II. LES MOUVEMENTS DE CONCENTATION DANS LA DISTRIBUTION ET DANS L'EXPLOITATION DES FILMS EN SALLES SE RETROUVENT DANS LES AUTRES MODES DE DIFFUSION
1. Le cinéma à la télévision
Avec la
multiplication du nombre de chaînes diffusées par câble ou
par satellite, on a assisté à une augmentation
considérable de l'offre de films à la télévision.
Jamais la télévision n'a diffusé autant de films :
plus de 5000 titres par an.
Les chaînes cinéma du câble et du satellite (notamment les
chaînes de « seconde fenêtre »), qui permettent
au public des cinéphiles de bénéficier d'une offre
élargie, représentent de nouveaux marchés potentiels pour
les catalogues de films et en particulier pour des films récents.
a) La concentration des catalogues
L'essentiel de la vente des films aux chaînes de télévision est assuré à partir des catalogues détenus par un petit nombre d'opérateurs.
Principaux catalogues français 100( * ) |
|
Nombre de films |
||
Canal+ 101( * ) |
|
5500 |
||
TF1 |
|
500 |
||
Pathé
|
|
460
|
||
Principaux catalogues américains 102( * ) |
Nombre de films |
|||
MGM |
5 177 |
|||
Warner Bros (Time Warner) |
5 993 |
|||
Columbia / Tristar ( Sony) |
2 431 |
|||
Universal Vivendi |
3 574 |
|||
20 th Century Fox (News Corp) |
2 135 |
|||
Paramount (Viacom) |
947 |
|||
Buena Vista (Disney) |
525 |
Source : CNC pour les catalogues français ; KPG/IMM pour les catalogues américains
b) La marginalisation des distributeurs indépendants
On
assiste à une intégration croissante, au sein des grands groupe
de communication, des fonctions de diffuseur, d'acheteur de droits, de
distributeur, amplifiant les mouvements intervenus au niveau de la distribution
des films en salles.
Les accords passés par les chaînes cinémas des bouquets
satellite avec les majors américaines ont eu, de ce point de vue, des
conséquences importantes sur l'économie du secteur.
Les deux opérateurs français de bouquets satellites, en forte
concurrence, ont cherché à nouer des accords leur donnant
accès aux catalogues des majors, pour sécuriser leur
approvisionnement en films.
A l'issue d'une bataille très vive, Canal + a ainsi conclu des accords
en première exclusivité avec cinq studios (Disney, MCA/Universal,
Columbia/Tristar, Fox et Warner) et TPS avec deux (MGM et Paramount). Ces
accords confèrent aux deux groupes français des droits de
diffusion pour la télévision à péage et en paiement
à la séance de la production passée, récente et
à venir des films des majors.
TPS a, par ailleurs, négocié une deuxième fenêtre de
diffusion à péage de la production récente et à
venir de Columbia/Tristar, MCA/Universal, et des sociétés de
production filiales de Disney (Touchtone et Miramax) lui permettant de diffuser
des films avant les chaînes hertziennes en clair. Les deux
opérateurs se sont ainsi répartis le marché.
Ces accords ont abouti à augmenter le nombre de films américains
à sortir en salles, tout en réduisant l'espace d'intervention des
distributeurs français auprès des chaînes de
télévision.
La conjonction de ces deux facteurs contribue
à rompre l'équilibre sur lequel reposait l'activité des
distributeurs indépendants, entre la sortie des films à fort
potentiel commercial, et celle des films plus difficiles, entre le
marché des salles et la vente aux chaînes de
télévision. Elle met en péril ce relais traditionnel de la
part la plus innovante de la production nationale.
De fait, et en dépit des mesures prises en faveur du secteur de la
distribution (augmentation des enveloppes du soutien sélectif et
automatique à la distribution, contribution volontaire de Canal+
à la distribution, obligation des chaînes en clair à
contribuer à hauteur de 0,2 % de leur chiffre d'affaires à un
fonds d'aide à la distribution de films français), la situation
des entreprises indépendantes de distribution reste actuellement trop
fragile pour que celles-ci constituent des partenaires réguliers de la
production indépendante
2. L'édition vidéo
Le
rythme de croissance de l'édition vidéo s'est intensifié
en 2001
(+25 %). Il apparaît porté par le dynamisme des ventes
de DVD qui supplantent désormais celles des cassettes VHS. Même
si, avec 36,5 millions d'unités vendues, celles-ci continuent de dominer
l'activité en volume (59 % du total des ventes en 2001, contre 76,5 % en
2000), le DVD a représenté 57,4 % du chiffre d'affaires total du
secteur.
La nouvelle réglementation sur la chronologie des médias a
joué un rôle non négligeable dans cet essor, en autorisant
la sortie vidéo des films, six mois après leur sortie en
salle.
