SYNTHÈSE DU CHAPITRE

Au cours de la période 1996-2000, la situation patrimoniale des administrations publiques s'est, en apparence, améliorée, si l'on se réfère aux comptes de patrimoine de la comptabilité nationale.

En valeurs, leurs actifs ont davantage progressé que leurs dettes.

Toutefois, une analyse approfondie de la situation patrimoniale des administrations publiques conduit à nuancer ces résultats. Il faut en outre tenir compte des dettes qui ne sont pas recensées par les comptes de patrimoine.

I- Une étude approfondie des contreparties de la dette publique contractée entre 1996 et 2000 montre que, globalement, les dettes contractées au cours de cette période n'ont pas eu de contrepartie patrimoniale équivalente

Cumulés, les flux annuels de dettes des administrations publiques ont atteint 935,5 milliards de francs. Le volume des actifs n'a, quant à lui, progressé que de 373,3 milliards de francs, soit un écart de - 562,2 milliards de francs.

C'est grâce aux phénomènes de valorisation - les « effets-prix » -, qui jouent sur le prix des actifs et ont plus que compensé la dégradation en volume de la situation patrimoniale des administrations publiques, que les comptes de patrimoine extériorisent une amélioration de la situation nette des administrations publiques.

On doit s'en réjouir mais il ne faut pas oublier plusieurs considérations :

Si le volume des actifs publics n'avait pas été réduit au cours de la période sous revue, ces « effets-prix » auraient eu un impact nettement plus fort, ne serait-ce que parce qu'ils se seraient appliqués à une assiette plus large 12 ( * ) .

Les phénomènes de valorisation du patrimoine public sont fragiles et réversibles, comme le montre les évolutions récentes, du fait de leur concentration sur certains actifs (France Télécom tout particulièrement) et reposent - voir infra - sur des conventions comptables parfois contestables.

Enfin, ces phénomènes dépendent largement d'évolutions de contexte qui échappent aux administrations publiques, même s'il faut prendre en compte la qualité de la gestion du secteur public. En tout cas, seuls les flux d'actifs peuvent être considérés comme une contrepartie de la dette.

II - La dégradation de la situation patrimoniale nette des administrations publiques est entièrement imputable à l'Etat

Avec des flux d'endettement négatifs, soit un désendettement de 77,4 milliards de francs, les autres administrations publiques ont augmenté le volume de leurs actifs de 357,8 milliards de francs. Elles ont donc amélioré leur situation réelle en cumulant désendettement et progression en volume de leurs actifs.

Pour l'Etat, les flux de dettes ont atteint 1 012,8 milliards de francs avec pour contrepartie un accroissement du volume de ses actifs de seulement 15,5 milliards. Sa situation patrimoniale appréciée en volume s'est par conséquent très nettement dégradée.

L'évolution en volume du patrimoine de l'Etat montre que l'allocation de ses ressources a été insuffisamment orientée vers des emplois ayant pour contrepartie la constitution d'actifs. Si l'Etat avait souhaité maintenir en volume le poids de ses actifs dans le PIB, cela aurait supposé des flux nets d'actifs s'élevant à 347,2 milliards de francs, soit 331,7 milliards de plus que ce qui a été réalisé. De telles acquisitions auraient pu être financées par la dette mais avec pour résultat un niveau d'endettement supérieur de 3,6 points de PIB par rapport au niveau atteint en 2000. Une solution alternative aurait consisté à réduire les dépenses de l'Etat sans contrepartie à son actif de 331,7 milliards de francs, soit un effort annuel d'économies sur ces dépenses de l'ordre de 83 milliards de francs.

III - La détérioration de la substance du patrimoine de l'Etat est d'autant plus préoccupante qu'il faut prendre en considération des engagements non enregistrés à son passif, du fait de conventions comptables contestables

Les conventions comptables selon lesquelles, en comptabilité nationale, sont recensés les actifs et les passifs des administrations publiques ne permettent pas toujours d'avoir une représentation fidèle de leur situation patrimoniale.

Un grand nombre d'engagements implicites sont exclus du champ de la dette publique et les méthodes de valorisation des actifs, en particulier pour les actifs financiers, n'offrent pas la garantie que ces actifs sont estimés à leur juste valeur économique, même si cette dernière est délicate à apprécier.

Pour se limiter, dans cette synthèse, aux questions posées par les passifs, il faut d'abord appeler l'attention sur la nécessité de corriger les approches étroites de la dette publique par la considération des dettes des entités du secteur public dont la capacité autonome d'en assumer les conséquences à terme n'est pas démontrée . Il serait à tous égards nécessaire de préciser les contours de cette dette, ne serait-ce que pour envisager les perspectives offertes par des reprises de dettes qui, compte tenu de la qualité attribuée à la signature de l'Etat, pourrait in fine se révéler économes en deniers publics.

Mais, il faut également prendre en compte l'endettement implicite qu'offrent les perspectives de déséquilibre des régimes de retraite 13 ( * ) . Il se traduira rapidement par une aggravation des charges de l'Etat qu'il faudra soit modérer, via une baisse des prestations, soit financer.

Deux solutions sont fréquemment avancées pour réunir ce financement sans augmenter les cotisations sociales et donc, les prélèvements obligatoires.

