C. PRÉVOIR UNE SANCTION SYSTÉMATIQUE, GRADUÉE ET COMPRISE

Ainsi que l'a indiqué lors de son audition le professeur Claude Got, « dans la délinquance de masse, il (faut) des sanctions fréquentes, légères pour être acceptables, crédibles, équitables . Ces règles sont en permanence transgressées. On voudrait au contraire augmenter le niveau de la sanction jusqu'à la rendre inapplicable. De temps en temps elle tombera sur quelqu'un, et cela apparaîtra comme une loterie. C'est l'inverse de l'équité. »

1. Un usage qui doit être systématiquement sanctionné

Ainsi que le répètent les circulaires depuis 1971, la commission d'enquête souhaite que toute interpellation d'usager se traduise par un procès-verbal, même simplifié, afin de permettre une réponse judiciaire systématique. Il apparaît en effet encore trop souvent que des interpellations se traduisent par des mains courantes, ainsi que l'a d'ailleurs concédé M. Alain Quéant, sous-directeur de la police territoriale à la direction de la police de proximité de la préfecture de police de Paris.

La commission d'enquête se félicite à cet égard des dispositions contenues dans le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui introduit un nouvel article 40-1 dans le code de procédure pénale posant le principe d'une réponse judiciaire systématique, venant préciser le principe traditionnel de l'opportunité des poursuites, par ailleurs consacré dans la loi.

Ainsi, lorsque les faits sont constitués et l'auteur identifié, le procureur de la République devra apprécier l'opportunité, soit d'engager des poursuites pénales, soit de mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites (en recourant le cas échéant à la plus simple d'entres elles, à savoir le rappel à la loi), et ne pourra classer sans suite que s'il estime que des circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.

2. Une sanction graduée

La commission d'enquête a été particulièrement sensible à la remarque formulée lors de son audition par M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, selon laquelle « prévoir tant d'années de prison n'a pas beaucoup de sens dans la mesure où ce n'est jamais appliqué, mais à l'inverse, parce que les sanctions sont trop lourdes et ne sont pas appliquées, n'en prévoir aucune n'en a plus aucun. »

La commission d'enquête préconise donc de prévoir une contravention en cas de première infraction et de maintenir le délit assorti d'une peine d'emprisonnement d'un an en cas de récidive ou de refus de soins ou d'orientation.

a) Prévoir une contravention pour une première infraction d'usage simple

Punir d'un an d'emprisonnement un usager de drogue occasionnel n'ayant commis aucun autre délit paraît disproportionné et n'est d'ailleurs jamais appliqué.

Selon Mme Nicole Maestracci, ancienne présidente de la MILDT, il semble qu'un consensus se dégage pour des sanctions qui seraient de l'ordre de la contravention. C'est d'ailleurs l'option envisagée par M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

L'emprisonnement pour les usagers de drogues illicites paraît en effet l'une des mesures les plus controversées. Un consensus semble dorénavant se dégager pour dire que la prison n'est pas une sanction adaptée pour le simple usager qui n'a commis aucun autre délit, ainsi que l'a indiqué Mme Nicole Maestracci lors de son audition.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a de même appelé à « gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre de simples usagers. »

Le docteur Francis Curtet, psychiatre ayant exercé pendant 10 ans en prison, a également souligné lors de son audition que « mettre en prison des usagers de drogues ou des toxicomanes est aberrant. Il ne s'agit pas d'un lieu thérapeutique et le risque de suicide est élevé. »

M. Didier Lallement, directeur de l'administration pénitentiaire, a en outre indiqué à la commission d'enquête que « le risque, s'agissant d'usagers simples, était évidemment que l'univers pénitentiaire ne permette pas d'assurer leur plein sevrage et donc qu'au contraire, ils rencontrent d'autres tentations et d'autres consommations de produits stupéfiants. »

Ainsi que l'a indiqué M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, « quand on est en présence d'un usager simple, on peut dire qu'il n'est pas besoin de circulaires pour nous dire que l'incarcération n'est pas adaptée ».

