Audition de M. Jean-Yves KERVEILLANT, Direction générale de l'alimentation,
sous-direction de l'hygiène des aliments, bureau des matières premières

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Mes chers collègues, merci d'être présents.

Monsieur Jean-Yves Kerveillant, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes auditionné ici dans le cadre de la Commission d'enquête du Sénat sur les farines animales, que vous êtes à la Direction Générale de l'Alimentation, Sous-direction de l'Hygiène des Aliments, Bureau des Matières Premières.

Etant auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, vous devez témoigner sous serment. Pour ce faire, je vous relirai la note que je dois vous lire et je vous ferai prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Kerveillant.

M. le Président - Merci.

Dans un premier temps, vous nous décrirez ce que vous connaissez de ce problème des farines animales et de ce qui se passe -ou de ce qui s'est passé- au niveau du problème de l'alimentation. Ensuite, nos collègues vous poseront les questions qu'ils jugeront utiles.

M. Jean-Yves Kerveillant - Merci, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je travaille aux Services vétérinaires. Je suis entré dans l'Administration en 1985. J'ai entamé ma carrière dans les Services vétérinaires du Val-de-Marne à Rungis où je suis passé par tous les postes des chaînes alimentaires.

Nous avions à l'époque un très important bureau de douane, le bureau de Rungis, couplé à un autre, le bureau d'Orly. J'en ai assuré la responsabilité pendant environ une dizaine d'années, car j'ai quitté ce Service en 1995. J'avais également sous ma responsabilité tout ce qui était denrées animales et d'origine animale, présentées à la vente sur le marché de l'international de Rungis avec des quantités très importantes de viandes d'animaux de boucherie et, notamment, de viandes bovines, ovines et caprines importées des Etats membres et des Pays tiers jusqu'en 1993 et ensuite échangées à partir du 1er janvier 1993.

A partir de 1995, j'ai quitté ce Service pour rejoindre la Direction Générale de l'Alimentation où je suis en charge du Bureau des Matières Premières (qui ne s'appelait pas ainsi à l'époque) qui regroupe les mêmes attributions.

Dans ce Bureau, je suis en charge de toute la réglementation relative à l'agrément et aux conditions d'installation de fonctionnement et d'inspection sanitaire des viandes d'animaux de boucherie, volaille, lapin et gibier.

Depuis le 20 mars 1996, où cette maladie de l'encéphalopathie spongiforme bovine est devenue un véritable problème de santé publique, j'ai eu à suivre toutes les évolutions réglementaires au regard des modifications de la liste des matériels à risques spécifiés.

Figurait également dans mes attributions au début de la crise, le problème de l'équarrissage. Cela s'arrêtait à l'élaboration des farines animales à partir des matières premières collectées dans les abattoirs et les ateliers de découpage et, à partir de 1998, compte tenu de l'ampleur que prenait ce problème et de la charge pesant sur le Service dans lequel je me trouvais, il a été décidé de regrouper à la Direction Générale de l'Alimentation l'ensemble des problèmes équarrissage et alimentation animale dans un autre bureau à la tête duquel se trouvait jusqu'à présent Bénédicte Herbinet que vous avez rencontrée puisqu'elle accompagnait la Directrice Générale de l'Alimentation au cours de son audition.

Je m'occupe des problèmes liés au retrait des matériels à risques spécifiés au sein des abattoirs. J'ai participé à tous les débats depuis 1996 sur ce sujet et j'ai travaillé jusqu'en 1998, à savoir la date d'entrée en application du traitement 133°/20 minutes/3 bars à toutes les farines valorisées en alimentation animale. J'ai également travaillé avec un autre collègue sur le secteur de l'équarrissage sur lequel j'étais moins impliqué que je ne le suis sur le problème du retrait des matériels à risques spécifiés.

Dans le travail que j'avais à effectuer sur la première partie de ma carrière, j'ai eu beaucoup à m'occuper de tout ce qui était produits entrés du Royaume-Uni et, sur la période précédant mon arrivée à la Direction Générale de l'Alimentation, il est vrai que l'encéphalopathie spongiforme bovine n'était pas aux yeux d'un agent présent sur le terrain et compte tenu des informations en notre possession, un problème majeur de santé publique pour les personnes qui, comme moi, étaient sur le terrain.

