TROISIEME TABLE RONDE : LA RESPONSABILITE DU SCIENTIFIQUE

M. LE PRESIDENT - Monsieur PANET, membre de l'Académie des Technologies, je vous donne la parole, en vous demandant de vous en tenir aux dix minutes qui vous sont imparties, car la matinée avance.

M. Marc PANET, Académie des Technologies - Merci Monsieur le Président, je vous remercie de nous avoir invités et j'essayerai de tenir ces dix minutes, peut-être d'autant plus facilement que de nombreuses choses que je voulais dire, ont déjà été exprimées par les intervenants précédents.

L'Académie des Technologies est une jeune académie qui n'a pas pu émettre un avis formel, mais les avis que je vais exprimer ici ont été discutés au sein de comités et sont, je crois, partagés par bon nombre de mes confrères.

Les membres de l'Académie de Technologie sont évidemment très favorables à la prise en compte de la sauvegarde de l'environnement et à leur inscription dans des textes constitutionnels.

Il y a cependant un certain nombre de préoccupations et d'interrogations dont bien entendu la commission présidée par le Professeur COPPENS a déjà discuté.

De ce projet émergent deux concepts nouveaux largement diffusés par les média : celui du développement durable et celui du principe de précaution.

Ces concepts novateurs méritent attention et un examen avec pondération et un sens de la mesure qui ne sont généralement pas l'apanage des intégrismes.

Je voudrais vous parler successivement du développement durable et du principe de précaution.

En ce qui concerne le développement durable, il est largement fondé sur l'existence d'un patrimoine naturel transmis de génération en génération et dont chaque génération est responsable vis-à-vis des générations qui lui succèdent.

Il faut éviter d'avoir tendance à attribuer à la nature un caractère de pérennité et d'immuabilité qui est contredit par toutes les données scientifiques, mais ce n'est pas au Professeur COPPENS, ni sans doute aux membres de votre comité, que j'apprendrai quelque chose.

Nous pouvons également remarquer qu'une interprétation trop stricte de ces notions, d'une transmission intégrale du patrimoine naturel, devrait interdire à toutes les générations présentes et futures, l'exploitation de toute ressource non renouvelable.

En ce qui concerne les atteintes portées à l'environnement actuel et futur par les actions anthropiques, elles peuvent évidemment - et tout le monde a en tête en particulier l'effet de serre - nécessiter des politiques vigoureuses pour les contrôler. Toutefois ces actions anthropiques doivent être évaluées avec soin et ne pas être surévaluées à travers le prisme déformant de l'anthropomorphisme.

Bien que la population mondiale ait connu une progression très forte au cours du dernier siècle, les activités humaines se concentrent dans des zones limitées de la planète et notamment dans les agglomérations urbaines où la sensibilité aux actions anthropiques est exacerbée.

Je parle ici sous le contrôle de l'Académie des Sciences ; si nous prenons l'exemple des émissions anthropiques de carbone, elles sont évaluées, je crois, à 6 GT/an dans un flux global naturel de 160 GT/an. Elles représentent donc moins de 4 % du flux naturel.

Une des questions fondamentales posée par le développement durable est celle de la prise en compte des conséquences positives ou négatives des actions actuelles.

La rationalité des choix économiques se fait au moyen d'une analyse des coûts et des bénéfices actualisés au moyen d'un taux d'intérêt. Cette rationalité purement économique est actuellement contestée, car elle ne prend pas suffisamment en compte le long terme et, en particulier, les dommages irréversibles à longue échéance.

Un bénéfice de 1 M€ attendu dans cent ans au taux de 3 % n'autorise une dépense actuelle que de 40 000 €. Et si ce bénéfice est attendu dans mille ans, il ne mérite même pas qu'on lui consacre 0,01 €.

L'émergence de cette notion du développement durable devrait conduire à définir d'autres méthodes objectives de choix permettant d'appréhender des échelles de temps plus longues.

Comment juger entre des bénéfices immédiats, des bénéfices futurs ou des bénéfices à très longue échéance ?

La manière dont sera traitée la question des déchets nucléaires à vie longue sera, à cet égard, pleine d'enseignements sur la capacité d'une société à exprimer des choix démocratiques, sur la base de connaissances objectives, et non sur des peurs irrationnelles entretenues subjectivement.

Vis-à-vis de dommages futurs incertains, deux attitudes sont possibles et elles comportent toutes les deux des risques.

La non-action peut, bien entendu, avoir pour conséquence que des risques anticipés se produisent effectivement. Mais l'action qui s'avère inutile peut avoir également des conséquences très néfastes qui n'ont pas été anticipées ou différer l'application de technologies qui auraient constitué des progrès certains.

Le principe de précaution doit effectivement se fonder sur une expertise qui fasse autorité. Mais si la prévention s'applique à des risques avérés, la précaution, elle, s'applique à des risques virtuels.

Or l'expertise elle-même pose problème. Un expert, dans son domaine de compétences, doit savoir établir les frontières entre le vrai, le faux et l'incertain. Mais vis-à-vis de l'incertain, il ne peut exprimer qu'une opinion personnelle, empreinte toujours de subjectivité et donc nécessairement controversée par d'autres experts.

Les opinions divergentes exprimées par les experts sur des sujets relevant de la précaution, créent nécessairement des doutes dans l'opinion publique sur la capacité du monde scientifique et engendrent des réflexes de méfiance.

Par ailleurs, la notoriété que donne la fréquentation des média par certains experts, peut conduire ceux-ci à outrepasser leurs domaines de compétences.

Aussi, les sociétés développées qui ont été à la base de progrès considérables au cours des siècles passés, rechignent maintenant devant les avancées scientifiques et technologiques et semblent de plus en plus privilégier des attitudes malthusiennes, dont le principe de précaution risquerait d'être le témoignage.

Enfin - et cela a déjà été évoqué -, parmi les conséquences que nous pouvons craindre du principe de précaution, nous ne pouvons pas écarter la multiplication des contentieux en matière de responsabilité civile et des poursuites pénales diligentées à l'encontre des décideurs publics et privés.

Cette tendance actuelle à la recherche de responsabilités peut conduire des décideurs à faire un usage abusif du principe de précaution. Il y aurait grand risque à ce que le principe de précaution devienne un principe juridique.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci, Monsieur PANET !

Monsieur Philippe GILLET, directeur du département des sciences de l'Univers du CNRS, je vous demande, comme à votre voisin, d'intervenir en dix minutes.

M. Philippe GILLET, Directeur du département Sciences de l'Univers CNRS - Merci, Monsieur le Président !

Beaucoup de choses ont déjà été dites ce matin, en particulier par Madame GUILLOU et Madame CORDIER ainsi que par mon prédécesseur sur le rôle important que doivent jouer les scientifiques dans ces problèmes d'environnement.

Je crois qu'ils l'ont toujours fait parce que si nous résumons le fonctionnement de la science en matière d'environnement, nous pourrions le ramener à trois mots :

- Alerte : ce sont souvent les scientifiques qui sont les moteurs de l'alerte des problèmes d'environnement.

- Réparation : ce sont souvent les scientifiques qui essayent, quand ils le peuvent, de mettre en place la réparation de l'environnement au travers des technologies nouvelles.

- Prédiction : c'est un métier nouveau qui apparaît ; on leur demande de prédire l'avenir ce qui n'était pas quelque chose de vraiment bien ancré dans la démarche scientifique. C'est une nouvelle dimension que l'on demande aux scientifiques, à savoir prévoir l'avenir et le prévoir avec un degré de fiabilité important parce que leur démarche devra être intégrée dans la décision publique.

Il y a donc une forte responsabilité. Nous pouvons donner deux exemples où nous pouvons voir qu'entre le mécanisme d'alerte, celui de prédiction et la décision publique, la décision politique, il y a des fossés parfois.

Dans certains cas le système fonctionne. Je peux vous citer le cas de la destruction de la couche d'ozone pour laquelle l'alerte a été donnée par les scientifiques et la décision publique s'est établie sur une échelle de temps de dix ans, ce qui est assez remarquable.

Nous pouvons également prendre le changement climatique. Si nous regardons les archives, nous voyons que les premières alertes datent du XIXe siècle quand Arrhenius avait été déjà signalé que le développement économique et, en particulier, le développement industriel par consommation des ressources fossiles en pétrole, allait forcément jouer un rôle sur l'évolution climatique de la planète. Plus d'un siècle après, la décision n'est toujours pas prise, la décision politique n'a pas suivi alors que l'alerte scientifique avait été donnée. Ce n'est pas que je veuille exonérer les scientifiques de tout, mais il y a quand même ce mode de fonctionnement qui est important.

S'impliquer dans la décision publique, c'est s'impliquer dans les principes que nous discutons dans cette Charte, qui sont les principes de précaution, de prévention. Je crois que le rôle des scientifiques va devoir rester le même, c'est le principe d'alerter, le principe d'aider à réparer et le principe de prédire.

Cela passe - et cela a été signalé tout à l'heure - par un investissement pour la recherche, c'est évident, et un investissement à long terme parce que les problèmes d'environnement ne sont pas des problèmes de technologie du quotidien - ce n'est pas améliorer les problèmes de communication - mais c'est très souvent du long terme.

Suivre l'évolution des milieux est un problème compliqué. C'est un problème qui se pose à différentes échelles d'espace. Madame GUILLOU évoquait tout à l'heure l'aspect national d'un territoire, l'influence de l'agriculture sur l'érosion des sols. Mais le problème se pose également à l'échelle planétaire.

Il y a aussi différentes échelles de temps qui sont liées au fonctionnement de notre planète. Notre planète est faite d'air, d'oxygène et de sol ; tout ceci ne bouge pas à la même vitesse, ne se transforme pas à la même vitesse. Donc les problèmes doivent être sériés.

Je crois donc qu'il y a un effort très important à faire pour mieux comprendre les milieux dans lesquels nous vivons et sur lesquels nous aurons une action.

Le rôle de la recherche, dans les années à venir, sera d'observer les milieux, de les comprendre beaucoup mieux que nous ne les comprenons à l'heure actuelle. Je peux en effet vous certifier, que dans quelques-uns de ces domaines, notre degré de connaissance est vraiment proche de zéro, tant ces milieux sont complexes.

En ce qui concerne l'aspect réparation, je suis un peu moins inquiet. La technologie a très souvent réussi à suivre, mais après. La technologie suit, mais n'anticipe pas forcément les changements de l'environnement.

