Audition de M. Jean-François GROLLIER,
Vice-président en charge de la direction générale de la recherche
et du développement du groupe l'Oréal
et de M. Giorgio GALLI,
Directeur de la communication et des relations extérieures

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci Messieurs d'être présents. Je rappelle que vous êtes M. Giorgio Galli, Directeur de la Communication et des Relations extérieures et M. Jean-François Grollier, Vice-président de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Président du Comité de coordination des Associations spécialisées.

Merci d'avoir répondu à notre convocation. Vous savez que vous êtes entendus dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner après avoir prêté serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Grollier et Galli.

M. le Président - Je vous remercie.

La cosmétologie en général peut paraître éloignée des farines animales proprement dites, mais les missions de la commission d'enquête sont élargies en dehors des farines animales, et il s'agit également de l'utilisation en cosmétologie de tous les produits utilisés à partir des animaux abattus dont sont issus les différents sous-produits ou produits de transformation. C'est pourquoi nous vous poserons des questions sur leur utilisation.

Je crois que dans un premier temps vous pouvez nous faire une brève présentation de tous ces éléments et nous donner votre avis sur ces problèmes. Ensuite, l'ensemble de nos collègues posera les questions qu'ils jugeront utile.

M. Giorgio Galli - Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous avez souhaité entendre le Groupe L'Oréal sur la question de l'ESB.

Je suis Giorgio Galli, Directeur Général de la Communication et des Relations extérieures et je représente, avec M. Jean-François Grollier, Vice-Président en charge de la Direction Générale de la Recherche et du Développement, le Groupe L'Oréal.

Je souhaite porter à votre connaissance l'historique de l'attitude de notre Groupe concernant la question de l'ESB.

Aujourd'hui, en France, les formules issues de nos laboratoires ne contiennent ni extraits ni dérivés des classes I, II et III de l'OMS ni suif ni gélatine en tant que tels.

Seuls subsistent quelques ingrédients dérivés de suif, de collagène ou de lait, pour lesquels nous possédons les garanties de provenance ou de procédés. Ils sont par ailleurs en voie de suppression.

Cette situation présente découle de l'historique que je vous détaillerai.

Notre Groupe a développé de longue date une éthique et une politique de protection des consommateurs très rigoureuse. Dans ce cadre, il exerce en permanence une veille attentive sur toutes les questions qui peuvent se poser au sujet de la sécurité de ses produits et des ingrédients qui entrent dans leur composition.

Cette vigilance s'est appliquée concernant l'ESB et s'est traduite par une attitude d'anticipation et de précaution active qui a été précoce et s'est poursuivie au fils des années et jusqu'à nos jours.

Au début de l'épizootie d'ESB qui s'est produite au milieu des années 80 au Royaume-Uni, personne n'imaginait qu'elle pourrait présenter un risque éventuel pour la santé humaine. A cette époque, les ingrédients d'origine animale étaient largement utilisés par plusieurs secteurs industriels et, en premier lieu, dans le domaine agroalimentaire.

Dès l'émergence en 1990 des premières informations scientifiques sur les risques potentiels liés à l'épizootie de l'ESB en Grande-Bretagne, le Groupe L'Oréal s'est mobilisé. Lors de l'apparition de cas sporadiques d'ESB en France en 1991, la question d'un risque éventuel pour la santé humaine s'est imposée à notre Groupe. Nous avons contacté des experts français en matière d'encéphalopathie spongiforme, dont le Professeur Jeanne Brugère-Picoux, de façon à comprendre la nature et les causes de l'ESB, ainsi que les risques éventuels liés à l'utilisation des extraits bovins.

Les conclusions ont été rassurantes. Le franchissement de la barrière d'espèce paraissait peu probable et l'utilisation d'extraits bovins en cosmétique présentaient infiniment moins de risques qu'en alimentaire.

Mais nous ne sommes pas contentés d'examiner des hypothèses. En même temps, nous avons demandé à nos laboratoires de ne plus utiliser dans les nouvelles formules les ingrédients dérivés d'organes et de tissus que l'OMS décrira quelques mois plus tard comme pouvant présenter le plus haut niveau de risque potentiel en les situant en classe I et II.

De la part d'un industriel de la cosmétique, cette mesure représentait alors réellement une mesure de précaution.

En effet, il convient de rappeler que le risque qui pouvait être évoqué par certains début 1991 était un risque théorique de transmission par voie alimentaire et que les produits cosmétiques sont appliquées par voie topique et ne sont pas destinés à être ingérés.

