Audition de M. Bernard LEPOITEVIN,
Directeur général de la SOFIVO

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - M. Lepoitevin, vous êtes Directeur général de la SOFIVO et vous êtes accompagné de M. Lescene, Directeur de la Recherche et Développement.

Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner sous serment. Je vais vous lire la note officielle et je vous demanderai ensuite à tous les deux de prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Lepoitevin et Lescene.

M. le Président - Je vous laisse la parole pour que vous puissiez faire un point sur la SOFIVO et nous présenter votre approche par rapport à ce problème de l'ESB.

M. Bernard Lepoitevin - Je ferai une présentation de la production de viande de veau en Europe qui est une production charnière entre les activités viande et lait.

Les 33 millions de bovins, vaches allaitantes et vaches laitières, existant en Europe produisent environ 29 millions de veaux parmi lesquels 6 millions trouvent un débouché dans la filière viande de veau, soit environ 20 %.

Elle est également charnière avec la production laitière dont je rappelle qu'il s'agit de 115 milliards de litres de lait en Europe, dont 10 % sont transformés en poudre de lait, soit environ 1,1 million de tonnes. Sur les 1,1 million de tonnes de lait produites dans la communauté, 500 000 tonnes (environ 50 %) sont consommées dans les aliments d'allaitement.

En Europe il est fabriqué à peu près 1,8 million de tonnes d'aliments d'allaitement qui consomment 500 000 tonnes de poudre de lait, environ 750 000 tonnes de lactosérum, 360 000 tonnes de matières grasses diverses (animales et végétales) et 190 000 tonnes d'autres produits comme l'amidon, la farine de blé, les protéines végétales, etc.

Les grands acteurs, sur le plan européen, sont essentiellement les Hollandais qui produisent 43 % des aliments d'allaitement européens. Avec leurs filiales européennes, on peut considérer que 60 % de la viande de veau produite en Europe est d'origine hollandaise.

Les plus grands acteurs sont les Groupes hollandais Schils, qui produit plus de 300 000 tonnes, le Groupe Namobi avec un peu moins de 300 000 tonnes également et le Groupe Denkavit avec un peu moins de 200 000 tonnes. Le premier Groupe français est Lactalis, avec 120 000 tonnes environ, et vient ensuite le Groupe Sofivo avec 100 000 tonnes d'aliments d'allaitement produits chaque année.

Ces aliments d'allaitement trouvent deux grands débouchés : le premier, pour 80 %, concerne la production de viande de veau. Il s'agit d'un animal dit veau de 8 jours, pesant 45 à 50 kilos, qui est mis en élevage pendant 140 à 150 jours. Après avoir consommé environ 280 à 300 kilogrammes d'aliments d'allaitement, cet animal produit une carcasse de viande d'environ 130 à 135 kilogrammes.

Le reste des aliments d'allaitement, 20 %, va vers l'alimentation des veaux d'élevage, à savoir le cheptel qui participe essentiellement au renouvellement du cheptel laitier.

Cet ensemble « viande de veau » représente environ 800 000 tonnes de viande pour la partie Europe. Dans le monde, la consommation de viande de veau est estimée à un million de tonnes. C'est donc une spécificité européenne et notamment française puisque les Français consomment 38 % de la viande de veau produite en Europe, avec 5 kilogrammes par habitant ; viennent ensuite les Italiens, avec 4,6 kilogrammes, et les Allemands avec 1,3 kilogramme. Ces trois pays (France, Italie et Allemagne) consomment 80 % de la viande de veau produite en Europe.

Nous dans le cadre de SOFIVO, nous sommes étonnés de nous retrouver devant cette commission puisque, comme je l'ai décrit, les aliments d'allaitement ne comprennent aucune farine animale. Nous n'avons jamais incorporé de farines animales, et le Docteur Lescene pourra vous en indiquer les raisons puisque cela ne correspond pas à notre profil alimentaire.

M. le Président - Les farines animales n'ont sans doute pas été données directement dans l'alimentation des veaux. Toutefois, il existe peut-être des problèmes avec les lacto-remplaceurs qui ont pu être utilisés. Nous vous poserons donc des questions sur ce sujet.

