Audition de M. Laurent SPANGHERO
Président de la Confédération des entreprises bétail et viande (CEBV)

(13 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Spanghero, vous êtes président de la Confédération des entreprises bétail et viande (CEBV). Vous êtes auditionné dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales. Cette audition se fait sous serment. C'est pourquoi je vais être obligé de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Spanghero.

M. le Président - Je vais dans un premier temps vous demander de parler du problème tel que vous le vivez. Ensuite, nous passerons la parole aux sénateurs afin qu'ils puissent vous poser des questions.

M. Laurent Spanghero - J'ai eu l'honneur de rencontrer Monsieur le Premier ministre hier pour lui exposer les difficultés que rencontre la filière. Je peux laisser à votre disposition quelques documents que je lui ai remis.

Les transformateurs et les abatteurs se trouvent au milieu de la filière bovine. Nous vivons une période que nous avions jamais vécu jusqu'alors. Je travaille dans ce secteur depuis trente ans. J'emploie 600 personnes. Aujourd'hui, nous enregistrons des baisses d'activité qui vont jusqu'à 70 %. Il est presque difficile d'imaginer avoir des baisses aussi brutales. Je pense que la période du 4, 5 et 6 novembre 2000 a été fatale pour la filière avec plusieurs étapes. La première fut la décision des maires de retirer la viande bovine des cantines. Cet événement fut extrêmement important. La deuxième étape dut peut-être l'émission diffusée sur M6. Ce programme fut en effet catastrophique d'autant plus que cette émission contenait beaucoup de contrevérités. Une troisième phase serait peut-être encore quelques paroles malheureuses déclarées par Madame le ministre de la Santé qui a affirmé qu'il y aurait quelques dizaines de morts. Tous ces éléments se sont additionnés et ont renforcé le sentiment de méfiance des consommateurs.

Il faut reconnaître qu'aujourd'hui les consommateurs n'ont plus confiance dans la viande. Au moins une personne sur deux est aujourd'hui très préoccupée par la qualité de la viande. Nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas consommer de boeuf tant que la situation reste ce qu'elle est aujourd'hui. Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés à retrouver les volumes que nous avons connus auparavant. Nous aurons des difficultés à revenir à 80 ou 85 % de ce que nous avons connu antérieurement. Aujourd'hui, nous ne trouvons pas dans une crise de surproduction. Nous sommes dans une crise de consommation. La perte de la consommation est au minimum de 20 % sur les huit derniers mois. Ces pertes sont, bien entendu, dramatiques pour la filière.

Je souhaite vous rappeler que la filière viande représente 100 milliards de francs de chiffre d'affaires. Elle emploie 65 000 personnes. Si nous perdons 20 % de chiffre d'affaires, nous risquons de nous séparer de 20 % de notre personnel. L'aménagement du territoire est également en cause. Les 350 ou 400 entreprises qui représentent ce secteur sont réparties sur l'ensemble du territoire. Il y a 350 abattoirs et 1 400 marchands de bestiaux sans compter les éleveurs. Aujourd'hui, les acteurs de la filière les plus touchés ne sont pas paradoxalement les éleveurs puisque tant que ces derniers n'ont pas vendu ils ne savent quelle est l'ampleur de leurs pertes. En ce qui nous concerne, depuis le début de la crise, nous savons ce que nous perdons. Un de mes collègues perd entre 8 et 9 millions de francs par semaine. En ce qui me concerne, je perds entre 500 000 et 600 000 francs par semaine. Cette crise dure depuis sept semaines. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.

J'ai donc expliqué au Premier ministre ces propos. Ce dernier n'avait peut-être pas appréhendé aussi largement l'ampleur de cette crise. Aujourd'hui, cette crise n'est plus seulement française. La France, à cet égard, semble avoir joué le rôle d'un pyromane puisque aujourd'hui cette crise s'est étendue à l'ensemble de l'Europe. Les baisses de consommation enregistrées en Italie ou en Espagne sont encore plus importantes que ce qu'elles ne sont en France. Nous avons quasiment perdu définitivement le marché grec alors qu'il s'agit d'un important marché.

