2. La globalisation des moyens, alternative à la répartition des compétences ?
L'imbrication des compétences dans le domaine du
patrimoine
monumental que l'on vient de souligner, a conduit à chercher des
formules originales de mise en commun des moyens.
Sur le plan financier, il faut également s'intéresser aux
perspectives de simplification des circuits de financement, à
côté de transferts classiques de dotations globales.
a) Les réflexions autour de nouveaux modes de coopération
Un
séminaire a eu lieu le 31 mai 2002 à Maisons-Laffitte dans le
cadre du plan stratégique de la direction du Patrimoine et de
l'Architecture en vue d'atteindre un des objectifs de ce plan consistant
à «
refondre, simplifier et développer des
instruments de protection, de conservation et de restauration des monuments
historiques et les outils de qualité architecturale, urbaine et
paysagère dans les espaces protégés en
redéfinissant le rôle de l'État et des autres
collectivités publiques ».
Au cours de ce séminaire, qui associait l'encadrement de la direction,
des représentants des services déconcentrés, ainsi que des
représentants des ACMH, un certain nombre d'idées ont
été lancées sur un nouveau partage des tâches,
même s'il faut souligner qu'aucun consensus ne s'est dégagé
en faveurs des différents scénarios évoqués.
Ces idées, qui, en leur qualité de réflexions
exploratoires internes à la direction, n'ont pas à être
reprises de façon systématique, ont paru toutefois ouvrir des
voies intéressantes, qu'il fallait méditer dans la mesure
où, pour surmonter les difficultés à définir pour
les transférer des blocs de compétences, il a été
envisagé d'utiliser un nouvel organe associant collectivités et
État.
(1) Un nouvel instrument séduisant : l'établissement public de coopération culturelle
Jusqu'à présent, il manquait un outil de gestion
des
services culturels, qui permette à la fois d'institutionnaliser la
coopération entre l'État et les collectivités
territoriales et de doter d'un statut opérationnel les grandes
institutions culturelles d'intérêt à la fois local et
national.
C'est cette lacune qu'entendait combler, à la suite notamment du rapport
de M. Jacques Rigaud, la proposition de créer un
«établissement public culturel à vocation mixte», ou,
selon la dénomination proposée par M. Michel Duffour, un
«établissement public de coopération culturelle».
Le nouvel article L. 1431-1.- du code des collectivités territoriales,
tel qu'il résulte d'une proposition de loi déposée au
Sénat par M. Ivan Renar dispose que ces dernières et leurs
groupements peuvent constituer avec l'État un établissement
public de coopération culturelle chargé de la gestion d'un
service public culturel présentant un intérêt pour chacune
des personnes morales en cause et contribuant à la réalisation
des objectifs nationaux dans le domaine de la culture.
Il faut souligner que sont toutefois exclus les services qui, par leur nature
ou par la loi, ne peuvent être assurés que par la
collectivité territoriale elle-même. Effectivement,
la
dernière phrase du premier alinéa du texte proposé
précise que ne pourront être érigés en EPCC les
services, qui par leur nature ou par la loi, ne peuvent être
assurés que par les collectivités territoriales
elles-mêmes.
Cette restriction, qui d'ailleurs serait
appliquée par le juge administratif même si elle ne figurait pas
dans le texte, vise les services culturels, et en particulier les archives, qui
ont fait l'objet, dans le cadre des lois de décentralisation, de
transferts de compétences obligatoires aux différents
échelons de l'administration territoriale. Ces services ne peuvent
dès lors être gérés par un établissement
public associant l'État et les collectivités locales, ce qui
reviendrait à « confondre « les niveaux de compétence
que le législateur a entendu distinguer.
On note, également, que les établissements publics de
coopération culturelle sont des établissements publics à
caractère administratif ou à caractère industriel et
commercial, selon l'objet de leur activité et les
nécessités de leur gestion.