Aucune étude n'a d'ailleurs montré à ce jour la possibilité de transmission de l'agent du prion par la voie cutanée.

Deux renforcements de cette première précaution sont intervenus peu après.

Au deuxième trimestre 1991, nous avons demandé à un expert vétérinaire d'évaluer chez nos principaux fournisseurs d'extraits biologiques bovins le risque ESB depuis la récolte des organes jusqu'à l'obtention des extraits. Il a été rassurant sur la source des ingrédients mais, pour aller plus loin, nous avons demandé à nos fournisseurs, au troisième trimestre 1991, de nous fournir pour chaque livraison :

- à un certificat d'origine garantissant la provenance de pays hors de l'épizootie d'ESB,

- à un certificat vétérinaire prouvant que les bovins étaient aptes à la consommation humaine

- à un certificat mentionnant le respect des procédés de fabrication garantissant la qualité des extraits fournis et ceci pour toutes les matières premières d'origine bovine à l `exception des dérivés de la classe IV de l'OMS.

L'étape suivante, pour notre Groupe, a été la conséquence du rapport publié en novembre 1991 par l'OMS. Ce rapport, qui s'appuyait sur les résultats d'études faites sur la tremblante du mouton, décrivait les procédés d'inactivation du prion et les organes et tissus à risques selon une répartition en quatre classes.

La classe IV mentionnait les tissus pour lesquels il n'avait pas été trouvé d'infectiosité, tel que le lait.

Quant à la peau, aux poils et au suif -qui sont des tissus classiques pour l'obtention d'ingrédients cosmétiques-, ils n'étaient pas mentionnés dans cette classe IV, car ils auraient dû faire partie d'une autre classe présentant un niveau de risque encore bien inférieur.

Suite à ce rapport, nous avons établi début 1992, toujours par souci de précaution et d'anticipation, un plan de reformulation de nos produits pour substituer dans toutes les formules concernées, la totalité des matières premières dérivées des classes I, II et III décrites par l'OMS.

Ce très grand travail de reformulation a été effectué entre 1992 et 1995.

A signaler également qu'en novembre 1992 le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France a rendu un avis recommandant à l'Industrie cosmétique de s'approvisionner dans des pays exempts d'épizootie d'ESB pour les produits des classes I, II et III.

Dans les cas où cette garantie n'existait pas il fallait utiliser des procédés assurant l'inactivation. Nous avions donc largement anticipé cette recommandation.

Précisons que la classe IV pouvait être utilisée sans garantie d'origine.

Une autre étape importante de notre action se situe début 1996.

Toujours avec l'aide d'un expert vétérinaire, nous avons lancé chez nos fournisseurs une série d'actions pour nous assurer de la traçabilité et du respect des procédés lors de la fabrication des ingrédients d'origine bovine de classe IV que nous utilisions encore (hors dérivés de suif et de lait).

Les deux années suivantes, de 1996 à 1998, ont été marquées par une série de mesures réglementaires d'interdiction en France et en Europe ; comme je viens de vous le dire, nous avions déjà mis en pratique, pour l'essentiel, ces différentes mesures.

En août 1996, la France, dans un arrêté, a pris des mesures concernant la cosmétique. Premièrement, l'interdiction d'utilisation d'extraits d'encéphale, de moelle épinière et de globes oculaires de bovins âgés de plus de 6 mois.

Nous avions déjà mis en oeuvre cette précaution pour nos nouvelles formules depuis 1991 et, pour les produits existants, au plus tard en 1995.

Il s'agit des classes I, II et III.

Deuxièmement, l'interdiction de l'utilisation de toute matière première bovine provenant du Royaume-Uni. Nous avons demandé aux fournisseurs de nos matières premières encore d'origine bovine des certificats, lot par lot, de conformité à cet arrêté.

En janvier 1997, la directive européenne 97/1 a repris en partie l'arrêté français de 1996.

Toujours dans le même souci de précaution, nous avons lancé un plan complémentaire de reformulation au premier trimestre 1997 pour remplacer progressivement les produits d'origine bovine de la classe IV encore existants.

En mars 1998, la directive européenne 98/16 a renforcé et élargi les mesures d'interdiction et réglementé les conditions de traitement des dérivés de suif.

Cette directive a été transposée en droit français par l'arrêté du 8 avril 1998.

En résumé, depuis 10 ans, une part très importante de nos travaux de recherche a été consacrée à la substitution de matières premières d'origine bovine, de façon à ne prendre aucun risque pour la santé des consommateurs.