J'ai été sensibilisé par la presse professionnelle, notamment par certains articles publiés dans la Semaine vétérinaire ou la Dépêche vétérinaire qui faisaient que j'avais quelques notions de ce qui se passait au Royaume-Uni et j'ai été à l'origine, en 1990, d'un renforcement du dispositif français au regard du contrôle que nous réalisions à l'époque à l'importation, notamment du Royaume-Uni, pour tout ce qui était matériels à risques spécifiés, intitulés à l'époque « abats à risques spécifiés ».

Suite à un contrôle que j'avais effectué chez un grossiste du marché de Rungis, mes collègues ont pris un avis aux importateurs interdisant l'introduction sur le territoire français de tout ce qui était abats à risques spécifiés bovins, dès le mois de février 1990 car, au cours du contrôle que j'avais effectué, je m'étais rendu compte que les Britanniques ne respectaient pas leur engagement au niveau communautaire, à savoir d'interdire la sortie de leur territoire des abats qu'ils s'interdisaient eux-mêmes pour leur consommation.

J'avais trouvé des têtes entières de bovins -renfermant la cervelle- destinées à la consommation humaine et distribuées par un grossiste du marché de Rungis.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Avez-vous des pièces relatant vos interrogations et vos suspicions ?

M. Jean-Yves Kerveillant - La seule pièce administrative que j'ai retrouvée est une note d'information sur l'encéphalopathie spongiforme bovine datée de février 1990 et rédigée à l'époque par une collègue qui travaillait au Bureau de l'Epidémiologie générale et opérationnelle, qui donne les premières informations sur l'encéphalopathie spongiforme bovine. Sont précisées à la fin du document les constatations qui avaient été faites et les modifications réglementaires qui avaient été apportées.

C'est le seul document de cette époque que j'ai retrouvé.

C'était la période antérieure à 1993, car je distinguerai le travail que j'ai effectué dans un premier temps dans le Val-de-Marne en deux périodes : la période antérieure à 1993 et la période postérieure à 1993. Pourquoi ce distinguo ? Avant le 1er janvier 1993, toutes les introductions sur le territoire français étaient des importations.

Nous avions un contrôle sur les camions -même s'il était souvent relativement succinct- et tout au moins la totalité des camions était ouverte par mes collègues à l'introduction sur le territoire national. A partir du 1er janvier 1993, le marché unique a été mis en place dans la précipitation et les contrôles que nous avons pu effectuer postérieurement sur ce marché de Rungis pour vérifier la bonne application des dispositions communautaires en vigueur sur l'encéphalopathie spongiforme bovine, ont démontré que les Britanniques ne respectaient pas ce texte, puisque les documents qui devaient accompagner les carcasses (dont vous savez qu'il existait 2 catégories : originaires d'élevages dans lesquels peu de cas d'ESB avaient été déclarés et celles originaires d'établissements d'élevage dans lesquels des cas avaient été déclarés et qui devaient subir un désossage complet avec retrait de tous les tissus nerveux et ganglions lymphatiques apparents) n'étaient pas respectés et plusieurs rappels à l'ordre ont été nécessaires. Le travail était beaucoup plus difficile, car nous étions alors dans une phase où il n'existait pas de contrôles systématiques. Nous devions travailler en application d'une directive communautaire (la 89-662) prévoyant des contrôles aléatoires par sondage de façon non discriminatoire.

M. le Rapporteur - Vous dénoncez cette situation à partir de 1993. A partir de quelle date estimez-vous que les Anglais ont respecté leurs obligations sur cette viande désossée et non désossée ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Vous me posez une question « piège », car je ne peux pas vous répondre. Sur ce que je connais, j'ai constaté des anomalies antérieurement. Nous les avons rectifiées par un avis aux importateurs qui a permis de recadrer la situation et cela a été l'occasion pour l'Administration centrale d'envoyer un document d'information aux services, qui les a sensibilisés à partir de 1990. A partir de 1993, des dérives ont eu lieu à nouveau, car ces contrôles systématiques n'étaient plus effectués.

