IV. ALLÉGER ET ABRÉGER LE CONTENTIEUX

Me PITTARD , avocat au Barreau de Nantes

" Alléger et abréger le contentieux ", ce double objectif ne figure pas au nombre de ceux qui sont poursuivis par le projet " SRU ". Je pense néanmoins que la discussion de ce projet peut fournir une excellente occasion pour réfléchir, ou en tout cas pour amorcer la réflexion, sur le caractère pathologique du contentieux en matière d'urbanisme. Je reprends le qualificatif "pathologique" qui figure sur la plaquette de présentation de ce colloque.

Donc, caractère pathologique du contentieux dans le droit de l'urbanisme. Les symptômes de cette pathologie sont bien connus. L'insécurité juridique, qui a pour origine la prolifération des recours, l'issue bien souvent incertaine de ces recours. Issue incertaine elle-même provoquée par la complexité des textes, peut-être aussi, dans une certaine mesure, par l'instabilité de la jurisprudence.

Ce qui engendre un phénomène qui est peut-être moins connu, mais sur lequel votre groupe de travail a mis l'accent, c'est la demande croissante, aussi bien par les collectivités locales que par les opérateurs privés, d'expertises juridiques, d'audits juridiques en amont des décisions à l'occasion de la révision d'un document d'urbanisme ou d'un montage d'opération. Que ce soit la collectivité publique ou l'opérateur, il y a un besoin croissant d'avoir un avis aussi autorisé que possible sur les risques qui peuvent peser en cas de contentieux.

Une autre manifestation, un autre symptôme de cette pathologie, c'est le blocage des opérations. Il y a été fait allusion à plusieurs reprises ainsi qu'aux coûts qui en résultent, aussi bien pour les collectivités que pour les opérateurs. Sur l'aspect symptômes et diagnostic, je ne m'attarderai pas. Mais quand on parle de cela, il faut se préoccuper surtout de thérapie.

Or, dans la période récente, deux réformes méritent d'être rappelées ou signalées : la première d'entre elles, qui remonte au mois de février 94, avait à l'évidence entre autres objectifs, celui d'alléger le contentieux, et je pense à cette disposition de la loi du 9 février 1994 (article L.600-1 du Code de l'urbanisme) qui limite le recours au mécanisme d'exception d'illégalité.

Une autre réforme est en chantier, il s'agit d'un texte en cours de discussion, qui a directement pour objet d'abréger le contentieux, c'est la réforme des procédures d'urgence. Donc, voilà deux illustrations dans la période récente de ces tentatives qui ont été faites pour alléger et pour abréger le contentieux.

Mais l'heure est arrivée d'envisager ce que j'appellerai des remèdes de cheval. S'agissant de leur mise au point, dans ce laboratoire d'idées que constitue le Palais du Luxembourg, je me permettrai de suggérer trois directions à la recherche en utilisant à dessein des formules un peu provocatrices.

- 1) Chercher à appauvrir les gisements de contentieux.

- 2) Appauvrir les auteurs des recours abusifs.

- 3) Enrichir le dispositif juridictionnel.

1) Appauvrissement des gisements de contentieux.

Au risque de faire péricliter le fonds de commerce de l'avocat que je suis, je suis obligé de déplorer la richesse des gisements de contentieux en matière d'urbanisme et je ne peux que souhaiter un appauvrissement de ces gisements. Cette richesse a des origines diverses qui sont bien connues. J'aimerais donner quelques coups de projecteur sur deux ou trois aspects.

Première explication ou origine de cette richesse du gisement de contentieux en droit d'urbanisme : c'est la complexité des textes, leur manque de lisibilité. C'est une évidence. Je ne m'y attarderai pas, mais je donnerai un exemple, entre autres, d'erreurs ou d'imperfections qui pourraient être très facilement corrigées. Je pense à des imperfections dans la codification. M. Jégouzo parlait tout à l'heure du souci qu'a le législateur de mettre en cohérence les dispositions relatives aux documents d'urbanisme avec un certain nombre d'autres législations qui sont à prendre en compte sur le fond dans la détermination du contenu des documents. J'ajouterai volontiers qu'il me paraît tout à fait opportun d'assurer cette cohérence sur le terrain de la procédure d'élaboration des documents.

