N° 125

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 janvier 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à la bioéthique (n° 189, 2001-2002),

Par Mme Sylvie DESMARESCAUX,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Gisèle Gautier, président : Mmes Paulette Brisepierre, Françoise Henneron, Hélène Luc, Danièle Pourtaud, M. André Vallet, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Patrice Gélard, secrétaires ; Mmes Michèle André, Maryse Bergé-Lavigne, Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, Monique Cerisier-ben Guiga MM. Marcel-Pierre Cleach, Yvon Collin, Gérard Cornu, Robert Del Picchia, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mmes Josette Durrieu, Françoise Férat, MM. Yann Gaillard, Francis Giraud, Alain Gournac, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mmes Valérie Létard, Josiane Mathon, M. Philippe Nachbar, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, Janine Rozier, Odette Terrade, M. André Trillard.

Vie, médecine et biologie.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été saisie à sa demande par la commission des Affaires sociales du projet de loi n° 189 (2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique. Ce projet de loi sera discuté en séance publique à compter du 28 janvier 2003.

La révision des « lois bioéthique » de 1994, qui devait intervenir dans un délai de cinq ans, a pris du retard. Elle doit être l'occasion aujourd'hui de réaffirmer les principes protecteurs de la personne face aux avancées scientifiques et médicales : la dignité de la personne humaine, le respect et la non patrimonialité du corps humain, le consentement libre et éclairé, et la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.

A cet égard, la France doit poursuivre les efforts qu'elle mène au plan international, en vue de parvenir à l'édiction d'une interdiction absolue du clonage reproductif, assortie de sanctions, afin de mettre un terme à des pratiques dangereuses qui restent actuellement impunies.

Toutes ces questions mettent particulièrement en cause les femmes. Le clonage, par exemple, requiert l'usage d'ovocytes, dont on déplore la pénurie, et dont le marché risque de s'organiser. Pourtant, la place de la femme dans ces débats est encore trop souvent occultée. La faible considération accordée à des problèmes jugés « féminins », comme la procréation, explique largement cette situation.

Ce constat vaut particulièrement pour l'assistance médicale à la procréation (AMP), qui engage les femmes dans un parcours long et souvent douloureux. L'assimilation de celle-ci à une « médecine du désir » peut occulter les contraintes et la pénibilité liées aux traitements.

Si elle reste pour des couples stériles une chance précieuse de pouvoir donner naissance à un enfant « biologique », les doutes et les réticences face à des excès ou des dérives potentiels ne doivent pas être sous-estimés. Ainsi il est difficile d'accepter que dans certains cas, comme celui concernant la technique de fécondation in vitro par micro-injection d'un spermatozoïde (ICSI), seul le temps confirmera l'absolue bénignité des pratiques. Sans freiner le progrès scientifique, il apparaît indispensable de protéger les femmes contre d'éventuels risques pour leur santé, ou pour celle de l'enfant à naître.

Par ailleurs, au-delà des risques médicaux, votre rapporteur souligne la nécessité de s'attacher aux implications humaines et psychologiques des décisions, et à l'accompagnement personnalisé des couples, notamment des femmes.

Enfin, la réflexion sur l'AMP doit être guidée par le souci de l'intérêt de l'enfant à naître, et de la responsabilité des couples au regard de leur projet commun.

I. LES PRINCIPES QUI ENCADRENT L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION DOIVENT ETRE RÉAFFIRMES FACE AUX PROBLÈMES SOULEVÉS PAR SON DÉVELOPPEMENT

A. LES OBJECTIFS DE LA LOI DE 1994 : POSER DES LIMITES RAISONNABLES AU DÉVELOPPEMENT DES TECHNIQUES MÉDICALES

1. Les principes édictés en 1994 doivent être réaffirmés

Les principes édictés par le législateur en 1994 constituent les fondements de la conception que la France défend en matière de bioéthique, et doivent aujourd'hui continuer à guider la réflexion sur la question, complexe, de l'AMP. Parmi ceux-ci figurent la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, principe structurant et de valeur constitutionnelle, et les principes d'inviolabilité et d'indisponibilité du corps humain, principes généraux inclus dans le code civil.

Le législateur a voulu également, dans le souci de garantir leur mise en oeuvre, les introduire dans le code de la santé publique, et poser deux garanties essentielles en matière d'utilisation d'éléments ou de produits du corps humain : l'anonymat du don et la sécurité sanitaire.

Il convient également de rappeler l'importance de la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, et du principe du consentement préalable de la personne qui fait l'objet d'une intervention thérapeutique, posé par la loi et la déontologie médicale, et qui figure dans le code de Nuremberg de 1947, sur l'expérimentation biomédicale.

L'AMP est régie par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'AMP et au diagnostic prénatal, étroitement liée à la loi n° 94-653 relative au respect du corps humain. Son organisation a été déterminée avec le double souci de ne pas entraver le développement des techniques médicales de lutte contre la stérilité, tout en posant des limites raisonnables à ce développement.

En premier lieu, l'AMP n'est ni un dû, ni l'expression d'un « droit à l'enfant » , ce qui implique de prendre en compte l'intérêt de l'enfant à naître. Elle doit correspondre à la demande parentale d'un couple stable et vivant, « en âge de procréer » (article L. 2141-2 du code de la santé publique). Cette dernière référence vise à interdire la pratique de l'AMP sur des femmes ménopausées qui se développe actuellement, notamment en Italie et au Royaume-Uni.

Par ailleurs, l'AMP a pour objet de remédier à l'infertilité « dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué » . Cette condition, d'ordre médical, condamne le recours à l'AMP pour des raisons de pure convenance personnelle.

Ces activités sont soumises à un encadrement réglementaire strict, qui se traduit par un agrément des praticiens, subordonné à des conditions de qualification, et à une autorisation des activités pratiquées dans des établissements et laboratoires satisfaisant un certain nombre de conditions. Le rôle de contrôle en la matière a été dévolu à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP).

En second lieu, le législateur n'a pas souhaité énumérer limitativement les techniques dont il valide l'utilisation, afin de tenir compte de leur rapide évolution. Aux termes de l'article L. 2141-1 du code de la santé publique, l'AMP s'entend des « pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel » .

2. Le développement des techniques d'assistance médicale à la procréation

L'AMP s'appuie aujourd'hui sur un arsenal impressionnant de techniques permettant de pallier les causes les plus diverses de la stérilité, comme en attestent les données fournies par FIVNAT, association qui regroupe la plupart des centres d'AMP et effectue des statistiques.

En premier lieu, d'après le bilan FIVNAT établi en 2000, le succès des méthodes de fécondations in vitro (FIV), en terme de grossesses obtenues, est croissant. Celui-ci est dû, notamment, à la croissance exponentielle de l'utilisation de l'ICSI, qui représente désormais environ 40 % des FIV.

En second lieu, le nombre d'embryons transférés a continué à décroître. Le bilan montre une augmentation des transferts à deux embryons, et une quasi-disparition des transferts à plus de quatre embryons (moins de 0,5 %). Le taux de grossesse par ponction ou par transfert a continué à augmenter. Les centres ont adapté leur politique de transfert au cas de chaque patiente, démontrant la pertinence du choix opéré par le législateur de ne pas imposer de limitation quant au nombre d'embryons à transférer.

Enfin, le taux de grossesses multiples, après avoir très fortement augmenté entre 1987 et 1990, diminue depuis de 1994, surtout celui des grossesses triples, même avant réduction embryonnaire. Toutefois, si ce taux est en baisse, le nombre absolu des grossesses multiples issues de l'AMP n'a cessé d'augmenter en France depuis les débuts de la FIV.

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