I. MIEUX CONNAÎTRE ET MIEUX FORMER, POUR UNE CULTURE DU RESPECT DE LA PERSONNE HANDICAPÉE
Il s'agit, d'une façon générale, de porter un nouveau regard sur la personne handicapée, de lui donner un véritable droit à la différence .
A. APPRÉHENDER JUSTEMENT LA PERSONNE HANDICAPÉE
1. Les représentations du handicap
Il semblerait judicieux de mettre en place une campagne de communication générale promouvant une approche juste de la personne handicapée. Il faudrait également améliorer l'image des métiers de l'accompagnement du handicap pour recruter suffisamment de personnes ayant, à la base, une sensibilité particulière aux problèmes liés au handicap. Ces deux axes de communication se conforteraient l'un l'autre : une meilleure approche de la personne handicapée peut susciter des vocations, et une valorisation de métiers concernés ferait comprendre à tous la richesse des relations humaines résultant du contact avec les populations handicapées.
a) Pour une campagne de communication généraliste
Notre
société considère le handicap et ceux qui le prennent en
charge avec distance, respect et crainte
. Ainsi, la prise en charge par
autrui des personnes handicapées procure un grand soulagement. Comme l'a
déjà observé la commission d'enquête, les grandes
associations ont répondu aux besoins de ces personnes à la place
des pouvoirs publics durant quinze ou vingt ans (elles sont devenues
elles-mêmes de véritables institutions à qui, du reste, peu
de bilans étaient demandés, les responsables publics
considérant que leur dévouement suffisait).
Evidemment, le temps est révolu où les familles enfermaient leurs
enfants dans des institutions pour ne pas être repérées. Le
regard porté sur les personnes handicapées et sur leur place dans
la cité s'est considérablement amélioré ces vingt
dernières années.
Certes,
les outils mis en place par la loi du 2 janvier 2002
rénovant l'action sociale et médico-sociale, qu'il s'agisse de
l'élaboration d'une charte nationale qui comportera des principes
éthiques et déontologiques, de l'affirmation des droits
fondamentaux de la personne handicapée, d'une charte des droits et
libertés de la personne accueillie, ou d'un contrat de séjour
passé avec la personne handicapée,
devraient favoriser les
évolutions culturelles et les prises de conscience dans les
établissements
, tout comme la création d'un conseil de la vie
sociale en leur sein, ou encore l'obligation d'élaborer un projet
d'établissement.
Mais
le danger serait que cette loi du 2 janvier 2002 demeure
incantatoire
. En effet, elle ne trouvera vraiment d'effectivité
qu'à condition que soit défini, de façon
générale, un nouveau rapport à l'éthique.
Ainsi, un travail de communication s'impose absolument à
l'extérieur des établissements, qui ne peut qu'encourager les
évolutions nécessaires dans les établissements, ainsi
moins isolés dans l'
aggiornamento
auquel la loi du 2 janvier
2002 les convie.
Lors des visites d'établissements par la commission d'enquête,
certains travailleurs sociaux ont déclaré s'être
trouvés particulièrement choqués par le regard des gens
« normaux » lors des promenades en ville. Il leur semble,
notamment pour ce qui concerne le handicap mental, que bon nombre de crises ou
de comportement nerveux peuvent être attribués ou amplifiés
par un certain type de regard. Selon ces personnels,
une communication
d'envergure s'imposerait pour poser les jalons d'une perception des personnes
handicapées mentales mieux partagée de l'humanité.
Cette nouvelle perception pourrait d'abord s'appuyer sur le thème d'une
solidarité retrouvée.
Il pourrait s'agir, sobrement mais non
sans éloquence, de réactiver le troisième pilier de la
République (la fraternité).
L'autre pilier de ce renouveau consisterait à accréditer
l'idée selon laquelle
le handicap est l'affaire de tous
. Qui, en
effet, peut être assuré de ne jamais devenir handicapé
physique, qui peut garantir qu'un de ses proches, né ou à
naître, ne sera jamais affligé d'un handicap mental ?
Dès lors, le handicap peut être banalisé, et la politique
du handicap utilement renforcée. Citons M. Patrick Gohet,
délégué interministériel aux personnes
handicapées : « [...]
le handicap
révèle et exacerbe les difficultés de notre
société. Apporter une réponse aux besoins des personnes
handicapées est donc également améliorer la vie de tous.
Il faut en faire la démonstration. Nos concitoyens s'émeuvent
facilement devant des sujets relatifs aux personnes handicapées. Ces
sujets ne sont d'ailleurs évoqués que lorsque l'émotion
peut être suscitée.
Il n'est pas normal que le handicap ne soit
pas traité de manière ordinaire, en particulier dans les
médias. Le faire éviterait que le handicap ne soit un sujet
médiatisé qu'en cas de problèmes graves
. Puisque nous
allons réviser la loi et puisque nous voulons une véritable
politique du handicap, il nous faudra mettre en place les moyens
nécessaires compte tenu de certains retards de la France, par exemple en
matière d'accessibilité.
« Nous devons donc expliquer à nos concitoyens que lorsque
nous faisons un effort pour améliorer la vie des personnes
handicapées, c'est un investissement en faveur de l'amélioration
globale de la vie dans notre société.
Il nous faut donc
parvenir à permettre une prise de conscience qui dépasserait la
seule émotion suscitée par les médias lorsque ceux-ci
rendent compte de faits exceptionnels.
Il conviendrait donc
d'intégrer la politique du handicap au nombre des politiques normales
qui profitent à tous.
