D. RÉDUIRE LES « ZONES D'OMBRE » DE LA RECHERCHE EN SÉCURITÉ ROUTIERE

1. La recherche sur les piétons : pallier l'insuffisance de la recherche privée

Les chocs entre voiture et piétons représentent 18 % des accidents, soit davantage que les chocs arrière (2%), les retournements (5 %) ou les chocs latéraux sur obstacles (15 %) et presque autant que les chocs latéraux entre deux véhicules (20 %). De surcroît, les chocs voiture/piétons sont beaucoup plus graves dans leurs conséquences que les autres types de chocs. Une étude menée en Grande-Bretagne et publiée dans le British Medical Journal a ainsi montré que les blessures des piétons avaient une probabilité double d'être fatales et coûtaient en moyenne le double des blessures reçues par les occupants d'un véhicule.

Pourtant, la recherche sur les accidents impliquant des piétons est à la traîne . Les constructeurs automobiles, qui consacrent d'importants moyens à la sécurité routière, ont une priorité absolue : la protection du conducteur et des passagers du véhicule. Il est ainsi clairement précisé que la vocation du laboratoire d'accidentologie de Renaut-PSA a trois grands objectifs : protéger les occupants, connaître la génèse des accidents pour les éviter et comprendre le comportement du conducteur. Toute la recherche vise avant tout les utilisateurs, et par la même les acquéreurs, de véhicules.

Bien évidemment, la recherche pour améliorer la sécurité primaire (évitement des accidents) a un impact sur la sécurité des piétons. L'aide au freinage d'urgence ou le limiteur de vitesse sont deux instruments qui ont une incidence sur la sécurité des piétons. Pour autant, l'amélioration de la sécurité des piétons n'est qu'une incidence secondaire du travail de recherche des constructeurs, et non une de ses finalités . De surcroît, il est possible de s'interroger sur les conséquences négatives en terme de sécurité des piétons de l'amélioration de la sécurité secondaire (limitation des effets d'un accident) : plus la voiture apparaît comme sûre, plus le conducteur est persuadé d'être en sécurité même dans le cas d'un accident (airbags, détendeurs..), plus le risque est grand qu'il minimise les conséquences d'un choc, et notamment avec un piéton.

La question peut être légitimement posée des conséquences de l'importante amélioration de la sécurité passive dans les véhicules sur la sécurité des autres usagers de la route (piétons, voire conducteurs de véhicules moins protégés comme motocyclistes ou cyclistes).

Selon un article paru dans le journal Le Monde 15 ( * ) , les constructeurs « se battent pour faire retarder l'adoption de réglementations qu'ils jugent trop contraignantes et irréalistes » et qui viseraient à améliorer la sécurité des piétons. De fait, l'Union européenne souhaite imposer des tests de déformation des véhicules en cas de choc avec un piéton qui ne pourraient être satisfaits, selon les constructeurs, avant 2010.

De nombreuses idées existent pour améliorer la sécurité des piétons, notamment des capots « actifs » qui se soulèveraient en cas de choc pour favoriser la glissade du piéton et déploieraient un sac gonflable devant le pare-brise ou le développement de systèmes anti-collisions.

Sans préconiser une solution plutôt qu'une autre, votre rapporteur estime qu'il est important que la recherche publique se développe sur le thème des accidents de piétons, dans la mesure où cette recherche ne peut être complètement assumée par les constructeurs.

A ce titre, il est possible de citer l'exemple britannique. La Grande-Bretagne a certes bien plus d'accidents de piétons que la France mais les pouvoirs publics ont surtout compris combien il était nécessaire pour la recherche publique de compléter sur certains segments la recherche privée.

Le programme de recherche en sécurité routière du « department for transport » britannique

Le programme de recherche du « department for transport » britannique est doté d'un budget de 4,5 millions de livres. La recherche développée par le ministère des transports est nécessaire dans la mesure où aucun autre organisme public n'en a la responsabilité et dans la mesure où l'on ne peut attendre des industriels et opérateurs de transport qu'ils financent tous les aspects d'un programme de sécurité routière (notamment ceux concernant le comportement des conducteurs). Il existe cependant un programme important de partenariat avec les industriels pour l'amélioration des véhicules.

