B. LE CONTENU DE LA RÉFORME PROPOSÉE

1. Les mesures relatives au premier pilier de la PAC

a) Dispositions générales

Le projet Fischler comporte un certain nombre de mesures à caractère horizontal, dont la principale est la proposition de découplage total des aides par rapport à la production .

(1) Le découplage total des aides

C'est le point le plus novateur -et le plus contesté- du projet de réforme en discussion.

Il consisterait à remplacer les aides directes actuellement versées aux agriculteurs en fonction du volume de production par un paiement unique à l'exploitation , qui s'apparenterait à une aide au revenu.

Cette aide serait définie en fonction des droits historiques de chaque exploitation, c'est à dire du montant moyen des aides que celle-ci a perçues au cours des années 2000, 2001 et 2002.

Alors que la communication adoptée par la Commission européenne en juillet 2002 prévoyait d'exclure de ce dispositif un certain nombre de paiements directs, tels que la prime à la qualité du blé dur ou l'aide aux fourrages séchés, les propositions législatives présentées en janvier 2003 incluent toutes les aides directes existantes . D'autres secteurs comme l'oléiculture pourraient être concernés ultérieurement.

Il convient de souligner que certaines aides existantes sont déjà partiellement découplées. C'est notamment le cas dans le secteur des céréales et des oléo-protéagineux.

Le système actuel des aides directes dans le secteur céréalier

Depuis les réformes de la PAC de 1992 et de 1999, à l'occasion desquelles ont été décidées des baisses importantes des prix de soutien sur le marché des céréales, des aides directes, dites « paiements compensatoires », sont versées aux céréaliers.

Le montant des paiements compensatoires à l'hectare est obtenu en multipliant une indemnité forfaitaire à la tonne par un rendement de référence variable selon les départements et les régions naturelles est égal au rendement moyen à l'hectare atteint au cours des trois années antérieures et égal à 1991. Il est, par exemple, de 64 quintaux/hectare dans l'Eure et de 55,5 quintaux/hectare dans la Moselle. Ce rendement de référence étant fixe , on peut considérer que le régime d'aides dans le secteur des céréales est semi-découplé .

Pour calculer le montant des aides versées à chaque céréalier, il convient de multiplier le paiement compensatoire à l'hectare d'une région donnée par le nombre d'hectares qui composent l'exploitation.

Dans chaque Etat membre, le montant maximal de l'ensemble des aides directes aux céréales permet de couvrir la superficie de base régionale , qui correspond à la surface moyenne consacrée aux grandes cultures et à la jachère quinquennale en 1989, 1990 et 1991. Pour la France, elle représente 13,5 millions d'hectares.

Si la somme des superficies pour lesquelles les paiements compensatoires sont demandés excède cette surface maximale, les aides allouées à cette production sont réduites de manière proportionnelle.

Aux termes du projet, les agriculteurs bénéficiant de l'aide découplée seraient libres de consacrer leurs terres aux productions de leur choix , y compris celles qui, à l'instar des fruits et légumes, ne sont actuellement pas subventionnées. Seules les cultures permanentes, telles que la vigne, n'ouvriraient pas droit au bénéfice de l'aide.

Indépendante des volumes produits par chaque exploitation, l'aide unique découplée serait, en pratique, attachée aux surfaces éligibles . En effet, le montant d'aide auquel peut prétendre une exploitation peut être divisé par le nombre d'hectares que celle-ci comporte. A chaque hectare correspondent ainsi des doits à paiement qui seraient transférés en cas de cession ou de location de tout ou partie de l'exploitation.

La Commission européenne estime que cette réforme inciterait les agriculteurs à produire en fonction des signaux adressés par les marchés et non en fonction des critères conditionnant l'obtention des primes.