Je crois que là aussi, les chercheurs doivent continuer leurs efforts sur les techniques de procédés, mais aussi sur les techniques de normes, de mesurabilité des choses. Vous évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président, par exemple, le degré zéro d'un polluant. Le degré zéro n'existe pas. De toute façon, plus les techniques de mesure évoluent, plus nous arriverons à détecter des éléments chimiques, des polluants. Il faudra que, là aussi, il y ait cette espèce de porte ouverte à ces normes et que les chercheurs s'impliquent de plus en plus à la détection vraiment poussée de tous ces éléments chimiques ou composés qui se retrouvent dans l'organisme terrestre.

Je voudrais également signaler que l'environnement n'appartient à personne, il n'y a pas de discipline scientifique dite de l'environnement. L'environnement n'est pas une science qui appartient à quelqu'un.

Il est important que la communauté scientifique prenne ce problème à sa réelle dimension, c'est-à-dire intègre l'ensemble des approches, qu'elles soient des sciences dures telle la physique, la chimie, le fait de comprendre les milieux, mais aussi des sciences humaines et sociales pour lesquelles il faut qu'il y ait vraiment - cela a été évoqué plusieurs fois - aussi une acceptation par les personnes des problèmes d'environnement. Je crois que c'est, là, un travail très important des sciences humaines et sociales dans leur grande diversité.

Le dernier point est que je suis fasciné par les problèmes d'éducation et d'éducation à la science.

J'ai vécu ceci quand je me suis un peu occupé des programmes des lycées. Faire intégrer ces problèmes d'environnement dans l'éducation est un réel challenge parce que l'environnement n'appartient pas à une discipline alors qu'en France, notre enseignement a la particularité d'être extrêmement disciplinaire. Quand l'élève sort du cours de mathématique, c'est fini, il est ailleurs. Et si jamais quelqu'un des sciences humaines et sociales utilise les mathématiques, il y a une confusion dans l'esprit de l'élève, paraît-il.

Il y a donc une vraie réforme à faire pour pouvoir enseigner l'environnement.

Vous ne pouvez pas le faire enseigner ainsi. Il faut qu'il y ait une compréhension de la physique, de la chimie, d'enjeux sociaux. Il faut donc trouver un mode nouveau pour faire passer le message au niveau de l'enseignement scolaire.

Il faut trouver un nouveau mode d'éducation pour faire passer ces grandes questions de société au niveau de l'enseignement et je pense que cela passe probablement par une désectorisation disciplinaire de notre enseignement, mais c'est un point de vue très personnel.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci beaucoup Monsieur GILLET !

Madame BENOIT-BROWAEYS de l'Association des journalistes scientifiques et de la presse d'information, vous avez la parole.

Mme Dorothée BENOIT-BROWAEYS, Association des journalistes scientifiques de la presse d'information - Merci de nous donner la parole ! Bonjour à tous !

Merci à l'Office parlementaire d'avoir invité à ses auditions l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information, l'AJSPI, qui comprend 250 membres que je vais, ici, représenter.

D'emblée, je voudrais pourtant poser une question sur notre participation à ces auditions.

Pourquoi l'Office parlementaire considère comme important de solliciter des journalistes dans ses auditions consacrées à la Charte pour l'environnement ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Quelle est l'approche particulière des journalistes qui intéresse l'Office ?

Peut-être est-ce notre positionnement à l'interface et j'ose espérer que c'est le cas puisque je voudrais développer un certain nombre de points centrés sur l'intégration des données.

Il me semble, depuis ce matin, que si un certain nombre de difficultés existent pour régler ces problèmes d'environnement, c'est que nous avons affaire à des données scientifiques, à des données économiques, à des données politiques. Pour les journalistes qui ont ces ingrédients là au quotidien, c'est une acrobatie permanente. Plus les chercheurs auront une attitude spécialisée, spécifique, n'intégrant pas une vision permettant d'avoir un sens à leur recherche, de donner une perspective d'interprétation, plus les journalistes se trouveront démunis et auront des difficultés à faire leur métier.

Je voulais également poser ce préambule parce que notre présence ici n'a pas du tout été évidente au sein de l'Association. Certains d'entre nous considéraient en effet que ces auditions étaient faussées.

Ces auditions peuvent être considérées comme telles dans la mesure où effectivement, nous ne voyons pas ici la présence de la société civile. Cela peut être interprété par une vision de l'Office parlementaire, une vision de l'expertise qui nous semble peut-être un peu dépassée ou peut-être à réfléchir ensemble.

En tout cas, l'expression des associations et de la société civile ne peut plus être une affaire qui intervient en aval des questions, elle ne peut plus être considérée comme une interrogation sur l'acceptabilité.

Dans l'expertise, nous sommes une société entière et nous ne pouvons plus indéfiniment considérer que les problèmes sont à analyser un par un jusqu'au bout.

Dans cette audition, nous voulons donc défendre l'idée d'une expertise qui intègre non pas une démocratie participative, mais peut-être une démocratie initiatrice de questions.

Encore une fois, de notre quotidien, nous constatons en permanence que les scientifiques répondent à des questions qui ne sont peut-être pas les plus pertinentes pour la société civile.

C'est un dialogue de sourds auquel nous assistons - l'exemple des OGM l'a montré - et le dernier exemple est celui de l'Académie des Sciences qui fait une expertise extrêmement ardue, tout à fait intéressante sur le plan scientifique, mais qui n'est peut-être pas pertinente au stade où nous en sommes concernant les OGM. C'est donc la question de la pertinence.

Pour ne pas trop prendre de temps, je voudrais aborder trois points qui nous semblent très importants, trois problématiques dans lesquelles expertise et participation s'articulent difficilement :

- Les capacités d'expertise et de vision intégrée dans les dossiers environnementaux ;

- Le cadre juridique qui permet ou empêche les alertes sanitaires de façon libre ; c'est le problème de la protection juridique des personnes qui peuvent alerter ;

- Le défi représenté par l'information, avec ses dimensions pédagogiques, explicatives, sur les enjeux et les intérêts sociaux et politiques en présence.

Nous entendons effectivement peu parler aujourd'hui des questions des intérêts. Ce qui pose un problème dans l'arbitrage et dans l'application dont vous parliez, Madame, tout à l'heure, ce sont bien les divergences d'intérêt. Elles font qu'il faut effectivement arbitrer et appliquer de façon stricte.

En ce qui concerne la capacité d'expertise et de vision intégrée pertinente, j'ai quelques questions à poser, notamment aux représentants des organismes de recherche ici présents, sur le déclin - et c'est un petit mot de parler de déclin - de l'expertise, en tout cas des compétences éco-toxicologiques en France.

C'est impressionnant, j'ai une liste sous les yeux des fermetures d'unités :

- L'INSERM a supprimé, il y a dix ans, sa seule unité de toxicologie des aliments et boissons dirigée par Roger DERACHE.

- L'équipe spécialisée dans les métaux lourds de Claude BOUDÈNE, Faculté de Pharmacie de Châtenay-Malabry est supprimée.

- Le CNRS a aussi fermé en 1995 :

. L'Unité de recherche sur la toxicologie des micotoxines de Charles FRAYSSINET,

. Son groupement de recherche GDR sur l'impact des hydrocarbures, ce GDR n'est pas renouvelé.

- L'INRA :

. A reconverti son équipe de sécurité sanitaire de Jouy-en-Josas vers la nutrition,

. A fermé, il y a deux ans, son unité de recherche sur les additifs de Dijon.

Les universités ont délaissé le secteur :

- Bordeaux I a fermé le laboratoire de toxicologie élémentaire de contaminants organiques de Jean-François NARBONNE qui était quand même quelqu'un d'assez reconnu.

- Le laboratoire spécialisé dans les additifs alimentaires de Georges de SAINT BLANQUAT à Agen a fermé.

- Le laboratoire de toxicologie du CNAM a été réorienté vers l'épidémiologie.

- L'ancienne Unité JAYLET à Toulouse est fermée.

- Le laboratoire de François RAMADE connu au niveau international à Orsay est fermé.

Triste bilan. En ce qui concerne les formations d'étudiants, Paul VASSEUR avec son DEA à Nancy a beaucoup de mal à le faire survivre. Aussi je pose une question. Comment se fait-il qu'à un moment où tout le monde appelle l'expertise de ses voeux, nous avons une telle situation ? J'aimerais un peu comprendre. Comment peut-on comprendre les pollutions chroniques, les problèmes extrêmement complexes de l'environnement dans une situation où toute cette capacité est en déliquescence largement démontrée par cette énumération ?

Au sujet des structures, vous avez vu l'année dernière mettre en place une Agence sanitaire environnementale, l'AFSE, qui a un budget tout à fait ridicule, de 5,6 M€, soit dix fois moins que celui de l'AFSA. Contrairement à ce qui avait été demandé par le Sénat, cette Agence n'est pas adossée à l'INERIS, alors que l'AFSA s'est appuyée, en son temps, sur le CNEVA.

Nous voyons mal la manière dont cette agence peut jouer un rôle fédérateur et surtout intégrateur de travaux dans ce contexte puisqu'encore une fois, il me semble que nous avons une difficulté importante dans l'intégration des données, la mise en perspective.

J'y viens aussi dans un troisième point, la perspective des sciences citoyennes.

Dans l'organisation de la recherche et l'orientation des programmes de recherche, écoute-t-on les priorités du public et les orientations qui semblent importantes pour le public ?

En ce qui concerne les questions de cancer et d'environnement - j'y reviendrai tout à l'heure -, nous pouvons nous étonner de l'absence de poursuite de travaux assez avancés dans ce domaine. Nous pouvons nous demander si c'est parce qu'il n'y a pas de produits à vendre. Il est en effet plus facile de faire de la génomique parce qu'on peut vendre des tests génétiques. Est-ce vraiment le besoin du citoyen ? Ce n'est pas aussi sûr, il faudrait donc quand même écouter les priorités des citoyens.

Mon deuxième volet concerne le cadre juridique.

J'essaye de simplement mettre l'accent sur les structures. Il y a de nombreux problèmes, mais si nous avons une telle difficulté à avancer et que nous multiplions les expertises, c'est bien parce que « nous pédalons dans la choucroute », nous n'avançons pas.

Il faut donc peut-être voir si les outils juridiques sont là.

Est-ce que les administrations travaillent à mettre en place une possibilité d'indépendance et une protection juridique des experts ?

En ce qui concerne cette indépendance des experts, j'ai cité tout à l'heure l'exemple de l'Académie des Sciences. C'est vrai qu'on peut toujours être étonné par la demande du public. Vous allez dire que j'insiste vraiment beaucoup sur cette question, mais que peut-on faire d'autre en tant que parlementaire que de représenter le public ? Je m'aligne sur la mission de l'Office parlementaire dans cette démarche.