M. Lescene - Sur la non-utilisation des farines animales dans les aliments d'allaitement, je précise que ce sont des produits qui, de par leur présentation, leur nature et leur composition, ne correspondent pas aux besoins techniques de ce type de production, tant en granulométrie, solubilité, composition globale ou solution.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Les lacto-remplaceurs sont fabriqués à partir de graisses animales sous la forme d'incorporation de graisses. Pourriez-vous nous préciser quelle est la composition des lacto-remplaceurs, sous quelle forme ils se présentent, quelles quantités sont données, etc. ?

M. Lescene - Un lacto-remplaceur est une poudre ; c'est à peu près l'équivalent de ce qui est utilisé pour préparer un biberon pour un bébé.

Les ingrédients de cet aliment sont tout d'abord d'origine laitière : 70 % de produits laitiers sous forme de poudre de lait écrémé, lactosérum et produits dérivés du lactosérum, éventuellement lactose.

Ensuite, on trouve des amylacés comme les amidons de blé ou de maïs, plus ou moins transformés et éventuellement gélatilisés, des farines de blé de même type que celle utilisées en boulangerie, voire meilleures, et des produits en protéines végétales issues du soja, du pois ou du blé.

Pendant un certain temps des concentrés solubles de poisson ont été utilisés ; il s'agissait de protéines de poisson hydrolysées. Je précise que nous sommes dans une période de flou concernant ces produits, qui correspondaient à des besoins techniques, jusqu'à la fin des années 1990.

Durant une période, ces concentrés solubles de protéines de poisson ont été touchés par des arrêtés, dans la masse des produits interdits ; ils ont ensuite été réintroduits puisqu'ils étaient issus de produits de poissons de pêche et non pas d'élevage.

M. le Rapporteur - Sont-ils encore utilisées aujourd'hui ?

M. Lescene - Non, mais c'est toutefois autorisé. Nous travaillons aussi avec des clients dont les cahiers des charges précisent, pour des raisons qui leur sont propres, que les produits ne doivent pas être issus du poisson. Par ailleurs, d'autres clients refusent toutes les protéines végétales. Tout dépend de la philosophie du client final.

M. le Rapporteur - Il existe donc des lacto-remplaceurs contenant des hydrolysats de farine à base de poisson.

M. Lescene - Il pourrait y en avoir.

M. le Rapporteur - A votre connaissance, il n'y en a plus sur le marché.

M. Lescene - C'est tout à fait marginal.

Les mélanges représentent une faible partie de la formulation qui concerne les vitamines, les oligo-éléments et quelques minéraux.

Les graisses, jusqu'à la fin de l'année 2000, étaient essentiellement constituées, en France, de suif et de coprah (du gras issu de la noix de coco), un peu de saindoux et un peu d'huile de poisson. Le suif était majoritairement employé ; il s'agissait de suif de grande catégorie, du premier jus issu de la fonte des tissus adipeux d'animaux récoltés à l'abattoir, à savoir sains et livrés à la consommation humaine.

Notre cahier des charges est très clair en ce sens depuis de très nombreuses années. Il doit s'agir de suif raffiné, à savoir issu de premier jus ou du raffinage d'un certain nombre de matières grasses collectées dans des ateliers de découpe ou chez les bouchers.

M. Bernard Lepoitevin - Nous tenons ce cahier des charges à votre disposition.

M. Lescene - J'ai apporté un mémo retraçant la composition d'un aliment d'allaitement. La liste, qui n'est pas exhaustive, mais néanmoins complète, mentionne les matières premières utilisées dans ces aliments.

Un exemple des cahiers des charges SOFIVO a d'ailleurs été transmis à la Commission Dormont il y a peu de temps. Vous constaterez que nos caractéristiques correspondent au moins à celles de la norme AFNOR puisque nous avons travaillé en suif alimentaire.

M. le Président - Durant l'année 1990 jusqu'à la fin de l'année 2000, du suif a toujours été additionné à ces lacto-remplaceurs. Quel traitement subissaient les graisses utilisées ?

