C. LA RECONNAISSANCE SOUS CONDITIONS DES ANNULATIONS DE CRÉDITS COMME OUTILS DU PILOTAGE BUDGÉTAIRE

1. L'annulation des crédits, une pratique politiquement et juridiquement douteuse...

Le vote des crédits des lois de finances connaît une signification controversée.

Certains arguments de droit conduisent à une interprétation stricte où l'ouverture de crédits en lois de finances entraînerait obligation de les consommer. Dans cette acception, les lois de finances, en déterminant les charges de l'Etat, comme c'est leur objet constitutionnel, contiennent le programme de ses interventions, programme dont il convient de ne s'éloigner, sauf exceptions, ni en plus, ni en moins. Si cette conception peut se fonder sur des arguments juridiques, elle peut également reposer sur des considérations politiques. Ainsi, le vote des crédits budgétaires peut s'interpréter comme l'affirmation d'une volonté de voir l'Etat mettre en oeuvre des interventions publiques selon une configuration précise.

Cette approche peut être confortée par d'autres données essentielles des lois de finances. L'objet premier des lois de finances est en effet le vote par le Parlement des recettes de l'Etat et de leur affectation. Le produit des recettes est ainsi destiné soit à financer des interventions publiques, soit à contribuer à la formation du solde des opérations budgétaires, c'est-à-dire à l'équilibre financier des lois de finances. Soustraire les crédits votés à l'obligation de les consommer, c'est permettre au gouvernement de modifier cet équilibre à son gré. Or, cet équilibre est défini par les lois de finances selon les termes mêmes de l'ordonnance organique, et le solde budgétaire représente en tant que tel un enjeu politique majeur.

Dans le texte de l'ordonnance organique, cette conception stricte de la portée du vote des crédits est assez fortement présente. Mais, elle n'est pas la seule. La conception contraire, selon laquelle les ouvertures de crédits ne seraient qu'une autorisation de dépenses, est fondée en particulier sur la notion de crédits disponibles 22 ( * ) , qui, à elle seule, implique l'absence d'une obligation de consommer les crédits ouverts.

C'est cette conception qui a prévalu par la pratique de ce que le jargon nomme la régulation budgétaire. Celle-ci consiste, soit à annuler des crédits, soit à les mettre en réserve ou, dans une nouvelle version " politiquement correcte ", à procéder par gel, ou par contrats de gestion.

Evolution des ouvertures et des annulations de crédits en loi de règlement

(en millions de francs)

1994

1995

1996

1997

1998

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

Ouvertures

Annulations

A. - Budget général

Dépenses ordinaires civiles brutes

11.843

17.887

16.011

12.954

23.143

8.968

14.673

9.475

15.264

8.304

Dépenses civiles en capital

-

-

-

-

-

1

-

2

-

1

Dépenses militaires

14

797

14

1.294

113

1.249

8

1.046

32

1.158

Total du budget général (A)

11.857

18.684

16.025

14.248

23.256

10.218

14.681

10.523

15.296

9.463

B. - Budgets annexes

1.636

2.138

1.324

1.666

1.359

2.148

774

528

1.851

728

C. - Opérations à caractère définitif des comptes spéciaux du Trésor

602

503

1.676

20.650

394

9.587

701

306

10.590

305

TOTAL des opérations à caractère définitif (A+B+C)

14.095

21.325

19.025

36.564

25.009

21.953

16.156

11.357

27.737

10.496

D. - Opérations à caractère temporaire (crédits)

175.319

986

n.d.

824

24.493

164

43.110

109

23.307

1.675

TOTAL pour le budget de l'Etat (A+B+C+D)

189.414

22.311

n.d.