Quand on a un problème important concernant les OGM, dont on sait que le coeur du problème se situe sur la juxtaposition des cultures différentes et les contaminations, qu'il est centré sur les questions de brevets, sur les séquences génétiques et de l'accès aux semences, comment peut-on considérer qu'un rapport - le vingtième ou le trentième - d'experts scientifiques sur les OGM peut véritablement avancer le dénouement, c'est-à-dire l'arbitrage politique ? C'est ma question.

Les experts eux-mêmes ont de plus en plus besoin d'argent privé. Il n'y a pas de mal à cela, c'est une situation qu'il faut considérer, qui demande une vigilance et une transparence accrue de la part de qui parle et avec quels intérêts engagés. Et ce, tout simplement pour savoir et non pas pour avoir une accusation. C'est simplement parce que dans un débat et une écoute réciproque, il est essentiel que l'on sache d'où parlent les uns et les autres, les différents acteurs.

Pour ce qui est des chercheurs qui repèrent des menaces importantes dont vous avez parlé, Madame, tout à l'heure, je voudrais demander s'il y a actuellement des travaux pour protéger juridiquement ces chercheurs en cas d'alerte sanitaire.

Par le passé, des risques liés aux éthers de glycol, à l'amiante, aux dioxines ont été minimisés et nous avons vu le temps qu'il a fallu pour qu'il y ait une mobilisation et une prise en compte des repérages et des questions.

Si nous voulons donner aux équipes spécialisées la capacité de mettre en garde vis-à-vis, par exemple, des substances oestrogéniques dont les effets sont actuellement difficiles à appréhender, mais qui sont une véritable question récurrente, si nous voulons permettre aux experts de travailler et de dire un certain nombre de choses, il faut organiser un cadre juridique protecteur, comme cela existe d'ailleurs chez nos voisins, aux Etats-Unis par exemple où vous connaissez le whistle blower's act qui permet ce type de choses.

Ensuite, sur le plan juridique toujours, je voudrais signaler au passage la question de la responsabilité environnementale.

Au plan européen, nous avons assisté l'année dernière à une réduction en peau de chagrin du projet de directive sur la responsabilité environnementale. Pourtant un certain nombre de choses avait été demandé dans le cadre du livre Blanc de février 2000 : un principe de pollueur-payeur avait été posé, la question de la charge de la preuve avait été mise en place. Tout ceci a été balayé et nous nous retrouvons avec quelque chose qui n'a plus beaucoup de portée.

C'est un peu classique de voir de telles choses se dégonfler et il est vrai que cela ne favorise pas la confiance du public dans l'arbitrage politique.

Il ne faudra bien sûr pas oublier les questions Nord-Sud sur le plan juridique. Et il est vrai que la question des brevets, avec les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, est tout à fait centrale en matière d'environnement.

Troisième volet. Evidemment, en tant que journaliste, je me dois peut-être de pointer les questions d'information en matière d'environnement.

Notre métier d'informateur est d'autant plus difficile que, comme je le disais tout à l'heure, l'intégration des données n'est pas travaillée en amont. Et j'aimerais bien que les scientifiques entendent ceci de façon extrêmement urgente.

Les analyses sont de plus en plus pointues et complexes à interpréter. Par exemple, les informations sur les seuils admissibles de polluants dans les fruits et légumes ou les contaminations d'OGM par des sites expérimentaux. Vous vous souvenez que c'était une affaire comportant un certain nombre de données qui avaient été remises par l'AFSA et qui étaient difficiles à interpréter. Ces résultats sont d'autant plus délicats à mettre en contexte que, comme je l'ai dit tout à l'heure, les scientifiques livrent des choses qu'ils ne savent pas eux-mêmes traduire en sens.

Il est vrai que, par définition, la démarche scientifique a besoin de réduire, de cadrer les choses, mais ce sont des situations qui ne sont pas réelles, qui sont celles travaillées par les scientifiques puisqu'on exclut des causalités qui peuvent être annexes. Or les citoyens ont besoin qu'on réponde à des questions réelles ! Je sais que c'est difficile, mais c'est bien l'ambiguïté de nos travaux.

C'est la portée d'un résultat qui intéresse le grand public ; il est possible effectivement de prouver qu'un OGM est bénéfique scientifiquement, mais si la question de sa gestion dans l'environnement n'est pas réglée, interdire sa culture semble parfaitement justifié ; ce n'est pas seulement l'expertise scientifique qui suffit.

On peut prouver que tel rejet d'usine est inférieur au seuil légal, mais lorsque trois usines rejettent au même endroit le même toxique, il y a un petit problème. Qui s'occupe alors de considérer la réalité du terrain ?

S'il est utile de faire un travail pédagogique dans nos supports de presse, il importe aussi de permettre une analyse des intérêts en présence et des éventuelles carences pour protéger l'environnement.

Moins cette mise en perspective est faite par les experts, plus le travail de raboutage des éléments du puzzle est ardu, avec des résultats variables et on attaque en général la presse en disant qu'elle fait des raccourcis.

Cela m'amène à conclure sur un point majeur - qui nous importe ici - à savoir la confiance réciproque, la confiance du public qui ne peut être respectée qu'à trois conditions :

- L'écoute des questions qui comptent dans notre société et non pas l'acceptabilité. C'est toute une autre façon de fonctionner. A ce sujet, je voudrais demander à l'Office de réfléchir à la possibilité d'avoir à ses côtés - comme il a déjà actuellement un Conseil scientifique constitué de vingt-quatre membres - un Conseil citoyen, un conseil en tout cas constitué de membres de la société civile. Ce conseil permettrait de poser, en France, une vision de l'expertise qui soit un questionnement en amont par la société civile de la recherche et de l'expertise.

J'ai signalé tout à l'heure au Président BIRRAUX l'exemple des Danois. Vous savez sans doute que la structure parlementaire - le Danish Board of Technology - qui a été créé par le Parlement Danois en 1995 - est rattachée au Teknologiradet qui produit un certain nombre de travaux, tout ceci en lien avec la population. Cela me semble être propice à un dialogue qui soit véritable.

- La deuxième condition, pour que cette confiance du public se développe, est bien la circulation des arguments dans les deux sens, c'est-à-dire une capacité de débattre sans masquage de controverses. A cet égard, il semble que le débat sur l'énergie est un peu escamoté. C'est vrai que cela n'améliore pas la confiance du public.

- Pour terminer, la procédure de décision doit être transparente pour qu'elle tienne compte des considérations non financières et d'un espace commun.

Je suis quand même un peu étonnée dans le débat que vous avez eu tout à l'heure entre industriels et vous, Madame PERRIN-GAILLARD, que l'on considère encore que c'est le monde public qui est garant du bien commun. Nous sommes dans une société, tous ensemble, et il semble important que les industriels se placent avec les mêmes obligations de transparence, de réparation des dommages. Ce n'est pas aux administrations de payer pour les dommages et c'est pourtant ce qui se profile dans la directive européenne. Ne chargeons pas trop la barque du public parce que la recherche publique n'a pas beaucoup de réserves et que ce n'est pas au public de faire le travail de remédiation. Je pense qu'il faut renvoyer chacun à ses responsabilités et intégrer les coûts environnementaux en amont pour les industriels, de façon que la confiance puisse être rétablie.

Nous voyons bien que le grand public a de plus en plus de mal à écouter les avis et ces propositions que je viens de faire me semblent peut-être intéressantes pour rétablir ces choses.

Merci !

M. LE PRESIDENT - Merci Madame. Nous ouvrirons le débat après l'intervention de Madame MAYO. A ce stade, je voudrais juste vous préciser deux ou trois points.

Le premier point est que nous devions discuter des principes d'information et d'éducation qui peuvent être liés aux principes qui seront introduits dans la Charte de l'Environnement. Et les journalistes sont encore les personnes les mieux placées pour l'information et pour être à l'écoute, à l'interface avec la société civile.

Pourquoi la société civile n'est pas représentée ? Il est difficile de définir la société civile, c'est comme inviter les générations futures à débattre. Nous sommes tous, à un titre ou à un autre, des éléments d'une société civile. C'est vrai que nous n'avons pas lancé un appel dans la presse et à la télévision en disant que la société civile était invitée à débattre à l'Assemblée Nationale aujourd'hui de la Charte de l'Environnement. Mais nous détenons tous une partie de ce qui est l'essence de cette société civile. Les journalistes, qui sont à cette interface entre les scientifiques et le public, nous ont paru être tout à fait intéressants à devoir s'exprimer.

Nous avons des méthodes de travail qui sont extrêmement ouvertes. Je ne sais pas si c'est de l'expertise indépendante, mais nous essayons d'avoir une pluralité de sources qui ont la certitude de pouvoir s'exprimer et qui nous permettent ensuite d'essayer d'avoir quelque jugement.

En ce qui concerne les Offices parlementaires, l'Office français est le seul avec l'office finlandais qui soit à 100 % parlementaire. Cela veut dire que ce sont les parlementaires qui sont en charge des études, qui les conduisent et qui signent les rapports et les conclusions des rapports. Ce n'est le cas d'aucun autre des Offices, y compris au Danemark. L'Office danois a un conseil d'administration avec des parlementaires et ensuite il va choisir, sur étagère ou par appel d'offres, des consultants qui organisent selon des méthodes appropriées - je connais la méthode danoise, elle est originale - les conférences dites de consensus. D'autres offices confient à des consultants privés le soin d'établir ces études.

Dernière remarque, après avoir lu le livre de Monsieur Paul van BUITENEN qui s'appelle Blowing the whistle, - je ne sais pas s'il a été traduit en français -, je dois vous dire comme on dit dans cette langue, que je suis devenu « reluctant » à tout livre produit par l'Union Européenne et ce, quelle qu'en soit la couleur.

Je le suis y compris aux livres produits par le STOA, Office parlementaire du Parlement européen, qui confie à des consultants le soin de faire des études. Permettez-moi d'être réticent quand on parle d'un certain nombre de livres qui peuvent sortir et ce, quelle qu'en soit la couleur, car j'ai toujours ce doute en ayant lu le livre de Monsieur Paul van BUITENEN. On l'a menacé, d'ailleurs, des pires foudres et on l'a même mis à pied en demi-traitement pour avoir voulu dénoncer la corruption à la Commission, qui a conduit à la chute de la Commission SANTER.

Avant d'arriver au débat, je vais donner la parole à Madame Carine MAYO !

