III. L'ÉVOLUTION DES DÉPENSES DE 2002 À 2004 : ENTRE « FAUSSE GÉNÉROSITÉ » ET VRAI LAXISME

A. L'ILLUSIONNISME BUDGÉTAIRE : « LE BUDGET 2002 DOIT ÊTRE UN BUDGET DYNAMIQUE »

1. Le gouvernement entretient l'illusion de la bonne gestion

La lettre de cadrage que le Premier ministre adresse aux membres du gouvernement à l'occasion de la préparation de la loi de finances est transmise, depuis l'année dernière, aux commissions des finances du Parlement, mesure de transparence dont votre commission se félicite.

Celle pour le budget 2002, en date du 13 avril dernier, constitue néanmoins en quelque sorte un exercice d'« illusionnisme budgétaire ». Elle entretient en effet le credo de la maîtrise des dépenses de l'Etat , pourtant démenti à la fois par votre commission à l'occasion du rapport que, investie des prérogatives des commissions d'enquête, elle a publié en septembre dernier 13 ( * ) , et par la Cour des comptes, comme il a été rappelé plus haut.

Cette lettre de cadrage indique ainsi que la croissance que connaît la France depuis quelques années « a été favorisée par une politique budgétaire maîtrisée » grâce à la fixation et au respect d'une norme de progression des dépenses. Le chef du gouvernement ajoute que « la gestion de la dépense a été active », estimant que « le gouvernement a procédé à une sensible ré-allocation des ressources publiques en faveur de nos priorités, en surmontant l'inertie habituelle de la dépense », et concluant : « comme l'ont été tous les budgets depuis 1997, le budget 2002 doit être un budget dynamique ».

Le rapport que le gouvernement a déposé en vue du présent débat d'orientation budgétaire précise ses intentions, la gestion dynamique et l'évolution maîtrisée des dépenses - clef de voûte de la stratégie du gouvernement en matière de finances publiques - constituant une « démarche essentielle pour que la sphère publique dépense mieux ».

Votre commission se réjouit donc de ce que le gouvernement, se ralliant à la position défendue par le Sénat, cherche en apparence à « dépenser mieux » plutôt que « dépenser plus ».

2. Un objectif paradoxal en matière de dépenses

Alors que le programme pluriannuel de finances publiques 2002-2004 prévoit une progression des dépenses de l'Etat de 1 % en volume sur trois ans, l'année 2002, à elle seule, devrait les voir croître de 0,5 % en volume , soit une progression de 1,7 % en valeur compte tenu d'une hypothèse d'inflation hors tabac de 1,2 %.

L'objectif que le Premier ministre a fixé dans sa lettre de cadrage pour les dépenses en 2002 apparaît dès lors paradoxal : en effet, pourquoi utiliser le maximum de la marge de manoeuvre budgétaire eu égard aux engagements pris auprès des institutions communautaires, si les dépenses ont été gérées de façon aussi rigoureuse par le passé, et si les normes de progression des dépenses antérieures, pourtant raisonnables, ont bel et bien été respectées ? Ainsi la moitié de l'objectif triennal d'augmentation des dépenses de l'Etat en volume se trouve engagée sur un an, soit 29,1 milliards de francs supplémentaires par rapport à 2001. Il convient d'y ajouter les « économies » et redéploiements réalisés par le gouvernement, preuve de sa « gestion dynamique de la dépense ».

Les économies et redéploiements réalisés par le gouvernement sur le budget général posent la question de la qualité des autorisations budgétaires

Le gouvernement, qui se targue d'une « gestion dynamique de la dépense », indique avoir réalisé depuis 1998 132 milliards de francs d'économies et de redéploiements, ainsi répartis :

- 29 milliards de francs en 1998 ;

- 31 milliards de francs en 1999 ;

- 34 milliards de francs en 2000 ;

- 38 milliards de francs en 2001.

Ces économies et redéploiements « contribuent à financer les mesures nouvelles souhaitées par le gouvernement ».

Votre commission ne peut dissimuler sa perplexité devant cette affirmation.

Elle souhaite d'abord rappeler qu'une économie se traduit par une diminution nette du montant des dépenses, ce qui ne s'est jamais produit depuis 1998, et qu'elle ne sert pas à financer des priorités. En outre, ces économies sont avant tout des économies de constatation, résultant de la bonne tenue de la conjoncture : il s'agit donc en réalité de moindres dépenses, telles que celles apparues sur les aides à l'emploi ou la charge de la dette.

Surtout, il convient de s'interroger sur la qualité des conditions de la budgétisation initiale : est-il normal que, chaque année depuis quatre ans, plus de 30 milliards de francs ne soient pas utilisés conformément au vote du Parlement ? Cette préoccupation est d'ailleurs partagée par la Cour des comptes, qui lui consacre quelques développements dans son rapport préliminaire portant sur l'exécution des lois de finances : « au-delà du taux réel d'évolution des dépenses du budget de l'Etat, l'ensemble des engagements pris par les pouvoirs publics pose le problème de la sincérité des inscriptions de crédits dans les lois de finances ».

Tel est le cas des reports de crédits ou des annulations : « les reports de crédits récurrents favorisent les affichages flatteurs, mais illusoires » : ainsi 11 % des crédits votés au titre du budget du MINEFI ont-ils été reportés de 1999 sur 2000, 26,6 % de ceux de la culture, 37 % de ceux de l'environnement. De même, « le secteur de l'emploi, dont certaines dotations ont fait l'objet de fortes annulations en 2000, représente un autre domaine où la vérité des besoins doit encore progresser » : sur ce budget, en effet, 7,30 milliards de francs ont été annulés du fait de moindres besoins de financement des emplois-jeunes et des différents dispositifs d'aide au retour à l'emploi.

La Cour des comptes estime ainsi que « la constatation de reports de crédits récurrents conduit à s'interroger sur la réalité des priorités des missions affichées en lois de finances, compte tenu du cadre des finances publiques et des engagements pris devant les instances européennes, le Parlement ou l'opinion publique ».

En fait, le gouvernement, de façon implicite, semble annoncer dès maintenant qu'il ne se sent plus lié par les engagements en matière de finances publiques allant au-delà de 2002.

Bien plus qu'un léger desserrement de la contrainte sur les dépenses, c'est d'un renoncement à la maîtrise de la dépense publique qu'il s'agit.

* 13 « En finir avec le mensonge budgétaire », rapport n° 485 (1999-2000).

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