B. MIEUX FORMER LES PERSONNES EN CONTACT AVEC LA POPULATION HANDICAPÉE

Tout au long de ses investigations, la commission d'enquête a constaté auprès de la quasi-totalité de ses interlocuteurs que l'insuffisance de la formation - non seulement des personnels, mais de l'ensemble des acteurs -constituait une préoccupation majeure .

1. Former des professionnels en nombre suffisant

a) Les établissements et services sociaux et médico-sociaux connaissent des difficultés de recrutement croissantes

M. Patrick Segal, ancien délégué interministériel aux personnes handicapées, a déclaré devant la commission d'enquête : « Il suffit d'avoir fréquenté quelque temps des établissements sociaux et médico-sociaux pour se rendre compte qu' au-delà d'une bonne volonté et d'une générosité manifestes, le professionnalisme fait défaut . »

Les personnels qui assurent l'accompagnement quotidien sont ceux qui ont suivi les formations les plus courtes. Le secteur a accompli des progrès importants puisqu'il existe désormais des diplômes d'Etat pour ces personnels : le diplôme d' aide médico-psychologique (AMP) et d'auxiliaire de vie sociale.

Toutefois, bon nombre d'employeurs, faute de trouver des travailleurs sociaux diplômés, ont été contraints de recourir à des « faisant fonction », ce qui est juridiquement possible pour les AMP, la profession n'étant pas réglementée .

Or, il est certain que plus les personnes sont formées, plus il leur est possible d'analyser les situations souvent complexes avec le recul nécessaire et plus l'approche de la personne handicapée est de qualité.

Ainsi, M. Christian Chasseriaud, président de l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (AFORTS), a tenu les propos suivants à la commission d'enquête : « Je souhaiterais attirer votre attention sur un sujet qui est, à mes yeux, essentiel. Il est inconcevable de ne recourir qu'à des « faisant fonction » dans les métiers du travail social. Je soulignais précédemment que nous travaillons auprès de publics démunis, fragiles et vulnérables. Si l'on ne porte pas une attention particulière à la professionnalisation et à l'apprentissage du métier, on court le risque que des personnes, par manque de formation - et pas forcément dans l'objectif de mal faire - s'adonnent à certaines dérives . Cette question me semble fondamentale. »

Cette pénurie s'explique pour partie par la mise en place des « 35 heures », qui a suscité une vague d'embauches asséchant quelque peu l'offre de travail dans le secteur, mais la démographie des professionnels concernés explique l'essentiel des difficultés à venir. Une étude prospective récente, portant sur l'ensemble de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif, a permis de constater que dans les écoles formant les professionnels du secteur, les quotas de formation autorisés et financés par les pouvoirs publics sont en déficit de 20 % pour assurer le simple renouvellement démographique des personnels qui partiront à la retraite au cours des prochaines années . Cette pénurie touche d'abord les structures considérées comme étant les plus difficiles. En moyenne, sur cinq postes d'éducateurs, deux restent à pourvoir.

Au-delà des expédients de toute sorte, qu'il s'agisse du recours à des « faisant fonction », ou à la mise sous tension des personnels en place, il est désormais urgent d'agir sur la formation initiale. Ainsi, M. Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, a déclaré à la commission d'enquête : « Nous construisons des structures avec des outils qui sont divers et fragiles et nous persistons à nous étonner, lors de l'évaluation, de l'imperfection des systèmes que nous avons mis en place de manière pragmatique. Nous devons certes laisser une place à l'innovation et à l'imagination, mais nous ne devons pas oublier d'installer les garanties minimales. Je crains que la diminution des candidats dans notre secteur ne nous contraigne à avoir recours à des pis-aller dans les années à venir, notamment en ce qui concerne l'accueil et l'accompagnement des personnes les plus lourdement handicapées . »

Nonobstant le défaut de professionnalisme, le recrutement de « faisant fonction » pose un autre problème : les moyens consacrés à la formation continue sont utilisés en partie pour professionnaliser les personnes n'ayant pas bénéficié d'une formation initiale.