Le programme de recherche publique britannique a six thèmes principaux :

- les usagers vulnérables de la route (piétons, cyclistes et enfants) ;

- le comportement du conducteur et du cycliste ;

- les altérations de la conduite (alcool, drogue, fatigue, vieillissement) ;

- l'ingénierie routière et la maîtrise de la vitesse ;

- les analyses statistiques des accidents de la route et leur traitement ;

- les aspects médicaux de la conduite.

Parmi ces thèmes, il faut noter l'attention toute particulière accordée à la sécurité routière pour les enfants, et plus récemment pour les piétons et personnes âgées et la maîtrise de la vitesse.

Au-delà de ce programme de recherche publique existe un programme de recherche sur les véhicules doté de 5,66 millions de livres (+0,6 millions de livres pour le véhicule du futur) avec huit thèmes de recherche.

2. La recherche sur les motocyclistes : rattraper un retard dramatique

a) Une forte accidentologie

Les motocyclistes sont fortement impliqués dans les accidents de la route, et malheureusement le nombre et la gravité des accidents ne cessent de croître.

En 2001, le nombre de tués sur les routes a diminué sauf pour deux catégories : les motocyclistes (+14,1 %) et les occupants de poids lourds (+16,4 %). Ainsi, en 2001, les motocyclistes représentent 13,1 % des tués sur les routes contre 10,2 % dix ans plus tôt et le risque particulier des motocyclettes est près de six fois supérieur à celui des véhicules légers, et même quatorze fois si l'on compte le nombre de kilomètres parcourus . De plus, le risque particulier des motocyclettes et de l'âge sont particulièrement corrélés puisque 87 % des tués en moto ont entre 15 et 44 ans 16 ( * ) .

Alors que les pouvoirs publics s'accordent pour constater que la moto est « d'assez loin le mode de déplacement le plus dangereux 17 ( * ) », la recherche sur les accidents de motos est pourtant loin d'être aussi développée que la recherche sur les véhicules de tourisme.

L'importance du risque deux-roues

b) Peu d'études et de recherches dans l'Union européenne

Tout d'abord, alors que la France et d'autres pays membres de l'Union européenne comptent de grands constructeurs automobiles (Renault, Peugeot, Volkswagen...), les constructeurs de motocycles sont essentiellement américains ou japonais. Ils développent leurs propres études sans considération particulière pour les spécificités du marché européen.

D'une manière générale, il apparaît que l'Union européenne est très peu avancée en matière de recherche sur les accidents motocyclistes. Les études sur l'accidentologie des motos et motocyclettes en Europe sont très rares et un réel effort reste à accomplir.

Les réunions consacrées à la sécurité des motocyclistes se tiennent essentiellement aux Etats-Unis et les quelques études sont également faites aux Etats-Unis. En 2000, une étude commandée par la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) et la Motorcyclist Safety Foundation (constructeurs) été rendue publique et a mis en lumière le « manque cruel » d'informations sur les accidents de motos aux Etats-Unis comme dans le reste du monde. Plutôt que de se prononcer en faveur de telle ou telle politique de sécurité routière, le rapport a préconisé une meilleure politique de recherche et de statistiques.

c) Des équipements de sécurité insuffisants

En matière d'aide technologique à la conduite, plusieurs systèmes sont en application dans l'industrie motocycliste (freinage intégral, freinage ABS, antipatinage) mais seulement dans certaines catégories (sportive, tourisme). Par comparaison, les équipements automobiles sont beaucoup plus nombreux (ceintures de sécurité, airbags, traction intégrale, quatre roues directionnelles) et ne cessent de s'améliorer grâce aux bureaux de recherche et développement des grands constructeurs.