La commune qui suit à la lettre le code de l'urbanisme dans ses dispositions qui définissent le processus d'élaboration ou de révision des POS, a toute chance d'aller " droit dans le mur " si elle se borne à suivre les dispositions du Code de l'urbanisme à la lettre et si elle ne prend pas la précaution de consulter le code rural. Celui-ci impose un certain nombre d'obligations consultatives, l'INAO par exemple, et il n'en est à aucun moment fait état dans le code de l'urbanisme. Il me paraîtrait souhaitable que le code de l'urbanisme puisse constituer le vade-mecum de la procédure d'élaboration des documents d'urbanisme, sans que les communes aillent chercher à droite et à gauche les éléments à prendre en compte.

Deuxième facteur : l'imprécision des textes. Là aussi, c'est un thème très connu. Je ne voudrais pas faire preuve d'un localisme excessif en empruntant des exemples à la loi Littoral (étant Nantais, je pourrais avoir cette tentation), mais je prendrai un ou deux exemples d'application géographique beaucoup plus générale. Cette notion par exemple d'atteinte à l'économie générale du plan qui est très présente, quand on s'interroge par exemple sur la frontière entre modification et révision. De la même façon quand, postérieurement à l'enquête publique, on s'interroge sur l'ampleur des remaniements qu'il est possible d'apporter au document. J'imagine aisément qu'il s'agit vraisemblablement d'une notion impossible à définir, mais peut-être serait-il possible d'en définir les contours. C'est une interrogation que je livre à vos réflexions.

Il a été fait référence tout à l'heure au nouvel article L.121.1 qui va remplacer le L.121-10. M. Jégouzo disait que le principe d'équilibre est bien connu. Les communes s'efforcent de le respecter. J'ai l'impression qu'avec la nouvelle rédaction, c'est du funambulisme auquel il va falloir se livrer quand, dans la détermination du contenu du document, il faudra respecter des préoccupations aussi contradictoires et aussi peu clairement définies que celles qui sont énoncées à l'article L.121-1.

Dernier élément pour expliquer la prolifération des contentieux : c'est la technique d'exercice du contrôle contentieux et, de ce point de vue, je songe aux effets dévastateurs ou ravageurs du mécanisme d'exception d'illégalité. Certes le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, non seulement dans la décision qui a été citée tout à l'heure mais dans d'autres, a bien pris soin de rappeler que le mécanisme de l'exception d'illégalité était une garantie fondamentale pour le justiciable et que des restrictions ne pouvaient être apportées à l'utilisation de ce mécanisme que dans des conditions très limitées.

Voilà pour ce qui est des efforts qu'il conviendrait de faire pour appauvrir les gisements de contentieux, étant entendu que je suis bien conscient du fait que je me suis davantage borné à identifier ces gisements plutôt qu'à proposer des solutions pour l'appauvrir.

2) Deuxième axe de recherche : l'appauvrissement des auteurs de recours abusifs.

Il a été à plusieurs reprises également fait mention de ces recours fantaisistes, pour ne pas dire abusifs, qui sont exercés en toute impunité par un certain nombre de requérants. Dans votre rapport, vous évoquez les désistements monnayés. Il y aurait beaucoup à dire sur les désistements monnayés et je serais tenté de renverser l'intitulé d'un de vos chapitres. Vous écrivez : " un bon arrangement vaut mieux qu'un mauvais procès ". Quant à moi, je dirais plutôt : " un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès. " Or, précisément dans les désistements monnayés, celui qui paye considère bien qu'un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès. Si le recours est, par hypothèse, fantaisiste, ce qui arrive souvent, il est perdu d'avance, mais le bénéficiaire de l'autorisation préférera payer plutôt qu'un procès gagné de façon certaine.

Les dispositions existent pour tenter de dissuader un peu ces requérants fantaisistes. Il a été fait mention tout à l'heure de l'amende pour recours abusif. Il a été dit aussi que le montant maximum n'était guère élevé, que le juge n'infligeait que très rarement ce type d'amende, et que, quand il le faisait, c'était en retenant un montant très sensiblement inférieur au maximum de 20 000 francs. Mais l'amende pour recours abusif, ce n'est guère dans l'air du temps.

Je me réfère à un article récemment publié à l'Actualité juridique - droit administratif . La conclusion de cet article est la suivante : " le législateur français serait bien inspiré de revoir le principe de l'amende pour recours abusif qui semble appartenir à une autre ère. "

Il reste une autre solution qui pose moins de problème, c'est l'article L.8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui permet au juge administratif de condamner la partie perdante à payer une certaine somme au titre des frais irrépétibles.