M. le Président - Compte tenu que vous procédiez à quelques contrôles aléatoires de temps à autres, pensez-vous que cela ait pu continuer longtemps ?

M. Jean-Yves Kerveillant - En effectuant des contrôles aléatoires, surtout sur un marché comme celui sur lequel j'ai travaillé pendant 10 ans, j'ai relevé des anomalies concernant les Britanniques et tout le monde. Dès que vous interdisez quelque chose, certains opérateurs cherchent toujours à contourner la réglementation. Par exemple, l'importation des ris de jeune bétail des Etats-Unis est interdite en raison de problèmes liés à l'utilisation des hormones. Ces ris sont exportés en Yougoslavie, déconditionnés et reconditionnés pour arriver en France.

Il s'agissait de toutes les façons d'un travail demandant une attention de tous les jours supposant d'être bien impliqué et introduit auprès des opérateurs. J'y ai passé un certain temps, ce qui m'a permis de comprendre les mécanismes et d'enrayer ce type de fraude.

Ensuite, j'ai travaillé à la Direction Générale de l'Alimentation. J'ai visionné la cassette de l'audition de ma Directrice Générale et j'ai travaillé principalement sur tout ce qui touche au retrait des matériels à risques spécifiés et aux modifications de la réglementation sanitaire, notamment l'arrêté du 17 mars 1992 sur les abattoirs et l'article 31-P que je connais par coeur, car il a changé plus d'une dizaine de fois depuis 1996 suite notamment aux avis du Comité Dormont, du Comité Français sur l'Encéphalopathie spongiforme transmissible et du Comité Scientifique Directeur, nous-mêmes ayant apporté quelques modifications sans attendre des avis.

Je me tiens à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

M. le Président - Vous confirmez que des importations d'abats britanniques ont eu lieu dans des quantités importantes malgré l'interdiction.

M. Jean-Yves Kerveillant - Je confirme qu'il y a sans doute eu des importations de matériels à risques spécifiés interdits de commercialisation sur le territoire britannique ; je n'ai pas dit en quantités importantes, mais que j'ai constaté personnellement des anomalies sur le marché de Rungis qui ont donné lieu à des mesures correctives quand j'ai transmis cette information à mes collègues ; cela a été effectué très rapidement.

M. le Président - Quand vous effectuez un contrôle, vous établissez un bordereau, presque un procès-verbal, pour signifier cette affaire. Auriez-vous des exemplaires à nous communiquer ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non, compte tenu que j'ai quitté ce département, je n'ai plus accès aux documents.

M. le Président - Normalement, cela peut se retrouver.

M. Jean-Yves Kerveillant - De nombreux déménagements et changements dans ce Service ayant eu lieu, ce sera difficile à retrouver. La seule trace écrite figure dans le document que je vous ai indiqué : « Après la découverte à Rungis d'abats de bovins interdits au Royaume-Uni en provenance d `Ecosse, des mesures d'interdiction d'importation en France concernant ces abats ont été prises par l'avis aux importateurs de viande et d'abats de bovins en provenance de certains pays de la Communauté Européenne, publié au J.O. R F du 17 février 1990 ».

M. le Président - C'était pour avoir des documents précis démontrant clairement, à la suite des contrôles que vous avez effectués, que vous avez décelé un certain nombre de cas.

M. Jean-Yves Kerveillant - Cela s'est traduit dans le cas présent par une saisie des produits, par une lettre d'information à la Direction de la Qualité et par une prise de mesures. Je n'ai pas retrouvé cela dans les dossiers que j'ai eus à traiter sur l'ESB avant 1996.

M. le Rapporteur - Concernant les abats, confirmez-vous les chiffres qui nous ont été livrés par Mme Brugère-Picoux lors de son audition, à savoir que dans la période 1978-1987 la France a importé 3 180 tonnes d'abats ? Ensuite, dans les 9 ans qui ont suivi (1987-1996), nous sommes montés à plus de 47 000 tonnes.