Nous sommes extrêmement pessimistes. Nous savons qu'il va y avoir des solutions de stockage public et de la destruction de viande. Hier, Bruxelles a décidé de l'élimination de 500 000 tonnes de viande de la communauté. C'est donc un énorme gâchis.

Par ailleurs, le principe de précaution mis en place a, à certains égards, été poussé trop loin, selon moi. La France est le seul pays en Europe à avoir supprimé les ris de veau. Il paraît anodin de se focaliser sur ce seul morceau. C'est un produit noble qui fait partie de notre gastronomie. En supprimant les ris de veau, nous avons dévalorisé tout ce qui touche à la viande de veau. Les pertes sont aujourd'hui de 300 à 400 francs par animal. Or nous avons 1,9 million de veau en France. Sur un seul lot d'élevage de cinq mois, il en coûte 250 millions à la filière. Qui va payer cette somme ? Personne ne peut me répondre. C'est un énorme gâchis pour la seule raison que l'AFSSA a décidé d'appliquer le principe de précaution sachant que nous n'avons jamais trouvé de prion dans le ris de veau.

J'essaie en tant que président de la Confédération de plaider la cause de notre profession auprès des autorités publiques. Le ris de veau est quelque chose qui me tient à coeur. Personnellement, je suis producteur de 20 000 veaux par an. Le retrait des ris va me coûter entre 5 et 6 millions de francs pour une année pleine. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu'une entreprise puisse supporter une telle perte ?

Nous savons, depuis 1988, qu'il y avait des problèmes avec les farines. Au mois de juillet 1989, le ministre de l'Agriculture, Henri Nallet, avait tenté une première fois d'interdire les farines animales en provenance d'Angleterre. Il n'y était pas parvenu mais il avait néanmoins réussi à obtenir des dérogations. Les faines animales qui provenaient d'Angleterre en 1989 étaient uniquement autorisées pour l'alimentation des volailles et des porcs. Néanmoins, nous ne sommes pas certains de ce qu'ont fait ensuite les fabricants de farines.

En 1990, est appliquée l'interdiction totale des farines animales pour l'alimentation des bovins. A la date du 1er janvier 1993, naît le marché unique, c'est-à-dire la liberté de circulation des biens et des personnes. Les farines animales sont donc rentrées en France par des voies détournées. La Belgique a joué, dans cette affaire, le rôle d'une plaque tournante. C'est par conséquent entre 1993 et 1995 que l'on retrouve les animaux les plus infectés dans nos élevages. Avec certains de mes collègues, nous pensions qu'il ne faudrait pas introduire les animaux nés entre 1993 et 1995 dans la chaîne alimentaire. Dès le 1er janvier 2001, les animaux seront testés.

Au mois de mars 1996, lors de la première crise de la vache folle et de l'embargo, la fédération a porté plainte contre les fabricants d'aliments. Nous avons été entendu le 7 décembre 2000, soit quatre ans et demi après ! On nous dit que, compte tenu du surcroît de travail, il n'était pas possible de traiter le dossier plus rapidement. Il est inconcevable que la procédure ait été aussi longue.

A l'époque, je reste persuadé que cette catastrophe aurait pu être évité avec un peu plus de précaution. Aujourd'hui, a contrario, nous sommes peut-être allés trop loin dans le principe de précaution. En 1992 sachant qu'ils avaient une épidémie, les Anglais ont décidé de ne plus mettre sur le marché des viandes avec os. Ils ont alors désossé la viande chez eux. Ainsi, les importateurs de viande anglaise, dont je faisais partie, étaient dans l'obligation à partir de 1992 de n'importer que des viandes désossées qui ne convenaient pas à notre activité. A partir de ce moment-là, nous avons décidé d'arrêter d'acheter de la viande anglaise. C'est ce qu'ont fait également les Allemands. Aucun embargo n'a été établi entre l'Allemagne et l'Angleterre. Il y a eu un arrêt d'achat de facto qui équivalait à un embargo mais qui n'était pas officiel.