Même si des progrès sont en cours, il y aurait encore des efforts à faire de la part du juge pour que les condamnations qu'il prononce à l'encontre de la partie perdante soient significatives et aient un effet dissuasif à l'encontre d'autres requérants potentiels.

On pourrait aussi, et j'en terminerai sur ce point avec cette dernière observation, songer à l'action en responsabilité des auteurs de recours abusifs devant les juridictions de droit commun. Mais vous avez noté, à juste titre, que la juridiction judiciaire est, pour le moins, timorée quand elle est saisie d'actions en responsabilité sur ce fondement. On cite toujours un jugement du tribunal de grande instance de Grasse, confirmé par la cour d'appel d'Aix, mais, à ma connaissance, cela reste exceptionnel.

Je voudrais vous livrer là aussi une brève citation qui me paraît révélatrice de l'état d'esprit du juge civil quand il est saisi d'une action en responsabilité. Une SCI obtient un permis de construire, un recours est formé par une association contre ce permis de construire. Le permis est périmé avant que le tribunal administratif se prononce sur le recours. Le bénéficiaire du permis engage alors une action en responsabilité devant le tribunal de grande instance contre l'association qui était à l'origine du recours.

Voilà quelques extraits de ce jugement : " attendu qu'il ne saurait être reproché à l'association de spéculer sur les lenteurs d'instruction des dossiers de permis de construire devant les tribunaux administratifs ; qu'en effet il n'est pas établi qu'elle ait, de son fait, tenté de ralentir la procédure pour parvenir à la caducité du permis de construire, que le fait que les tribunaux administratifs, compte tenu de l'encombrement de leur rôle, ne soient pas à même de statuer dans des délais rapides sur les recours déposés contre un permis de construire, relève du dysfonctionnement des institutions de l'Etat et non de la volonté des auteurs du recours. Attendu que l'association, en utilisant une procédure régulière pour parvenir à l'annulation du permis de construire n'a fait qu'user d'un droit reconnu légalement et ne saurait être tenue pour responsable d'un préjudice lié au délai pour obtenir d'un tribunal administratif une décision sur un recours à l'encontre d'un permis de construire. "

Donc, exit ce deuxième axe de recherche : appauvrir les auteurs de recours abusif.

3) Troisième axe de recherche : l'enrichissement du dispositif juridictionnel.

Tout d'abord un enrichissement en moyens humains. Si la juridiction administrative ne confond pas vitesse et précipitation, c'est sans doute par souci d'une bonne administration de la justice, mais c'est aussi en raison de son encombrement, sur lequel vous avez mis l'accent dans votre rapport. Or chacun sait bien qu'on ne peut parler d'une bonne administration de la justice quand la décision est rendue deux ou trois ans, parfois plus, après que la requête a été déposée.

J'ajoute au passage que la réforme des procédures d'urgence risque d'être privée de toute portée pratique si, sur le terrain, les magistrats n'ont pas la possibilité, parce que n'étant pas en nombre suffisant, de statuer dans un délai raisonnable sur les demandes dont ils seront saisis au bénéfice des dispositions nouvelles.

Les moyens juridiques : je ferai quelques suggestions. Tout d'abord, il serait opportun d'obliger le requérant qui dépose une demande de sursis à exécution, ou une demande de référé suspension, à le faire dans le délai du recours pour excès de pouvoir. En effet, on aboutit aujourd'hui à des manoeuvres d'intimidation ou à une guerre psychologique entre celui qui a obtenu son permis et qui le voit contesté sans qu'il y ait de demande de sursis à exécution, le bénéficiaire du permis amenant sur le terrain des bulldozers pour donner à penser que les travaux vont commencer et provoquer une demande de sursis à exécution. Je pense que la situation serait améliorée s'il y avait obligation faite à celui qui entend contester une autorisation et qui entendrait assortir sa demande d'annulation d'une demande de sursis, que la demande de sursis soit déposée dans le délai du recours pour excès de pouvoir.

Autre proposition : faire obligation au juge d'abandonner le principe de l'économie des moyens. Je pense qu'à deux égards au moins il serait éminemment souhaitable, aussi bien au stade de la demande de sursis à exécution qu'au stade de la demande d'annulation, que le juge se prononce sur la totalité des moyens dont il est saisi. Il y a d'abord un intérêt pédagogique : informer le bénéficiaire et l'autorité publique de l'ensemble des vices qui peuvent entacher la décision pour éviter les saisines réitérées du juge.