Les ressources de l'établissement public de coopération
culturelle peuvent comprendre, en application de l'article L. 1431-8 du
même code :
1. Les subventions et autres concours financiers de l'État, des
collectivités territoriales et de leurs groupements par
dérogation, le cas échéant, aux dispositions du premier
alinéa de l'article L. 2224-2 et du premier alinéa de l'article
L. 3241-5 du même code, et de toute personne publique ;
2. Les revenus de biens meubles ou immeubles ;
3. Les produits de son activité commerciale ;
4. La rémunération des services rendus ;
5. Les produits de l'organisation de manifestations culturelles ;
6. Les produits des aliénations ou immobilisations ;
7. Les libéralités, dons, legs et leurs revenus ;
8. Toutes autres recettes autorisées par les lois et règlements
en vigueur.
L'outil est intéressant mais l'on voit qu'il est, dans l'esprit des ses
auteurs, plutôt fait pour gérer des équipements en vue
d'éviter le recours au cadre associatif qu'exercer un service public.
(2) L'idée d'une mutualisation des moyens dans une agence départementale généraliste
Toutefois, un des scénarios évoqués au
cours du
séminaire de Maisons-Laffitte, a consisté dans la mise en place
d'une
structure
ad hoc
au niveau départemental
,
mutualisant entre l'État et les collectivités les
compétences actuellement dévolues à l'État central.
L'idée de créer des
« agences du patrimoine et de la
qualité architecturale, urbaine et paysagère
»
(APQAUP) paraît prometteuse à tous ceux qui veulent éviter
de scinder des procédures caractérisées par une
continuité des différentes procédures et niveau de
protection.
Dans une première hypothèse, il a été
envisagé par certains participants au séminaire de confier
à ces agences les missions suivantes :
• la conduite des opérations d'inventaire,
• l'initiative et l'instruction de certaines mesures de protection,
• l'étude de définition des espaces protégés,
• le conseil sur la qualité architecturale,
• les études sur les sites et patrimoine naturel,
• la gestion des abords des monuments historiques, y compris l'avis
conforme des ABF qui exerceraient leurs pouvoirs propres au sein des agences,
• la maîtrise d'ouvrage délégués,
• les travaux d'entretien des monuments historiques,
• la conservation des objets et antiquités,
• la mise en valeur de sites patrimoniaux.
Les agences pourraient prendre la forme juridique des nouveaux
établissements publics de coopération culturelle et suivre le
régime des établissements publics administratifs.
Leurs seraient ainsi affectés les moyens humains existant dans les
services de l'État, c'est à dire une partie des effectifs des
services régionaux de l'inventaire et des conservations
régionales des monuments historiques, quelques agents des directions
régionales de l'environnement, ainsi que les agents des services
départementaux de l'architecture et du patrimoine.
S'y ajouteraient également les services existant au sein des conseils
généraux, ainsi que ceux travaillant dans les conservations
départementales des antiquités et objets d'art et des CAUE dont
on connaît la situation précaire sur le plan financier et
juridique.
Il a même été envisagé par certains participants
d'inclure dans ce processus de mutualisation les agences d'urbanisme,
même si celles-ci ont un champ de compétence de niveau
infra-départemental.
La formule est séduisante. La mutualisation éviterait
l'émiettement des missions et des moyens. D'un côté, les
collectivités verraient leur poids devenir prépondérant,
puisque l'État est minoritaire dans l'établissement public ;
de l'autre, l'État ne serait pas dépossédé de ses
prérogatives régaliennes qu'il tient de la loi, car ses agents
exerceront leur activité au sein de l'établissement, mais en
qualité d'agent de l'État.
Pour votre rapporteur spécial, la formule se heurte à une
série d'obstacles juridiques et pratiques.
Le déplacement et la restructuration des services vont s'accompagner
d'importants mouvements de personnels, tandis que les services absorbés,
SDAP, ou CAUE, tout comme les ministères concernés peuvent
exprimer des réserves. Il reste, en outre, à définir, ce
qui incomberait dans cette optique à l'échelon national.
Votre rapporteur spécial ajoute que
la formule de
l'établissement public coopération culturelle n'est
peut-être pas la bonne formule
. Elle a été mise au
point pour la gestion d'équipements culturels associant l'État et
les collectivités territoriales et non pour gérer un service
public comme cela est expressément précisé dans le texte
de la loi, qui dispose, comme on l'a vu, que sont toutefois exclus les services
qui, par leur nature ou par la loi, ne peuvent être assurés que
par la collectivité territoriale elle-même.