M. Lescene - Vous pourriez poser cette question à des fournisseurs de matières grasses. Le premier jus est traité à partir de tissus adipeux frais de bovins récoltés à l'abattoir. Je précise qu'il s'agit de bovins entrant dans la chaîne alimentaire. Ceux qui sont saisis en amont n'y rentrent pas.

Ces tissus adipeux sont traités dans un laps de temps court pour des raisons de préservation de la qualité liées à l'oxydation et à l'acidité. Ils sont broyés, traités à 85°C avec un peu de vapeur, pressés et filtrés.

Les deux coproduits de ce process sont le suif de premier jus, qui ressemble, à chaud, à une huile de table, et les cretons qui sont majoritairement dirigés vers le petfood.

Concernant le raffinage, des opérations ultérieures sont effectuées à plus hautes températures, entre 200°C et 250°C, sous vide. Elles sont destinées à enlever les acides gras libres et un certain nombre d'impuretés par filtrage.

Sur un premier jus, le taux d'impuretés (mucilages ou produits de ce genre) est de 0,10 % ou 0,15 % ; après le raffinage, ce taux est de 0 %. Je rappelle que ce sont les mêmes matières grasses que celles qui partaient en alimentation humaine pour fabriquer les biscuits, le pain, etc.

M. le Rapporteur - Compte tenu de la suspicion, voire du discrédit, entourant ce type de produit il y a quelques années (on le voit dans la presse concernant les farines mais également les graisses), les garanties de fabrication données par les fabricants vous semblaient-elles suffisantes ?

M. Lescene - Oui. Quand on s'adresse à un produit de nature et de qualité identiques à celles qui entrent dans l'alimentation humaine, cela procure quelques garanties.

M. le Rapporteur - Aujourd'hui, quels substituts utilisez-vous ?

M. Lescene - Notre approvisionnement est plus diversifié. Nous utilisons diverses matières grasses végétales, issues de cultures françaises, colza et soja, et des huiles tropicales, palme et coprah.

M. le Rapporteur - Les résultats sont-ils les mêmes en termes technico-économiques ?

M. Lescene - Nous utilisons aussi une proportion de saindoux, à savoir des matières grasses animales issues du porc.

En utilisant exclusivement des matières grasses végétales, la technique est un peu plus difficile.

M. le Rapporteur - C'est la même problématique que dans l'alimentation des volailles où il est difficile de mettre au point les formules d'aliments.

M. Lescene - C'est moins facile.

M. le Rapporteur - Quels étaient vos fournisseurs de suif ?

M. Lescene - Ils étaient tous français. Ils sont assez peu nombreux : le plus important est la Société SARIA, l'ancien SANOFI, MAINGUET et TACNORIAN.

M. le Rapporteur - Le prix de ces matières premières a-t-il toujours été identique ?

Nous aimerions savoir si vous disposez de documents présentant les tonnages que vous utilisiez et les prix auxquels ils étaient livrés.

M. Lescene - Nous n'avons pas apporté ces documents.

M. Bernard Lepoitevin - Le suif fait partie d'une cotation paraissant chaque semaine ; c'est donc facile à reconstituer.

M. le Rapporteur - Cela nous intéresse, au niveau de la Commission d'enquête, de disposer des tonnages et des prix pratiqués depuis une dizaine d'années.

M. Bernard Lepoitevin - Les tonnages sont relativement réguliers. Nous utilisons, dans la formule, en moyenne 18 % à 20 % de matières grasses à la fois animales et végétales. Le suif est fonction du disponible. Aujourd'hui, nous nous sommes orientés vers les matières grasses végétales car nous trouvons de moins en moins de suif. Compte tenu de la traçabilité et des contraintes concernant la collecte des tissus adipeux, il est obligatoire de se reconvertir vers d'autres matières grasses.

M. le Rapporteur - Nous aimerions connaître les prix de cette matière première. Vous savez que la presse (à tort ou à raison) s'est largement fait l'écho des mouvements d'importations de farines animales. Nous voudrions savoir à quel prix ces organismes vous fournissaient.