Néanmoins, il apparaît que si, au cours des cinq dernières années, le nombre de condamnations à des peines d'emprisonnement ferme pour usage illicite a baissé, passant de 494 cas en 1997 à 395 cas en 2001, « c'est un chiffre qui n'est pas considérable, mais qui n'est pas négligeable », comme l'a reconnu M. Dominique Perben, garde des Sceaux.

La commission d'enquête s'est interrogée sur les motifs ayant conduit des magistrats à prononcer la condamnation à des peines d'emprisonnement ferme de simples usagers, alors même que la circulaire du garde des Sceaux du 17 juin 1999 appelle à considérer la prison comme le « dernier recours ».

M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, a fourni une explication en indiquant que le parquet requérait de l'emprisonnement ferme à l'encontre de certaines personnes qui comparaissaient pour usage, et dont on n'avait pu prouver l'implication dans un trafic du fait des difficultés de preuve. Il a néanmoins estimé qu'il s'agissait d'une pratique résiduelle, le code pénal sanctionnant l'aide à la consommation, mais que la politique pénale suivie dans ce cas était légitimée par la volonté de mettre en échec l'argument utilisé par le trafiquant sur lequel on trouve une certaine dose et qui prétend qu'il s'agit de sa consommation personnelle.

La commission d'enquête préconise donc de retenir une contravention de la cinquième classe, pour laquelle une amende modulable jusqu'à concurrence de 1.500 euros peut être prononcée (article 131-13 du code pénal).

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a, lors de son audition proposé de « prévoir la création d'une échelle de sanctions adaptées permettant de punir réellement et rapidement (...) les mineurs qui consomment occasionnellement du cannabis ou de l'ecstasy (...). Il y a bien sûr l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, un stage, peut-être le recul de l'âge pour passer le permis de conduire, peut-être la confiscation du scooter lorsqu'il y en a un. Le législateur peut en la matière imaginer une panoplie de sanctions adaptées à l'âge ».

La commission d'enquête s'est interrogée sur ces propositions. En effet, il ne faudrait pas que des mesures comme la confiscation du scooter apparaissent comme des mesures « anti-jeunes ». Il faudrait alors prévoir la confiscation de tout véhicule, quel qu'il soit et quel que soit l'âge de la personne. De plus, la notion de confiscation paraît assez novatrice puisque les peines complémentaires prévoient en général l'immobilisation du véhicule pendant une durée maximale de 6 mois, s'agissant d'infractions n'ayant pas de rapport direct avec la conduite d'engins motorisés. Or la confiscation serait définitive, alors même que l'infraction, fumer un joint par exemple dans un parc, n'aurait aucun rapport avec la conduite d'un engin motorisé.

Or peuvent déjà être proposées en cas de contraventions de la cinquième classe les peines complémentaires suivantes (article 131-14 du code pénal) :

- la suspension, pour une durée d'un an au plus du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l'activité professionnelle ;

- l'immobilisation, pour une durée de six mois au plus, d'un ou plusieurs véhicules appartenant au condamné ;

- le retrait du permis de chasser, avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pendant un an au plus ;

- l'interdiction, pendant une durée d'un an au plus d'émettre des chèques autres que ceux certifiés et d'utiliser des cartes de paiement ;

- la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit.

Des peines de travail d'intérêt général peuvent à cette occasion être proposées pour une durée de 20 à 120 heures (article 131-17 du code pénal).

Une peine complémentaire prévoyant une obligation de soins ou d'orientation vers une structure psychosociale devrait être introduite pour la contravention d'usage de stupéfiants.

b) Conserver le délit en cas de récidive ou de refus de soins

La commission d'enquête préconise de conserver le délit en cas de récidive ou de refus de soins. La récidive pourrait être appréciée dans un délai de trois ans.