Les autres arguments invoqués à l'appui de la proposition de découplage total sont :

- d'une part, la meilleure acceptabilité de l'aide unique découplée à l'égard des règles de l'Organisation mondiale du commerce , dans la mesure où elle relèverait de la « boîte verte », alors que les aides directes couplées à la production relèvent de la « boîte jaune » ou « boîte orange » (voir explications page 52) ;

- d'autre part, la simplification administrative inhérente à l'adoption d'une aide unique, dont le mode de calcul serait identique quelle que soit la production retenue.

(2) L'éco-conditionnalité des aides directes

Le projet Fischler tend à « verdir » le premier pilier de la PAC en proposant d'élargir la conditionnalité des aides perçues dans ce cadre. Actuellement, les Etats membres ont déjà la possibilité de l'appliquer à l'égard des normes environnementales.

Aux termes de la proposition de réforme, le bénéfice des aides directes (aide découplée et autres aides) serait subordonné au respect par l'agriculteur , sur la totalité de son exploitation :

- de l'ensemble des normes réglementaires dans le domaine de l'environnement, de la sécurité sanitaire des aliments, de la sécurité du travail et du bien-être des animaux, qui découlent d'une quarantaine de textes communautaires ;

- de bonnes pratiques agricoles ;

- de l'obligation de maintenir en l'état les prairies permanentes (il s'agit d'empêcher leur transformation en terres arables).

En cas de non-respect de ces conditions, les paiements directs pourraient être réduits en tout ou partie.

Pour aider les agriculteurs à se conformer à ces normes et exigences de bonnes pratiques, la Commission européenne propose d'instaurer un dispositif de conseil aux exploitations , devant permettre l'établissement d'audits individualisés .

Dans un premier temps, ne seraient toutefois concernés que les producteurs touchant plus de 15.000 euros d'aides par an et ceux dont le chiffre d'affaires annuel excède 100.000 euros.

(3) Gel environnemental

La Commission européenne propose de soumettre les terres arables à un gel environnemental de long terme, en remplacement de l'actuel système de jachère. A l'exception des exploitants se consacrant à l'agriculture biologique, les producteurs seraient tenus de maintenir en jachère une superficie égale à 10 % de la superficie consacrée aux céréales, oléagineux et protéagineux (dite « superficie COP ») de chaque exploitation.

Cependant, sauf dérogation pour des raisons environnementales, le gel ne pourrait plus être rotationnel , ce qui signifie que les terres mises en jachère le seraient pour dix années.

En outre, les surfaces gelées ne pourraient plus être utilisées à des fins agricoles ni, a fortiori, accueillir des cultures destinées à être commercialisées. Actuellement, des cultures destinées à produire de l'énergie (colza, tournesol) ou des matières plastiques (chanvre, maïs...) sont autorisées sur les terres en jachère.

Enfin, la proportion de terres arables soumises à la jachère serait définitivement fixée à 10 %, alors qu'il est aujourd'hui possible de réviser ce taux à la hausse ou à la baisse en fonction de la situation du marché.

Ainsi, les terres en jachère pourraient uniquement être utilisées dans un but écologique, par exemple comme des réserves pour les oiseaux.

Selon la Commission européenne, cette mesure vise également à faciliter la gestion et le contrôle du système de jachère, en particulier dans la perspective du découplage des aides.

b) Les mesures sectorielles

Le projet de réforme comporte également des propositions concernant directement certaines organisations communes de marché (OCM).

(1) Les grandes cultures

S'agissant des céréales, la Commission européenne propose une nouvelle réduction de 5 % du prix d'intervention (qui passerait de 101,31 à 95,35 €/tonne), partiellement compensée par une augmentation des aides directes.

Dans le secteur céréalier, le prix d'intervention est le prix auquel les organismes stockeurs que sont les coopératives et les négociants propriétaires de silos peuvent vendre aux organismes publics les quantités qui ne trouvent pas preneur sur le marché. Cependant, ce prix sert indirectement à définir le prix que ces organismes versent aux céréaliers.

Le projet de réforme prévoit également de supprimer les majorations mensuelles , qui servent à lisser les volumes de céréales mis à l'intervention.

