II. UNE SITUATION PATRIMONIALE D'AUTANT PLUS INQUIÉTANTE QUE D'AUTRES ENGAGEMENTS DOIVENT ÊTRE PRIS EN CONSIDÉRATION

L'actif financier de l'Etat est largement constitué de ses participations dans le secteur public. Or, la situation financière du secteur public, qui devrait être rigoureusement établie et faire l'objet d'une information fiable, reste mal connue. Il n'entre pas dans l'objet de la présente étude de remédier à cette situation. Mais, il serait léger de ne pas formuler les questions que posent certaines évolutions et dresser certains constats au sujet de l'équilibre financier des unités du secteur public. On en a plus haut évoqué un aspect à travers les conventions retenues pour les valoriser. Il convient de développer les interrogations que suscite leur capacité à faire face à leurs dettes (de bilan et de hors-bilan), interrogations qui conduisent à s'interroger sur le périmètre de la dette publique mais aussi sur la contrepartie financière que l'Etat peut escompter de ses actifs.

En outre, il faut prendre en compte les engagements publics implicites associés aux régimes de retraites puisque s'ouvre la perspective, désormais proche, d'une nette montée en charge des dépenses annuelles qui y sont liées.

A. LA SITUATION FINANCIÈRE DU SECTEUR PUBLIC

1. Des critères de délimitation de la dette publique excessivement étroits

Pour être classée dans la dette publique, une dette doit être explicitement imputable aux administrations publiques. Ce critère a pour effet d'établir une cloison étanche entre l'endettement considéré comme public - la dette publique - et l'endettement des autres agents économiques. Pour ce dernier, l'appartenance de ces agents à d'autres catégories que celles des administrations publiques suffit à exclure leur dette du champ de la dette publique.

Cette « muraille de Chine » est contestable lorsqu'elle ne rend pas compte des réalités économiques. Celles-ci suggèrent de considérer que la dette d'un agent est composée de l'ensemble des engagements dont il assume le risque final, quel que soit le statut juridique de ces engagements . C'est, au demeurant, une telle démarche qui a prévalu dans l'opération de reclassement des dettes liées aux défaisances financières survenues dans les années 90, et en particulier pour celle du Crédit Lyonnais.


LE RECLASSEMENT DE LA DETTE DU CONSORTIUM DE RÉALISATION (CDR)

Dans le cadre de la crise du Crédit Lyonnais, l'Etat est intervenu afin d'aider cette société à se défaire de certains de ses actifs. Une double structure a été mise en place : une structure de financement (EPFR), et des structures de cantonnement et de gestion des actifs (regroupées dans le groupe CDR). Dans le cadre de ce dispositif, l'Etat a apporté sa garantie à un prêt effectué par la banque à la structure de financement.

Un temps, on considéra que les organismes de défaisance étaient engagés dans une forme d'intermédiation financière, empruntant pour financer l'achat d'actifs qu'ils revendaient ensuite sur le marché. Ils furent exclus du champ des administrations publiques et leur dette ne fut dès lors pas considérée comme une composante de la dette publique, solution qui favorisa le respect du critère de dette publique posé comme exigence à l'adoption de l'euro.

Le SEC 95 (§ 2.34) devait estimer que le fait de s'exposer réellement au risque est une caractéristique essentielle de l'intermédiation financière. On dut alors considérer que ces structures agissaient au nom des administrations publiques, lesquelles prenaient de fait à leur charge la majeure partie du coût final de la défaisance.

Pour la structure de financement (l'EPFR), on considéra que, mise en place par l'État, contrôlée et in fine largement financée par lui, elle avait naturellement vocation à être classée dans le secteur des administrations publiques.

Pour la structure de cantonnement et de gestion des actifs (le CDR), son statut et la réalité de son activité financière sur le marché, qui auraient pu conduire à la classer formellement dans la catégorie des institutions financières, cédèrent devant le critère essentiel de l'exposition au risque ; celui-ci n'étant pas respecté, le dispositif de défaisance a été considéré dans sa globalité, et dans sa signification économique, par-delà l'apparence juridique.

Les deux structures (à l'exception d'une filiale du CDR) ont donc été reclassées en ODAC et furent ainsi, tardivement, réintégrées dans les administrations publiques. Considérées finalement comme des gestionnaires publics de biens, ayant une activité non marchande, leur dette fut intégrée dans la dette publique.

Ces problèmes de frontières peuvent être résolus par des modifications comptables, comme pour les défaisances financières, mais également de manière plus directe, telle la reprise pure et simple de la dette d'entités extérieures aux administrations publiques.

On voit, par ces exemples, combien le contour de la dette publique peut être flou.

Appréhender la dette publique à partir des critères privilégiés par la comptabilité nationale conduit à retenir une vision étroite des engagements publics.

En effet, la solution appropriée retenue à l'égard des structures de défaisances financières est restée ponctuelle et n'a pas été étendue à d'autres organismes pour lesquels elle serait probablement tout autant justifiée.

Le SEC 95 a pris le parti de considérer que devaient être exclues du champ des administrations publiques toutes les unités marchandes - même celles contrôlées par les administrations publiques - dont les ventes couvrent plus de 50 % des coûts de production. Ce critère conduit à exclure la dette de telles entités du champ de la dette publique.

La question de la pertinence de ce critère est posée. Est-il cohérent de considérer que la dette d'une entité contrôlée par les administrations publiques - à l'égard de laquelle celles-ci ont donc une responsabilité particulièrement évidente -, dont la viabilité économique n'est pas garantie - l'exigence d'une couverture par son chiffre d'affaires de plus de 50 % de ses coûts de production est d'autant moins rigoureuse que les coût financiers ne sont pas pris en compte - doit être systématiquement exclue du champ de la dette publique ?

La réponse théorique est probablement négative et elle invite à rechercher si certains des engagements du secteur public ne devraient pas être considérés comme relevant de la dette des administrations publiques.

Cette recherche est d'autant plus nécessaire qu'elle permettrait de résoudre un paradoxe qui vient troubler l'appréciation de la situation patrimoniale des administrations publiques. En effet, si leur passif est, par définition, évalué net des engagements des entités sous revue, leur actif comprend, en revanche, les participations des administrations publiques dans ces entités. Ce traitement comptable, asymétrique, est susceptible de biaiser l'appréciation de la situation patrimoniale des administrations publiques puisqu'il semble que la valorisation des participations figurant à l'actif des administrations publiques ne tient que partiellement compte de leur situation d'endettement.

Il serait à tous égards plus clair de disposer d'un état annexe au compte de patrimoine des administrations publiques, détaillant, pour chacune des unités considérées, sa dette, et exposant son plan de financement. On serait alors en mesure d'apprécier réellement les besoins de financement que la situation du secteur public conduit inéluctablement à transférer à terme à l'Etat.

D'ores et déjà, la récurrence du versement de dotations budgétaires à certaines entités du secteur public destinées à cantonner leur dette démontre que la dette publique devrait être augmentée des dettes que des entités extérieures au secteur des administrations publiques ne peuvent assumer. Tel est le cas des versements réservés à Réseau ferré de France (RFF) ou de ceux effectués au profit de Charbonnages de France (CdF).

Mais, au-delà de ces deux organismes, la situation financière d'ensemble du secteur public doit être considérée.

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