Les étapes de la crise sont essentielles. La déclaration d'Henri Nallet date de 1989. En 1992, les Anglais interdisent d'acheter de la viande avec os. En 1993, est lancé le Marché Unique. Toutes ces dates et événements concordent avec ce qui se passe aujourd'hui. Les farines animales sont manifestement en cause. Des malfaçons ont été faites dans la filière de production de farines. Les éleveurs et les transformateurs sont victimes de cette affaire.

M. le Rapporteur - Au sein de votre entreprise, les dernières mesures sanitaires imposées par les pouvoirs publics vous ont-elles posé des problèmes techniques ? Par ailleurs, que pouvez-vous nous dire sur l'utilisation de graisse dans la fabrication de viande hachée ?

M. Laurent Spanghero - Le retrait des matériaux à risque a été fait de façon sérieuse. Certes, la situation est certainement beaucoup plus compliquée dans un petit abattoir que dans un abattoir moyen ou grand. Les très gros abattoirs en France traitent 50 à 60 000 tonnes. Les abattoirs moyens traitent des volumes de 10 à 15 000 tonnes. Moins de 200 abattoirs font mois de 5 000 tonnes. Les petits abattoirs peuvent parfois poser problème dans la mesure où les contrôles vétérinaires ne peuvent être faits de façon aussi assidue qu'ils ne le sont dans les abattoirs moyens. Dans certains abattoirs, les vétérinaires sont vacataires. Ceci pose également le problème des abattoirs dérogataires. C'est le cas de 30 ou 40 abattoirs en France. Ces derniers ne sont pas aux normes sanitaires mais bénéficient d'une dérogation avant de pouvoir se soumettre aux normes en vigueur. De façon générale, je pense que les matériaux à risque ont été bien appréhendés. En revanche, dans les autres pays européens, la situation est différente. Les matériaux à risque n'y sont interdits que depuis quelques semaines. En Espagne, les contrôles ne sont pas effectués de façon aussi rigoureuse qu'en France.

Le steak haché est aujourd'hui mis au pilori. M6 en a d'ailleurs fait son cheval de bataille. Il faut absolument faire la différence entre le steak haché et les préparations à base de viande hachée. Le steak haché pur boeuf est un produit fait à partir de muscles. La graisse qu'il contient est entièrement naturelle. Les mélanges, quant à eux, sont faits à partir de muscles plus ou moins gras ce qui permet d'obtenir des teneur en matières grasses différentes. En revanche, il n'y a aucun ajout de graisses autres dans les steaks hachés consommés frais.

Concernant les préparations à base de viande dans lesquelles nous pouvons incorporer des matières d'origine végétale, la législation n'était pas suffisamment rigoureuse. Je ne dis pas que les produits qui entraient dans la composition de ces préparations n'étaient pas propres à la consommation. En revanche, je souhaite que nous soyons davantage rigoureux de telle sorte que les produits soient bien mieux identifiés. Dans les préparations hachés à base de viande, nous devons savoir quels sont les ingrédients qui entrent dans la composition en dehors de la viande de boeuf.

M. le Rapporteur - Concernant la préparation de steak haché, nous avons entendu parler, à une certaine époque, de la fabrication par extraction mécanique. Quel était le pourcentage éventuel de steak hachés fabriqués suivant ce procédé ?

