3. Les axes de la « transformation » des forces américaines

Contrairement à ce que laissaient entrevoir les intentions premières du Secrétaire de la défense, et du fait du contexte nouveau consécutif au 11 septembre 2001, ouvrant la perspective de moyens financiers supplémentaires pour les armées, la Quadrennial Defense Review n'entraînera pas un re-dimensionnement des forces américaines, ni une révision radicale de leur organisation et de leurs équipements.

C'est donc la « transformation », terme appelant une évolution sans rupture, qui s'impose à l'issue de la revue. Des priorités nouvelles sont formulées, mais elles ne semblent pas imposer de restructuration en profondeur, et viennent s'ajouter plus qu'elles ne se substituent aux legs du passé.

La « transformation » repose sur quatre « piliers » , dont on peut dire qu'ils ne font pas appel à des concepts révolutionnaires.

Le premier d'entre eux concerne le renforcement de la coordination jointness » ) à tous les niveaux : entre les armées, notamment en matière de commandement et de contrôle, avec les alliés et les pays partenaires dans le cadre de coalitions, entre le Pentagone et les différentes agences gouvernementales américaines.

L'un des aspects les plus concrets de cette orientation consiste à mettre en place des unités combattantes interarmées Standing Joint Task Forces »), dont un prototype expérimental pourrait se concentrer sur la capacité à localiser des cibles mobiles et à les traiter avec des moyens de frappe de précision. Une telle unité bénéficierait d'une large gamme de moyens de renseignement allant de capteurs spatiaux à des moyens humains, de capacités de localisation de cibles mobiles et de communication en temps réel aux systèmes d'armes de précision basés au sol, en mer, dans l'air ou dans l'espace. Elle préfigurerait en quelque sorte ce que devrait être l'armée américaine du futur.

On peut remarquer sur ce point que la coordination interarmées figure depuis longtemps parmi les premiers objectifs de toutes les préconisations visant à renforcer l'efficacité de l'outil militaire américain. Il s'agit donc là d'un thème récurrent et d'une figure imposée de tout document d'orientation. Il faut bien constater jusqu'à présent que les progrès accomplis sont restés très limités.

Le cloisonnement et la rivalité entre armées caractérisent encore largement les forces américaines. On le constate dans la concurrence sur les programmes d'équipement, que chaque état-major vient directement défendre dans les commissions du Congrès, remettant en cause les arbitrages effectués au Pentagone. On le constate également dans la doctrine et dans les concepts d'emploi de forces, que chaque armée développe le plus souvent indépendamment des autres. Il reste donc à voir si l'invocation renouvelée de la coordination interarmées se répercutera concrètement sur l'organisation militaire américaine.

Le deuxième pilier repose sur un développement de l'expérimentation et de l'évaluation de nouveaux concepts opérationnels , matériels ou équipements, afin de disposer d'une plus large variété d'options.

Le Pentagone préconise une plus grande « flexibilité » des forces et une mobilité accrue. Le concept de brigades légères (« Interim Brigade Combat Teams ») plus facilement et rapidement déployables est par exemple validé et pourrait être expérimenté en Europe à partir de 2007.

Le troisième pilier consiste à exploiter l'avantage dont disposent les Etats-Unis dans le domaine du renseignement , par le renforcement du renseignement humain, par les développements technologiques concernant les drones et les moyens aériens, navals et spatiaux, dédiés au renseignement et surtout pour une meilleure intégration des diverses sources de renseignement. Il s'agit là aussi d'une priorité assez classique dans l'ensemble des armées modernes.

Enfin, le quatrième pilier est plus directement axé sur les capacités des forces .

Il concerne tout d'abord l'effort de recherche-développement, avec un objectif d'atteindre 3 % du budget de la défense pour les programmes de sciences et de technologies dans le cadre des études-amont.

La protection contre les armes de destruction massive chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosives figure parmi les objectifs centraux, avec la recherche sur les contre mesures face au risque chimique et biologique, mais surtout la confirmation du programme antimissile . Le projet de la précédente administration qui reposait sur un site d'intercepteurs terrestres, est jugé insuffisant et abandonné au profit d'un programme plus ambitieux faisant appel à l'ensemble des technologies possibles pour intercepter les missiles à toutes les phases de leur course.

La transformation impose également de déjouer les stratégies de « déni d'accès » que pourrait mettre en oeuvre, par le biais de moyens classiques ou d'armes de destruction massive, un adversaire résolu à entraver l'intervention des forces américaines sur un théâtre d'opérations. La réponse passe par des capacités de frappe à long rayon d'action, notamment les avions sans pilote et surtout les bombardiers lourds, par les défenses antimissile, par le renforcement des capacités de projection rapide et de débarquement, par une meilleure protection des personnels afin qu'ils puissent agir dans un environnement contaminé par des attaques chimiques ou biologiques.

Un autre point clef de la « transformation » implique de ne laisser à l'ennemi aucune possibilité de bénéficier d'un sanctuaire , qu'il s'agisse de bunkers ou de la protection offerte par des « boucliers humains ». Cela implique de renforcer les capacités dites « C4ISR » 3 ( * ) , les capacités de frappe de précision à partir de vecteurs pilotés ou sans pilotes, la mise au point de nouveaux types de munitions, la capacité de détruire des bunkers durcis et profondément enterrés. Concrètement, ces objectifs se traduiront par la transformation de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de classe Ohio , qui seront désormais équipés de missiles de croisière, par le développement des drones de type Global Hawk armés ou équipés de moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, et par l'acquisition en plus grand nombre d'armes de précision.

L'accent est également mis sur les forces spéciales , sur leur capacité de projection à longue distance et de contact en temps réel avec le commandement.

La dépendance des Etats-Unis à l'égard des moyens spatiaux est soulignée, imposant de renforcer la surveillance et le contrôle de l'espace.

Enfin, la Quadrennial Defense Review insiste pour que la « transformation » ne s'opère pas au détriment des forces classiques ou traditionnelles (« legacy forces »). Ces dernières devront bénéficier d'une « recapitalisation » , c'est-à-dire d'une remise à niveau de leurs équipements. Le vieillissement du parc d'avions de combat de supériorité aérienne est souligné à titre d'exemple, de même que les déficits en matière de transport aérien stratégique du fait en particulier de l'insuffisante disponibilité des avions de transport C5 Galaxy . La prolongation, la valorisation ou le remplacement de nombreux matériels sont jugés nécessaires. La remise à niveau des chars Abrams, des bombardiers B1, des moyens d'autodéfense des bâtiments de la marine ou encore des véhicules d'assaut amphibies est envisagée.

* 3 Command, Control, Communication, Computer, Intelligence, Surveillance and Reconnaissance

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