Evolution du chiffre d'affaires des éditeurs vidéo (M€) |
|||||||||||||
|
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
|||
Location |
52 |
46 |
49 |
50 |
57 |
67 |
71 |
78 |
78 |
96 |
|||
Vente |
305 |
329 |
384 |
483 |
499 |
495 |
502 |
498 |
578 |
723 |
|||
Total |
357 |
375 |
433 |
533 |
557 |
562 |
572 |
576 |
656 |
819 |
|||
Dont vente de DVD |
|
|
|
|
|
|
13 |
83 |
216 |
415 |
|||
Source : Syndicat de l'édition vidéo (SEV),
Mais ce
succès profite surtout au cinéma américain.
Six sociétés se partagent 85% du marché. Universal Pictures Vidéo occupe la tête du classement en 2001, grâce au succès de Gladiator , devant Fox Pathé Europa porté par Star Wars- La menace fantôme . TF1 Vidéo, premier en 2000 grâce à la série des Pokemon et Taxi 2 , figure désormais en sixième position, avec une part de marché de 11,5 %, contre 18,7 % en 2000. Le Pacte des loups , est l'unique film français recensé au « top 10 » 103( * ) .
Les
six premiers éditeurs vidéo en 2001
|
|||||||||||||
|
|
||||||||||||
Universal Pictures Video |
16,7% |
||||||||||||
Fox Pathé Europa |
16,1 % |
||||||||||||
Buena Vista Home Entertainment France |
14,6 % |
||||||||||||
Gaumont Columbia Tristar Home Video |
13,2% |
||||||||||||
Warner Home Video |
12,3 % |
||||||||||||
TF1 Vidéo |
11,5 % |
3. L'exportation des films
« Aux bons résultats du cinéma français en 2001
sur son propre marché, s'ajoute un regain sensible
d'intérêt et même de popularité pour le film
français dans le monde : les résultats des films en salles
dans de nombreux pays ont atteint eux aussi des records, les sélections
de films français dans les festivals internationaux se sont
multipliées, ainsi que les récompenses et l'accueil critique des
films. Ce sont d'abord les distinctions que films français ont
reçu dans les festivals ou
les cérémonies
équivalentes à celle des Césars : les prix
décernés à Laissez Passer de Bertrand Tavernier et
à Huit Femmes de François Ozon, au festival de Berlin, ou encore
les récompenses attribuées dans le cadre des
« césars » anglais et espagnols à
Amélie Poulain. Le film de Jean Pierre Jeunet était aussi en lice
aux Oscars avec cinq nominations et c'est en fin de compte une coproduction
française : No Man's Land, du réalisateur bosniaque Danis
Tanovic, qui a remporté l'Oscar du meilleur film étranger.
Dans les salles ensuite, les films français ont su séduire aussi
le grand public, et la hausse des entrées des films français a
été spectaculaire : 120 % d'augmentation pour le cinéma
français dans les salles étrangères en 2001. Il y a
évidemment au premier rang le succès d'Amélie Poulain,
mais il ne doit pas cacher les performances d'autres films: Les
rivières pourpres, Le pacte des loups, Le placard. Mais aussi :
« Sous le sable », « Va Savoir »,
ou « Intimité ».
Il est à noter que pour la première fois depuis de nombreuses
années, la presque totalité des films français ayant
rencontré le plus large public cette année en France comme
à l'étranger ont été tournés en langue
française, ce qui n'est apparemment pas un obstacle - au contraire-
à leur popularité auprès de publics non
francophones »
104(
*
)
.
Entrées du cinéma français à l'étranger (millions) |
|||||||
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Films en langue française |
16,2 |
16,2 |
12,9 |
13,1 |
27,0 |
17,0 |
30,0 |
Films en langue étrangère |
23,5 |
26,4 |
43,0 |
4,7 |
15,4 |
18,0 |
20,0 |
Total |
39,7 |
42,6 |
55,9 |
17,8 |
42,4 |
35,0 |
50,0 |
Là encore, le diagnostic très positif du CNC doit être tempéré par un triple constat :
• Les succès français à l'exportation reposent sur un nombre limité de films : en 1997, le Cinquième élément avait réalisé plus de la moitié du chiffre d'affaires à l'étranger des films français (70 ME sur un total de 125 ME) ; en 1999, Jeanne d'Arc avait représenté une recette de 53 ME sur un total de 103 ME).
Performances des films français à l'exportation |
|||||
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Films ayant généré plus de 1,5 ME |
3 |
3 |
4 |
5 |
|
Films ayant généré entre 760 kE et 1,5ME |
34 |
39 |
28 |
36 |
|
• Les recettes des films français à l'étranger sont concentrées sur quelques marchés : en 2000, l'Europe a assuré plus de la moitié de ces recettes, l'Allemagne à elle seule représentant environ 12,5% du total des exportations.