J'y vois un deuxième avantage, c'est que cela serait peut-être un moyen de mettre un coup d'arrêt à une jurisprudence des tribunaux d'ordre judiciaire, que je ne parviens pas à comprendre. Lorsqu'un permis de construire a été annulé par le juge administratif, une action en démolition est engagée devant la juridiction de l'ordre judiciaire. Il faut démontrer une corrélation entre la violation d'une servitude d'urbanisme et le préjudice invoqué.

Il arrive que le juge administratif ait annulé le permis de construire en se fondant sur telle ou telle méconnaissance du règlement d'urbanisme, qui est sans rapport avec le préjudice invoqué par le requérant. Par exemple, le permis est annulé parce qu'il n'y a pas assez de places de stationnement, alors qu'en fait l'immeuble est mal implanté et que c'est cela qui est à l'origine du préjudice dont se plaint le tiers qui demande la démolition.

Le juge judiciaire se reconnaît le pouvoir d'apprécier la légalité du permis de construire pour, le cas échéant, ordonner la démolition de la construction, en retenant une illégalité dont serait entaché le permis que le juge administratif, au nom du principe de l'économie des moyens, n'a pas retenue.

Quand on sait la difficulté qu'a déjà le juge administratif à apprécier la légalité d'un permis de construire, alors que c'est sa " tasse de thé quotidienne ", je redoute l'immixtion du juge judiciaire dans l'appréciation de la légalité des permis de construire, ce qui suppose l'habitude de l'interprétation des documents d'urbanisme.

M. HERISSON

La parole est à la salle.

M. LABETOULLE , président de la section du contentieux du Conseil d'Etat

Je voudrais répondre à Me Pittard. D'emblée, je lui dis que je suis d'accord sur tout ce qu'il a dit, mais puisqu'il a été souvent question du contentieux, je ne limiterai pas ma réponse à ses seules propositions. Le contentieux est souvent mal aimé dans le droit de l'urbanisme. Tout conflit se termine devant le juge et il y a toujours quelqu'un qui n'est pas content, c'est celui qui perd. Tantôt c'est le requérant, tantôt c'est le décideur, et le décideur qui gagne une fois et perd la fois suivante retient surtout l'hypothèse où il perd, de telle sorte que généralement on reproche beaucoup de choses au juge administratif, et c'est bien normal. Et il est bien normal aussi que le juge administratif cherche mille et une façons d'améliorer la façon dont il répond aux besoins du corps social. Par conséquent, l'intitulé de Me Pittard, " alléger et abréger le contentieux ", je suis mille fois d'accord avec ces objectifs.

Il faut, avez-vous dit, " appauvrir " les gisements de recours contentieux, oui et on ne dira jamais assez à quel point la sécurité juridique et l'absence de contentieux sont intimement liées à la stabilité de la règle et à sa lisibilité. J'aurais tendance à dire au législateur : faites d'aussi bonnes règles qu'il est possible et nous ferons des contentieux aussi peu insatisfaisants que possible.

Je suis d'accord aussi avec Me Pittard sur ce qu'il a dit à propos de l'appauvrissement du requérant. Je ne crois pas que l'amende pour recours abusif soit une solution. La condamnation aux frais irrépétibles, je ne vois pas d'inconvénient à ce que le juge administratif aille plus dans cette direction, mais il ne faut pas non plus trop attendre de ce côté là.

Reste le troisième point, c'est-à-dire " l'enrichissement des mécanismes juridictionnels ". Vous avez fait allusion au rapport du Conseil d'Etat sur le droit de l'urbanisme de 1992, dont s'est inspirée la loi de 1994. Votre rapport mentionne in fine les propositions du Conseil d'Etat qui ont été suivies d'effets et celles qui n'ont pas été suivies d'effets. Je remarque que c'est tout de même essentiellement les propositions du Conseil d'Etat qui visaient le contentieux administratif qui ont été mises en oeuvre par le législateur et qu'on a moins donné suite aux autres propositions, notamment celles touchant à des prérogatives de l'administration.