Mme Carine MAYO, Association des journalistes pour la nature et l'environnement - Bonjour ! Je représente ici l'Association des journalistes écrivains pour la nature et l'écologie. En l'absence de notre Président, Claude-Marie VADROT, retenu en Irak, je vais vous lire un texte qu'il a produit.

« Après avoir d'abord été rayée de la liste des invités de cette journée pour « soupçon de militantisme », notre association de journalistes professionnels présents dans tous les médias français, après sa protestation, est finalement présente pour présenter son point de vue. Le point de vue de ceux qui informent, de ceux qui constituent le relais naturel entre les industriels, les organismes officiels et privés et les lecteurs de toutes sensibilités. Une activité de recherche de faits, de vérités multiples, une activité de recherche de transparence qui dans le domaine de l'environnement et de la protection de la nature est de moins en moins tolérée. Pour la plupart de nos interlocuteurs, il ne s'agit plus d'informer, mais de communiquer. Or, nous ne revendiquons qu'un militantisme, celui de l'information.

« L'auteur de cette déclaration, qui se trouve actuellement au Moyen Orient pour suivre la désastreuse guerre des hommes et des mots entre les forces anglo-américaines et le régime dictatorial et sanglant de Sadam Hussein sait à quel point la communication prend de plus en plus le pas sur l'honnêteté, sur la réalité, sur les faits, sur l'intérêt des citoyens et même sur leurs vies.

« Vous réunissez aujourd'hui, à propos de la prévention, du principe de précaution, de la participation, de l'information et du principe pollueur-payeur, un groupe d'entreprises et d'organismes, un groupe d'authentiques spécialistes puisqu'à de rares exceptions, organismes et industriels ont toujours cherché à nier tous ces principes, nous inondant depuis longtemps de dossiers expliquant que toutes les attentes d'une majorité des citoyens, telles que nous les trouvons dans le courrier de nos lecteurs, étaient contraires à la bonne marche de l'économie. Je pense notamment à Areva ou à Renault, l'Inra n'ayant découvert que bien récemment, sous la pression des journalistes et des citoyens, non pas les vertus, mais les obligations de la transparence, notamment dans une revue dont nous vous recommandons la lecture : « le courrier de l'Environnement » où des scientifiques savent faire la différence entre la propagande, les procès politico-économiques et la réalité de notre environnement naturel ou urbain.

« Aujourd'hui, nous constatons que toutes les associations de protection de la nature et de l'environnement, celles qui ont inventé les principes auxquels se réfèrent vos travaux et la Charte de l'Environnement, sont absentes de cette réunion.

« Or non seulement elles ont forgé ces notions, mais loi après loi, malgré les oppositions, elles ont essayé de les faire mettre en pratique, provoquant, à chaque fois, sur nos bureaux de journalistes, un déferlement, lui aussi préventif, de dossiers, de brochures, voire récemment de livres destinés à nous persuader que les protecteurs de la nature et de l'environnement ne sont que des utopistes, des rêveurs et évidemment des adversaires de la libre entreprise et des responsables du chômage.

« Pourtant, par exemple, la qualité et la fiabilité des informations que nous diffusons aujourd'hui sur les plantes transgéniques, ressemblent furieusement à celles que nous publiions à la fin des années soixante-dix sur le danger de la pollution par les nitrates. Les ricanements de cette époque se sont transformés en reconnaissance du problème. Et si vous relisez soigneusement les conclusions de la première conférence mondiale sur l'environnement organisée par les Nations Unies, en 1972, à Stockholm, vous y trouverez les premiers avertissements, tournés en dérision depuis vingt ans, sur le réchauffement de la planète.

« Non seulement, les associations de protection de la nature et de l'environnement ne sont pas présentes à votre audition et systématiquement écartées - nous en avons les preuves - des débats de préparation de la Charte de l'environnement, mais on n'y trouve pas non plus les scientifiques du Muséum National d'Histoire Naturelle, ceux qui ont permis, depuis 1793, avec leurs qualités et leurs défauts, de comprendre comment nous maltraitons notre environnement et la nature. C'est, au mieux, de votre part, un défaut d'information et au pire, toujours possible, l'illustration que la Charte de l'environnement n'est qu'un leurre et que ceux qui la préparent ne sont là que pour amuser la galerie et les journalistes.

« Comme je l'ai dit au printemps dernier à Madame Roselyne Bachelot lors de notre première rencontre, des Chartes de l'Environnement, j'en conserve quatre dans ma cave et il en existe peut-être encore plus dans les archives du ministère. Rédigées sous des gouvernements de droite ou de gauche, elles sont toutes remarquables et offrent au moins un point commun : elles sont restées lettre morte ; que celle que vous préparez soit destinée à être « adossée », l'expression est aussi amusante que vague, ne change rien à l'affaire à partir du moment où le débat a été biaisé. Depuis que les travaux sont en cours, nous n'avons jamais été consultés et la plupart des associations ne l'ont été que par le biais d'un formulaire administratif.

« Pour justifier notre scepticisme sur le fonctionnement parlementaire par rapport aux citoyens, je vais vous donner un dernier exemple.

« Au mois de novembre dernier, l'Assemblée nationale a constitué, un mardi matin, devant 33 parlementaires, une commission d'enquête sur le loup et le pastoralisme. Comme beaucoup des journalistes de notre association ont mené des enquêtes sur le loup, à charge et à décharge, selon les cas, comme nous avons dû, pendant des années faire le tri entre les informations et les rumeurs, nous avons demandé à ce que le président de notre association soit entendu par cette Commission. Courrier expédié en novembre puis renouvelé en février. A ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse de Monsieur Estrosi et des membres du bureau de la commission en question.

« Pourtant, jamais notre association n'a refusé le débat sur l'information : du Sénateur Lepeltier à Nicolas Hulot en passant par les responsables de Carrefour, de l'IPSN, de la Mission Effet de serre, de l'IFEN, des Ciments Calcia ou des Sociétés d'autoroute, pour ne parler que des plus récents, nous avons reçu tout le monde et écouté tous les points de vue, pour des échanges non biaisés.

« Alors, Mesdames et Messieurs, vous comprendrez que devant l'absence des associations qui sont les premières concernées, celles qui expriment une opinion et une demande des citoyens, devant l'absence de scientifiques du Muséum National d'Histoire Naturelle, nous ne pouvons que refuser de participer à votre débat, car cela reviendrait à cautionner une opération qui est déjà finalisée, une opération que vos invités d'aujourd'hui, nous le savons, ont simplement pour mission de rendre encore moins contraignante pour ceux que préoccupent l'avenir du territoire français et de la planète. »

M. COPPENS -  Je voudrais dire à Madame MAYO ou à la personne qui a écrit ce texte, que j'ai passé, moi, président de cette nouvelle Charte, parmi les nombreuses dont vous avez parlé, au Muséum d'Histoire Naturelle toutes les années entre 1969 et 1982. Dans ma commission se trouve Jean-Claude LEFEUVRE qui est professeur d'écologie au Muséum National d'Histoire Naturelle.

M. KLAPISCH - Monsieur Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS, qui est Président du Muséum, a dirigé une des tables rondes du colloque du 13 mars.

M. LE PRESIDENT - J'ajoute que l'association France Nature Environnement, membre de la commission, a bien entendu été invitée et si France Nature Environnement n'est pas là, ce n'est pas parce que je lui ai interdit l'entrée.

M. GILLET - Quand vous parlez, Madame, du Muséum d'Histoire Naturelle, la plupart des unités du Muséum sont conventionnées avec le CNRS. Comme ce sont des unités mixtes de recherche avec le CNRS, il n'est pas possible d'isoler le Muséum comme vous l'avez fait. Il fait partie du tissu de recherche française et il interagit avec les organismes de recherche, en particulier le CNRS.

Mme MAYO - Nous réagissions surtout par rapport à la liste des invités qui nous avait été communiquée, car il nous semblait qu'il manquait certaines personnes. C'est, peut-être, pour cette raison, aussi, que France Nature Environnement n'est pas venue aujourd'hui, parce qu'ils ont estimé que le débat était biaisé.

M. LE PRESIDENT - Avez-vous l'impression que le débat est biaisé ?

Si d'autres avaient voulu venir et si vous aviez voulu venir accompagnée de toute une délégation, vous seriez tous là. Il faut cependant avoir obligatoirement une certaine sélection dans les opinions. Vous représentez une opinion, vous vous êtes exprimée, cela ne signifie pas que, parce que tous ceux qui expriment la même opinion n'ont pas pu venir l'exprimer, nous nous sommes trompés. Il est difficile d'aller choisir tout le monde et nous n'avons pas lancé d'appel d'offres.

Vous avez apporté votre contribution et je vous dis merci pour votre contribution.

M. TUBIANA - Je voudrais tout d'abord discuter deux principes : celui de prévention et celui de précaution.

Je commencerai par la prévention simplement pour illustrer le fait que nous sommes très loin de la situation où tout ce qui serait souhaitable est fait.

Il y a cinq causes majeures de décès prématurés, qui, à elles seules, causent environ les deux tiers de l'ensemble des décès prématurés, c'est-à-dire des décès survenant avant 65 ans en France. Ce sont le tabac, l'alcool, l'obésité et les troubles de la nutrition, les accidents et les suicides.

Or, dans ces domaines, il n'est pas besoin d'approfondir les choses pour montrer que nous sommes très loin de faire tout ce qu'il faudrait faire.

Par exemple pour le tabac, nous avons voté une loi excellente, la loi Evin, or elle n'a jamais été mise en oeuvre faute de moyens pour le faire. Il suffit d'aller dans un restaurant pour constater qu'elle n'est pas observée.

Dans le domaine des suicides, c'est beaucoup plus grave puisque nous avons environ douze mille suicides par an en France. La prévention du suicide est possible, mais elle n'est pas faite au niveau où elle devrait.

Plusieurs rapports ont montré que si, après une première tentative de suicide, on prenait psychologiquement en charge la personne, on en éviterait énormément simplement parce que la première tentative réussit rarement. Nous avons préconisé cette prise en charge psychologique, mais faute de moyens, elle est très loin d'être réalisée.

Donc le fait évident est que tout ce qu'il serait utile de faire contre des risques avérés n'est pas fait.

Le deuxième point est que le coût est extrêmement variable selon le risque.

Dans le domaine du risque médical, le coût moyen de la vie épargnée est de 19 000 € par an, avec des différences énormes. Par exemple le coût de la vie épargnée pour éviter un cancer du col de l'utérus par les frottis, est d'environ 3 000 € par an, donc une somme relativement faible. Au contraire à l'autre extrême, le traitement d'une leucémie par greffe de moelle - je n'en dirai pas de mal puisque j'ai été un des promoteurs de cette technique - coûte environ 200 000 € par an. Ceci montre qu'il y a une extrême variabilité des coûts.