M. Laurent Spanghero - Il s'agit de viande séparé mécaniquement (VSM). Ce procédé était utilisé à l'époque beaucoup plus fréquemment pour la volaille que pour le bovin. A partir d'os et de carcasses obtenus après désossage, il s'agissait de mettre les carcasses dans un appareil qui extrayait les protéines de viande. Nous obtenions ainsi une viande très fine. Cette viande séparé mécaniquement était ensuite incorporée dans les steaks hachés surgelés. En effet, elle ne pouvait être introduite dans les produits frais. Il est possible que quelques fabricants aient émis 5 à 10 % de ces VSM dans les steaks hachés. Cette pratique est aujourd'hui interdite.

M. le Rapporteur - De quand date cette interdiction ?

M. Laurent Spanghero - Je pense que la décision a été prise dans les années 1990 ou 1992. Néanmoins, je ne peux vous affirmer la date exacte. Aujourd'hui, deux groupes de travail réfléchissent sur le steak haché. Nous souhaitons davantage de clarté dans la fabrication du steak haché puisque c'est un produit noble. En effet, c'est un produit valorisant pour l'ensemble de la carcasse dans la mesure où peu de personnes consomment de la viande à bouillir ou de la viande à braiser. Le steak haché valorise ainsi ce type de morceaux. Nous avons cassé l'image du steak haché. Il a été dit qu'on avait trouvé des esquilles d'os dans le steak hache alors que c'est totalement faux.

M. le Rapporteur - Quelle proposition feriez-vous en matière de traçabilité sur le steak haché ?

M. Laurent Spanghero - Selon moi, il faut tout d'abord identifier l'origine du produit et savoir de quel animal il provient. Je crois que le Premier ministre va encore préciser, ce soir, comment nous allons renforcer l'étiquetage. Il s'agit de préciser la catégorie, l'origine, peut-être même le type racial. Il faut surtout que le steak haché ne soit fait qu'à partir du muscle. Il n'est pas possible d'incorporer dans un produit frais autre chose que de la viande de boeuf. La seule autorisation est le droit d'y incorporer 1 % de sel. La plupart des fabricants ne se servent pas de cette autorisation. Dans tous les cas, nous devons respecter un cahier des charges très précis mais transparent afin que tout le monde sache ce que nous devons respecter.

Le steak haché a également été mal considéré car les Anglais ont des habitudes que les Français n'ont pas. Les Anglais incorporaient de la cervelle de boeuf dans le steak haché. Cette cervelle a été le vecteur de la maladie en Angleterre. Jamais nous n'avons fait de tels mélanges en France. En revanche il est autorisé de mettre certains abats notamment du coeur de boeuf qui est un muscle dans la composition du steak. Il nécessaire de le dire. Nous sommes en faveur d'une plus grande transparence et clarté dans la traçabilité du steak haché.

M. le Président - En France, nous n'avons jamais rajouté d'abats de type cervelle dans le steak haché. Le confirmez-vous ?

M. Laurent Spanghero - En France, cela ne s'est jamais fait. Cette méthode de préparation relève d'une tradition culinaire britannique.

M. le Président - Dans les hamburgers, aucun rajout n'est opéré non plus.

M. Laurent Spanghero - Non, M. le Président. Dans le hamburger, les fabricants sont uniquement autorisés à ajouter des protéines d'origine végétale et quelques abats comme le coeur de boeuf. Je crois néanmoins qu'il faut bannir ces pratiques aujourd'hui afin que notre système soit davantage transparent. Moins il entrera d'ingrédients dans la composition d'un produit, plus il sera facile d'établir sa traçabilité. Je demande donc à ce que seule la viande de boeuf pur muscle entre dans la composition du steak haché.

M. Gérard César - Quel est votre point de vue pour relancer la consommation ? Vous avez fait un état des lieux de la situation passée. Aujourd'hui, pour redonner confiance aux consommateurs, que faut-il faire ?

Par rapport aux contrôles qui deviendront obligatoires à partir du 1er janvier 2001, disposons-nous en France des moyens pour exécuter et suivre ces contrôles avec toute l'efficacité requise ?