Permettant de couvrir les frais de stockage, ces majorations incitent les organismes payeurs à étaler leurs livraisons tout au long de la période d'intervention, comprise entre novembre et juin. Calculées de manière mensuelle, elles sont cumulées et s'ajoutent au prix d'intervention payé au moment de la livraison.

La suppression des majorations mensuelles, qui avait déjà été envisagée lors de la réforme de la PAC de 1999, équivaudrait donc à une réduction supplémentaire du prix d'intervention.

Enfin, le projet Fischler prévoit de supprimer les restitutions à la production d'amidon de céréales.

Des mesures particulières sont, en outre, prévues par culture.

Pour le seigle , l'abolition pure et simple du mécanisme d'intervention est envisagée, la Commission européenne considérant que cette sécurité encourage la surproduction sur un marché dont les découchés sont limités.

D'autre part, le projet de réforme prévoit une réduction , voire une suppression dans les zones « non traditionnelles », de l'aide supplémentaire spécifique dont bénéficie actuellement la production de blé dur .

(2) L'OCM riz

Le prix d'intervention sur le marché du riz, au-dessous duquel le stockage privé est déclenché, serait réduit de 50 % pour être ramené à 150 €/tonne. Un mécanisme spécifique de sécurité serait toutefois instauré pour le cas où le prix du marché descendrait en dessous de 120 €/tonne.

A l'appui de cette proposition de baisse du prix garanti, la Commission européenne invoque la nécessité de préparer l'OCM riz aux conséquences de l'initiative « tout sauf les armes » qui prévoit, à terme, l'importation non contingentée de riz à droits nuls en provenance des pays les moins avancés (PMA).

(3) Le marché de la pomme de terre

Outre le découplage partiel des aides à la production, il est proposé de supprimer le prix minimum garanti aux producteurs ainsi que les restitutions à la production de fécule de pomme de terre.

(4) Le secteur du lait

Alors que l'Agenda 2000 envisageait la réforme du régime des quotas en 2008, ces derniers seraient maintenus jusqu'en 2014.

En contrepartie, la Commission européenne propose d'anticiper à 2004 la diminution du prix garanti du lait et l'élargissement des quotas , décidés en 1999, qui auraient dû être mis en oeuvre seulement à partir de la campagne 2005/2006.

Par rapport à l'Agenda 2000, la diminution du prix du lait serait accentuée . Appliquée de manière dissymétrique (- 3,5 % par an pour la poudre de lait et - 7,5 % par an pour le beurre), elle correspondrait à une réduction globale de 28 % du prix du lait entre 2004 et 2009.

Quant aux quotas , ils seraient augmentés de 1 % en 2007 et 2008.

Enfin, le mécanisme d'intervention sur le beurre serait affaibli puisque les achats publics seraient limités à 30.000 tonnes par an.

Ces propositions visent à favoriser une plus grande intégration du secteur laitier aux marchés mondiaux des produits laitiers, l'augmentation de la production et la baisse des prix du lait devant théoriquement stimuler les exportations et la consommation intérieure.

(5) Les cultures énergétiques

Pour compenser la suppression de la possibilité de produire des cultures à fin énergétique sur les terres soumises à la jachère, le projet de règlement propose d'instaurer une aide spécifique aux cultures énergétiques de 45 €/hectare.

La superficie maximale susceptible d'être concernée au plan communautaire serait de 1,5 million d'hectares .

L'attribution de l'aide serait conditionnée à la conclusion d'un contrat entre le producteur et l'entreprise de transformation, à moins que l'agriculteur ne procède lui-même à la transformation sur l'exploitation.

D'autres propositions sectorielles de réforme figurent dans le projet, concernant les protéagineux (modification du mode de calcul de l'aide directe), les fruits à coque (remplacement du régime actuel par un paiement forfaitaire de 100 €/hectare), et les fourrages séchés (remplacement de l'aide aux produits transformés par une aide aux producteurs et une aide aux transformateurs réduite et dégressive).

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