Vous avez évoqué le projet de loi sur les procédures d'urgence. Une taquinerie, si vous m'y autorisez : il a été préparé en 6 mois, d'octobre 1997 à avril 1998. En avril 1998, le projet de loi a été remis au gouvernement, qui a réfléchi. Il y a eu un colloque dans cette même salle en octobre 1998 et puis le Conseil des Ministres en a délibéré, le Parlement en a été saisi. Il y a eu une première lecture au Sénat en juin 1999 et une lecture à l'Assemblée nationale à la fin de 1999. Nous sommes en mars 2000 et le projet de loi est toujours en instance. Alors, plus vite il arrivera et plus vite il sera mis en oeuvre.

A propos de ce projet de loi, je souhaite dire que, quant il aura été voté, l'intention des juges administratifs est de le mettre en oeuvre vigoureusement, d'une façon qui va peser sur le fonctionnement des tribunaux administratifs, ce qui va sans doute imposer des renforcements en personnel des tribunaux administratifs mais qui va peser aussi, soyons clair, sur les avocats et sur les administrations. Si on veut prononcer une demande de sursis à exécution en 3 semaines ou un mois, cela impliquera que les différents auteurs de recours et de mémoires produisent très vite. On demandera à une commune de répondre en 8 jours sur une demande de sursis à exécution. Et cela sera exigeant pour chacun. Et je ne suis pas sûr que ce soit sur le juge que cela pèse le plus fort, d'une certaine façon.

La référence à ce projet me conduit à répondre à votre suggestion consistant à dire : ne serait-il pas nécessaire que la demande de sursis à exécution soit présentée dans le délai même du recours pour excès de pouvoir pour éviter les manoeuvres dilatoires consistant à les présenter deux ans plus tard ? Il n'est pas impossible que le projet de loi permette indirectement de répondre à votre préoccupation. Il y a dans ce texte un article, qui a été adopté par les deux assemblées. Il permet au juge de rejeter immédiatement les demandes de suspension qui ne sont pas justifiées par l'urgence. Si je reçois un recours contre un permis de construire le 1 er avril 2000 et une demande de suspension un an plus tard, je me dis tout de même que l'urgence que l'on vient d'invoquer un an plus tard est un peu diluée depuis le moment où j'ai été saisi d'un recours. Et en l'état actuel de ce texte, il ne serait pas impossible de rejeter une telle demande comme non justifiée par l'urgence.

Ou il y a urgence à demander le sursis, et il faut que ce sursis soit demandé dès la délivrance du permis, ou bien le sursis est demandé un an après la délivrance du permis, et l'urgence sera bien difficile à prouver.

J'en arrive, Me Pittard, à votre deuxième proposition que vous avez faite avec des précautions en pensant que vous alliez me chagriner. Non. Vous dites que le juge administratif doit en matière d'urbanisme renoncer au principe dit de l'économie des moyens. Dans le cas où le juge annule un acte en retenant un moyen et où il dit qu'il n'est pas besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la raison d'être de la proposition que vous soutenez est très claire : après l'annulation, l'administration va devoir reprendre le dossier et reprendre un acte en le purgeant des vices dont il était initialement affecté. Elle va naturellement le purger du vice qui a été expressément relevé comme entraînant l'annulation, mais elle sera dans une cruelle incertitude sur les autres moyens invoqués et auxquels le juge n'aura pas expressément répondu.

Alors, à titre personnel, mais à ce titre, je m'engage complètement, je ne suis pas défavorable à l'idée selon laquelle le juge devrait se prononcer sur les autres moyens. A une nuance près, qui est importante : il ne faut pas que cette réforme, qui va dans le bon sens, aboutisse à allonger les procédures contentieuses. Par conséquent, dans mon esprit, le juge ne se prononcera sur les autres moyens qui lui paraissent fondés que dans la mesure où l'état de la requête le lui permettra. Je ne voudrais pas qu'à un moment où on est prêt à rendre une décision en se fondant sur un moyen, la présentation à la va-vite d'autres moyens impose de faire un supplément d'instruction pour apprécier la pertinence des autres moyens.

J'aurais donc un amendement à cette proposition, qui est de dire que le juge se prononce en l'état du dossier dont il est saisi et qu'il soit bien clair que cela ne doit pas pouvoir allonger la procédure.