M. Bernard Lepoitevin - Sur quelle période ?

M. le Rapporteur - Entre 1988 et aujourd'hui.

M. Bernard Lepoitevin - L'un des avantages de la matière grasse animale, par rapport à la matière grasse végétale, est qu'elle est collectée « localement », en France ou sur les pays limitrophes, avec un prix relativement stable, à l'opposé des produits utilisés aujourd'hui (palme, etc.) qui sont des matières grasses très fluctuantes.

On peut en effet trouver aujourd'hui de l'huile de palme à environ 3 F, mais son prix peut augmenter très rapidement ; quand des plantations avaient brûlé en Indonésie, le prix était passé à 6 F. Ce sont donc des matières grasses plus volatiles, en termes de prix, que les matières grasses animales.

M. Paul Blanc - Commercialisez-vous vous-même vos produits ou passez-vous par l'intermédiaire de fabricants d'aliments pour le bétail ?

M. Bernard Lepoitevin - Nous sommes fabricants d'aliments d'allaitement et nous disposons de deux circuits.

Concernant la partie aliments pour les animaux destinés à la boucherie, nous travaillons avec des intégrateurs, à savoir des personnes qui produisent de la viande de veau. Pour les aliments d'élevage, nous travaillons avec des revendeurs comme des grandes coopératives et des distributeurs, de manière générale, d'agrofournitures.

Pour certains fabricants d'aliments pour le bétail (comme vous les appelez), par exemple Agrial, nous revendons nos aliments d'allaitement qui sont ensuite distribués à leurs producteurs.

M. Paul Blanc - Vous savez que les produits que vous commercialisez ont été directement mis en cause dans certains cas d'ESB. En effet, aucune alimentation par les farines n'a été utilisée alors que les animaux avaient été nourris avec des lacto-remplaceurs.

M. Bernard Lepoitevin - Nous n'avons aucune information de ce type. Il est vrai qu'un docteur allemand s'est avancé sur cette piste mais des démentis ont eu lieu dans les 48 heures suivantes. Il s'agissait apparemment d'une erreur de traduction et personne n'a jamais (à ma connaissance) démontré la relation entre la consommation d'aliments d'allaitement et la maladie de l'ESB.

Je peux vous transmettre l'information. C'est venu d'Allemagne ; il s'agissait du Directeur de l'équivalent des Services Vétérinaires d'une province allemande qui a tenté une expérience. A la traduction de cette expérience, le vocabulaire utilisé a laissé croire certaines choses. Nous avons demandé sur le plan syndical, y compris par l'Association laitière, un démenti formel que nous avons obtenu et que nous sommes en mesure de vous transmettre.

M. le Rapporteur - Nous avons eu cette information. Il reste toutefois vrai qu'il existe une suspicion sur les graisses animales ; des cas d'ESB ne s'expliquent pas au travers de l'alimentation avec des farines animales, notamment sur le cheptel allaitant pendant les premières semaines.

M. Lescene - Dans le cheptel allaitant il n'y a pas d'utilisation de lacto-remplaceurs puisque la vache nourrit son veau.

M. le Rapporteur - Les éleveurs disposent parfois d'un sac d'aliments de lait de remplacement. C'est d'ailleurs la raison de ne plus incorporer les graisses dans l'alimentation animale.

M. Lescene - La décision n'est pas prise.

M. Bernard Lepoitevin - Les graisses interdites sont celles d'os.

M. Lescene - Les graisses de cuisson également. Il s'agit des coproduits de la fabrication de gélatine à partir d'os et des coproduits de la fabrication des farines de viande à partir des déchets de viande, indépendamment de l'équarrissage.

Les graisses d'os et les graisses de cuisson sont donc les deux produits interdits. Les suifs fondus restent autorisés.

M. le Rapporteur - Ces graisses étaient antérieurement incorporées aux aliments.

M. Lescene - Jamais. Il s'agit d'une confusion entre les aliments d'allaitement et les aliments de sevrage ; ce sont sans doute des aliments en granulés pour les jeunes bovins, destinés à faire la transition entre l'allaitement et le sevrage. Il y a peut-être une phase de flou.