Une difficulté particulière mérite, à ce stade, d'être mentionnée : il semble difficile de se procurer les services de médecins psychiatres dans les instituts médico-éducatifs, faute de pouvoir leur proposer des conditions suffisamment attractives compte tenu de la rareté de l'offre.

b) Il est nécessaire de renforcer la formation initiale

Le plan pluriannuel de formation des travailleurs sociaux, lancé en 2002 par le Gouvernement, constitue la réponse de l'État, des acteurs et partenaires sociaux du secteur de l'intervention sociale à la pénurie de travailleurs sociaux, annoncée à court et moyen terme.


Extrait d'une réponse du ministère de la solidarité à M. Paul Blanc, rapporteur pour avis des crédits de la solidarité pour 2003

Les besoins liés à la nécessaire adéquation entre formation et emploi ont été évalués dans le cadre de l'élaboration du schéma national des formations pour les diverses branches du domaine et pour les différents diplômes qui le concernent.

L'Etat s'est engagé à répondre à ce besoin au titre de sa mission de formation initiale des travailleurs sociaux dans le cadre du nouveau programme de lutte contre les exclusions. Le plan pluriannuel de formation se déroule sur quatre ans, de 2002 à 2005, du fait des durées des formations (un, deux ou trois ans).

Ce plan a permis la création de 3.000 places en formation initiale dès la rentrée scolaire 2002, soit une augmentation d'environ 10 % du nombre des étudiants. Il sera poursuivi en 2003 par une seconde entrée en première année de 3.000 nouveaux étudiants et atteindra environ 8.000 nouveaux étudiants en formation au terme de la montée en charge du dispositif avec la perspective de sortie de 3.000 diplômés supplémentaires par an.

Les places nouvelles ont été réparties entre les formations et les régions en fonction des demandes des DRASS en février 2002 afin de permettre aux centres de formation d'engager dès que possible leurs procédures de recrutement d'étudiants pour la rentrée scolaire 2002. [...] Ce plan comporte deux mesures budgétaires :

1°) L'augmentation du nombre d'étudiants en formation

Elle implique l'augmentation des financements correspondants des centres de formation en travail social (chapitre 43-33, article 20). Pour 2002, la mesure budgétaire nouvelle correspondante s'élève à 4,27 millions d'euros pour un trimestre de formation pour 3.000 nouveaux étudiants.

Les crédits proposés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2003 s'élèvent à 121,57 millions d'euros (+ 12 %) et intègrent une mesure nouvelle de 12,7 millions d'euros destinée à la montée en charge du plan pluriannuel de formation de travailleurs sociaux dont 8,5 millions d'euros pour l'extension en année pleine du financement des places ouvertes en 2002 et 4,25 millions d'euros pour la deuxième année du plan (quatre mois de scolarité de septembre à décembre 2003).

2°) L'augmentation corrélative du nombre d'étudiants boursiers et les conséquences de la mise en place d'un système d'allocation de bourses fondé sur critères sociaux .

Le principe d'un alignement progressif sur les barèmes des bourses de l'enseignement supérieur est mis en oeuvre depuis la rentrée scolaire 2002 ; cette évolution va amener à la fois l'accès d'un plus grand nombre d'étudiants en travail social aux bourses, et donc renforcer l'attractivité de ces formations par la parité avec les étudiants de l'enseignement supérieur.

En 2002, le chapitre 43-33, article 30, passe à 15,11 millions d'euros en projet de loi de finances. Cette augmentation de 13,79 %, qui correspond à une mesure nouvelle de 1,83 million d'euros, est destinée à financer la mise en oeuvre depuis septembre 2001 de la réforme des conditions et modalités d'attribution des bourses d'études en travail social sur le modèle des bourses sur critères sociaux de l'enseignement supérieur.

En 2003, le chapitre 43-33, article 30, passe à 18,15 millions d'euros en projet de loi de finances. Cette augmentation de 20 % correspond à une mesure nouvelle de 3 millions d'euros destinée à financer la revalorisation du montant des bourses et à accompagner la mise en oeuvre à partir de septembre 2002 du plan pluriannuel des formations en travail social.


Il importera non seulement de tenir, mais encore d'excéder ces engagements. En effet, la limitation du nombre de formations financées revient indirectement à instaurer un numerus clausus , qui incitent les établissements à recourir à toutes sortes d'expédients.

