce que l'inter-communalité est considérée aujourd'hui comme une des conditions majeures du développement cohérent ? On peut sans doute l'interpréter de cette manière.
Enfin, dans le bilan positif de ce texte, je noterai la clarification du régime des cartes communales. Elles existaient, mais dans l'ambiguïté, sachant qu'elles étaient renouvelées tous les 4 ans. On vivait dans la longue durée sous ce régime apparemment provisoire. Mais en même temps, les cartes communales fixaient un droit des sols, sans enquête publique ; c'était un peu gênant. Cette officialisation, cette remise dans le droit commun, mais en respectant cette qualité une certaine simplicité -j'espère que les décrets d'application laisseront à l'outil cette qualité- me paraît aller dans le bon sens-.
Cela ne veut pas dire que ce texte, ne soulève pas un certain nombre de questions et d'interrogations. Par exemple, l'un des problèmes majeurs qui me paraît celui du droit de l'urbanisme en France n'est pas celui du droit de l'urbanisme, en lui-même, mais le problème de l'articulation entre le droit de l'urbanisme et les droits voisins. Finalement, nous avons en France trois systèmes de planification qui coexistent : la planification de l'urbanisme, la planification de l'aménagement du territoire (fortement relancée par les lois du 4 février 1995 et la loi Voynet plus récemment) et la planification de l'environnement, avec cette multitude de plans que sont les schémas des eaux, des carrières, et autres.
Le problème est donc l'articulation de ces divers systèmes et de leur mise en cohérence.
Nous avons vu que l'on peut trouver cette cohérence dans l'affirmation de principes. Un grand regret : la loi dispose que les documents d'urbanisme doivent mettre en oeuvre ces principes. Les documents d'urbanisme sont des documents locaux. Est-ce à dire que l'Etat ne doit pas lui aussi se soumettre à ces principes ? Je pense qu'il aurait été plus logique de dire que les directives territoriales d'aménagement aussi doivent respecter ces grands principes. Ce sont des principes que la nation considère comme s'imposant à l'ensemble des décisions qui concernent le droit des sols.
Cette mise en cohérence pose également, bien sûr, l'irritant problème de la mise en compatibilité de tous ces documents. A la suite de l'excellent rapport de la commission qu'avait présidée le Président Labetoulle, que je salue ici, on avait considéré qu'une des solutions pour limiter les effets contentieux de cette compatibilité, était la compatibilité limitée. Le contrôle de compatibilité ne remontait pas toute la chaîne des documents de planification, on s'arrêtait au niveau immédiatement supérieur.
Ce système, qui paraissait excellent dans son principe, a été légèrement écorné par la décision du Conseil constitutionnel qui estime que cela ne peut pas remettre en cause le jeu de l'exception d'illégalité. Cela a été remis en cause aussi par le retard connu par l'élaboration des directives territoriales d'aménagement. Comme il n'y a pas l'écran prévu, cela ne joue pas comme on le pensait.
Et finalement, avec cette règle de la compatibilité limitée, on peut arriver à des choses curieuses. Le professeur Henry Jacquot dans un colloque qui s'est tenu récemment à Nice, a montré que la règle de la compatibilité limitée pouvait conduire à certaines absurdités.
En même temps, on comprend très bien le problème : quand intervient un nouveau texte, une nouvelle directive, un nouveau schéma de cohérence, il faut laisser le temps aux textes inférieurs de s'adapter. Et Henri Jacquot arrive à la proposition selon laquelle il suffirait de laisser un délai d'adaptation qu'il appartiendra au législateur de définir. Soit il retient le principe d'un délai raisonnable, c'est le juge qui va dire ce qui est raisonnable, soit c'est le législateur qui prévoit un délai précis d'adaptation.
Je voudrais enfin signaler quelques bizarreries du projet.
J'ai vu que l'Assemblée Nationale avait retenu l'idée que certaines chartes de pays seraient opposables aux documents d'urbanisme. Alors, de grâce, nous avons un système qui est déjà complexe ; faire des chartes qui ont valeur de schéma de cohérence territoriale, quelle complication !
Le projet de loi donne au schéma directeur de la région Ile-de-France valeur de schéma de cohérence territoriale pour certaines dispositions. Je comprends l'objectif, mais ces documents Janus, qui ont une qualification dans un cas et une autre qualification dans l'autre, ne vont pas non plus dans le sens de la lisibilité.
Je voudrais enfin répondre à une remarque qui était faite tout à l'heure. On insiste sur la notion de projet. Je crois que c'est bon, mais je ne pense pas qu'il faille opposer la règle et le projet. Il faut qu'à la fin du compte le projet se traduise par une règle. Il faut savoir ce qu'on a le droit de construire, quels sont les rapports entre le propriétaire, le constructeur, etc. Il faut un instrument où le projet rejoint la règle et réciproquement.
Pour conclure, je dirai qu'on se trouve avec le projet " SRU " devant une réforme nécessaire, extrêmement difficile. Le législateur a ouvert un très gros chantier. Et j'émettrais un voeu : quand vous en serez à la commission mixte paritaire, que vous réorganisiez un colloque de ce genre pour en parfaire les finitions.
M. HERISSON
C'est une bonne définition de la concertation.
Je donne la parole à Me Pittard, avocat au Barreau de Nantes.