Ceux-là sont produits selon les technologies d'aliments du bétail classiques mais les aliments d'allaitement n'ont jamais utilisé ces produits ; je parle pour notre fabrication.

M. Georges Gruillot - Vous n'avez jamais utilisé de suifs d'origine d'équarrissage ?

M. Lescene - A ma connaissance, non.

M. Georges Gruillot - En règle générale dans ce métier ?

M. Lescene - Le suif d'équarrissage, tel qu'il existait, n'était pas compatible avec nos technologies laitières ; son utilisation aurait fait exploser nos installations. Cela n'entrait donc pas dans notre formulation pour une simple raison technique et technologique.

Par ailleurs, pour des raisons zootechniques, cela aurait été plus difficile car il s'agit de la comparaison de formulations différentes. Dans l'aliment d'allaitement, la matière grasse représente 20 % ; ce macro-nutriment constitue un apport considérable. Dans l'alimentation standard du ruminant, la matière grasse est réduite à un faible pourcentage dont une partie est destinée à apporter un plus technologique dans la fabrication du produit. Il s'agit donc de deux sujets différents.

M. Bernard Lepoitevin - On fait, à chaque fois, la confusion avec l'aliment de démarrage du bétail qui n'a rien à voir avec notre aliment d'allaitement. Je rappelle que sur les cas d'ESB constatés, la vache allaitante représentait un cas parmi les 170 ou 200 cas identifiés.

M. le Président - Le lacto-remplaceur a été mis en cause, à l'époque, à plusieurs reprises par plusieurs personnes. C'est la raison pour laquelle nous avions besoin d'entendre l'avis des fabricants.

M. Lescene - Une confusion est née de l'utilisation du terme lacto-remplaceur pour désigner les matières grasses.

M. Georges Gruillot - Du prion pourrait être apporté, dans les laits de remplacement, par les graisses d'origine bovine. Intellectuellement, ce n'est pas impensable, mais cela n'a jamais été démontré.

M. Lescene - Dans les matières grasses utilisées, le taux d'impuretés est extrêmement faible ; c'est principalement de la matière grasse et pas de la protéine.

M. le Rapporteur - Quand nous avons auditionné M. le Professeur Dormont et Mme Brugere-Picoux, il nous a été clairement indiqué que le prion avait un profil lipidique assez fort. Cette addition de suspicions nous permet d'imaginer que le prion peut se trouver dans les graisses animales incorporées dans l'aliment d'allaitement des veaux.

M. Lescene - Cette question se pose aujourd'hui mais elle ne l'était pas il y a 10 ans.

M. le Président - Le Directeur de la Brigade vétérinaire a longuement mis en cause les lacto-remplaceurs. Je suppose qu'il s'agit des produits contenus dans les aliments de démarrage des veaux.

M. Georges Gruillot - Dans notre esprit il s'agissait des laits reconstitués.

M. le Président - Je vous demande de redéfinir les différents produits qui peuvent être utilisés depuis la naissance du veau jusqu'au moment où il n'est plus considéré comme étant un veau.

M. le Rapporteur - Il existe deux filières : le veau de boucherie reçoit une alimentation lactée et le veau destiné à devenir un herbivore adulte reçoit au départ une alimentation lactée qui est ensuite différente.

Le même lait est donné au veau de boucherie, durant toute sa vie (3 mois ou 3 mois et demi), et au veau destiné à devenir un herbivore, pendant un certain laps de temps.

M. Lescene - Les aliments d'allaitement, ou lacto-remplaceurs, sont une poudre contenant une grande part de produits laitiers, environ 20 % de matières grasses, un peu d'amidon, d'amylacés, de farine de blé et de protéines végétales. C'est la seule nourriture du veau de boucherie jusqu'à son abattage.

Concernant le veau d'élevage, futur ruminant, cet aliment n'est distribué que pour une quantité comprise entre 40 et 50 kilogrammes et il recevra très vite une alimentation diversifiée. En même temps que ce lacto-remplaceur, qui est destiné à remplacer le lait de la mère (lequel lait part vers l'alimentation humaine), il reçoit une alimentation diversifiée qui, dès 8 jours, lui permettra de consommer un peu de foin et quelques granulés de démarrage pour préparer sa panse. C'est un autre type d'aliment car au lieu d'une majorité de produits laitiers on trouve une majorité de céréales, luzerne, produits fibreux, cellulose, son, etc.

