III. LES RÉSULTATS AURAIENT PU ÊTRE ENCORE MEILLEURS SI TOUTES LES ÉNERGIES AVAIENT ÉTÉ CONSACRÉES À LA RÉUSSITE DES ZFU

A. DES ATERMOIEMENTS QUI ONT PORTÉ UN PRÉJUDICE CERTAIN A LA RÉUSSITE DU DISPOSITIF

La commande d'un rapport « orienté » à l'Inspection générale des Affaires sociales en 1998, et les déclarations du ministre de la ville sur la « moralisation » du dispositif des ZFU, ont traduit une défiance qui a porté un réel préjudice à la réussite des ZFU. Le fait est d'autant plus singulier que, sur le terrain, les maires et les élus locaux ont, dans leur quasi-totalité -votre rapporteur n'a enregistré qu'une seule opinion dissidente- et quelles que soient leurs affinités politiques, plébiscité ce dispositif.

Il n'est pas inutile de rappeler les traits principaux d'une politique qui, tout en critiquant le dispositif imaginé en 1996 par MM. Juppé et Gaudin, s'est avérée incapable de lui trouver une alternative crédible.

1. Des a priori et des objections de principe

Du rapport de l'Inspection générale des Affaires sociales de 1998 ...

Dès son arrivée au pouvoir, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a émis des réserves sur l'efficacité et sur le devenir des ZFU. Nul n'a, jusqu'à présent, assez souligné l'incidence néfaste qu'ont eu ces prises de positions sur la création d'emplois dans les ZFU . Le temps permet cependant, désormais, de faire justice des critiques émises à l'encontre du dispositif, notamment par le biais d'un rapport établi par l'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) à la demande du gouvernement. Quelle n'a pas été la surprise de votre rapporteur de constater que ce document, qui ne fut pas rendu public et n'a pas été officiellement transmis au Sénat, avait été adressé aux services de la Commission européenne ...

Dans cette critique unilatérale, qui confinait au réquisitoire, on pouvait lire notamment, s'agissant des effets des ZFU qu'en 1997-1998 « le dispositif zones franches n'a pas notablement stimulé les implantations d'emplois dans les zones considérées » 15 ( * ) . Partant du cas précis d'une ZFU, le rapport notait également que si des résultats ponctuels ne pouvaient être extrapolés, ils démontraient « sur un plan général l'absence d'automaticité entre l'implantation d'activité et l'amélioration de la situation de l'emploi, constat documenté par des réalités urbaines dans de multiples sites » 16 ( * ) .

Selon la même source, l'effet-emploi du dispositif en zone franche aurait été le résultat de « la prolongation du dynamisme préexistant » 17 ( * ) . On croit rêver à la lecture de ce rapport . On serait même tenté d'y apporter du crédit, eu égard à l'autorité du service d'inspection dont il émane si l'on ne savait, grâce à une étude de l'INSEE récemment publiée, que le chômage a enregistré une forte progression entre 1990 et 1999 dans les zones urbaines sensibles (ZUS) dont les zones franches urbaines constituent les sites les plus défavorisés et que le taux de chômage y était le double du taux moyen national 18 ( * ) . Dans ces conditions, ont voit mal sur quoi se fondait le rapport de l'IGAS pour affirmer que les ZFU, qui avaient été délimitées à raison de leur caractère particulièrement défavorisé, auraient été des oasis de prospérité où l'on aurait observé un « dynamisme préexistant » 19 ( * ) !

En ce qui concerne la pérennité des embauches en ZFU, l'IGAS ne craignait pas, après avoir noté que les données en la matière étaient « particulièrement rares » de s'en tenir à un registre « tenu manuellement par deux membres du personnel » d'une agence locale pour l'emploi, concernant la période octobre 1997-septembre 1998, pour affirmer que les embauches de cette zone avaient été majoritairement des contrats à durée déterminée dont une forte part de contrats de moins de douze mois. Tout en soulignant que les contrats de moins de douze mois n'ouvraient pas droit à une exonération votre rapporteur s'étonne que cet exemple ait pu être cité afin de soutenir l'idée que si « ces résultats ont une valeur purement locale et ne doivent pas être extrapolés, ils soulignent néanmoins l'insuffisance d'une approche indifférenciée de l'emploi, en termes notamment de durée des contrats de travail pour apprécier l'impact d'un dispositif à vocation incitative ».

Votre rapporteur se contentera de rappeler l'adage qui veut que lorsqu'on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage. A ceux qui trouveraient cet aphorisme excessif il rappellera les conclusions du rapport précité qui, non content d'estimer que les ZFU étaient inutiles eu égard à leur coût prohibitif, ne craignait pas d'affirmer que « l'absence de résultats propres au dispositif zone franche [en matière de mixité urbaine] est cependant moins grave que les effets négatifs qui en résultent parfois : dans certaines zones, la focalisation sur le dispositif zone franche réduit au remplissage d'une ou de plusieurs ZAC dispense de toute action concernant les quartiers en difficulté eux mêmes ». A lire cette prose, les ZFU auraient même fait plus de mal que de bien !

Au total, l'IGAS estimait que : « [...] le premier janvier 1997 n'a pas été le jour inaugural de l'année zéro. Le dynamisme certain constaté globalement en 1997 dans les sites retenus est le prolongement, accentué ou non selon les dimensions étudiées, du dynamisme qui caractérisait déjà ces zones en 1996 » et qu'au total « il n'y a pas eu d'effet zone franche ». 20 ( * )

Les rumeurs qui ont suivi la publication de ce rapport ont eu une incidence très négative sur le développement des ZFU, comme le relève un maire : « les rumeurs d'arrêt du dispositif qui ont couru à compter de 1998, à la suite des rapports « Aubry » et « Strauss-Kahn », ont décrédibilisé notre action. Plusieurs candidats ont renoncé à leur projet, par crainte d'une modification des conditions initiales du dispositif et de l'insécurité juridique créée par ces rumeurs ».

... à la prétendue « moralisation » du dispositif par la loi « SRU »

A l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains, devenu la loi du 13 décembre 2001, dite loi « SRU », le gouvernement a présenté, par voie d'amendements à un texte « kilométrique » plusieurs modifications qu'il a motivées par la nécessité de « moraliser » le régime des ZFU.

Quel que soit l'avis porté sur l'efficacité du système, n'aurait-il pas été souhaitable de choisir une terminologie plus appropriée que cette expression qui donne à penser que la création de véritables emplois avait un caractère immoral ? Au demeurant, cette appellation était révélatrice de la différence de conception en ce qui concerne le rôle du travail pour l'intégration sociale qui distingue, malheureusement, les partisans des ZFU de leurs rares adversaires.

* 15 Tome 1, p. 67 .

* 16 Ibidem p. 70.

* 17 Ibidem, p. 67

* 18 Jean-Luc LE TOQUEUX et Jacques MOREAU , « Les ZUS : Forte progression du chômage entre 1990 et 1999 » dans INSEE Première n° 835, mars 2002 .

* 19 Tome 1, pp. 67 et 74 .

* 20 Ibidem p. 74-75.

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