Ils sont majoritairement passés par Rungis. Confirmez-vous ces tonnages ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Compte tenu que je n'ai pas de données chiffrées, je pense que ces donnés ont été extraites des statistiques qui ont pu être fournies par la douane, mais je crois que c'est de ces ordres-là. La douane et les Services de la Direction Générale des Droits indirects ont établi des statistiques dont j'ai été destinataire sur la partie abats et sur la partie carcasses. J'ai des souvenirs des tonnages de carcasses mais pas de ceux concernant les abats.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous produire un document faisant état de ces tonnages ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non. Je ne disposais pas des tonnages. Tous ces chiffres sont disponibles auprès de la Semaris (la Société d'Exploitation du Marché de Rungis) qui établit des statistiques d'entrées de matières sur le marché ; il existait des statistiques annuelles avec les origines pays par pays, quand les pays avaient une importance.

M. le Rapporteur - Vous nous conseillez de nous adresser à la Semaris pour obtenir ces documents.

M. Jean-Yves Kerveillant - Elle devrait être à même de vous fournir des éléments sur les volumes commercialisés sur les marchés de Rungis et les origines de ces denrées, puisqu'elle tenait à jour des statistiques annuelles ; tous les ans, je recevais les statistiques des quantités.

M. le Rapporteur - Nous adressons-nous au Directeur de la Semmaris ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui.

M. le Rapporteur - Avez-vous une idée de la ventilation de ces types d'abats et de leur destination sur marché français ?

Quels types d'abats étaient-ils importés régulièrement en France et quelles étaient leurs destinations ? Alimentation animale, humaine, cosmétologie ?

M. Jean-Yves Kerveillant - La France a toujours été un très grand consommateur d'abats.

M. le Rapporteur - Je me permets de revenir sur les 2 périodes : à partir de 1987-1988, quand on passe de 3 000 tonnes à 47 000 tonnes ; c'est troublant.

M. Jean-Yves Kerveillant - Il faudrait regarder ces chiffres par rapport aux tonnages globaux commercialisés.

M. le Rapporteur - La France, à partir de cette date, a dû changer de fournisseur. L'Angleterre a mis sur le marché des abats à des prix séduisants pour les importateurs. Cela ne peut s'expliquer qu'ainsi.

M. Jean-Yves Kerveillant - Je n'ai pas de données chiffrées.

M. le Rapporteur - Le Directeur de la Semmaris pourrait-il nous renseigner ? Avez-vous son nom ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui. Il s'agit de M. Marc Spielrein, le Président.

M. le Rapporteur - Nous nous rapprocherons donc de M. Spielrein.

M. Jean-Yves Kerveillant - A Rungis, la Société Mecarungis est en charge de la facturation et pourra vous fournir l'évolution des prix. J'ignore jusqu'à quelle date ils peuvent remonter dans leurs archives, mais ils devraient être à même de vous indiquer les statistiques en volume par origine et par nature, à savoir la qualité des produits introduits.

M. le Rapporteur - Vous confirmez, en restant sur cette problématique abats, qu'ils étaient interdits en Grande-Bretagne à partir du 23 octobre 1989.

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui.

M. le Rapporteur - Ils ont été mis massivement sur le marché à des prix sans doute intéressants, car ils ont été importés massivement jusqu'en 1996 en France.

M. Jean-Yves Kerveillant - Nous avons continué à importer des abats du Royaume-Uni qui n'étaient pas forcément interdits car nous les avions à l'oeil. Le marché de RUNGIS était le plus grand marché par lequel passait la plus grande partie des abats, car tous les intermédiaires se trouvent sur Rungis et après avoir mis en oeuvre les mesures d'interdiction et les avoir rappelées, nous avons regardé de plus près ce qui entrait sur le territoire national.

Les abats interdits concernent : la cervelle, la moelle épinière, les yeux, la rate, le thymus, et les intestins. Ceux qui étaient importés concernaient principalement des cervelles, la France étant une grande consommatrice de cervelles. Les concernant, nous n'avons plus rien noté après les interdictions réelles. En revanche, nous recevions du coeur, du foie et de la langue. Ces morceaux n'ont jamais présenté au regard de l'ESB un risque quelconque.