M. Bernard Lepoitevin - La confusion provient du fait que presque en même temps le veau consomme de l'aliment pour jeune bovin et des lacto-remplaceurs.

M. Lescene - Le lacto-remplaceur sera consommé jusqu'à environ deux mois, date à laquelle il sera complètement sevré et autonome ; il ne boira plus que de l'eau.

M. Georges Gruillot - Le vétérinaire qui nous a dit cela doit être informé de la différence entre les aliments de premier âge et les laits de remplacement.

M. Paul Blanc - Dans les lacto-remplaceurs on trouve une base de lait.

M. Bernard Lepoitevin - Ce sont des produits laitiers.

M. Paul Blanc - Par analogie avec l'alimentation humaine, il peut exister une confusion. En effet, dans l'alimentation du nourrisson on trouve également des lacto-remplaceurs indemnes de toute trace de lait puisqu'ils sont donnés lors d'eczémas ou d'allergies. En médecine, ces produits à base de soja sont appelés lacto-remplaceurs ; cela peut prêter à confusion alors qu'ils ne contiennent pas de lait.

M. Bernard Lepoitevin - Ce n'est pas notre tendance actuelle car dans notre différenciation nous trouvons beaucoup de grandes entreprises ou distributeurs (tels Carrefour) dont les cahiers des charges précisent que l'alimentation de l'animal doit contenir au moins 70 % de produits laitiers.

M. le Président - Si le produit était appelé « lait en poudre » chacun comprendrait ce que cela signifie.

M. Bernard Lepoitevin - En faisant cela vous heurteriez nos collègues de la consommation humaine qui souhaitent faire la différence entre le lacto-remplaceur destiné à l'animal et le lait de consommation destiné à l'alimentation humaine.

M. Lescene - Les personnes de la DGCCRF pourraient dire qu'il ne s'agit pas de lait.

M. le Rapporteur - En tant que professionnel, vous n'avez jamais vu, dans des documents concernant le suif, la moindre suspicion de présence de prion.

M. Lescene - La question est extrêmement récente et aujourd'hui, officiellement, le suif n'est pas interdit. Cette notion est née durant ces dernières semaines ou ces derniers mois.

M. le Rapporteur - Vous avez préféré anticiper et plutôt utiliser d'autres produits.

M. Bernard Lepoitevin - On trouve beaucoup moins de suif. En effet, ce qui était en cours consistait à mettre en place une filière dite sécurisée collectant séparément les tissus adipeux de la carcasse afin qu'aucune esquille d'os ne soit mélangée à ces tissus adipeux. Cette pratique élimine environ 70 % de la ressource : 30 % de tissus adipeux sont collectés avant la fente de la carcasse et 70 % ensuite. Nous sommes donc naturellement obligés de trouver d'autres sources.

M. le Rapporteur - Compte tenu de la fluctuation du prix de la graisse végétale, n'avez-vous pas imaginé qu'il soit possible de mettre en place une filière spécifique ?

M. Lescene - Il y a deux ans, nous avons fait un essai sur le terrain avec quelques milliers de veaux engraissés uniquement avec des matières grasses végétales qui, à l'époque, coûtaient le double du prix du suif.

Après cette constatation sur le terrain, nous avons mis fin à cet essai grandeur nature de préparation pour un temps où le suif deviendrait peut-être difficile à utiliser.

M. le Président - Pensez-vous que certains de vos concurrents aient pu utiliser autre chose pour la fabrication d'un lacto-remplaceur comme celui-là ? Je ne vous demande pas de noms.

M. Georges Gruillot - Les Hollandais sont de gros faiseurs.

M. Lescene - Il faudrait étudier les possibilités de fourniture du Nord de l'Europe et de l'Allemagne ; on peut penser qu'un certain nombre de produits issus de la graisse d'os ont pu être utilisés.

