B. PRODUIRE DES INFORMATIONS STATISTIQUES PLUS FIABLES

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les données statistiques en matière de sécurité routière sont à la fois incomplètes, peu fiables, et biaisées. Or, toute recherche repose d'abord sur des éléments statistiques précis.

1. Des données statistiques peu fiables

a) Des marges d'erreurs importantes

Depuis les années 60, l'outil essentiel de recueil des éléments statistiques sur les accidents est le Bulletin d'analyse d'accident corporel ou BAAC, renseigné par les forces de l'ordre (police, gendarmerie, CRS) à partir de la procédure d'accident en cours de réalisation. Il s'agit d'un document réalisé pour la justice et son objectif premier est de préciser des responsabilités et non de comprendre le mécanisme de l'accident.

Les statistiques « accidents-tués-blessés » sont fournies chaque semaine aux acteurs locaux mais il faut un délai d'environ quatre mois pour la centralisation et le regroupement national.

Les données de base issues des BAAC comportent des marges d'erreurs importantes :

- le nombre de tués est sous-estimé ;

- le nombre des accidents corporels est faux dans des proportions importantes : environ la moitié des accidents corporels « légers » ne font pas l'objet de procédures de la part des forces de l'ordre. On surestime donc la gravité moyenne des accidents corporels et on n'est pas en mesure d'identifier des points de dangers potentiellement plus graves ;

- la moitié des blessés graves au sens statistique ne le sont pas au sens médical ;

- la localisation des accidents en milieu interurbain est largement fausse (dans 50 % des cas, de plus de 100 mètres, dans 39 % des cas, de plus de 1.000 mètres).

Les BAAC

Tout accident corporel de la circulation routière doit normalement faire l'objet d'un BAAC (bulletin d'analyse d'accident corporel de la circulation). Rempli par le service de police ou de gendarmerie compétent. Il regroupe quatre types d'informations : caractéristiques, lieux de l'accident, véhicules, et usagers impliqués.

Les BAAC sont envoyés au service d'études techniques des routes et autoroutes (SETRA) sous forme de fichiers mensuels. Le SETRA vérifie la qualité des informations et repère les doublons, anomalies ou incohérences. Des opérations de corrections sont réalisées (tenant compte, par exemple, de problèmes ponctuels de transmission) et les données sont disponibles au mois n+3. Des données plus synthétiques (nombre d'accidents corporels, de tués et blessés) sont disponibles en n+1 sous forme de « remontées rapides ».

Selon le rapport de l'observatoire national interministériel de la sécurité routière, le fichier national des accidents corporels est très utilisé par les services du ministère de l'équipement (SETRA, mais aussi CERTU, DRE, DDE...). Le fichier constituerait également un outil précieux pour l'INRETS, l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA), le LAB et plus généralement, pour l'ensemble des instituts d'accidentologie.

En réalité, le fichier « BAAC » mérite de nombreux aménagements, qui sont d'ailleurs décrits par le rapport de l'ONISR : un groupe de travail a été mis en place pour développer des indicateurs de qualité du recueil, pour des opérations de communication et de « remotivation » à l'intention des services de police et de gendarmerie. Des mesures de simplification et de déconcentration du fichier devraient aussi être prises.

Surtout, le système n'est pas du tout orienté vers la recherche. On s'interroge ainsi sur la création d'une variable synthétique « type d'accident » qui serait une bibliothèque de schémas descriptifs des circonstances des accidents, permettant de les classer selon leur type (manoeuvre des usagers impliqués, collision etc..). De fait, la BAAC est avant tout un recueil statistique général, qui ne permet pas de comprendre la mécanique d'un accident et ses implications.

b) Des statistiques non harmonisées au niveau européen

Sur le plan statistique, on connaît mal le nombre de blessés suite à des accidents de la route. Le suivi des victimes n'est pas réalisé.