Autre remarque, il ne faut pas tout de même pas attendre de cette réforme ce qu'elle ne peut pas apporter... Le juge peut dire : tels autres moyens, en l'état de l'instruction, ne sont pas fondés. Il ne faut pas que cela soit pris par les intéressés et notamment les maires comme la garantie qu'un recours formé contre l'acte pris à la suite de cette annulation ne pourrait pas utilement invoquer les mêmes moyens et peut-être mieux les présenter. Le juge écarte un moyen compte tenu de la façon dont il est présenté. Il ne peut pas dire que tel moyen qui en l'état n'est pas fondé, n'apparaîtra pas fondé 6 mois après, articulé à l'encontre de l'acte qui viendra après l'acte annulé, si à l'encontre de ce deuxième acte, le recours est, par exemple, mieux présenté par le requérant ou son avocat.

Je peux dire moi, juge, qu'en l'état de mon dossier, j'estime que les autres moyens ne sont pas fondés, mais cela n'est pas une assurance tous risques. On ne donne pas de garantie de fiabilité absolue.

Ainsi, je ne suis pas du tout défavorable au principe de cet amendement, mais je mets en garde contre l'interprétation qui pourrait en être faite et l'impression de sécurité qui pourrait en découler et qu'on ne peut pas donner.

Un dernier point : il va de soi aussi que la bonne pratique de cette technique suppose que les avocats, les requérants invoquent des moyens qui ont une chance raisonnable d'être retenus. Si la requête consiste à dire : on pourrait se demander si l'article 4 du POS n'a pas été méconnu ou si le deuxième alinéa de l'article 7 n'a pas été violé (il y a tout de même un certain nombre de recours et même d'avocats très connus sur le plan national qui procèdent comme cela en allant à la pêche et en jetant des moyens pour le cas où...) il est évident que l'examen auquel procédera le juge ne donnera aucune garantie à cet égard.

INTERVENANT

Je voulais apporter une précision : je félicite Me Pittard pour ses capacités de devin puisque l'Assemblée Nationale hier soir a adopté un amendement de ce sens. Peut-être le Sénat apportera quelques améliorations dans la rédaction de l'article, mais je crois qu'il y a déjà un progrès en ce sens.

Et puis, je voudrais dire que les avocats font un travail parfois difficile. Nous sommes saisis parfois très rapidement, il faut aussi faire très vite et nous n'avons pas forcément tous les éléments. On est parfois tenté de soulever tout et n'importe quoi. Mais plutôt que de se retrouver ensuite en responsabilité pour avoir omis de soulever un moyen de légalité, il faut avoir présent à l'esprit cet aspect. Je suis sûr que tous les avocats ont à coeur de se prémunir contre ces risques.

M. BOUCHERE

Je suis un petit maire de Haute-Savoie. J'ai fort apprécié l'intervention de M. Althapé. J'ai entendu certaines choses : application intelligente des textes, concertation, faire évoluer l'application, etc.

Dans le texte, on peut noter que " l'Etat veille au respect des principes définis ". Cela voudrait dire que le contrôle des préfets devra porter sur le respect des règles de fond, c'est-à-dire veiller aux grands principes et aux grands équilibres, et on pourrait penser que les maires et leurs conseils municipaux auraient une latitude plus grande, tout au moins dans les applications mineures ou secondaires, et qui ne remettent pas en cause l'économie générale des documents d'urbanisme. Qui donc est le mieux placé pour définir ce qu'est un hameau dans un petit village que le maire et son conseil municipal, avec les particularités que cela comporte.

Je note que la loi prévoit une commission de conciliation qui peut formuler des propositions alternatives. Il faudrait que cette commission ait un pouvoir décisionnel. Son avis devrait s'imposer aux administrations. Et là je pense que c'est le rôle des sénateurs et du législateur d'améliorer les textes dans ce sens et de redonner un peu de pouvoir aux élus.

M. LEOST, vice-résident de l'association France-Nature Environnement

J'ai écouté avec beaucoup d'attention les différents intervenants. Un droit n'est appliqué que s'il est simple et les associations ne peuvent que constater la complexité du droit, à tel point que ceux qui connaissent bien le sujet chez elles ont quelques difficultés pour le comprendre.

Concernant les questions de contentieux, j'entends beaucoup dire que cela coûte aux collectivités territoriales, aux opérateurs privés. Ce qu'on ne dit pas, c'est que le contentieux des associations quelquefois évite aussi d'engager des frais à venir qui peuvent être très importants. Faut-il rappeler que quand on laisse urbaniser la rive gauche dans les zones inondables à Paris, si demain une inondation importante intervient, ce seront 100 milliards de francs de dégâts. Et si les associations ne signalent pas cet état de fait, on peut aller très loin.