M. le Rapporteur - Avez-vous saisi, au-delà des périodes d'interdiction, des lots qui ne devaient pas entrer sur le marché national ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non. Je m'étais chargé de faire une bonne information auprès de tous les grossistes. J'étais bien introduit auprès de tous les professionnels et je passais par l'intermédiaire des fédérations de façon à les sensibiliser aux mesures qui devaient être prises et leur rappeler la réglementation en la matière.

Je ne pense pas que l'opérateur dont je parlais avait agi de mauvaise foi. Il s'agissait de quelques têtes de bovins qu'il faisait venir d'un fournisseur britannique et ce n'était pas là-dessus qu'il devait tirer des profits considérables.

M. le Rapporteur - Pourrons-nous avoir les noms des principaux importateurs français ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Vous aurez le nom des entreprises dont certaines étaient spécialisées en viande anglaise. Des opérateurs travaillaient des viandes d'origine française, d'autres de la viande anglaise à 100 %. Ils ont déposé le bilan en 1996 dès le 20 mars, puisque tous leurs approvisionnements ont été arrêtés. Vous retrouverez auprès d'un syndicat professionnel l'un des opérateurs qui était à l'époque le premier en termes d'importation de viande anglaise.

M. le Rapporteur - L'importation de cervelles dont la France était friande était-elle pour la consommation en l'état ou pour servir de liant ? Quelle était l'utilisation des cervelles ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Elles étaient commercialisées par les tripiers, nombreux en région parisienne. Les opérateurs faisait venir sur le FFMIN de Rungis des têtes entières sur lesquelles ils récupéraient la cervelle, la langue et les joues et toute la main d'oeuvre était payée à l'époque par la commercialisation de l'os qui entrait dans les circuits de la gélatine, entre autres.

Pour eux, c'était une opération assez rentable. Ils vendaient ces articles pour une consommation en l'état et non pas pour une consommation de ce que l'on a pu rencontrer éventuellement comme liant dans les steaks hachés. Elles étaient également utilisées dans tout ce qui était bouchées à la reine mais, à Rungis, les produits qui partaient étaient pour une consommation en l'état.

M. le Rapporteur - Quelle est la date d'interdiction en France des matériaux à risques spécifiés britanniques dans l'alimentation humaine ? S'agit-il bien de février 1990 ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Le texte communautaire date d'octobre 1989. En principe les Anglais auraient dû s'abstenir d'exporter ces matériels et, à l'époque, nous leur avions fait confiance. Il n'avait pas été introduit dans le droit national une obligation ou une interdiction quelconque. Ce n'est qu'à partir du contrôle effectué sur le terrain que nous avons pris une mesure et un avis aux importateurs interdisant l'introduction sur le territoire. Entre octobre 1989 et février 1990, pendant cette courte période de battement, certains produits ont pu continuer à entrer. Je l'ai constaté une fois. Je suis très prudent.

M. le Rapporteur - Y a-t-il eu possibilité de trafics d'abats britanniques à partir d'autres Etats communautaires comme la Belgique, la Hollande ou l'Irlande ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Pas à ma connaissance. Personnellement, je n'ai rien constaté.

M. le Rapporteur - Ne trouvez-vous pas curieux que l'interdiction générale des matériels à risques spécifiés dans l'alimentation humaine ne soit intervenue qu'à partir du 4 avril 1996 ?

M. Jean-Yves Kerveillant - A partir du 12 avril 1996.

C'est le premier arrêté français qui a été pris. Je vous l'ai expliqué en préambule. J'étais sur le terrain et l'ESB n'était pas un problème de santé publique. Le problème était traité par la Sous-Direction de la Santé et de la Protection animale jusqu'en 1996. Sur la période octobre 1995-mars 1996 qui sont les 6 premiers mois de travail au niveau central, nous n'avions jamais eu à traiter de l'encéphalopathie spongiforme au sein du bureau. Après cette date, j'étais en pointe sur ce dossier.