Si on passe de la prévention des risques médicaux, par exemple, à la prévention des risques dus aux accidents, nous passons d'un chiffre de 19 000 € par an à un chiffre de 350 000 € par an.

Si nous passons à un risque dit environnemental, c'est-à-dire lié à la présence dans l'environnement de certains toxiques, nous sommes à 2,8 M€.

Nous passons de 3 000 € par an pour la prévention du cancer à 2,8 M€ en moyenne pour la prévention des risques environnementaux, et encore ce chiffre de 2,8 M€ recouvre une très grande variabilité, puisque dans certains cas, comme la prévention de certains risques chimiques, nous arrivons à plusieurs milliards d'euros par an.

Si j'insiste sur ces données, c'est simplement pour montrer que dans un choix, une politique de prévention, nous sommes obligés de prendre deux facteurs, deux critères en compte ; le premier, le rapport coût/efficacité, et le second, l'acceptabilité par le public.

Il est évident que nous ne pouvons pas nous contenter du rapport coût/efficacité. Il faut introduire une autre notion, à savoir si la mort est acceptable ou ne le paraît pas.

Je prendrai un seul exemple, celui des maladies nosocomiales. Quand on entre dans un hôpital pour se faire opérer d'une maladie très bénigne et qu'on y décède de septicémie, c'est un risque qui, moralement, est extrêmement peu acceptable. De ce point de vue, la lutte contre les maladies nosocomiales dans les hôpitaux est évidemment une priorité. Et nous pourrions en citer beaucoup d'autres.

Si je passe maintenant de la prévention à la précaution, nous retrouvons exactement les mêmes notions.

Le but de la précaution est de lutter contre les risques incertains. Tout le principe et la politique de précaution sont basés sur l'idée qu'avec la précaution nous allons raccourcir le délai entre la première alerte et la mise en oeuvre de mesures efficaces.

Si nous analysons - ceci a été fait dans plusieurs circonstances et notamment il y a quelques mois dans une réunion entre l'OMS et la Commission Européenne -, nous ne trouvons aucun exemple probant où le principe de précaution a réellement raccourci ce délai.

Qu'il s'agisse de la maladie de la vache folle, du sang contaminé ou encore de tous les autres problèmes qui se sont posés sur le plan sanitaire au cours de ces dernières années, les mesures efficaces n'ont pu être prises que lorsque les connaissances scientifiques ont permis la prise de mesures efficaces.

Malheureusement - je dis malheureusement car le contraire aurait été extrêmement heureux - le principe de précaution n'a raccourci le délai dans aucun de ces cas. Cela veut-il dire qu'il faut abandonner le principe de précaution ? Non, bien entendu !

Le principe de précaution a des côtés excellents, celui d'exiger une expertise scientifique devant tout risque, même incertain, même peu plausible. Je crois qu'il est excellent que nous nous posions la question et que nous posions la question à des experts scientifiques compétents.

De la même façon, la transparence des rapports scientifiques est fondamentale. La prise en compte dans les rapports de ces commissions d'experts des opinions minoritaires est aussi quelque chose de fondamental.

Enfin, dans le processus de prise de décision, qui est complètement indépendant du processus d'expertise, et il faut que les deux soient indépendants - il est absolument fondamental qu'il y ait un exposé des motifs expliquant clairement pourquoi nous avons pris telle ou telle décision et pourquoi nous n'avons pas pris telle ou telle décision.

De ce point de vue, je crois que nous parlions tout à l'heure de la nécessité d'une protection juridique de l'expert. Je dirai d'abord qu'il est tout à fait évident qu'il faut protéger l'expert ce qui n'est pas toujours le cas. Je prendrai un seul exemple qui, personnellement, m'a beaucoup choqué, celui de la façon dont le Professeur DOUCE, qui a rédigé le rapport sur les OGM, a été mis en cause personnellement. Il l'a été d'une façon que je juge totalement idiote. Et ce, au point qu'il a été obligé de protéger ses enfants contre les menaces dont ils faisaient l'objet. Il a été accusé de toutes sortes de choses. On a tout simplement dit que l'Académie des Sciences et l'Académie de Médecine étaient des « vendus » et qu'elles avaient pris cette position simplement parce qu'elles avaient des intérêts financiers avec l'industrie, ce que personne bien entendu n'avait jamais mis oeuvre. Il faut vraiment qu'on soit bien pauvre en arguments scientifiques pour recourir à ce type d'arguments.

Ceci montre en tout cas qu' il est nécessaire de protéger les experts et d'éviter de telles exploitations personnelles contre un expert quand il ne dit pas ce que certains attendent.

Et je crois que c'est un phénomène absolument fondamental et de la même façon, il faut protéger celui qui prend les décisions.

Quand je vois la façon dont sont attaqués certains ministres ou certains responsables administratifs à la suite d'une prise de décision, où on les met personnellement en cause parce qu'ils n'ont pas pris la décision que certains auraient voulu qu'ils prennent, je pense - et ce sera dit dans le rapport de l'OMS - que la première chose et la plus fondamentale est de protéger les décideurs contre certaines accusations totalement infondées.

Ceci dit, j'en reviendrai au principe de précaution. Je pense que l'anticipation est fondamentale. Non seulement il faut une expertise scientifique, mais il faut qu'elle débouche sur la recherche.

Je prendrai un seul exemple, celui de la maladie de la vache folle.

Il y a quelques années, nous redoutions 150 000 décès en Angleterre et plusieurs milliers en France. A ce moment là, pour la science, la barre d'erreur - c'est-à-dire l'écart entre la valeur moyenne et les risques minimaux ou maximaux - était entre zéro et 150 000. Grâce aux travaux qui ont été faits et en particulier en France, actuellement la barre d'erreur est entre zéro et 1 000 décès pour l'Angleterre et entre zéro et 25 ou 30 décès pour la France.

Nous avons donc fait des progrès. Nous sommes toujours dans l'incertitude, je suis tout à fait de votre avis, l'incertitude est liée à la science et elle ne disparaîtra jamais, mais nous la réduisons.

Le propre de la science est d'être capable de réduire progressivement cette incertitude. Reconnaître l'incertitude et chercher les façons dont on peut la limiter, est ce qui fait la grandeur de la science.

J'en reviens aussi au fait - et je répondrai à mon confrère de l'Académie des Technologies - que l'incertitude n'empêche en aucune façon l'évaluation du coût et de l'efficacité. Il y a simplement une certaine marge de variation dans l'évaluation du coût et de l'efficacité.

Lors de cette réunion qui a duré plusieurs jours - une discussion utile doit malheureusement s'étaler sur plusieurs jours -, nous avons mis en évidence le fait qu'il fallait prendre plusieurs types de critères dans le principe de précaution :

- La plausibilité du risque ;

- La grandeur éventuelle de ce risque avec les limites de ce risque;

- Le coût/efficacité de toutes les mesures envisagées.

La mise en oeuvre d'un principe, qu'on l'appelle d'anticipation ou de précaution, doit être fondée sur quelques règles et quelques critères extrêmement simples. Mais de toute façon, elle doit déboucher sur ce qui est fondamental, ce qui est la seule façon de progresser, c'est-à-dire sur la recherche. Tant qu'il n'y a pas de connaissances, il ne peut pas y avoir d'action efficace. C'est ce que nous a démontré l'analyse de tous les risques qui ont été étudiés au cours de ces dernières années.

Je reconnais donc - et il faut le reconnaître - qu'il y a des débats et dans un pays démocratique, il est excellent qu'il y ait des débats. Il faut que ces débats soient organisés et qu'ils le soient autour de quelques critères simples.

C'est la raison pour laquelle, à l'Académie des Sciences et à l'Académie de Médecine, nous avons pensé qu'il fallait un lieu de débat qui soit un endroit où on organise des débats et où on leur consacre tout le temps nécessaire pour qu'on finisse par se comprendre. Ceci peut prendre quelques heures, quelques jours ou quelques mois, mais on peut toujours y arriver si on est patient. Il faut qu'il y ait un lieu qui organise ce type de débat.

Avant de laisser à mon confrère et ami PETIT le soin de vous lire les conclusions auxquelles nous sommes arrivés à l'Académie des Sciences et à l'Académie de Médecine, je veux dire qu'il y aurait beaucoup de risques à introduire le principe de précaution dans des lois organiques ou a fortiori dans la Constitution parce que cela faciliterait toutes les tentatives de blocages. En effet, en vertu de la Constitution ou de la loi organique, n'importe qui pourrait attaquer les mesures prises, voire même mettre en accusation ceux qui auraient pris ce type de mesures.

Merci !

M. LE PRESIDENT - Merci Professeur TUBIANA !

Avant de donner la parole aux autres intervenants qui sont inscrits, le Professeur COPPENS qui doit nous quitter aimerait nous faire une communication.

M. COPPENS - Merci, Monsieur le Président !

D'abord, je voudrais vous prier de m'excuser - mais je ne pouvais pas faire autrement -, de vous avoir laissé, de nous avoir laissé débattre sur la Charte sans la Charte, c'est très désagréable, mais la situation m'échappait.

Je suis également désolé de faire des conclusions avant la fin.

Je voudrais dire que la notion d'anticipation ne nous avait pas échappé, Monsieur de GOUTTES en a parlé et Monsieur TUBIANA également à l'instant.

Je voudrais dire aussi que la transparence, la concertation, l'information dont ont parlé Madame BENOIT-BROWAEYS, Monsieur de GOUTTES, Monsieur FOREST, Monsieur TUBIANA, bien sûr ont fait partie de nos soucis, cela va de soi. Elles ont aussi besoin de se développer.

La dimension internationale, dont a parlé Monsieur de GOUTTES, nous souhaiterions l'atteindre mais nous avions une mission qui avait pour cadre le Gouvernement de la France et donc elle ne concernait, en première approche, que la dimension nationale. Il est évident que l'herbe ne s'arrête pas aux frontières et les petits oiseaux et papillons non plus. Nous aimerions donc beaucoup pouvoir atteindre cette dimension internationale, mais nous n'avons cependant pas osé faire tout de suite une Charte de l'Environnement pour la terre tout entière, cela aurait sans doute été un peu prétentieux.

L'alerte, la vigilance, oui aussi bien sûr ! Nous avons pensé à une veille, à des institutions de veille. Monsieur FOREST, Madame CORDIER, Monsieur GILLET en ont parlé et Monsieur TUBIANA également. Nous avons même pensé - cela doit apparaître dans notre rapport - à une instance d'évaluation. Il est, en effet, très important d'avoir des experts et avant que le législateur ne s'exprime de savoir de quoi il s'agit ou, en tout cas, d'avoir au moins une instance d'évaluation consultative.