En outre, comment envisagez-vous la modification des appels d'offre sachant que, pour les grandes collectivités, il est nécessaire de faire des appels d'offres européens qui n'apportent pas la garantie de la traçabilité des produits ?

M. Laurent Spanghero - J'estime que la consommation ne peut que remonter car nous aurions grand peine à descendre plus bas. Hier, le Premier ministre nous a demandé notre opinion sur les tests. J'ai répondu qu'il s'agissait du dernier joker dont nous disposions et qu'il fallait s'empresser de l'utiliser. Il peut être utilisé comme un élément servant à restaurer la confiance du consommateur. Je regrette que les médias aient mal traduit le commentaire formulé par l'AFSSA hier. Ces médias ont affirmé qu'une fois de plus nous avions eu des animaux malades dans la chaîne alimentaire alors que c'est faux. Or le professeur Brugère-Picoux ainsi que d'autres spécialistes ont affirmé que le muscle n'était pas atteint. Par ailleurs, les tests sont un élément supplémentaire. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que les contrôles soient accélérés.

De plus, nous devons absolument lever la suspicion sur le steak haché. C'est un élément capital. Il faut donc fournir des efforts importants, établir un cahier des charges draconien et communiquer afin de réellement relancer la confiance. Le steak haché est consommé par les enfants, par les vieillards et par des malades.

La troisième chose est que nous devons améliorer la qualité de nos produits. Nous ne pouvons pas obtenir de la bonne viande avec de vieux animaux. La bonne viande ne provient pas nécessairement d'un animal très jeune. Une viande est meilleure lorsqu'elle vient d'un animal de quatre ou cinq ans bien maturé. Nous devons revenir aux règles de base et aux fondamentaux de notre métier. Nous devons proposer à nos consommateurs des viandes de qualité. Il faut que les consommateurs retrouvent le plaisir de manger de la viande de boeuf.

A partir de ces trois éléments, il me semble que nous pourrons regagner la confiance des consommateurs. La traçabilité n'est pas suffisante pour le consommateur. Ce dernier veut savoir un certain nombre de choses. Il ne cherche pas à savoir si l'animal a été élevé par Monsieur Dupont ou Monsieur Dubois. En revanche, il souhaite savoir ce qu'elle a consommé, connaître son origine ainsi que d'autres éléments clairs et pratiques que le consommateur puisse comprendre facilement. Il serait alors nécessaire de simplifier la carte de l'animal et de l'expurger de tous ces numéros de référence d'abattoirs qui ne servent à rien. Il faut uniquement que le consommateur puisse identifier le produit.

Concernant les appels d'offre des collectivités, je serai assez sévère. Les collectivités ont amené la filière à proposer des viandes qui sont indignes de notre pays. Tout ce qui était le moins bon dans la filière viande partait en direction des hôpitaux et des écoles. Cette situation n'est pas acceptable. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation déplorable ? C'est parce qu'on nous demandait des viandes toujours moins chères. Je l'ai dit aux maires. Il est nécessaire d'être sérieux. Nous ne pouvons pas offrir une viande de qualité à un prix très bas. Il est préférable de donner moins de viande par semaine mais de donner de bons produits. Il faut reconnaître que c'était les animaux les moins bien engraissés qui étaient donnés aux vieillards, aux malades, aux enfants et aux militaires.

Par conséquent, nous devrions peut-être préciser dans le cahier des charges que les viandes doivent venir de la région. Elles doivent être de telle qualité.

Enfin, ,je souhaite rappeler que dans une viande de qualité, il y a trois critères fondamentaux : l'âge, l'état d'engraissement et la maturation. Un fruit ou un fromage par mûrs ne sont pas bons à manger. La viande respecte la même loi. Je rappelle que la maturation est en fait le délai qu'il convient de respecter entre le moment de l'abattage et la consommation. Ce délai doit normalement être compris entre 12 et 14 jours. Ce délai n'est plus respecté aujourd'hui. Les bouchers respectaient même ce délai au-delà puisqu'ils laissaient maturer la viande jusqu'à 21 jours. Aujourd'hui, même l'artisan boucher actuel ne respecte plus ce délai.