M. le Président - Si cela s'est pratiqué, cela s'est certainement dit dans la profession.

M. Lescene - Non.

M. Bernard Lepoitevin - La partie formulation de chacun est très secrète.

M. le Président - Il serait peut-être possible de faire des suppositions.

M. Lescene - On peut le penser.

M. le Président - Ces produits sont venus en France.

M. Lescene - Les marchés sont ouverts.

M. Georges Gruillot - Ils viennent encore en France.

M. Bernard Lepoitevin - Concernant le suif, nous avons moins de collectes spécialisées avant la fente de la carcasse. Nous rencontrons également le problème de la conservation des tissus adipeux en abattoir compte tenu qu'ils doivent attendre les résultats des tests ESB avant de pouvoir être livrés. Cela nécessite des capacités de stockage importantes ; il en résulte une oxydation du produit et la nécessité de le raffiner de manière systématique, ce qui en accroît considérablement le coût.

M. le Rapporteur - La sécurisation de l'ensemble de la filière a permis à votre matière première d'origine animale de ne plus guère présenter d'intérêt sur le plan financier.

M. Bernard Lepoitevin - Le plan financier est un point, mais nous jouons aux « apprentis sorciers » avec le gras végétal. Nous n'avons pas de recul suffisant quant à la texture de la viande ou la couleur du gras ; nous avançons contraints et forcés alors qu'il existe un certain nombre de points inconnus.

M. le Rapporteur - Vous avez produit quelques lots d'animaux qui ont été alimentés de la sorte et vous avez dû faire, en aval, des tests de dégustation, à savoir des tests organoleptiques. Quels en sont les résultats ?

M. Lescene - C'est à peu près comparable, mais il faut savoir que les comparaisons sont difficiles à effectuer en raison d'une variabilité individuelle très forte. Il faut prendre en compte de nombreux individus et réaliser des confrontations sur des grands nombres.

Il ne nous semble pas que la différence qualitative soit très marquée entre un veau engraissé avec des matières grasses animales et un autre engraissé avec des matières grasses végétales.

M. le Rapporteur - Compte tenu des normes de bien-être que l'on voit foisonner dans de plus en plus de textes, même des textes communautaires, êtes-vous optimiste sur l'avenir de la filière veau en France et en Europe, notamment si l'on ajoute les problématiques alimentaires ?

M. Lescene - On peut l'être car il est possible de constater que dans la tourmente actuelle autour de la viande en général, la consommation sur le marché français reste relativement ferme à 5 kilogrammes par habitant.

M. le Président - Cet après-midi l'un des fabricants de farines animales indiquait que parmi les orientations des ventes figuraient les fabricants de lacto-remplaceurs.

M. Lescene - S'agit-il d'un fabricant de matières grasses ?

M. le Président - C'est un équarrisseur. Nous nous interrogeons donc et nous devons vous questionner sur ce point. Nous admettons que vous n'en utilisez pas mais cela doit exister ; il faut parvenir à savoir de qui il s'agit.

M. le Rapporteur - Dans la profession, auriez-vous quelques idées à ce sujet ?

M. Lescene - Cela me surprend dans le sens où le veau est un consommateur sensible et exigeant qui n'aime pas les produits trop typés ; il a également besoin d'une régularité et d'une grande qualité de produits.

M. le Président - Cela ne changera rien. Il est possible d'avoir la même qualité de produits en utilisant les mêmes quantités de graisses.

M. Lescene - Il faut savoir que les cahiers des charges sont relativement contraignants.

M. Georges Gruillot - Éliminent-ils les sucs d'équarrissage et est-ce identique pour vos concurrents, notamment les Hollandais ?

M. Lescene - Il est difficile de savoir ce qui se passe en Hollande.

M. Georges Gruillot - Vous dites qu'ils réalisent 60 % de la production en Europe. C'est une réelle interrogation pour nous.

M. le Rapporteur - Le prix de leur produit fini est-il identique au vôtre ?

M. Lescene - Il l'est rarement.

M. le Rapporteur - La variabilité des prix des autres matières premières vous laisse-t-elle supposer que les 20 % de graisses en sont l'origine ?