J'ai bien retenu le souci de Monsieur LEPEU, de Monsieur BIRRAUX, de Monsieur PANET de faire attention à ne rien figer, bien entendu. Nous savons bien que le développement n'est pas aussi durable que cela. Et comme je le disais - ce n'était pas une plaisanterie - l'autre jour à Monsieur COCHET, j'avais proposé à Madame la Ministre de l'Ecologie d'appeler son ministère - le Ministère de l'Ecologie et du développement d'une certaine durée. Elle m'a répondu que politiquement, ce n'était quand même pas très rassurant. Nous gardons donc durable et après tout, même si la traduction des termes « sustainable » par durable n'est pas satisfaisante, il apparaît dans de nombreux textes internationaux.

Monsieur TUBIANA a parlé d'exposé des motifs, oui. Notre rapport comporte cinquante pages d'exposé de motifs, nous y avons pensé ! Et ce n'est pas pour autant malheureusement que nous avons fait le tour du sujet, mais nous avons vraiment fait ce que nous avons pu.

Monsieur TUBIANA disait aussi que quelques jours étaient nécessaires à une discussion. Nous avons travaillé quelques mois, nous en avons eu dix. Nous n'avons pas fait des merveilles, mais nous avons essayé de réfléchir honnêtement. Nous avons beaucoup travaillé et même si, comme disait Madame MAYO, il y a de très nombreuses chartes dans les cavernes, et que notre charte viendra s'ajouter aux autres, comme je fréquente les cavernes, je saurai la mettre sur le haut de la pile.

Des propos de Madame GUILLOU, j'ai relevé quelque chose de très intéressant : toutes ces réflexions déplacent les limites entre le champ des sciences et celui de la décision. Nous ne mesurons pas encore la limite de ce déplacement, mais c'est très intéressant et important. Il y a incontestablement un rapprochement de la science et de la société.

A cet égard, je reprendrai ce que disait Madame BENOIT-BROWAEYS, il y a souvent disharmonie entre science et société. Je pars à l'instant pour un colloque dont le titre est Science et société. Vous voyez que cela me préoccupe et c'est sans doute une meilleure information, une meilleure concertation qui rapprocheront ces points de vue.

Il est cependant vrai que les scientifiques travaillent de leur côté - j'en suis un -, la société vit du sien et, parfois, les rapprochements sont compliqués parce que chacun a ses objectifs qui ne sont pas forcément les mêmes. En l'occurrence, dans cette réflexion d'aujourd'hui, dans cette réflexion de ces dix mois, c'est une progression vers ce rapprochement auquel nous avons essayé de parvenir.

Je reprendrai aussi ce que disait Monsieur COCHET à propos des paradoxes. Oui, c'est vrai, même dans la définition de l'homme, en paléontologie, nous disons en effet qu'il est un mammifère libre et responsable. Il est libre, c'est merveilleux, mais en même temps la responsabilité vient très vite limiter cette liberté. C'est très intéressant, d'ailleurs, de voir que c'est le seul mammifère qui a ce privilège.

Enfin la question sur la constitutionnalisation m'échappe, je ne suis pas compétent. J'ai entendu dire partout que si la loi Barnier était intéressante - peut-être pas parfaite, mais quelle loi l'est ? -, elle n'était malheureusement pas suffisamment appliquée, pas suffisamment efficace dans son application. Si j'ai bien compris, le but de nos rencontres, pendant ces dix mois, a été d'essayer de changer de normes pour une meilleure efficacité de ses principes et de quelques autres - je dis bien, Monsieur COCHET, de ses principes et aussi de quelques autres - que nous avons essayé d'apporter en complément à ceux que la loi Barnier avait déjà proposés.

Voilà Monsieur le Président, je pars à cette réunion Science et société !

M. LE PRESIDENT - Merci beaucoup Monsieur le Président COPPENS d'avoir accepté de répondre à notre invitation et éclairé, pour les débats futurs, notre lanterne.

J'en viens maintenant à la suite des intervenants.

Mme PERRIN-GAILLARD - Je vais essayer d'aller très vite, malgré le nombre d'interrogations que j'ai.

Nous avons eu - je vais parler ici en qualité de membre de la commission de préparation de la Charte - des débats de même nature pendant les dix mois et nous pourrions encore les continuer très longtemps, mais nous n'avons cependant jamais - et même pas aujourd'hui - répondu à cette question : le fait d'avoir une Charte constitutionnelle va-t-il changer quelque chose en matière de protection de l'environnement et de la biodiversité ?

De plus, à partir du moment où nous constatons que ceux qui veulent la faire ont aussi râpé les budgets de la recherche, les budgets de l'éducation, quelle sera, là, la portée de la Charte par rapport à ce qu'attendent nos concitoyens ?

Je n'ai pas de réponse aujourd'hui.

Faut-il laisser au Conseil constitutionnel le soin de regarder ce que fait le Parlement ou ce qu'est le budget de l'Etat ? Nous pourrions effectivement l'imaginer.

Le Parlement a-t-il ou non les moyens de pouvoir faire appliquer les textes qu'il vote ? Cette Charte va-t-elle nous aider ? Je suis encore très interrogative sur le sujet.

Il y a aussi une autre question qui n'a pas été abordée, à laquelle j'ai pensé au cours de cette matinée. Nos concitoyens pourront-ils saisir ou non le Conseil constitutionnel ? C'est toujours la même chose. Si à un moment donné, nous voulons que la Charte constitutionnelle serve à quelque chose, encore faut-il que nos concitoyens, comme d'autres, puissent faire un certain nombre de démarches pour pouvoir faire avancer les choses. C'est une question que nous n'avons pas abordée aujourd'hui et que je trouve importante.

Enfin, sans revenir sur les interventions des uns et des autres bien qu'il y ait beaucoup de choses à dire sur ces interventions, j'ai été très intéressée par l'intervention de Madame BENOIT-BROWAEYS. Elle a dit que l'expertise serait bien, si elle intégrait une démocratie initiatrice de questions. C'est une notion intéressante qui permet d'aboutir à l'éducation, à la culture scientifique de nos concitoyens et c'est bien aussi ce qu'ils recherchent. Il en est de même des parlementaires, nous sommes à la recherche, nous avons de questions, nous voulons les poser et avoir des réponses transparentes. D'où la nécessité d'avoir un dialogue permanent.

Il ne faut pas faire de ce dialogue permanent ce qui a été fait des conférences citoyennes concernant les OGM. Notre Charte de l'Environnement va-t-elle permettre de faire autre chose que ce qui a été fait ?

Je vous rappelle que les conférences citoyennes ont dit non aux OGM.

M. TUBIANA - Elles ont dit oui aux OGM !

Excusez-moi de vous interrompre, mais la conférence citoyenne sur les OGM a dit tout à fait oui aux OGM !

Mme PERRIN-GAILLARD - Pas sur le terrain, Monsieur ! Les conférences citoyennes organisées en région...

M. TUBIANA - Les conférences citoyennes organisées en région n'étaient pas des conférences citoyennes. On a utilisé le mot de conférences citoyennes en dehors de sa signification. Par principe, la conférence citoyenne requiert une information objective du sujet. Il ne faut pas tout mélanger !

Mme PERRIN-GAILLARD - Bien entendu, Monsieur TUBIANA vous détenez la science ! Mais nous, nous sommes les représentants de populations. Comment voulez-vous que ces populations comprennent quelque chose si on leur donne en information des choses qu'elles ne peuvent pas comprendre ? Et c'est là que nous avons aussi besoin de clarifier un certain nombre de choses. Je suis d'accord avec vous, la conférence citoyenne a dit oui aux OGM, excepté que sur le terrain nous avons eu des conférences...

M. TUBIANA - Ce ne sont pas des conférences citoyennes...

Mme PERRIN-GAILLARD - Mais qu'avons-nous eu ? Nous allons dire, alors, des conférences populaires, comme vous voulez ! Excepté que là, nous avions vraiment des citoyens qui cherchaient à être informés, à avoir des données pour pouvoir se faire une idée.

Ces concitoyens ne sont pas plus bêtes que la moitié des gens. Et ils ont dit, que pour l'instant, ils n'avaient pas suffisamment d'informations. Cela veut bien dire que la recherche est nécessaire, que le dialogue est indispensable.

Je voudrais savoir si cette Charte résoudra aussi ce type de problème.

M. LE PRESIDENT - Non, je ne vous donne pas la parole maintenant Professeur TUBIANA, c'est Monsieur COCHET qui l'a.

M. COCHET - J'ai écouté de manière intéressée l'ensemble des orateurs de cette troisième table ronde, mais, l'heure tourne et je ne vais pas donner à la sauvette une évaluation.

Il est cependant évident que la démarche d'information citoyenne, d'ouverture et de transparence est très bonne.

A titre politique, associatif ou encore de citoyen, c'est ce que j'ai essayé de faire aussi depuis trente-cinq ans en me heurtant à ce que certains des orateurs ont appelé les peurs irrationnelles ou les intégrismes. Je me suis reconnu là-dedans. Bien sûr, cela a été dit avec une formulation un peu diplomatique, mais il a été dit qu'il y a d'un côté la science qui, certes, peut avoir quelques polémiques internes, quelques débats, quelques incertitudes - ces incertitudes sont parfois même le fondement de la science, c'est pour cette raison qu'il faut continuer la recherche, moi qui suis également d'origine scientifique, je suis parfaitement d'accord avec tout ceci - et, d'un autre côté, le savoir profane qui, lui, est soumis aux peurs irrationnelles et aux intégrismes.

Il faut faire très attention à ces mots parce que ce sont des gros mots. Les mots irrationnel et intégrisme ont des sens extrêmement forts.

Je regarde, notamment, le Professeur TUBIANA qui, je crois qu'il ne le reniera pas, est un défenseur du nucléaire depuis de très nombreuses années, et je pourrais très facilement dire que les défenseurs du nucléaire sont des intégristes du nucléaire. J'évite de le dire et pourtant Dieu sait si quelques éléments de réflexion peut-être citoyenne ou peut-être scientifique, montrent que le nucléaire n'est pas du tout ce qu'il faut faire ni pour la France ni pour le monde. Mais voyez, je ne vous traite pas d'intégriste ! Il faut donc faire très attention.

Je reprends précisément une partie de votre exposé sur le principe de précaution que vous avez essayé de minimiser d'une certaine manière en disant qu'il n'avait démontré son efficacité, ni politique, ni scientifique, ni contre les catastrophes.