Une variante de ce schéma consisterait à laisser au niveau
régional la conduite de l'inventaire, la protection des monuments
inscrits, ainsi que la programmation des travaux sur les monuments
n'appartenant pas à l'État, au moyen de la mise à
disposition des personnels compétents de la conservation
régionale des monuments historiques.
Ne resterait au niveau départemental dans le cadre d'une agence de
moyens, que la décentralisation de la protection du patrimoine mobilier,
la conduite de l'inventaire général avec l'assistance
méthodologique de la conservation régionale, les propositions
d'inscription à l'inventaire supplémentaire assorties
éventuellement de l'instruction des dossiers, ainsi que toutes les
compétences mentionnées dans la première formule.
(3) La piste des agences de maîtrise d'ouvrage régionales
Dans la
ligne du point précédent, il faudrait
étudier
l'intérêt
et la
faisabilité d'organismes
spécialisés dans la maîtrise d'ouvrage
au niveau
régional
, de nature à exercer la conduite des
opérations importantes pour le compte des collectivités publiques
propriétaires.
Cela concernerait d'abord les communes, départements, régions,
pour les éléments du patrimoine national qui leur serait
confiés, et les opérations de restauration.
La formule des organismes d'assistance à maîtrise d'ouvrage
-travaillant, soit par voie de convention comme maître d'ouvrage
délégué, soit dans le cadre d'une prestation de conduite
de travaux, les collectivités restant, alors, personne responsable du
marché, PRM-
serait à la fois
un moyen de
pallier les
hésitations des collectivités à se lancer dans la
maîtrise d'ouvrage
et de permettre pour les opérations
comportant des restructurations lourdes le recours à des professionnels
de la programmation.
Autant la restauration
stricto sensu
ne nécessite que des
compétences d'historien d'art et de gestionnaire notamment en
matière de procédures financières, autant la mise en
valeur de bâtiment en vue de la création de fonctions nouvelles,
suppose un compétence de programmiste, c'est-à-dire, de
spécialiste dans la mise au point de d'une « doctrine
d'emploi » du monument.
La formule pourrait même s'appliquer à l'État, si l'on
estimait que les CRMH, ne sont pas suffisamment armées pour
réaliser des opérations complexes, notamment lorsque celles-ci
portent sur des équipements culturels, ou s'accompagnent de la
restructuration lourde d'un édifice en vue de son affectation à
un équipement ou à un service public important.
Même dans cette hypothèse, il faut préciser que la CRMH
garderait la maîtrise de la programmation financière et que les
délais de réalisation devraient être arrêtés
avec elle.
Ces organismes pourraient, par exemple, prendre la forme de syndicats mixtes
auxquels adhéreraient les régions, départements et
communes ou leurs groupements sur le territoire desquels seraient sis des
monuments historiques, financés par des contributions de leurs membres,
calculées sur des bases stables pour les départements et les
régions et sur bases variant avec le potentiel fiscal pour la commune
d'implantation du monument historique.
La raison majeure qui justifie la création, à un niveau
régional voire interrégional, d'une telle structure est avant
tout d'ordre technique : c'est la complexité croissante de la
fonction de maître d'ouvrage tant en ce qui concerne la nature des
opérations que la procédure financière par suite des
contraintes liées aux marchés publics.
En fait seule une étude précise réalisée à
l'issue d'un audit du fonctionnement des cellules
« marchés-travaux » permettrait de déterminer
si le coût supplémentaire qu'induirait une telle structure,
même si elle était constituée par voie de
redéploiements de personnel - en h'hésitant pas à
prélever des fonctionnaires de rang en administration centrale-, est
inférieur aux gains attendus : rapidité d'exécution,
fiabilité des montages, renforcement de la position de
négociation du maître d'ouvrage délégué par
rapport aux maîtres d'oeuvre.
Mais, sur un plan plus général, on peut aussi voir des avantages
au niveau du circuit de décision. Peut-être une structure de ce
type serait-elle de nature à éviter les retards dus aux
financements croisés ? Une solution de ce type pourrait
effectivement s'accompagner d'une politique de globalisation des financements
puisque, pour les départements et les régions, les fonds seraient
transférés globalement et non pas opération par
opération.