»
Ce
changement de perception du handicap suscité par un travail de
communication, que la commission d'enquête appelle de ses voeux
,
n'est pas sans exemple. Ainsi, le Canada a su remodeler le regard porté
sur le handicap grâce à un travail de longue haleine.
Cette évolution rejaillirait certainement sur le prestige des
métiers de l'accompagnement du handicap. Ainsi, M. Christophe
Lasserre-Ventura, président de l'Association Perce-Neige, a
indiqué à la commission d'enquête :
«
le regard social porté sur le handicap, en particulier
mental, demeure péjoratif, même si les choses ont
considérablement évolué au cours des dernières
décennies. Il me semble que cela se répercute sur les professions
qui s'en trouvent par avance discréditées
. Une
enquête réalisée voilà quelques années
auprès de jeunes mamans sur les professions convoitées pour leurs
enfants faisait ressortir que le métier d'éducateur
spécialisé n'entrait pas du tout dans les ambitions
parentales
. »
b) Pour la promotion des métiers de l'accompagnement du handicap
Le
premier motif de maltraitance pourrait provenir, dans le futur, d'un nombre
insuffisant de professionnels
(infra)
. Toutes choses étant
égales par ailleurs, la démographie des professionnels dans le
secteur du handicap conduit certainement à une pénurie. Ainsi,
le phénomène de raréfaction observé pour les
infirmières pourrait bientôt se manifester dans le secteur
médico-social
. D'ores et déjà, concernant la
profession d'aide médico-psychologique (AMP), ce sont souvent des
personnes désorientées qui sont amenées à postuler,
généralement par défaut, ce qui ne peut qu'avoir des
conséquences sur la qualité de l'approche de la personne
handicapée
Les pouvoirs publics, en collaboration avec tous les acteurs du secteur,
doivent donc revaloriser l'image et la signification de ces métiers.
Quels peuvent être les axes de cette revalorisation ? La
société privilégie la performance, et ces métiers
rencontrent des difficultés à se positionner. L'image des
métiers relationnels, qu'il s'agisse du domaine de handicap, de celui
des personnes âgées ou de celui de l'exclusion, n'est pas
suffisamment valorisée. Pourtant, les jeunes seraient certainement
réceptifs à une campagne axée sur la
richesse de
l'aspect relationnel
de la gamme des professions en contact avec les
personnes handicapées.
Les métiers concernés doivent permettre de
construire une
image de dévouement et de désintéressement
susceptible
d'atteindre au degré de
popularité
de professions comme
celle de pompier. Une telle identification permettrait de faire en sorte que
les professionnels se sentent investis d'une mission qui les dépasse, et
pour laquelle ils aient envie de se dépasser. Il arrive que ce type
d'identification se produise dans le milieu associatif. Ainsi, Christophe
Lasserre-Ventura, président de l'Association Perce-Neige,
déclarait devant la commission d'enquête :
«
Perce-Neige bénéficie, au travers de la
notoriété de son fondateur, d'une image extrêmement
positive qui motive notre action. Naturellement, cette motivation revêt
pour moi un caractère plus personnel puisqu'elle s'inscrit dans les
gènes. Mais je pense qu'il existe aussi un phénomène
d'identification de l'ensemble des personnels de Perce-Neige à cette
image
. Cet aspect « galvanisateur » nous incite à
nous montrer au quotidien à la hauteur des espérances que notre
fondateur avait placées dans cette association
. Cette
dernière possède une déontologie et des qualités
qui ont été transmises par osmose par notre fondateur. Là
se trouve la clé de notre motivation à tous, administrateurs et
salariés
».
Il convient donc de réfléchir aux moyens de maintenir
l'idéal de bientraitance qui se trouve le plus souvent à
l'origine des projets associatifs, idéal qui finit souvent par
céder devant des considérations gestionnaires. Du reste, il est
courant d'assister à une « prise de pouvoir » des
professionnels sur les conseils d'administration.
Une
délégation plus claire des prérogatives de gestion serait
ainsi de nature à préserver l'authenticité des projets
associatifs.
L'intérêt d'une
revalorisation financière
a parfois
été évoqué devant la commission d'enquête,
mais, outre que la convention collective du 15 mars 1966 régissant les
établissements et services privés pour personnes
handicapées et inadaptées à but non lucratif
établit une
grille de rémunération qui demeure
globalement attractive
,
il semble qu'une hausse substantielle des
rémunérations serait inopportune
. En effet, d'une part, le
contexte budgétaire général ne le permettrait pas (des
modifications de grille peu sensibles à court terme sont susceptibles de
mettre un secteur en difficulté à moyen terme), d'autre part, de
telles revalorisations ne résoudraient en rien les problèmes
liés à l'insuffisance du nombre de places en formation et
à la nécessité d'une vraie sensibilité au handicap.
Toutefois, même si le levier financier ne peut constituer le levier
principal, il est possible qu'il s'avère, demain, utile, si la
convention de 1966 devenait comparativement moins attractive, de rehausser les
rémunérations.
Sans doute faudrait-il garder en ligne de mire l'exemple de la Suède.
Dans ce pays, travailler pour les personnes handicapées est une fonction
noble et reconnue dans la société. Aussi est-il fréquent
que des personnes abandonnent des métiers techniques pour s'y consacrer.
Proposition
Engager
des campagnes de communication destinées à :
- susciter un autre regard sur les personnes handicapées dans la
société ;
- promouvoir les métiers de l'accompagnement du handicap