Nous pouvons dire que notre vigilance active et notre attitude de précaution systématique ont conduit à anticiper les réglementations et à apporter le maximum de garantie possible dans la sécurité de nos produits, en fonction des connaissances scientifiques du moment.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention.

Nous avons préparé ce texte que nous pourrons vous laisser en tant que document officiel.

M. le Président - Manifestement, vous nous dites -et c'est tout à l'honneur de votre Groupe- que vous avez pratiquement précédé à chaque fois les décisions qui ont été prises postérieurement au niveau national ou communautaire.

Pensez-vous que l'ensemble des fabricants de cosmétique a eu la même démarche ultérieurement ?

Je ne vous demande pas de délation, mais ce que vous en pensez, ce que vous estimez en tant que professionnel, ou si, à la suite des décisions et des arrêtés qui ont été pris, quelques fraudes ou quelques transgressions de la réglementation par d'autres fabricants de cosmétiques ont eu lieu.

M. Giorgio Galli - Nous n'avons pas d'éléments pour parler de fraudes à l'intérieur de l'Industrie cosmétique. Nous sommes maîtres de la politique de L'Oréal et, au niveau de la recherche, tous les pas ont été faits pour pouvoir nous situer dans une situation de sécurité par rapport à nos produits et nos consommateurs.

Pour l'avoir vécu directement, je sais qu'au niveau des associations inter-professionnelles, à chaque fois, toutes les recommandations ont été faites à l'ensemble de l'Industrie cosmétique tant au niveau européen que français.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir la liste des produits de substitution qu'au fur et à mesure vous avez utilisés dans la préparation de vos produits de cosmétologie ?

M. Giorgio Galli - M. Grollier, en charge de la Recherche, vous répondra. C'est un travail long et dense.

M. Jean-François Grollier - Comme vous l'avez vu, notre travail de reformulation a duré de 1992 à 1995. Nous avons cherché des produits permettant d'obtenir les mêmes propriétés. Nous pouvons dire que nous avons très souvent remplacé par des matières premières venant du règne végétal, les produits en provenance du règne animal.

M. Gérard César - Pour compléter la question de mon collègue, concernant le plan de reformulation que vous avez mis en place, vous avez évoqué dans votre propos des experts vétérinaires. Pourriez-vous nous préciser s'il s'agit d'un expert vétérinaire de votre propre Maison L'Oréal ou un expert indépendant agréé par les Pouvoirs Publics ?

M. Jean-François Grollier - C'est un expert indépendant, le Docteur Constantin qui aujourd'hui est en retraite et qui, à l'époque, se trouvait à Angers.

M. le Président - Vous parlez d'extraits de produits végétaux. N'y aurait-il pas eu de produits venant d'animaux marins, de poissons, en substitution des extraits bovins ou ovins ?

M. Jean-François Grollier - Nous cherchons principalement à remplacer par des matières premières d'origine chimique car, par la chimie, il est possible de fabriquer des produits, ou par des chaînes grasses par exemple en provenance de végétaux.

En particulier actuellement dans le remplacement des dérivés de suif, il est tout à fait possible de trouver dans le règne végétal, des chaînes remplaçant le suif.

M. Roland du Luart - En vous écoutant, je suis frappé par un fait au cours de ces différentes auditions : le secteur alimentaire n'a pas eu le même principe de précaution que la cosmétologie. Est-ce intuitif ? Quelle raison vous a fait agir aussi rapidement ?

Vous avez entendu parler de cette maladie et vous vous êtes dit très en amont par rapport aux autres : « Il est indispensable de prendre des principes de précaution même si, scientifiquement, il n'existe pas de risques que cela passe d'une espèce à l'autre mais nous ne voulons pas prendre de risques ». Est-ce une mesure que l'on retrouve dans votre Maison L'Oréal par rapport à certains choix de société ou aviez-vous une intuition vous faisant craindre le pire avec cette épidémie ?

M. Giorgio Galli - Cela fait partie de la politique de la Maison. Nous avons un respect et une éthique absolus par rapport aux produits que nous mettons sur le marché, et dès qu'un élément est identifié comme à risque potentiel éventuel, il est sûr que nous tentons de voir clair et que nous nous mettons dans une position qui est celle de voir comment nous pouvons protéger nos consommateurs. Nous sommes allés même au-delà de toutes les réglementations. C'est une attitude que nous pouvons attribuer spécialement à notre pensée et notre philosophie et à ce que nous souhaitons par rapport à nos consommateurs et au marché.