La première consiste à accumuler des actifs publics au travers d'un fonds de réserve des retraites. Avec un rendement de 5 %, il faudrait accumuler 1 800 milliards de francs pour financer durablement, sans consommer les actifs accumulés, une charge supplémentaire qui, selon les prévisions, équivaudrait à 1 point de PIB en 2010. L'expérience de la période 1996-2000, qui a vu une réduction du volume des actifs publics en points de PIB, provoque, en soi, un certain scepticisme à l'égard d'une telle méthode. Mais il faut également s'interroger sur la provenance des financements attribués à un tel fonds. Si ceux-ci devaient venir de l'aliénation de ce qui reste du secteur public, en supposant même résolue la question, pourtant cruciale, du niveau des recettes envisageables, force est de constater qu'alors, le volume des actifs publics serait inchangé, les acquisitions d'actifs nettes des cessions étant nulles par construction. Il faut donc envisager une autre source de financement, soit l'accumulation d'actifs financiers, à partir de ressources ne provenant pas de l'aliénation du secteur public. Une telle accumulation suppose de satisfaire des exigences rigoureuses.

Il faut d'abord ne pas alourdir le poids de la dette publique dans le PIB, sans quoi les ressources tirées des nouveaux actifs seraient compensées par les coûts engendrés par cette dette supplémentaire. Il faut également assurer le maintien des actifs existants, c'est-à-dire financer des flux d'acquisitions d'actifs nécessaires à la stabilité du volume des actifs publics pour ne pas « paupériser » l'Etat. Il faut enfin acquérir les actifs nécessaires au financement du supplément prévisible des charges de retraite.

Le tableau ci-dessous récapitule les flux d'actifs nécessaires pour satisfaire à ces deux dernières conditions 14 ( * ) .

FLUX D'ACTIFS CUMULÉS NÉCESSAIRES POUR ACCROÎTRE
LE POIDS DES ACTIFS AFIN DE FINANCER LES CHARGES DE RETRAITE
ENTRE 2002 ET 2010

(en milliards de francs)

A. Actifs non financiers 1) :
dont : - flux bruts :
- flux compensant la consommation
de capital fixe :

3 541,8
1 661,8

1 880

B. Actifs financiers :
dont : - flux nécessaires pour maintenir leur poids dans le PIB :
- flux nécessaires pour financer les charges supplémentaires de retraite :

2 879,9

1 079,9

1 800

Total : A + B

6 421,7

1. Il s'agit des flux nécessaires pour maintenir, en volume, le poids des actifs non financiers dans le PIB.

Le maintien en volume des actifs non financiers dans le PIB suppose un cumul de dépenses de 3 541,8 milliards de francs ; pour les actifs financiers, ce dernier montant s'élève à 1 079,9 milliards. A cette dernière somme, il faut ajouter 1 800 milliards de francs pour financer les charges supplémentaires de retraite. Au total, le montant cumulé des acquisitions d'actifs nécessaires est de 6 421,7 milliards de francs (802,7 milliards par an).

Pour financer ces flux, il faut tenir compte de la contrainte d'un maintien inchangé du poids de la dette publique dans le PIB, qui se traduit par un plafond de recours à la dette égal à 2 521,4 milliards de francs.

Les acquisitions d'actifs à autofinancer s'élèvent donc à 6 421,7 - 2 521,4 milliards de francs, soit 3 900,3 milliards de francs sur 8 ans (487,5 milliards de francs par an), soit un taux d'autofinancement en moyenne annuelle de 60,7 %.

Ces chiffres peuvent être mis en rapport avec les données correspondantes observées entre 1996 et 2000. Au cours de cette période :

les flux nets d'actifs ont atteint, en moyenne annuelle, 93,4 milliards de francs contre les 802,7 milliards de francs nécessaires entre 2002 et 2010 ;

les flux de dettes ont excédé les flux nets d'actifs à hauteur de 562,2 milliards de francs, soit un taux d'autofinancement négatif.

Ces quelques données conduisent à estimer quelque peu irréaliste cette première solution.

La seconde solution consisterait à gager les surcroîts de charges de retraites par les économies réalisées sur les charges d'intérêts. Elle impliquerait, à coût de la dette inchangée, de réduire le poids de la dette publique appréciée dans les concepts de la comptabilité nationale de 23 points de PIB par rapport au niveau atteint en 2000. Une telle performance implique, dans un contexte d'une croissance nominale de 3,5 %, de cumuler des capacités de financement au cours de la période puisque la dette publique devrait être réduite en niveau absolu de l'ordre de 196,5 milliards de francs. La projection présentée à la fin de la présente note ne laisse pas présager une telle évolution. Par ailleurs, il faut s'interroger sur le bien-fondé d'une politique de financement des charges supplémentaires de retraite qui s'appuierait sur des arbitrages réalisés au détriment des autres dépenses publiques.

* 12 En outre - voir infra -, la qualité des actifs financiers publics doit être prise en compte. Une partie importante des flux bruts d'actifs financiers a été financée à partir des produits de cessions d'actifs financiers. Le bilan économique de ces arbitrages, qui reste à faire, serait déséquilibré si, comme il est probable, le rendement des actifs cédés excédait celui des actifs acquis à partir du produit de leur cession.

* 13 Il ne s'agit pas ici d'évoquer le Fonds de réserve des retraites (FRR) créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, dont les missions restent assez incertaines, mais d'apprécier l'effort financier qu'impliquerait l'objectif de couvrir les suppléments prévisibles de charges de retraites à l'horizon 2010 à travers les revenus courants d'actifs publics constitués à cet effet.

* 14 Les estimations figurant dans le tableau montrent une hypothèse simplificatrice selon laquelle les produits engendrés par les actifs nouvellement acquis servent à financer la montée en charge des dépenses de pension.

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