La commission d'enquête s'est interrogée sur le point de savoir quelle solution pourrait être trouvée afin d'inciter très fortement les toxicomanes dépendants à suivre des soins, l'injonction thérapeutique se trouvant dépourvue de toute nature coercitive en cas de suppression de la peine d'emprisonnement.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, s'est lui-même interrogé sur ce point, estimant qu'il faudrait trouver des sanctions adaptées.

Or il apparaît que s'agissant de personnes bien souvent désocialisées, voire marginalisées, la menace d'amendes apparaissait peu pertinente, alors même qu'elles devaient constituer le public prioritaire de l'injonction thérapeutique.

Ainsi que l'a indiqué lors de son audition Mme Catherine Domingo, substitut du procureur de Bayonne, si la personne n'a pas respecté la mesure d'injonction thérapeutique ou s'il s'agit de multi-récidivistes, il est actuellement possible de prononcer des mesures d'assistance, comme un sursis avec mise à l'épreuve et obligation de soins (la personne étant suivie par le juge d'application des peines).

De tels moyens de pression, justifiés et n'aboutissant pas en pratique à l'incarcération, ne seraient donc plus possibles.

c) Prévoir des solutions pour les personnes dépendantes et refusant les soins

Deux options étaient susceptibles d'être retenues par la commission d'enquête. On peut soit envoyer les toxicomanes n'ayant commis aucun autre délit dans des centres pénitentiaires spécialisés dans les soins aux toxicomanes, soit les envoyer de manière coercitive dans des centres de soins.

(1) Maintenir des peines d'emprisonnement en cas de refus de se soumettre aux soins ou en cas de récidive

En maintenant des peines d'emprisonnement pour les toxicomanes les plus lourds, on conserverait ainsi un moyen de pression, sachant que les mesures alternatives à l'incarcération devraient être privilégiées.

Il s'agirait ainsi de la transposition de la « contrainte par corps », qui prévoit d'incarcérer des personnes refusant de s'acquitter de leurs condamnations pécuniaires. Ici, ce serait le refus de soins qui serait sanctionné.

En outre, la commission d'enquête préconise de créer des centres fermés de traitement de la toxicomanie sur le modèle des centres fermés pour jeunes délinquants.

Les personnes incarcérées pour simple usage à la suite de multiples récidives ou de refus de soins le seraient dans des centres gérés par l'administration pénitentiaire, mais situés en dehors des établissements pénitentiaires existants, où ils recevraient des soins adaptés. Les détenus toxicomanes incarcérés pour d'autres infractions à la législation sur les stupéfiants ou pour d'autres actes de délinquance continueraient à dépendre des UCSA, le but étant d'éviter que de simples usagers se retrouvent au contact de délinquants endurcis, la prison étant considérée par beaucoup comme un milieu criminogène.

De tels centres pourraient permettre de « dépayser » certains jeunes afin de briser les phénomènes de bandes les conduisant à l'addiction.

(2) Etendre la procédure d'hospitalisation d'office aux toxicomanes nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte de façon grave à l'ordre public

L'article L. 3213-1 du code de la santé publique prévoit qu'à Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office de personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public.

La commission d'enquête suggère que cette procédure soit étendue aux personnes toxicomanes dépendantes ou dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui, le procureur de la République devant alors saisir un médecin de la DDASS afin d'obtenir un certificat médical. Il appartiendrait au procureur de la République de le transmettre au préfet de police, à Paris, ou aux représentants de l'Etat dans le département, afin qu'ils procèdent à cette hospitalisation d'office.

Il est bien évident que ces personnes ne seraient pas hospitalisées dans des hôpitaux psychiatriques, mais dans des services hospitaliers de traitement de la toxicomanie.

Dans cette hypothèse, la peine de prison pour usage de stupéfiant serait supprimée.

Au terme de ces débats, la commission d'enquête a préconisé de retenir la première solution et de conserver la possibilité de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre de toxicomanes multi-récidivistes et refusant les soins, cette peine devant être accomplie dans des centres pénitentiaires fermés dédiés spécifiquement au traitement de la toxicomanie.

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