C'est un principe paradoxal, c'est le principe des personnes qui crient au loup ! Evidemment si à la fin, le loup arrive vraiment, on se dit qu'on aurait dû les écouter. Et si le loup n'arrive pas, parce que leur précaution dans l'incertitude était mal fondée, on dit que c'est assez, on ne les croit plus parce qu'elles annoncent des choses qui n'arrivent pas.

Le problème est que ce sera toujours comme ça !

Il y a un côté qui ne sera jamais dépassé par la science. Il ne s'agit pas de remettre en cause la science ni la rationalité scientifique, encore une fois, j'aime beaucoup cela, mais précisément lorsque nous évitons une catastrophe, jamais nos descendants ne pourront dire que nous avons été vraiment stupides de vouloir l'éviter puisqu'elle n'est pas arrivée.

C'est cela le paradoxe de la catastrophe. Au moment où elle arrive, on dit que c'est trop tard.

Or je fonde mon action politique sur une stratégie que l'on peut appeler la stratégie du « sans regret ». Je ne veux pas que mes descendants puissent dire qu'à un moment donné, dans la période d'incertitude entre quelque chose qui n'était pas connu scientifiquement mais où des risques semblaient potentiels, on n'a pas pris de mesures, dites de précaution, pour éviter une catastrophe. Je parle de catastrophe et non de petits incidents ou de petites pollutions. A mon avis, ce n'est pas là que le principe de précaution s'applique.

C'est pourquoi le calcul, que vous avez d'ailleurs vous-même évoqué, du coût/efficacité ou du coût/bénéfice ne s'applique pas aux catastrophes. Cela peut s'appliquer aux risques industriels.

Comment font les industriels et les politiques ?

Ils disent qu'il peut y avoir un risque qu'ils vont définir comme epsilon et un bénéfice qui est très bon. Ou il y a un bénéfice qu'ils vont évaluer qui, semble-t-il, est bon pour la société et les conséquences de ce risque qui coûteraient certes vraiment très cher, mais quand on multiplie par la probabilité du risque lui-même, comme on ne sait pas combien cela fait, et donc on agit.

Autrement dit, la plupart du temps ce qui est techniquement possible est fait.

Je ne vois pas que pour un principe de précaution, il y a eu l'arrêt d'une découverte scientifique, puis technique. Et je crois que pour le nucléaire, si nous prenons cet exemple, cela n'a aucun sens. Comment pouvez-vous savoir, sauf à regarder ce qu'évaluent eux-mêmes les assureurs, quelle serait la catastrophe ou le coût d'une catastrophe en matière nucléaire, c'est-à-dire une fusion du coeur dans de nombreuses centrales ?

C'est très difficile. A la centrale de Tchernobyl, cela a été évalué pour trois pays - l'Ukraine, la Biélorussie, la Russie -, certains ont dit que pour ces trois pays, cela représentait 360 Md$.

Et aux Etats-Unis, par exemple, certains instituts de recherche ont dit qu'ils allaient regarder combien coûterait la fusion nucléaire d'Indiana Wells. Cela coûterait 600, 800 Md$, c'est très difficile. Du coup, les Etats ont interdit aux exploitants privés - aux Etats-Unis parce qu'en France c'est public - de pouvoir s'assurer. Et d'ailleurs les assureurs eux-mêmes ne veulent pas assurer un tel risque, de la même manière que les assureurs ne veulent pas assurer les OGM. Ils disent que s'il y avait un accident, ce serait tellement considérable, qu'ils ne veulent pas l'assurer.

Je préfère écouter Monsieur BEBEAR ou Monsieur KESSLER qui, d'une certaine manière, ont le coût de la vie. Ils savent que cela coûte du point de vue de l'assurance. Ce ne sont pas des philanthropes et, à mon avis, ce ne sont pas non plus des écologistes patentés, tels que nous les avons vus précédemment en tout cas. Comme il y a une incertitude ou un risque qui est très fort, ils n'assurent pas.

Dans ce cas, à quoi bon car on sait faire autrement. Le problème est qu'en ce qui concerne les OGM pour l'agriculture, on sait faire autrement, les OGM n'ont pas démontré leur utilité ni la moindre utilité pour elle. Je ne parle pas pour l'insuline, mais pour l'agriculture, on sait faire autrement.

Il en est de même pour l'énergie, on sait faire autrement, il y a donc un vrai problème.

De la même manière, pour la dérive de l'effet de serre, maintenant ce n'est plus une incertitude, ce qui est incertain, c'est l'écart ou le fait que l'accroissement de gaz à effet de serre va produire telle augmentation moyenne de la température annuelle sur l'ensemble de la planète.

Ce qui n'est pas incertain d'après le troisième rapport d'évaluation du GIEC, il y a un an et demi, c'est d'une part la concentration des gaz à effet de serre et, d'autre part, la rapidité incroyable au point de vue des temps géologiques du réchauffement climatique. Ce n'est pas incertain, ce qui l'est, c'est son amplitude et ses conséquences.

Devant ceci, quand je lis tous ces rapports, je dis que jusqu'à présent, les politiques ont toujours sous-estimé les dangers liés soit à la dérive de l'effet de serre, soit à la dissémination des OGM, soit au danger nucléaire, et je vais terminer là-dessus Monsieur le Président.

Je ne veux pas être trop long, mais tout le monde l'a été, au moins pour ceux qui écoutent et je vois Monsieur TUBIANA qui rêve évidemment de me répondre.

Pensez-vous Monsieur TUBIANA, mais également vous tous ici, que quand nous regardons l'histoire du XXe siècle, notamment en Europe, et même celle des siècles passés dans d'autres continents, qu'il soit raisonnable de développer à grande échelle - je ne dis pas la recherche nucléaire pour faire les traceurs ici, faire de la recherche voire même des tentatives de thérapie contre le cancer - pour fabriquer de l'électricité - encore que l'électricité puisse être un alibi pour fabriquer du plutonium de qualité militaire -, mais à grande échelle lorsqu'on connaît l'histoire du XXe siècle en Europe ?

Actuellement, il y a quatre cent trente réacteurs dans le monde, qui existent depuis une cinquantaine d'années. Et penser qu'il y aura encore du nucléaire en 2100, il y en aura encore plus - il y aura peut-être huit cents, mille réacteurs - quand on connaît l'âme humaine, c'est non seulement un pari fou, mais, pour moi, ce n'est même pas un pari, mais une folie absolue.

Croire que la démocratie qui est sur notre sol depuis cinquante ans, va durer encore un siècle ! Regardons l'histoire de l'Europe, qui peut le croire ? Voyez l'URSS et son état très instable actuellement.

Pour avoir une société nucléaire, il faut qu'elle soit très technologique, très stable et très sécurisée.

Comment pouvez-vous parier que nos sociétés - et même les sociétés du monde parce que nous voulons en vendre à la Chine - vont être encore pendant tout le XXIe siècle très technologiques, très stables et très sécurisées quand nous connaissons l'histoire du monde depuis Démosthène et Alexandre le Grand ?

Quelle folie !

Vous êtes partisan du nucléaire, je suis foncièrement antinucléaire, pas tellement pour des raisons techniques, mais pour...

M. LE PRESIDENT - Monsieur COCHET, pouvons-nous revenir à un débat sans qu'il n'y ait de discussion particulière entre vous-même et Monsieur TUBIANA, à qui je ne donne pas la parole tout de suite, je procède par ordre.

Vous avez parlé de sociétés très organisées, mon cher Collègue, donc j'essaye d'avoir un débat organisé et dans cette organisation, je donne la parole à Madame BENOIT-BROWAEYS.

Mme BENOIT-BROWAEYS - Je voudrais juste très succinctement resituer la question de l'expertise de l'Académie des Sciences. Bien sûr qu'il est déplorable que Monsieur DOUCE ait été sujet à de telles menaces !

Mais regardons le processus, ne s'agit-il pas de rapports de force avec les pouvoirs où il y a certaines irresponsabilités à mettre en oeuvre un rapport de ce type dans un contexte aussi tendu ? Je pense qu'il faut prendre au sérieux, aujourd'hui, la demande du public, et un certain nombre de ses questions. De toute façon nous savons bien que les OGM n'ont pas une utilité sociale prouvée en Europe ou même ailleurs.

C'est un geste politique qui est quand même assez mal venu et effectivement il y a une personne qui en a fait les frais. Je le déplore comme vous, mais je pense que cela nous amène à redire que la responsabilité des politiques, en la matière, doit être de prendre au sérieux les questions et moins nous entendrons les questions du grand public, plus le dialogue de sourds sera important.

Il est vrai que dans le domaine des OGM, cela s'est beaucoup passé ainsi.

On oppose toujours une science sage à un grand public qui est stupide, obscurantiste, totalement inculte. On ne peut pas continuer ainsi. Il est important de prendre au sérieux nos sociétés, de regarder leurs analyses qui ne sont pas strictement de l'ordre de la science.

La science n'a pas à être tyrannique ! Il y a bien d'autres approches de nos sociétés et des problèmes. Je pense que nous manquons terriblement d'approches sociologiques, anthropologiques, philosophiques et qu'il faut réfléchir à des choix de société par rapport à une vision, à ce que l'on veut donner. Veut-on que tout se réduise à des échanges financiers ? Veut-on que ce soit l'argent qui fasse l'arbitrage de tout ?

M. LE PRESIDENT - Un mot Professeur TUBIANA !

M. TUBIANA - D'abord, je répondrai à Madame.

Je crois justement que c'est respecter le public et ouvrir un débat que de donner des faits scientifiques. Je pense que la contribution que les scientifiques peuvent apporter à un débat, est de rappeler quels sont les faits.

Dans le cas des OGM, c'est rappeler qu'il y a un milliard de personnes qui utilisent chaque jour des OGM dans leur nourriture et que si on veut prétendre que les OGM sont dangereux, regardons ce qui se passe chez ce milliard de personnes qui en mangent tous les jours !

Mme BENOIT-BROWAEYS - Dire regardons ce qui se passe, n'est pas un argument extrêmement scientifique !

M. TUBIANA - J'ajouterai simplement une chose, dans les deux académies, celle des sciences et celle de médecine, nous avons souhaité ouvrir un débat.

Dans le rapport de l'Académie de Médecine, il est explicitement dit que l'Académie de Médecine envisagerait avec plaisir un débat avec tous ceux qui ne sont pas en accord avec les données scientifiques exposées dans le rapport. La seule chose que nous avons reçue, sont des injures ! Aucune ébauche de discussion scientifique et ce, pour la bonne raison qu'elle n'était pas discutable.