M. le Rapporteur - Concernant les carcasses, nous avons évoqué l'embargo français qui a été déterminé en mai 1990 sur les viandes britanniques et levé le 7 juin, sous condition suspensive, à savoir que l'on ait des carcasses provenant d'exploitations britanniques exempte d'ESB depuis moins de 6 ans et, en l'occurrence, dans le cas contraire, on avait le droit d'importer de la viande désossée.

Or, nous nous apercevons que 5 années plus tard, en 1995, la Commission Européenne fait obligation au Royaume-Uni, au travers d'une directive, d'une application en droit national d'une identification de leur cheptel bovin.

Ce différentiel de 5 ans ne vous a-t-il pas là aussi troublé ? En avez-vous eu connaissance ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Personnellement, à l'époque, je le répète, j'étais sur le terrain en hygiène alimentaire et, pendant cette période, je n'ai pas suivi tout ce qui se tramait au niveau communautaire. J'ai pu savoir par la suite que la Commission n'a pas beaucoup oeuvré pour faire avancer ce dossier.

M. le Rapporteur - Vous confirmez que, sur le territoire national, la Commission européenne n'a pas beaucoup oeuvré à cette époque.

M. Jean-Yves Kerveillant - Peu d'actions ont été menées et, sur la période 1996 jusqu'aux mesures prises récemment, il a fallu forcer la main à la Commission pour qu'elle prenne des mesures draconiennes, même au plan communautaire, pour tous les Etats membres. Il a fallu attendre la décision 2418, entrée en application au 1 er octobre 2000, pour voir un retrait uniforme sur l'ensemble du territoire communautaire des matériels à risques spécifiés, alors qu'auparavant nous avions travaillé sur une décision 97-534 avec d'interminables discussions pour faire avancer ce dossier.

M. le Rapporteur - Sur ces carcasses de bovins britanniques importées en France, que devenaient ce que l'on appelle les matériaux à risques spécifiés ? A Rungis, vous aviez des carcasses entières.

M. Jean-Yves Kerveillant - Nous avions des carcasses présentées selon la présentation traditionnelle, en quartiers soit des avants, soit des arrières, avant coupé droit 5 côtes ou arrière coupé droit 8 côtes ou avant caparaçon et arrière traité à 8 côtes. Il restait toute la partie vertébrale avec éventuellement de petits résidus de moelle épinière. Cela partait dans le circuit équarrissage ou valorisation alimentation animale.

M. le Rapporteur - Il n'y avait pas de moelle.

M. Jean-Yves Kerveillant - Nous avions également regardé ce point sur le FFMIN de Rungis de façon à faire en sorte que les opérateurs s'interdisent toute introduction sur le territoire national de carcasses qui n'avaient pas été correctement démodulées.

M. le Président - Parmi les bovins de plus de 30 mois, comment sont choisis ceux bénéficiant de tests à l'entrée des abattoirs et ceux qui, au contraire, sont retirés de la chaîne alimentaire ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Sur le terrain, ce n'est pas le Service vétérinaire qui décide. Il applique la réglementation, à savoir que tout animal de plus de 30 mois destiné à la consommation humaine doit faire l'objet d'un test. On lui présente des animaux à l'abattoir en indiquant que cet animal est destiné à la consommation humaine et, dans ce cas, dans les abattoirs, des séquences d'abattage sont préparées pour les animaux de plus de 30 mois sur lesquels sera systématiquement réalisé le test.

Conjointement, on réalise des séquences d'abattage sous le contrôle de l'OFIVAL pour tous les bovins de plus de 30 mois qui ne subissent pas le test et pour lesquels aucune valorisation dans le circuit de l'alimentation humaine et animale n'est autorisée, mise à part la récupération des cuirs à des fins techniques.

Ce sont des séquences d'abattage distinctes, mais nous pouvons avoir des animaux très bien conformés qui, en fonction de la demande, dans la plupart des cas n'entrent plus dans le circuit de l'alimentation humaine aujourd'hui. Cela peut paraître choquant quand on le voit.