M. le Président - Je crois qu'il est nécessaire de préciser ce point. Dans l'esprit du grand public, la qualité d'une viande est liée à sa fraîcheur. C'est faux. Il faut donc bien préciser ce que vous entendez par maturité. A la différence du poisson, la viande est meilleure si nous respectons un délai raisonnable entre l'abattage et la consommation.

M. Laurent Spanghero - Nous avons mis beaucoup de temps à convaincre les pouvoirs publics qu'il fallait mener des tests systématiques. Depuis un mois et demi, nous avons répété constamment au ministère de l'Agriculture, à la DGL et à la DPEI qu'il fallait accélérer les tests. Les tests ont été déclenchés, il y a à peine dix jours. Maintenant, en vingt jours nous devons faire ce que nous aurions pu réaliser en trois mois. Une course de vitesse est lancée d'ici le 2 janvier 2001. Heureusement, nous avons treize laboratoires agréés et trois ou quatre laboratoires privés en construction ainsi qu'une vingtaine de laboratoires privés qui sont susceptibles d'être agréés en quelques jours. Nous disposons également d'une partie du personnel préalablement formés pour réaliser les tests. Je pense que nous pourrons démarrer au 2 janvier. Cependant, il faudra que les entreprises vétérinaires comme les entreprises se mettent à jour pour que les contrôles se fassent efficacement.

Par ailleurs, les tests ont également un coût non négligeable. Verser 500 francs par animal est dérisoire. Nous abattons deux millions d'animaux en France tous les ans, voire davantage. Qui va payer ces pertes ? L'Europe versera 100 francs par animal, soit 15 euros. Il en manquera encore. La filière ne dispose pas des moyens d'investir dans les tests. Au-delà des problèmes de fonctionnement, il existe également un problème lié au coût.

M. le Président - Vous avez réclamé à cors et à cris des tests. Connaissez vous cependant leur limite ? N'est-ce pas un moyen de vous donner bonne confiance sans mesurer l'ampleur des risques ?

M. Laurent Spanghero - Dans la mesure où la période d'incubation de ce prion est de quatre ou cinq ans, le test ne pourra pas déceler le prion au tout début de la maladie. Toutefois, les scientifiques s'accordent sur le fait que le test est valable pour les animaux jeunes de moins de trente mois ou moins de 24 mois. Il y a aujourd'hui 2 pour mille animaux testés malades ou morts de mort naturelle. Lorsque nous allons rentrer dans le schéma de tests systématiques, les résultats vont être infimes. Nous allons ainsi encore éliminer un certain nombre d'animaux qui seraient aujourd'hui dans la chaîne alimentaire.

Nous allons également éliminer toutes les farines animales. J'avoue, à titre personnel, que c'est une hérésie de supprimer toutes ces protéines. Aujourd'hui, nous retirons tous les matériaux dits à risque pour tous les bovins même pour les animaux de moins de 30 mois. Les cervelles, les rates, les moelles épinières et les intestins sont systématiquement retirés y compris pour le veau. Aujourd'hui, le test et le retrait des matériaux à risque font que nous bénéficions d'une sécurité optimale sur nos produits.

M. Paul Blanc - Nous pouvons être assuré de la traçabilité de l'éleveur jusqu'à l'abattoir. Peut-on assurer cette traçabilité de l'abattoir jusqu'à l'étal du boucher ? Cette question est d'autant plus importante du fait qu'un boucher ne consomme pas une bête entière mais que les morceaux de l'animal sont disséminés chez les uns et les autres. Dans la mesure où les morceaux d'un même animal sont disséminés, pouvez-vous assurer qu'une traçabilité existe de l'abattoir à l'étal du boucher ?