C'est triste d'arriver à ce manque de discussion, à ce manque de débat et quand on ouvre un débat scientifique, d'avoir pour seule réponse des injures.

Mme BENOIT-BROWAEYS - Vous avez raison tout à fait, mais si ce n'est pas discutable au plan scientifique, ça l'est sur d'autres plans.

M. LE PRESIDENT - Professeur TUBIANA, je vous invite à conclure.

M. TUBIANA - Monsieur COCHET me disait que la précaution ne peut jamais être nuisible, je vais vous donner un exemple de précaution nuisible.

Quand on a arrêté la vaccination de l'hépatite B, au nom du risque possible de sclérose en plaques, on a tué délibérément plusieurs centaines de personnes, puisqu'on a diminué énormément le nombre de vaccinations et que, malheureusement, parmi ces personnes qui ne sont pas vaccinées, un certain nombre feront des hépatites B et en mourront.

Au nom de la précaution et au nom de ce principe, on a délibérément privé un certain nombre de gens de vaccination.

Cet exemple très simple montre que la précaution peut avoir des effets nuisibles si elle est utilisée à tort et à travers.

En ce qui concerne les OGM, nous savons très bien...

M. LE PRESIDENT - Vous avez déjà répondu à ce sujet.

M. TUBIANA -... Je rentre du congrès de la biovision de Lyon et nous avons bien vu que dans certaines parties du monde, sans les OGM, ils n'arriveraient pas à boucler leur équilibre nutritionnel.

M. LE PRESIDENT - Monsieur PETIT avez-vous un commentaire sur le communiqué de l'Académie de Médecine ou voulez-vous nous le lire. Si vous le lisez, je vais vous proposer que nous l'annexions au compte rendu de ces auditions.

M. PETIT - Cette proposition me convient parfaitement. Je voulais simplement peut-être ajouter un mot 2 .

J'ai le sentiment qu'à l'Académie des Sciences, pour ne parler que de celle que je connais bien, il y a un consensus très large sur le fait que les scientifiques n'ont pas à décider pour tout le monde.

Prenons l'exemple du réchauffement climatique qui a été évoqué un certain nombre de fois. Il est certain qu'entre le mal consistant à se priver des énergies des combustibles fossibles et le mal constituant le réchauffement climatique, il n'y a aucune raison que les scientifiques aient une voix prépondérante. Ils doivent avoir une voix comme tout citoyen.

En revanche les citoyens ne peuvent s'exprimer sans prendre connaissance de l'état actuel de ce qu'on sait à l'échelle internationale ; dans ce domaine, l'état des connaissances est obtenu par une procédure d'expertise collective soumise à une double revue par l'ensemble des experts du monde. Nous arrivons à quelque chose qui est approuvé en plus politiquement par tous les Etats y compris l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis et nous avons effectivement une vérité scientifique objective sur laquelle chacun peut s'appuyer.

C'est simplement ceci que nous demandons, qu'il y ait effectivement cette expérience scientifique collective et qu'on n'amène pas les citoyens à se prononcer sans les avoir préalablement informés de l'état actuel des connaissances scientifiques.

M. LE PRESIDENT - Merci !

Est-ce que parmi les personnes qui ne sont pas autour de la table ronde, il y a d'autres questions ou interventions ? Je ne voudrais pas que vous ressortiez en disant que nous vous avons invités, mais empêchés de vous exprimer.

Mme Chantal PHILIPPET - J'ai une question très générale sur ce que font les pays voisins en ce qui concerne le domaine sur lequel nous sommes en train de légiférer. Avons-nous l'exemple de pays européens voisins où des principes environnementaux ont été introduits dans des lois fondamentales ou des Constitutions ou la France est-elle pionnière dans ce domaine ?

M. KLAPISCH - Comme vous pouvez le penser, avec l'aide de la mission du Ministère de l'Ecologie, nous avons recensé tous les textes internationaux. De nombreux pays - en particulier le Brésil, la Suisse, pour ne citer que les plus récents - ont inclus dans leur Constitution, des dispositions visant à protéger l'environnement. C'était cependant un travail relativement limité. Par exemple, dans le cas d'un pays fédéral comme la Suisse, cela vise à régler les compétences relatives des cantons et de l'Etat fédéral.

A notre connaissance - je ne sais pas si nous devons en être fiers, cela dépendra de l'acceptation du Parlement et, éventuellement, des citoyens - nous proposons quelque chose qui est une loi constitutionnelle allant des principes à certaines procédures. Je crois que c'est véritablement unique et, encore une fois, si cette oeuvre est acceptée, elle sera innovante.

M. CHARLOT - Je m'appelle Jean-Claude CHARLOT du Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France.

Dans tous les débats, on a beaucoup parlé des scientifiques, mais non des ingénieurs. Or les ingénieurs, que nous représentons, sont huit cent mille en France. Ils sont, en général, en première ligne dans tous ces problèmes et nous partageons tout à fait les inquiétudes qu'il peut y avoir de blocage de l'innovation.

M. KLAPISCH - J'ajouterai qu'un certain nombre d'entre nous, dont moi-même, ont une formation d'ingénieur et je vais vous donner un scoop. Les mots recherche scientifique et innovation figureront dans le projet de loi constitutionnelle. Je ne sais pas si cela se traduira automatiquement par des augmentations de budget - cela relève du politique -, mais je crois que c'est la première fois que la recherche scientifique et l'innovation sont mentionnées au niveau constitutionnel.

M. LANDRIEU - Je m'appelle Guy LANDRIEU de l'INERIS.

A la suite d'une remarque qui vient d'être faite, je voudrais simplement insister sur le fait que l'évaluation scientifique ne peut pas se résoudre à l'état des connaissances. En particulier, lorsqu'il s'agit de prévoir les risques futurs d'un produit en développement, souvent ce produit n'est encore que très peu diffusé au moment où on se pose des questions. Les études épidémiologiques ne peuvent par conséquent rien donner, rien montrer.

L'état des connaissances dépend essentiellement de ce qui est publié, donc de là où on a mis des crédits de recherche. Il y a tout un ensemble de phénomènes qui, d'une certaine façon, « biaisent » ou du moins limitent l'état des connaissances.

Il faut donc se poser des problèmes dans l'autre sens, c'est-à-dire partir de ce qu'il faudrait connaître, là où il y a des trous, etc. Ceci exige une démarche assez différente - celle de l'évaluation des risques - de celle de l'état des connaissances scientifiques.

M. KLAPISCH - C'est ce qu'on appelle la démarche d'anticipation.

M. LE PRESIDENT - Y a-t-il d'autres personnes qui souhaitent prendre la parole ? Si ce n'est pas le cas, je vais me hasarder à quelques mots de conclusion.

En fait, je crois que nous avons, que vous avez posé beaucoup de questions et que ces questions serviront à éclairer les débats ultérieurs où nous devrons - nous, Parlement et les commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat - rechercher un point d'équilibre. Nous devrons rechercher un point d'équilibre entre les craintes exprimées par certains qui disent que c'est trop rigide et dangereux pour la recherche, pour l'industrie et celles exprimées par d'autres qui trouvent que c'est inutile parce que ce n'est pas assez contraignant, pas assez rigide et pas assez fort.

Je crois que nous sommes au début d'un processus et d'une réflexion. De nombreux doutes et interrogations demeurent et si aujourd'hui nous avons suscité des questions, nous aurons fait oeuvre utile.

Je retiens encore - j'avais fait quelques fiches pour préparer cette séance - quelques citations de Madame HAIGNERE qui, dans un discours du 13 mars dernier, a dit que « la précaution n'était pas l'abstention, mais bien l'action et que la recherche font partie des dix commandements de la précaution ».

Nous aurions peut-être dû avoir davantage de temps pour débattre des neuf autres commandements !

Monsieur Dominique BOURG, lui, disait que ce principe « ne concernait que les risques potentiels graves assortis d'incertitudes scientifiques. Il suppose, face à un risque mal connu, de développer des recherches pour appréhender ce risque et prendre des mesures provisoires et proportionnées ».

Sur une autre question débattue, celle de l'expertise, Madame HAIGNERE, toujours dans ce colloque du 13 mars, disait « qu'il est fondamental que la distinction entre l'expertise et la décision soit renforcée : le scientifique expertise et le politique décide ».

L'idée d'une instance indépendante d'évaluation a été également évoquée.

A ce sujet, je rappelle, tout de même, que l'Office parlementaire qui est commun aux Assemblées, est, par ailleurs, doté d'un Conseil scientifique. On peut réfléchir au rôle que l'Office parlementaire peut jouer à l'avenir pour l'expertise pour le Parlement puisque c'est bien le but qui lui a été assigné par le texte de la loi même. Les soixante-quinze rapports qu'il a publiés apportent finalement un éclairage aux décisions du Parlement. Je ne vais pas rappeler ici - on peut cependant le faire quand vous voulez - le nombre de lois ou de règlements que les rapports de l'Office parlementaire ont inspirés et ce, quelles que soient les majorités et quels que soient les gouvernements, et j'ajoute, quels que soient les rapporteurs. Finalement ces soixante-quinze rapports répondaient aux interrogations du Parlement, mais aussi - permettez-moi d'espérer - aux attentes et aux questions de la société civile.

En fait, il me semble que le problème principal est celui de savoir de quelle manière inscrire un principe dans un texte constitutionnel qui, lui, par nature est un cadre stable. Encore que, depuis quelques années, on se rend assez fréquemment à Versailles pour modifier la Constitution, mais à la marge, pour changer un mot. On a, par exemple, ajouté que la France était une République décentralisée. On a dit que le mandat du Président de la République était de cinq ans et on a remplacé « sept » par « cinq ». Nous avons bien quelques petits ajustements, mais globalement et malgré tout la Constitution est un cadre stable alors que ces principes environnementaux s'inscrivent dans une dynamique scientifique avec des incertitudes alors que nos concitoyens attendent trop souvent des réponses binaires. C'est oui ou non, c'est dangereux ou non, on peut le faire ou non.

Finalement j'emprunterai la conclusion à une citation du Dalaï Lama : « Douter... - cela me paraît être important pour l'ensemble des intervenants et je dis bien pour l'ensemble des intervenants - ...car le doute incite à la recherche et la recherche est la voie qui conduit à la connaissance ».

Mesdames et Messieurs, merci d'avoir participé à cette audition ! Merci à Monsieur COPPENS et à Monsieur KLAPISCH de l'avoir animée brillamment !

La séance est levée à 13 h 40

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