Répartition des recettes françaises à l'exportation (en millions d'euros) |
|||||||
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Europe de l'ouest |
27,59 |
31,10 |
52,90 |
36,59 |
43,30 |
36,44 |
|
dont Allemagne |
8,54 |
7,01 |
16,16 |
7,62 |
11,10 |
8,99 |
|
Amérique du nord |
7,62 |
8,08 |
28,05 |
5,49 |
29,42 |
7,47 |
|
dont Etats Unis |
6,25 |
5,49 |
26,53 |
3,20 |
25,60 |
4,27 |
|
Asie |
9,91 |
11,13 |
25,46 |
12,50 |
14,79 |
13,11 |
|
dont Japon |
6,71 |
6,56 |
16,46 |
7,93 |
10,40 |
8,38 |
|
Amérique latine |
1,22 |
1,98 |
5,18 |
2,44 |
3,81 |
2,74 |
|
Europe de l'est |
2,29 |
3,51 |
4,12 |
2,90 |
3,66 |
3,05 |
|
Autres |
6,04 |
6,99 |
9,3 |
4,11 |
10,07 |
8,76 |
|
Total |
55,03 |
62,79 |
125,01 |
64,00 |
105,04 |
71,57 |
|
Source : CNC
• Le succès commercial des films a
été
obtenu au prix d'un accroissement important du nombre moyen de copies par
film
.
Ainsi, par rapport aux dernières années, le nombre moyen de
copies des films en langue française a doublé en Espagne, au
Royaume Uni, en Italie et au Québec. En Allemagne, il a augmenté
de 40%. Les surcoûts qui en résultent représentent pour les
distributeurs un risque supplémentaire qui les incite à
réserver leur effort commercial aux films qui ont déjà
obtenu un succès significatif sur le marché national.
105(
*
)
• Enfin, il est à noter que les recettes des exportateurs
français proviennent, pour une part de plus en plus importante, de la
vente de films étrangers dont ils ont acquis les droits : en 2000,
pour la première fois, les recettes des longs métrages
étrangers ainsi réexportés ont dépassé les
recettes des films français.
Evolution des recettes du cinéma à l'exportation ( M euros) |
|||||||
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Films français |
55,03 |
62,81 |
125,01 |
64,03 |
105,04 |
71,65 |
|
Films étrangers |
34,15 |
38,26 |
50,31 |
37,50 |
45,58 |
97,57 |
|
Total |
89,18 |
101,07 |
169,22 |
101,53 |
166,63 |
169,22 |
|
On retrouve ici un problème analogue à celui qui est posé par le développement de l'édition vidéo : pour protéger la production indépendante et la diversité de la création, la réglementation française limite l'engagement des diffuseurs dans l'exploitation secondaire des films qu'ils contribuent à produire 106( * ) .
4. La position des films français sur le marché national
L'évolution des recettes d'exploitation du cinéma français fait apparaître un léger effritement de sa position sur son marché national au profit du cinéma étranger, c'est à dire en l'occurrence des films américains.
Recettes comparées des films français et des films étrangers sur le marché national en 2000 (M€)
|
salles |
Télévision |
vidéo |
Total |
Films français |
104,9 |
402,8 |
82,5 |
590,2 |
Films étrangers |
267 ,0 |
373,9 |
326,8 |
967,7 |
Total |
371,9 |
776,7 |
409,3 |
1557,9 |
Part des films français |
28,2% |
51,2% |
12,6% |
37,9% |
Recettes comparées des films français et des
films
étrangers sur le marché national en 1996 (M€)
|
salles |
Télévision |
vidéo |
Total |
Films français |
111,7 |
297,3 |
62,1 |
471,1 |
Films étrangers |
187,8 |
217 ,5 |
346 |
751,1 |
Total |
299,5 |
514,8 |
408,1 |
1222,4 |
Part des films français |
39,0% |
57,8% |
11,1% |
38,5% |
Le recul
relatif de la position française sur le marché de l'exploitation
en salles a un caractère conjoncturel. En revanche, l'évolution
observée dans le secteur de la télévision est liée
au développement des nouvelles chaînes cinéma du
câble et du satellite qui, s'il contribue à accroître les
recettes du cinéma français, profite plus encore aux films
américains.
L'accroissement des exportations de films est loin de compenser celui des
importations :
Le déficit commercial de la France dans le
secteur du cinéma, qui était de l'ordre de 170 millions d'euros
(1,1 milliard de F) en 1996, se situait autour de 260 millions d'euros
(1,7 milliards de F) en 2000107(
*
).