M. Laurent Spanghero - Aujourd'hui, notre système de traçabilité, mis en place depuis deux ans et demi voire trois ans dans les entreprises, va jusqu'au steak et non pas uniquement jusqu'à la cuisse de l'animal. Aujourd'hui, nous sommes capables, à partir d'un steak, de savoir d'où vient l'animal. Je n'affirme pas que ce système de traçabilité est fiable à 100 % dans tout le pays. Néanmoins, nous pouvons nous féliciter d'avancées très significatives dans la mesure où nous sommes le pays en Europe le plus avancé dans ce domaine. Lorsque l'animal part en morceaux, il comporte au minimum huit étiquettes. Nous sommes en mesure de découper l'animal en huit morceaux. Dès le moment où il est dépecé en steak ou en rôtis, nous garantissons une traçabilité par lot. Cette dernière est parfaite. Je pense que nous ne devons pas avoir de doute sur la traçabilité. Nous sommes en avance dans ce domaine.

M. Paul Blanc - Ce type de mesures me paraît être un élément fondamental permettant de rétablir la confiance.

M. Laurent Spanghero - Vous avez tout à fait raison. Paradoxalement, parmi les 17 ou 18 000 bouchers existant en France, à peine un tiers d'entre eux, voire un quart ont une traçabilité alors que les supermarchés et les hypermarchés sont beaucoup mieux tracés. Nous ne pouvons pas livrer un kilogramme de viande dans un hypermarché sans traçabilité. En effet, dans ce cas, la barquette de viande nous serait renvoyée. Le boucher, quant à lui, vend sa viande.

M. Paul Blanc - Il y a quand même un effort à faire au niveau des détaillants.

M. Laurent Spanghero - C'est la raison pour laquelle j'ai précisé que la situation n'était pas parfaite partout. Aujourd'hui, les détaillants représentent 15 à 18 % de la masse de viande vendue en France. Toutefois, c'est avec ces derniers que nous rencontrons le plus de difficultés dans la mesure où ils sont plus indépendants.

M. Paul Blanc - C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé si la traçabilité était applicable jusqu'à l'étal du boucher.

M. Laurent Spanghero - La possibilité de tracer les viandes existe. Toutefois, ceci dépend aussi de l'artisan boucher qui doit ensuite faire son travail.

M. Bernard Cazeau - Je crois que la traçabilité est véritablement essentielle. Vous parliez du cas du veau, il y a un instant. Avec le ministre de l'Agriculture, j'ai eu l'occasion, il y a trois jours de faire le tour des éleveurs de mon département, la Dordogne, en particulier pour les veaux de lait élevés sous la mère pour lesquels il y a une traçabilité très élevé depuis de nombreuses années. Contrairement à ce que vous disiez précédemment, lorsque l'on sait que c'est la viande de Monsieur Dupont qui se retrouve dans la boucherie de Monsieur Durand, la traçabilité est meilleure.

Dans cette filière, il n'y a pratiquement pas, au moins dans mon département, de diminution de vente de la viande. Comment peut-on suivre la traçabilité du steak haché industriel ? Par ailleurs, comment peut-on faire penser aux consommateurs que cette traçabilité est véritablement sans faille ? C'est, en effet, la confiance qui relancera la consommation. Je ne veux pas vous inquiéter outre mesure. Néanmoins, je me demande si le steak haché industriel continuera d'être acheté. Peut-être qu'à l'avenir les consommateurs tendront à hacher le steak par eux-mêmes. Peut-être que le steak haché est condamné à moins de ne parvenir à rétablir cette confiance. Je pense qu'il faut aller plus loin dans la traçabilité. Il ne suffit plus de dire si la viande vient d'Auvergne ou de Dordogne ou des Pyrénées. Mais les consommateurs veulent savoir d'où vient la viande.

