M. Yves GASSOT, directeur de l'IDATE
On m'a
demandé de mettre en perspective l'introduction de la TNT en soulignant
l'hétérogénéité des marchés
audiovisuels en Europe. Cette hétérogénéité
est considérable et doit en effet être rappelé quand on
cherche à tirer des enseignements des expériences de lancement de
la TNT dans d'autres pays européens comme cela a été fait
tout le long de cette journée.
Nous considérerons donc successivement le montant du financement public,
les recettes publicitaires, et la place des différents supports de
distribution.
L'implication publique en termes de financement, ce que l'on appelle en France
la redevance, représente très schématiquement en Allemagne
3 fois ce que cela représente en France, 2 fois au
Royaume-Uni, 5 fois le montant en Italie, 10 fois ce que cela
représente aux Pays-Bas. Cette disparité est en valeur absolue,
mais se retrouve également au niveau des foyers.
Cet élément joue évidemment un rôle dans la
réflexion stratégique et de politique publique.
Concernant les recettes publicitaires, le Royaume-Uni est le marché le
plus avancé, représentant en 2001 deux fois le volume des
recettes en France, ce dernier correspondant aux 2/3 du marché allemand
mais à quelque 10 fois le marché suédois.
Tout cela serait bien sûr à considérer en fonction de la
dynamique de progression de ces marchés et en prenant en compte les
législations propres à chacun d'entre eux. Il est ainsi bien
connu que la viabilité en France des chaînes de
télévision locale -même en mode de diffusion
numérique- dépend pour une large part des modifications des
contraintes qui pèsent sur la publicité du secteur de la grande
distribution.
On est enfin frappé par
l'hétérogénéité des supports de diffusion.
Dans certains pays, plus de 50 % des ménages ont accès
à la télévision par le câble, dans d'autres, aucun.
On constate la même chose en ce qui concerne le satellite.
Le câble est un vrai problème en Europe : d'abord dans
plusieurs pays largement câblés tels la Belgique ou l'Allemagne,
il est encore dominé par un modèle économique de type
« utility ». Et les pays -comme le Royaume-Uni, la France- qui ont
cherché à assoir les investissements dans ce secteur sur la base
du modèle « triple play » font surtout ressortir l'importance
des investissements complémentaires à mettre en oeuvre pour
proposer des services d'accès à Internet et des services
téléphoniques, tandis que l'offre audiovisuelle supporte
difficilement la concurrence avec les bouquets satellites.
Cette hétérogénéité, qui ne signifie pas que
l'on ne retrouve pas des caractéristiques communes à
l'organisation des marchés, fait contraste avec l'autre grand secteur
d'expertise de l'IDATE que constitue les télécommunications.
On est ainsi frappé par l'absence de coordination à
l'échelle européenne. La directive "Télévision sans
frontière", qui fait l'objet présentement d'une évaluation
de son application, n'a qu'une valeur d'incitation vis à vis des
législations nationales. Et surtout, elle nécessiterait pour en
mesurer l'impact un système de suivi des productions et des diffusions
qui, exception faite de la France, n'existe pas. Et de fait on notera que la
structuration à l'échelle du marché européen de
l'industrie audiovisuelle, matérialisée par la lente progression
de RTL Group dans le domaine de la télévision commerciale et par
la coûteuse stratégie de Canal Plus dans le domaine de la
télévision payante, reste à l'état d'esquisse. Par
ailleurs la TNT n'a fait l'objet d'aucune approche coordonnée à
l'échelle de l'Union.
Toutefois, des dernières directives approuvées en décembre
dernier dans le domaine de la communication électronique, deux principes
qui vont devoir s'appliquer aux législations nationales du secteur
audiovisuel européen sont à signaler : la neutralité
exigée dans un contexte de convergence des régulations quels que
soient les supports de diffusion et de communication électronique, d'une
part, la volonté et les moyens mis en oeuvre pour renforcer
l'harmonisation européenne dans l'approche de l'usage des ressources
limitées du spectre, d'autre part. Même discutée
essentiellement sous l'effet de l'énorme ratage du lancement de l'UMTS
-les mobiles de troisième génération- cette exigence aura
certainement un impact dans le secteur de la télévision.
Pour finir, je ne dirai que quelques mots des travaux de modélisation
des équilibres économiques de la TNT en France que l'IDATE a
conduit pour le CSA, laissant le soin au président de cette
autorité de les commenter. Nos travaux illustrent la fragilité du
secteur et les difficultés à prévoir les conditions
précises de succès de l'introduction de la TNT. Mais, rejoignant
en cela beaucoup de considérations présentées au cours de
cette journée, ils nous permettent d'écarter les options les plus
tranchées qui apparaissent aussi les moins favorables. Ainsi sans
télévision payante, on est condamné à une
progression lente et difficile. Mais sans télévision gratuite, et
de fait associant les télévisions publiques et commerciales, on
ne dispose pas de la « profondeur » de marché
indispensable à l'économie de la TNT et plus
précisément des terminaux d'accès.