Selon certains spécialistes, la moto offre un potentiel d'évolution moindre que l'automobile : comme elle n'a que deux roues, dont une seule motrice, il est plus difficile d'intervenir sur le comportement du véhicule, de surcroît  l'adhérence, l'angulation en virage, le freinage et l'équilibre sont des facteurs très sensibles et il est crucial que les systèmes de contrôle externes (correction d'assiette, de traction, de suspension, de freinage etc..) ne viennent pas modifier cet équilibre précaire. Enfin, un véhicule à deux roues est pas structure moins stable qu'un véhicule à quatre roues.

En réalité, ces discours, s'ils ont une part de vérité, ne manquent pas de cacher un certain fatalisme et permettent de justifier le retard pris par la recherche sur les motocycles .

La recherche sur les motocycles : des avancées timides

L'équipement du conducteur.

En dehors des équipements existants (casques), il s'agit par exemple des gilets airbag :un gilet ou blouson intégrant un coussin gonflable qui se déclenche en cas de choc grâce à un fil relié au véhicule. Ce système est inspiré des protections des pilotes lors des compétitions moto mais n'a pas fait l'objet d'étude approfondie. De nombreux spécialistes soulignent toutefois les différences entre les conditions de compétition (pas d'obstacle fixe hormis les murets de sécurité équipés) et celles des déplacements des motocyclistes (véhicules, trottoirs, glissières de sécurité).

L'équipement de la moto.

Pour les constructeurs, la sécurité passive (airbags, casques, gants etc..) passe après la sécurité active (éviter l'accident grâce au freinage ABS, au contrôle de direction, aux suspensions, etc..) mais ils commencent à développer des systèmes du type airbag. Les spécialistes affirment que les études réalisées par l'INRETS (1994) et l'institut néerlandais de recherche sur la sécurité routière SWOV (1999) sont contradictoires. Les constructeurs (BMW, Yamaha, Honda) développeraient des recherches (notamment des crash-tests) qui pourraient prendre encore deux à trois ans.

Il faut rappeler que pour les automobiles, l'airbag a été mis au point dans les années 70 et commercialisé à partir de 1981. La recherche sur les motocycles a donc beaucoup de retard...

Les recherches sur les motocycles sont donc peu avancées, et il faut noter que lorsqu'elles progressent, elles ont finalement peu de chances d'être développées durablement. Les progrès de la recherche en sécurité sur les motocycles sont utilisés à des fins strictement commerciales et peu exploités par les pouvoirs publics.

A titre d'exemple, BMW a commercialisé un nouveau modèle de véhicule deux-roues avec une protection et une ceinture de sécurité, permettant de supprimer le port du casque. Ce modèle a obtenu de bons résultats en termes de sécurité routière, il a donc reçu toutes les homologations nécessaires et a même conduit les pouvoirs publics à modifier le code de la route pour dispenser les conducteurs du port du casque. Cependant, rien n'a été fait, par exemple, pour promouvoir ce type de modèle que l'on semble estimer plus sûr que les engins traditionnels, voire pour l'imposer par rapport à des modèles que l'on estime plus dangereux. Faute de succès commercial, le constructeur devrait arrêter la production de ces véhicules innovants.

En définitive, l'argument principal de l'insuffisante progression technique des motocycles en termes d'objectifs de sécurité routière reste la faible propension des utilisateurs à accepter des instruments de protection . Si ce constat part effectivement d'une réalité - le souci de nombreux utilisateurs de deux-roues de disposer d'une grande liberté - il méconnaît le potentiel d'évolution des usagers de ces véhicules. Tous les progrès sur les véhicules automobiles (ceintures, airbags..) n'ont pas été à l'origine accueillis de manière enthousiaste par les conducteurs, mais ont su s'imposer grâce aux démonstrations scientifiques, aux efforts de pédagogie et surtout à leurs résultats en termes de réduction des tués et des blessés sur les routes.

Il serait pour le moins défaitiste de considérer que les progrès de la technologie, adaptés aux spécificités des motocycles, ne s'appliquent pas aux véhicules à deux roues pour de simples considérations sociales et psychologiques, qui méritent par ailleurs d'être pleinement étudiées.

d) Les motocyclistes accordent la priorité à la sécurité des infrastructures

Le comportement des usagers de motocycles et leur rapport à la sécurité routière sont fortement différents du comportement des conducteurs automobiles , même si cet aspect n'est que très peu analysé.