Concernant les problèmes de recours, j'entends parler beaucoup de recours abusif. A mon avis, un recours n'est abusif que s'il est constaté qu'il y a un échec au tribunal administratif et si les moyens à développer étaient fantoches.

Enfin, on vient de parler de la commission de conciliation, mais elle n'est jamais réunie. D'une part, contrairement à ce qui est prévu dans le projet de loi, il faudrait que les associations agréées de protection de l'environnement puissent saisir la commission de conciliation et qu'on rende obligatoire sa saisine avant tout contentieux et dire que cela suspend le délai de recours contentieux. On pourra ainsi avancer, on aura une nouvelle donne de concertation. Or, en l'état actuel, cela n'existe pas. On interdit aux associations de saisir la commission.

Autre point liant le contentieux judiciaire et le contentieux administratif. L'article L.600-3 oblige tout requérant à notifier le recours contentieux à l'administration, auteur de la décision, et au bénéficiaire. Lorsque le demandeur gagne et que les travaux sont en route, quelquefois ceux-ci sont poursuivis malgré la décision d'annulation, alors que celle-ci est exécutoire. Or, les demandeurs sont laissés dans l'incertitude la plus complète. Je pense que quand il y a un appel devant la cour administrative d'appel par celui qui a perdu un pourvoi devant le Conseil d'Etat, les demandeurs puissent recevoir notification du recours. S'ils engagent une action en démolition, ils risquent d'être mis en responsabilité pour action téméraire.

M. HERISSON

Nous allons répondre aux intervenants et conclure notre colloque.

M. ALTHAPE

Je constate avec plaisir que mon collègue de Haute-Savoie retrouve plusieurs de ses préoccupations dans notre rapport. Cela prouve que le Sénat colle à la réalité du terrain et donner au maire la responsabilité d'apprécier la qualité des zones à bâtir, afin qu'il ait son mot à dire dans la qualité architecturale, qu'il ait un rôle majeur dans le cadre de la réalité de son projet de territoire.

Pour répondre au vice-résident de l'association France-Nature-Environnement, il y a un problème avec les associations sur la protection de l'environnement. Je crois que l'élection légitime le pouvoir. Il faut toujours le garder à l'esprit. En montagne des recours sont davantage déposés avec le souci de nuire que pour corriger des erreurs de procédure. Voilà qui est difficilement acceptable pour les élus. Ils ont même le sentiment que les requérants considèrent qu'il est dangereux de voir la collectivité s'engager dans des projets dont les conséquences financières leur paraissent inopportunes, alors qu'en réalité, quand il y a un projet c'est parce qu'un choix a été fait. On a aujourd'hui quelques difficultés à saisir la légitimité de ces recours abusifs !

Quant au souci de concertation que vous évoquiez, nous l'avons intégré dans notre rapport pour que, dans le cadre de la commission de consultation, une association puisse demander à être entendue par la commission de conciliation. C'est pourquoi la commission de conciliation est pour nous le lieu où, avant d'aller faire du contentieux, on pourrait trouver une solution.

M. HERISSON

Nous arrivons au terme de nos travaux. Je voudrais en votre nom à tous remercier l'Association Française de Droit des Collectivités Locales présidée par le professeur Auby, et tous les intervenants à cette tribune. Je crois que la démonstration est faite : il est nécessaire de mener une concertation permanente et d'adapter les textes avec non pas un cadre général et flou, mais grâce à des dispositions suffisamment précises pour réduire à la source les problèmes de contentieux.

L'avenir dira si l'édiction de principes flous ne conduit pas à accroître les difficultés.

M. ALTHAPE

Je me félicite de la richesse des interventions du public. Je me rends compte aussi de la responsabilité du Sénat pour transformer un texte dans lequel il reste encore beaucoup à faire. Voici un appel à mes collègues sénateurs pour transformer ce texte vers plus de simplification, plus de décentralisation afin d'appauvrir le contentieux.

Le projet de loi " SRU " constitue un enjeu politique mais nous essaierons au Sénat de faire plus de technique que de politique, sachant que l'urbanisme va au-delà de toutes les appartenances politiques parce qu'il consiste à donner un cadre de vie de qualité à toutes celles et tous ceux qui ont l'intention de vivre dans un lieu qu'ils ont choisi.

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