M. Bernard Lepoitevin - Ils produisent des veaux différents des nôtres : nous avons des carcasses de 125 à 130 kilogrammes pour du veau standard alors que les leurs sont de 150 à 160 kilogrammes. Ils amortissent le prix du veau de 8 jours sur un poids de viande supérieur et leur prix de revient est inférieur au nôtre. Ce sont des industriels du veau avec trois intervenants qui sont industrialisés : la fabrique d'aliments, la ferme d'élevage et l'abattoir.

M. Georges Gruillot - Le même Hollandais peut vendre du lait en France et y intégrer des élevages.

M. Bernard Lepoitevin - Leurs coûts logistiques sont inférieurs aux nôtres. Ils ont la filière totale de la fabrication de l'alimentation, de la production de viande de veau et de la partie abattoir et découpe. Ils disposent d'une chaîne de valeur totale.

Concernant la consommation, je suis relativement mesuré car toutes ces contraintes représentent des charges supplémentaires. Or, la viande de veau représente un univers très élevé par rapport à l'ensemble des autres viandes ; cette viande est la plus chère avec un prix moyen de 70 F à 75 F le kilogramme. Notre concurrent direct est la volaille dont le prix est situé entre 28 F et 30 F le kilogramme. A chaque fois que l'on ajoute des « handicaps » à la fabrication de la viande de veau, cela réduit d'autant la partie attractive de cette viande.

M. le Président - Je me permets de vous dire que nous restons sur notre « faim » et que nous avons besoin « d'aliments ». Nous vous rappelons que différents intervenants de différents domaines ont signalé le problème posé par les lacto-remplaceurs.

Vous indiquez qu'il n'y a jamais eu de possibilité d'utilisation éventuelle de graisses animales. Toutefois, cela doit exister car cela n'a pas été inventé par ces intervenants : parmi eux figurent ceux qui peuvent constater, comme le Directeur de la Brigade vétérinaire, et ceux qui vendent, à savoir les équarrisseurs, et ils tiennent le même discours.

Nous essayerons donc d'orienter nos recherches ailleurs. J'admets, et je vous en félicite, que vous soyez complètement vierge de toute contamination éventuelle. Il existe toutefois un soupçon en raison de ces renseignements provenant d'intervenants différents.

Vous avez juré de dire la vérité et vous l'avez dite, je n'en doute pas. Nous serons donc obligés d'entendre d'autres personnes pour avoir une réponse précise. Il me semble curieux que certains affirment des pratiques alors que ceux qui fabriquent le produit indiquent le contraire.

M. Bernard Lepoitevin - Il est important de définir le terme de lacto-remplaceur.

M. le Président - Nous l'avons redéfini ensemble et nous sommes d'accord.

M. Georges Gruillot - Je partage votre analyse.

M. Bernard Lepoitevin - Il faut savoir que dans la profession des aliments d'allaitement, des opérateurs ne sont pas exclusivement des fabricants d'aliments d'allaitement. Je pense que l'ambiguïté provient de là : des Groupes sont à la fois fabricants d'aliments d'allaitement et fabricants d'aliments du bétail ; ils sont reconnus au titre des aliments d'allaitement alors qu'ils ont également une vocation pour les aliments du bétail. Il n'est pas anormal que les équarrisseurs affirment avoir vendu des graisses animales à ces sociétés.

M. le Président - Ils ont indiqué qu'ils s'agissait de la fabrication des lacto-remplaceurs.

M. Lescene - Il existe un exemple français de l'utilisation de graisse d'os en lacto-remplaceurs. Il s'agit d'un fabricant de produits réengraissés sur base laitière ; c'est une poudre de produits laitiers gras, à base de graisse d'os, destinée à des aliments pour porcelets, majoritairement à l'exportation.

C'est peut-être ce type de produits car cet opérateur doit consommer plus des trois-quarts de la production de graisse d'os française. Il produit également des aliments d'allaitement. L'ambiguïté vient peut-être de ce point.

M. le Président - Nous vous remercions pour vos renseignements.

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