Mais surtout, la France compte les personnes décédées à 6 jours lors d'un accident de voiture, au lieu de les compter à 30 jours comme la plupart des autres pays de l'Union européenne .

Il en résulte une sous-estimation de l'insécurité routière de l'ordre de 6 à 9 % selon les spécialistes . Ce qui signifie qu'au lieu de comptabiliser 8.000 tués chaque année sur les routes, la France pourrait en comptabiliser 500 à 700 de plus.

Enfin, non seulement des personnes décédées des conséquences des accidents de la route sont oubliées des statistiques, mais cela est encore plus vrai pour les personnes blessées.

2. Développer des données utiles à la recherche

L'exemple du registre des victimes corporelles d'accidents de la circulation routière dans le département du Rhône (RVAC) montre l'importance de statistiques fiables, tournées vers la recherche.

Le registre des victimes corporelles des accidents de la circulation routière dans le département du Rhône

La recherche la plus prometteuse, qui ouvre la voie à une véritable connaissance épidémiologique des accidents routiers, est celle engagée par l'INRETS depuis 1995, à partir de la constitution de la première base de données françaises sur les victimes corporelles, limitée cependant au seul département du Rhône (1,5 millions d'habitants). Il s'agit d'un recueil exhaustif des victimes corporelles d'accidents de la route auprès des SAMU et SMUR, des pompiers, des services hospitaliers d'urgence et de suite, de l'institut médico-légal et des familles de victimes, le Registre des victimes corporelles d'accidents de la circulation ou RVAC.

L'INRETS a ainsi créé, à travers une coopération locale unique, une deuxième source de recueil des accidents, indépendante de la seule existant jusque là, les BAAC, remplis par les forces de l'ordre, et permis ainsi des comparaison sur l'appréhension des accidents. Il a donné à ce recueil une orientation épidémiologique qui n'existe pas et ne peut pas exister dans les BAAC, dans lesquels le seul critère de détermination de la gravité de l'accident est la durée d'hospitalisation : +ou - 6 jours d'hospitalisation.

Il va permettre de prendre en compte la nature et la distribution des lésions subies et de proposer une approche globale de la victime, de l'étude du mécanisme de la lésion initiale à celle des conséquences qui feront ou non de cette victime un blessé grave au sens médical du terme.

Ce registre aidera à mieux mesurer les enjeux relatifs en termes de sécurité routière, et favorisera une meilleure prévention de l'accident et de ses conséquences. Ainsi, à l'occasion de la préparation d'un projet de directive européenne visant à réduire l'agressivité de la partie avant des voitures pour le piéton, les constructeurs automobiles français ont demandé à l'INRETS une analyse spécifique de ce thème à conduire à partir des données du registre. Le champ de l'évaluation des mesures préventives en termes de réduction de la morbidité routière est ainsi ouvert.

Les premières exploitations des données font apparaître, au moins sur la zone couverte par le RVAC, que le système des BAAC ignore plus de 50 % des victimes, ce taux variant beaucoup d'une catégorie d'usagers à l'autre, selon la présence de véhicules tiers ou non, et selon la gravité des blessures. Mais il montre en sens inverse que la moitié des victimes considérées comme « blessés graves » par les forces de l'ordre ne présentent pas de blessures justifiant médicalement l'emploi de ce terme.

Est ainsi démontrée la grave insuffisance de notre connaissance des données épidémiologiques liées à l'accident, qui pose la question du besoin d'un indicateur prenant en compte celles-ci, pour améliorer les politiques de prévention.

- On peut enfin penser que lorsqu'on pourra établir un bilan exhaustif de la morbidité routière, l'insécurité routière sera reconnue par une part plus importante de l'opinion publique comme un problème majeur de santé publique, justifiant des mesures, des moyens et des contraintes d'une autre ampleur qu'aujourd'hui.