Ainsi, « le monde de la moto » constitue un univers à part.

Les motocyclistes sont représentés au niveau européen par la FEMA ( Federation of European Motorcyclists' Associations ). La FEMA s'oppose catégoriquement à certaines mesures, comme l'allumage automatique des phares en plein jour (au motif d'une perte de visibilité des usagers vulnérables de la route) ou le système intelligent d'adaptation de la vitesse « ISA » au motif que le conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule.

D'une manière générale, les motocyclistes refusent les nouveaux équipements de sécurité impliquant le conducteur au profit d'un développement de la sécurité des infrastructures.

La FEMA milite essentiellement pour la modification des glissières de sécurité qui représenteraient la cause de 10 à 15 % des accidents motos mortels en Europe.

Les glissières de sécurité

Une étude du Service d'Etude des Routes et Autoroutes (SETRA) a montré que les accidents contre les glissières représentaient 8 % des motards tués et que la gravité de ces accidents était cinq fois supérieure à la gravité moyenne des accidents motos. Dès 1996, la DSCR a mis en place un groupe de travail moto/infrastructures. Elle a lancé un concours en 1998 pour réaliser « une glissière de sécurité innovante » et le laboratoire INRETS d'équipement de la route (LIER) a réalisé des essais de choc pour déterminer les exigences particulières auxquelles devaient répondre les nouveaux dispositifs. Au terme de ce processus de nouvelles glissières ont reçu des agréments et une circulaire n°99-68 du 1er octobre 1999 a fixé le mode d'emploi de ces glissières.

Hormis cette question d'autres études sont lancées. La commission européenne a ainsi lancé un projet d'étude sur une meilleure détection des deux-roues motorisés (DRM) pour comprendre les moyens d'améliorer la visibilité des motocyclistes.

En conclusion, il est essentiel d'agir sur l'ensemble des facteurs d'accidents de deux-roues, en associant pleinement les représentants des associations, mais en ne négligeant a priori aucune des pistes d'amélioration de la sécurité de ces véhicules, compte tenu des résultats catastrophiques en accidentologie de ces véhicules.

3. Les accidents en zone rurale : mieux impliquer les collectivités locales

Les accidents en zone rurale représentent une part importante des accidents routiers.

Ces accidents en zone rurale nécessiteraient une réflexion spécifique, impliquant notamment les collectivités locales.

Or, la recherche est aujourd'hui orientée essentiellement sur les nouvelles technologies et nombre d'entre elles (communication route/véhicule, limiteur de vitesse..) sont davantage adaptées aux conditions de conduite sur autoroute, où la mortalité est 4,4 fois moins élevée que sur le réseau secondaire.

L'accidentologie en zone rurale répond à des problématiques spécifiques qu'il conviendrait de mieux prendre en compte.

Comme le souligne la recommandation de la conférence européenne des ministres des transports (CEMT) de l'OCDE du 4 juin 2002, « la sécurité routière en rase campagne est un problème très grave qui n'a pas reçu le même niveau d'attention que celui porté aux autres types de réseaux, qu'ils soient autoroutiers ou urbains. » Or, 60 % des morts sur les routes en Europe le sont sur des routes de rase campagne. Parmi les recommandations du CEMT figure l'amélioration de la collecte et de l'exploitation des données d'accidents qui permettrait sur une base comparable d'identifier de manière précise les causes et l'impact des accidents pour prendre les mesures adéquates et les évaluer ultérieurement, en particulier dans leur rapport coût/efficacité.

* 15 « Comment mieux protéger le piéton des chocs sans atteindre à la sécurité des passagers » Hervé Morin - Le Monde 02.08.2002.

* 16 « Les grandes données de l'accidentologie » Observatoire national d'information et de sécurité routière - ONISR.

* 17 Ibid.

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