37.388

49.502

22.117

59.266

11.466

51.044

12.171

E. - Autorisations de découverts supplémentaires

46.681

-

42.857

-

41.318

-

41.905

-

37.498

-

Budgets annexes : évolution des annulations de crédits

(en millions de francs)

1995

1996

1997

1998

1998 :

dépassements rapportés au total net des crédits (en %)

Aviation civile

195,71

175,00

67,95

134,71

1,50

Journaux officiels

7,85

11,33

8,47

23,40

2,09

Légion d'honneur

3,16

2,25

2,04

1,64

1,05

Monnaies et médailles

42,43

44,41

48,44

19,51

1,35

Ordre de la Libération

0,74

0,54

0,72

0,37

8,78

BAPSA

1.416,54

1.914,88

399,92

548,75

0,59

TOTAL

1.666,43

2.148,42

527,53

728,39

0,70

La pratique est allée en la matière bien au-delà des hypothèses formulées par l'ordonnance. Dans son article 13, celle-ci n'ouvre la faculté d'annuler des crédits que si ceux-ci deviennent sans objet en cours d'année. Cette faculté est donc soumise à conditions. Elle n'est de surcroît ouverte qu'au ministre des finances, qui doit cependant bénéficier, en théorie, de l'accord du ministre intéressé.

Dans les faits, il en va tout autrement.

A une question écrite de votre commission relative aux contrats de gestion, la direction du budget a répondu que " les contrats de gestion ont été mis en place en 1999 afin d'assurer le respect de l'engagement de loi de finances initiale relatif à la progression en volume et à structure constante des dépenses. Le quantum de crédits mis en réserve dans le cadre de ces contrats de gestion a fait l'objet de négociations avec les gestionnaires dans le cadre de la procédure budgétaire. A la demande du secrétaire d'Etat au budget, la direction du budget a procédé à la notification aux contrôleurs financiers du contenu des contrats de gestion afin de suivre les engagements pris par les ministères lors des négociations ".

Les annulations et les contrats de gestion sont, en réalité, un moyen de piloter la dépense et le solde budgétaire et ne se soucient nullement de respecter la condition énoncée à l'article 13 de l'ordonnance.

De plus, le ministère des finances " pilote " seul cet exercice dont les conditions sont fixées dès le début de l'année, soit bien avant que ne soient dégagés des enseignements pouvant être pris en compte par les contrats de gestion. Une note du 14 janvier 1999, adressée par le directeur du budget au ministre le confirme ; elle figure dans le rapport de votre commission des finances sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances, qu'il faut citer :

Constatant, dès le début du mois de janvier, soit quelques jours après sa promulgation, que " l'environnement économique différera de celui qui était affiché lors du bouclage de la loi de finances ", le directeur du budget proposait au ministre " de revoir les conditions de l'exécution du budget de 1999 ".

Il écrivait notamment : " compte tenu de la révision probable de l'hypothèse d'inflation (0,5 % contre 1,3 % prévu en LFI), la progression des dépenses en termes réels de la LFI 1999 par rapport à la LFI 1998 atteindrait 1,8 point pour un objectif de 1 point ". Le directeur du budget poursuivait : " l'effort à réaliser pour nous conformer strictement à l'objectif de 1 % en volume conduit à prévoir une mise en réserve de 13 milliards de francs des crédits de la LFI ". Enfin, plus loin, il notait : " au total, le respect du cadrage du PLF supposerait d'afficher rapidement une réserve de crédits, sans intégrer dans cette réserve les économies de constatation sur la dette. Les besoins propres à l'exécution supposeraient également de prévoir des crédits à annuler en vue des prochains décrets d'avance ou d'un collectif. Compte tenu des incertitudes liées, à cette date, à la gestion 1999, un objectif de 15 milliards de francs de crédits réservés me semble donc justifié sur le plan budgétaire ".

Ces pratiques, qui ne sont pas propres à l'exercice 1999, posent un problème au regard de la décision démocratique. Que le vote du Parlement comporte obligation ou autorisation de dépenser les crédits ouverts, il est choquant qu'à peine intervenu, l'exécutif, de son propre chef, en restreigne la portée, alors qu'il est lui-même à l'origine du projet.

L'apogée de la pantomime ou du cynisme se produit lorsque le ministre des finances gèle, puis annule des crédits dont ses collègues et lui-même se sont ingéniés à démontrer le caractère vital pour la Nation lors du débat budgétaire.

Votre commission des finances connaît bien ce triste spectacle, puisqu'elle s'est heurtée, lors des budgets alternatifs présentés par elle, à une opposition résolue du gouvernement à ses amendements de réduction de crédits... pour constater quelques semaines après que lesdits crédits étaient mis en réserve par le même gouvernement !

L'exigence démocratique appelle des clarifications.

* 22 A l'occasion de l'exposé du mécanisme des reports de crédits.

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