Gisements de sécurité routière - direction de la recherche et des affaires scientifiques et techniques

Il résulte de l'expérience du fichier du Rhône qu'il serait nécessaire de construire un nouvel indice « blessés graves » fondé sur une approche réellement médicale et non pas seulement administrative et forfaitaire . Pour cela, les spécialistes préconisent d'utiliser les échelles internationales existantes pour la classification des lésions et handicaps et de les compléter en cas de décès par des autopsies. Une méthode serait, non pas de généraliser l'expérience conduite dans le département du Rhône, qui serait trop lourde et coûteuse, mais d'étendre à quelques départements cette méthode afin de détenir une base de données extrapolable à la France entière.

Il semble donc urgent d'améliorer la qualité des informations statistiques recueillies sur les accidents de la circulation routière, dans deux directions : la fiabilité et l'exhaustivité. Les pouvoirs publics en ont pris conscience en souhaitant créer des bases de données publiques pérennes.

3. Créer des bases de données publiques pérennes

Les pouvoirs publics reconnaissent que les résultats des bulletins d'analyse d'accident corporel (BAAC) ne sont pas suffisants, et que d'une manière générale, des informations manquent.

Il a donc été énoncé qu'un effort devait être consenti pour l'enrichissement des grandes bases de données de l'INRETS, concernant :

- les études détaillées d'accidents, en partenariat avec le LAB de Pugeot SA-Renault ;

- le registre des accidentés de la route dans le département du Rhône ;

- les procès-verbaux d'accidents

- la mobilité des usagers

- le comportement des conducteurs etc.

L'enrichissement et l'exploitation des bases de données a un coût non négligeable, comme le souligne le rapport d'inspection précité de l'INRETS :

« Il est indispensable de prévoir les financements récurrents qui permettront la pérennisation de ces bases de données, lorsque cela est nécessaire compte tenu des objectifs scientifiques et de veiller à l'exploitation de celles-ci en vue d'apporter des analyses pertinentes susceptibles d'alimenter la recherche et l'aide à la décision. »

« La pérennisation des bases de données a un coût élevé et nécessitera une aide importante des tutelles et un partage financier avec les partenaires de l'institut. »

Les données publiques peuvent être enrichies par l'accès aux données « privées », mais avec des risques évidents quant à un accès régulier à l'information et surtout avec les inévitables manques qui en résultent.

Ainsi, le LAB dispose d'une banque de données très importante pour les véhicules (11.000 voitures analysées) ainsi que de données sur les piétons et les deux roues. Les études issues de l'exploitation de ces bases de données sont utilisées par les constructeurs automobiles français mais aussi les pouvoirs publics et instances de réglementation (ministère de l'équipement et des transports, INRETS, commission européenne) et dans le cadre des programmes de recherche nationaux (PREDIT) et internationaux (PCRD).

Cependant, il est évident que les données collectées par les constructeurs automobiles ou encore les informations détenues par les sociétés d'assurance sur les accidents de la circulation ne sont pas communiquées en totalité aux autorités publiques et notamment aux organismes publics de recherche . Dans ces conditions, il est impératif de disposer d'informations publiques faibles et de renforcer le partenariat avec le secteur privé.

Par ailleurs, il n'est pas certain que l'accès à certaines données soit garanti dans le temps.

En effet, seuls les constructeurs privés assurent certaines données détaillées d'accidents et lorsqu'ils s'arrêtent, l'information publique aussi. L'exemple le plus frappant est les statistiques sur les accidents de piétons. Ainsi, les enquêtes du LAB portent sur les accidents « voitures » depuis 1970, sur les accidents « poids lourds » et « autocars » depuis 1980, mais les accidents « piétons » entamés en 1972 se sont arrêtés en 1985. Depuis 17 ans, il n'existe donc plus de banque détaillée sur les accidents piétons. De même, si les constructeurs venaient à cesser le travail qu'ils mènent sur les accidents d'autocars, il n'y aurait plus de données, faute de recherche publique.

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