M. Georges Gruillot - Concernant les farines animales, vous nous avez dit que vous aviez été responsable de ce secteur jusqu'à une certaine période de votre exercice. Avant la norme 133°/3 bars/20 minutes, que se pratiquait-il sur le traitement des farines animales en France et quels étaient vos moyens de contrôle et des contrôles existaient-ils réellement ?

M. Jean-Yves Kerveillant - La directive communautaire 90-667 fixe les conditions de production des farines animales. Elle classe les produits en 2 catégories: les matières à haut risque, susceptibles de présenter un danger pour la santé des animaux et devant subir un traitement permettant d'éliminer tout risque pour la santé des animaux susceptibles de consommer ces farines. C'est le traitement 133°/20 minutes/3 bars ou traitement alternatif, imposé par la directive 96-667. Il impose non pas l'élimination du prion de l'ESB ou de la Tremblante, mais uniquement la destruction des spores de clostrium perfringens .

Pour ces matières à haut risque, il existait une obligation de moyens en termes de traitement thermique appliqué et une obligation de résultats en termes de critères microbiologiques auxquels sont soumis les produits élaborés à partir des matières premières en cause.

Les matières à faible risque ne présentent pas de risques particuliers pour la santé des animaux. Dans ce cas, il n'existe pas d'obligation de moyens en termes de traitement mais uniquement des obligations de résultats (absence de salmonella), ce que vous retrouvez dans la directive communautaire. Cela a été transposé en droit national par un arrêté du 30 décembre 1991.

A partir de là, il y a eu en 1992 une décision communautaire sur les traitements alternatifs et ce n'est qu'en 1994 que l'on commence à parler de certaines obligations au regard du risque nouveau présenté par l'encéphalopathie spongiforme bovine.

La Commission définit des paramètres qui sont des traitements permettant d'apporter une garantie suffisante au regard du risque du prion de l'ESB avec des obligations en termes de moyens pour atteindre l'objectif « plus de risques » au regard de l'ESB.

Ensuite, vous avez la décision 96-449 qui impose le traitement unique 133°/20 minutes/3 bars. Pourquoi être passé de la décision 94-382 (133°/20 minutes/3 bars et traitement alternatif à la décision unique 96-449 ? Parce que les scientifiques ont fait savoir à la Commission que le seul traitement susceptible d'apporter des garanties tant au regard du prion de l'ESB que de celui de la Tremblante était le traitement 133°/20 minutes/3 bars.

En France, il n'a pas été mis en oeuvre immédiatement pour apporter la sécurité. Mais dès le 28 juin 1996, faisant suite à un avis de notre Comité français sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles, a été mis en oeuvre un tri des matières de façon à éliminer toutes les matières à haut risque des circuits de l'alimentation animale. Ces matières à haut risque sont les cadavres, les saisies sanitaires et les matériels à risques spécifiés de l'époque, dont les matériels à risques spécifiés de premier rang que sont la cervelle et la moelle épinière présentant le risque le plus grand au regard de l'ESB.

Sur la base d'un avis du Comité Dormont, postérieur à la date du 28 juin 1996, nous n'avons jamais mis en place ce traitement 133°/20 minutes/3bars, considérant que la sécurité était apportée par le tri des matières premières et ce n'est qu'en février 1998 que nous l'avons mis en place, suite aux pressions de la Commission.

Nous avons alors décidé, en plus du tri des matières premières, d'assurer le traitement 133°/20 minutes/3 bars. Cette décision faisait suite également à une meilleure connaissance des risques éventuels de contamination croisée que l'on pouvait avoir au cours des utilisations des farines utilisées dans l'alimentation des animaux autres que ruminants.

M. Georges Gruillot - Avez-vous des moyens de contrôle et ont-ils été exercés dans les usines ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Des contrôles étaient exercés dans les usines, mais pas ceux que nous sommes amenés à y exercer aujourd'hui. Si vous regardez la chronologie dans les instructions qui ont été données, la première dans laquelle est imposée réellement une fréquence des contrôles remonte à mars 1998 où est demandé un contrôle systématique tous les 15 jours dans les usines élaborant des farines animales destinées à l'alimentation animale.