M. Laurent Spanghero - Je souhaite ajouter quelques chose que peu de gens savent. Les Néo-zélandais sont certainement les meilleures entreprises du monde dans le domaine du mouton. Les Danois et les Hollandais sont sans doute les meilleures entreprises dans le domaine du porc. Les Français sont les meilleures entreprises du monde dans le domaine du boeuf. Je peux vous inviter un jour à visiter les entreprises qui produisent du steak haché. Vous serez étonné par les lieux. Je pense que vous êtes moins exigeants à l'égard de l'hôpital où vous vous faites soigner qu'ils ne le sont dans leurs usines. Je connais deux entreprises où l'on fabrique du steak haché dans lesquels avant de rentrer dans la salle de production il est nécessaire de se doucher.

Aujourd'hui, on jette le discrédit sur l'industrie de la viande. Or la fabrication est réellement faite dans des conditions optimales. L'artisan boucher ne fait pas mieux. Je ne dis pas non plus qu'il fait moins bien. Le steak haché est certes un produit fragile du moment où on hache beaucoup la viande. Il faut par conséquent que la viande soit fraîche. Le boucher fait encore du steak haché avec de la viande qui date de quatre ou cinq jours. Pour le steak haché industriel, la viande n'est conservée que pendant 24 heures. La viande est hachée et vendue immédiatement et mise sous emballage contrôlé. Sur le plan de la microbiologie et de l'hygiène, il n'y a rien à dire. En revanche, les entreprises souffrent de la mauvaise image de marque de l'industrie.

M. Bernard Cazeau - Je ne doute pas des conditions d'hygiène de ces usines. J'ai pour ma part visité plusieurs entreprises de ce type. En revanche, la plupart des consommateurs n'ont pas visité ces usines. Les consommateurs veulent une traçabilité et souhaitent peut-être connaître la traçabilité de Monsieur Dupont à Monsieur Durand.

M. Laurent Spanghero - Dans des situations de psychose comme c'est le cas aujourd'hui, la traçabilité de Dupont à Durand fonctionne. C'est pour cette raison que certains bouchers n'enregistrent que 5 à 15 % de baisse d'activité par rapport à la chute des ventes de 30 à 40 % que l'on enregistre dans les grandes surfaces.

La graduation des pertes de chiffre d'affaires suivant les lieux de vente est la suivante. La restauration hors foyer enregistre une baisse de 60 %. En hypermarchés, ce chiffre est de 45 à 50 %. En supermarché, la baisse est de l'ordre de 40 %. Dans les supérettes, les pertes sont de 30 %. Quant aux artisans bouchers, leurs pertes sont de l'ordre de 10 à 15 %. Paradoxalement, la restauration commerciale n'a enregistré qu'une baisse de l'ordre de 15 à 20 %. Un restaurant spécialisé comme Hippopotamus n'a perdu que 20 % de son chiffre d'affaires. Pourtant il ne vend que de la viande. C'est parce que les consommateurs font confiance à ce restaurant et à son mode d'approvisionnement. Autrement dit, il s'agit uniquement d'un problème de confiance et de suspicion.

M. le Président - Je vous remercie. Certes, les chiffres que vous nous avez fournis nous affolent tous et nous comprenons à quel point la profession ainsi que toute la chaîne agroalimentaire est touchée. C'est le cas en particulier de la profession que vous représentez. Je vous remercie de nous avoir consacré une partie de votre temps. Sachez que nous ferons le maximum pour vous apporter, à notre niveau, le plus de possibilités possibles.

M. Laurent Spanghero - M. le Président, j'ajouterai que je souhaiterais que vous preniez en compte notre demande dans la mesure où nous nous trouvons réellement en difficulté. Je ne souhaite pas que l'on raye de la carte des pans entiers de notre économie qui sont également des éléments de l'aménagement du territoire.

M. le Président - Nous sommes tous des élus de terrain. Par conséquent, nous avons tous un exemple de ce type dans notre département.

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