M. le Rapporteur - Vous avez une cellule de veille qui fonctionne en permanence pour être en alerte sur ce genre de problématiques dans la société d'inquiétude dans laquelle nous vivons.

M. Jean-François Grollier - Nous regardons tous ce qui se passe à l'extérieur. Bien avant le premier cas d'ESB en France, nous avons vu ce qui se passait en Grande-Bretagne et nous avons identifié un risque potentiel à prendre en compte immédiatement.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous nous livrer quelques autres inquiétudes que vous allez corriger, puisque vous avez une réactivité exceptionnelle, au niveau de l'alimentaire ou de l'utilisation des farines dans l'assolement ?

M. Giorgio Galli - Nous prenons des mesures au niveau de la reformulation des produits par rapport même à des dérivés de substances que l'OMS a placées en classe IV, alors qu'elles ne présentent aucun risque détectable d'infectiosité.

Nous nous mettons en position d'anticipation.

M. le Président - Il est vrai également que l'origine de la cosmétologie en général a suivi les origines ou a accompagné les progrès de la pharmacie et des médicaments. La démarche n'est pas la même entre la cosmétologie en général qui suit de très près la plupart du temps la méthodologie utilisée dans la fabrication des médicaments alors que, malheureusement, la filière d'alimentation n'a jamais suivi exactement cette démarche. C'est ce qui fait la différence.

M. Jean-François Grollier - Nous avons notre propre démarche en tant que cosmétique.

M. le Président - Aujourd'hui mais, à l'origine, c'était celle-là et c'est ce qui est différent.

M. le Rapporteur - A posteriori, ne pensez-vous pas que l'arrêté du 8 avril 1998 soit venu d'après vous un peu tard ? Aujourd'hui, cet arrêté et la liste des matériaux interdits vous donnent-ils satisfaction ? Vous êtes allés au-delà. Nous l'avons bien compris et analysé. Clairement, estimez-vous que cet arrêté de 1998 arrive un peu tard ?

M. Jean-François Grollier - Je ne peux pas juger. Il convient de resituer le risque en cosmétique par rapport aux autres. Il ne faut pas oublier que le produit est appliqué sur la peau, qu'il n'y a jamais eu la moindre étude démontrant qu'il pouvait y avoir une affection par la peau et les quelques risques potentiels qui pourraient exister ne seraient qu'avec un produit à très haut potentiel infectieux appliqué sur une grande surface de muqueuse fortement lésée, ce qui pourrait se passer dans la bouche, mais on ne met pas un produit cosmétique dans la bouche. Il faut resituer ces risques par rapport à l'alimentaire, et nous sommes aujourd'hui, en cosmétique, dans une grande sécurité.

M. Gérard César - Au niveau de l'OMS que vous avez citée plusieurs fois, est-elle dans sa définition beaucoup plus restrictive que les mesures européennes ou françaises (car vous êtes un Groupe international vendant dans le monde entier) ? Est-ce une bonne référence par rapport à l'Europe?

M. Jean-François Grollier - Nous sommes en France et nous y exprimons, mais nous appliquons nos mesures pour le monde entier.

M. Giorgio Galli - La politique en matière de recherche est une politique internationale.

M. Jean-François Grollier - Toutes les mesures prises sont appliquées en France et dans le monde entier pour qui nous fabriquons des produits.

M. le Rapporteur - Etes-vous satisfait des mesures de traçabilité permettant de suivre l'origine des produits ?

M. Jean-François Grollier - La sécurité, nous concernant, est assurée à deux niveaux : d'une part la traçabilité en demandant un certificat attestant que les bêtes ne viennent ni d'Angleterre ni du Portugal mais, concernant le suif, c'est surtout par les traitements qu'il subit à haute température par trans-estérification et saponification que nous avons les meilleures garanties.

M. le Président - Utilisez-vous toujours du suif actuellement ?

M. Jean-François Grollier - Des dérivés du suif. Actuellement, oui, quelques-uns.

M. le Président - Qui ont subi les traitements que vous venez d'énoncer.

M. Jean-François Grollier - Qui ont la double garantie au niveau de l'origine des suifs et par les traitements physico-chimiques subis.

M. le Président - Qui n'ont jamais montré jusqu'à présent ....

M. Jean-François Grollier - Les traitements figurant dans la directive 98-16 sont appliqués.

M. le Président - Merci. Je pense que nous vous avons posé toutes les questions que nous étions susceptibles de vous poser. Nous vous remercions d'avoir collaboré à notre démarche ainsi que des précisions que vous nous avez apportées.

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