M. Georges Gruillot - Avant cette date, il n'existe donc aucune certitude concernant l'application des mesures.

M. Jean-Yves Kerveillant - Des contrôles étaient effectués, mais pas de façon aussi stricte que ceux opérés à compter de mars 1998.

M. le Rapporteur - Ce nouveau process de fabrication des farines animales venues d'Angleterre mettant en place les fameux 3 critères 133°/ 20 minutes/3 bars provient d'un brevet américain, comme j'ai pu le lire. Avez-vous connaissance de la manière dont sont fabriquées les farines animales aux Etats-Unis et de leur éventuelle utilisation dans l'alimentation animale dans ce pays ?

M. Jean-Yves Kerveillant - J'ai eu l'occasion en 1999 de visiter des abattoirs avec, annexés à ces abattoirs, des usines d'élaboration de farines animales. Malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion de parler avec les professionnels des conditions de mise en oeuvre des traitements et, quand j'ai eu l'occasion de les observer, ce n'était pas le traitement 133°/20 minutes/3 bars. Tout dépendait de la nature de la matière première utilisée. Un traitement était appliqué dans le but d'obtenir un produit d'une qualité donnée, plutôt que par rapport à une sécurité sanitaire.

M. le Rapporteur - Vous rappelez-vous de la date de votre présence aux Etats-Unis ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Juillet 1999.

M. le Rapporteur - Estimez-vous, en tant que professionnel, que ce que vous avait vu là-bas ne vous laissait pas supposer que ces 3 critères étaient utilisés ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non.

M. le Rapporteur - Les farines de viande sont-elles utilisées dans l'alimentation animale aux Etats-Unis ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui. Aujourd'hui encore.

M. Georges Gruillot - Le problème de l'équarrissage : entre le bas risque et le haut risque dans la même usine comment faire la distinction ? Est-il possible d'assurer un suivi dont on soit certain ? Nous sommes nous-mêmes a priori certains que tout cela se mélangeait gaillardement.

M. Jean-Yves Kerveillant - Il faut faire la distinction entre avant et après 1996. Avant 1996, quand il y avait mélange, l'usine était classée haut risque et appliquait le traitement haut risque pour tout le monde.

Après 1996, nous avons été amenés à assurer le tri des matières premières avec tout ce qui entrait dans le service public de l'équarrissage. Cela a été mis en place réellement par la loi de fin décembre 1996, entrée en application le 1erjanvier 1997 mais, entre le 1er juillet 1996 et le 31 décembre 1996, nous avions mis ce tri en place. Il a fallu un certain temps pour organiser cette collecte séparée et cette transformation séparée.

Dans un premier temps, nous avons dû accepter que les farines à haut risque et celles à faible risque soient élaborées dans les mêmes usines. Dorénavant tous les sites élaborant des matières à haut risque entrant dans le cadre du service public de l'équarrissage sont des sites dédiés dans lesquels vous n'avez plus que cette activité. Au départ, il n'a pas été facile de mettre en place ce tri puisqu'il a fallu spécialiser des unités.

M. le Président - Nous vous remercions d'avoir témoigné et de nous avoir apporté des renseignements très importants et très précis, ce qui est tout à fait précieux nous concernant. Merci de votre intervention. Je pense que vous nous laisserez quelques documents.

M. Jean-Yves Kerveillant - Je vous remets une note d'information sur l'encéphalopathie spongiforme bovine, la première note de synthèse faite à l'intention de nos collègues et qui m'avait marqué, car je trouvais qu'elle était bien faite et représentait une bonne synthèse pour les agents. Je peux laisser pour votre collègue un document qui lui permettra de faire la différence entre les matières à haut risque et les matières à faible risque.

J'ai le document de 1998 si vous avez la possibilité de faire une copie. Je peux également vous remettre des tableaux sur les obligations de traitement des matériels à risques spécifiés et des matières à faible risque, qui vous permettra de mieux appréhender nos difficultés à mettre en place ces textes.

M. le Président - Merci beaucoup.

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