Le renforcement des moyens consacrés à ces formations peut toutefois se révéler insuffisant pour pallier certaines pénuries locales . Ainsi, au nord de la Loire, il semble fréquent que les AMP, une fois formés, quittent la région pour des soleils moins incertains. Afin que le département souffre moins de cette « fuite des cerveaux », l' idée a été émise de créer un CAP correspondant à cette qualification , à l'image de celui qui existe déjà pour la petite enfance. Par ailleurs, de grandes difficultés de recrutement sont aujourd'hui rencontrées en zone urbaine, tout particulièrement dans la région parisienne. Cela s'explique tout simplement par le coût de la vie et les difficultés rencontrées pour se loger . Il serait utile de rechercher les moyens de compenser ces défauts d'attractivité.

Surtout, à court terme, quand le nombre d'AMP formés sera suffisant, il conviendra d'en réglementer la profession en vue de l'exigence du diplôme. Le diplôme devrait être obtenu par les AMP, au plus tard, dans le cadre de la formation continue, dans un délai de cinq années après leur entrée en fonction.


Une expérimentation intéressante mérite d'être mentionnée : depuis trois ans, une formule d'apprentissage a été mise en place pour les formations d'éducateur spécialisé et de moniteur éducateur (l'apprentissage sollicite alors trois financeurs : l'Etat, la région et l'employeur ; il s'agit ainsi de la seule expérimentation en cours dans laquelle la région intervient, tous les crédits relatifs à la formation au travail social étant normalement des crédits d'Etat). L'apprentissage constitue une piste intéressante pour participer à la constitution d'un terreau suffisant de professionnels qualifiés . En outre, il permet à des élèves d'un moindre niveau scolaire d'accéder à des métiers pour lesquels le nombre élevé de demandes d'inscription auprès des centres de formation correspondants a eu pour effet de relever substantiellement le niveau d'étude des étudiants qui y sont admis, évinçant ainsi les moins diplômés.


Proposition

Engager la réglementation de la profession d'aide médico-psychologique (AMP). Cette réglementation comporterait, pour les AMP non diplômés lors de leur prise de fonction, une obligation, dans le cadre de la formation continue, d'avoir obtenu le diplôme correspondant au plus tard cinq ans après leur entrée en fonction

c) Le recours à la validation des acquis de l'expérience (VAE) doit être organisé

Les personnels déjà recrutés en tant que « faisant fonction » doivent pouvoir être professionnalisés, ce que la VAE devrait permettre.

La loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et ses décrets d'application prévoient que toute personne est en droit de faire valider les acquis de son expérience en vue de l'obtention d'un titre ou d'un diplôme à finalité professionnelle.


Le fonctionnement de la validation des acquis de l'expérience (VAE)

L'« expérience », d'une durée minimale cumulée de trois années, peut être salariée, non salariée ou bénévole, mais elle doit être en rapport avec le diplôme ou le titre à finalité professionnelle visé. Les périodes de stage incluses dans une formation ne peuvent être prises en compte.

La validation, totale ou partielle, est effectuée par le jury habituel du diplôme qui se prononce au vu d'un dossier constitué par le candidat et selon la procédure prévue par l'autorité qui délivre la certification.

Le jury peut attribuer la totalité du diplôme. A défaut, il se prononce sur l'étendue de la validation et, en cas de validation partielle, sur la nature des connaissances et aptitudes devant faire l'objet d'un contrôle complémentaire dans les cinq années suivant sa décision.


Aujourd'hui, seul le diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est accessible par validation des acquis de l'expérience (dans le cadre d'une expérimentation initiée le 1 er août 2002).

Toutefois, la VAE est en voie d'être organisée pour les autres diplômes et certificats du travail social, ainsi que M. Jean-Marc Braichet, chef du bureau « Formation des professions de santé », au ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, l'a indiqué à la commission d'enquête : « Il me semble que cette question des personnels qui pourraient exercer en établissements sociaux et médico-sociaux sans formation concerne essentiellement les aides-soignants et, par extension, tous les personnels qui pourraient faire office d'aides-soignants. Il s'agit de l'une des rares professions, parmi toutes celles que nous vous avons citées, qui ne soit pas réglementée. La possession d'un diplôme ne constitue donc pas une condition absolument incontournable pour pouvoir l'exercer. De ce fait, il existe, dans les établissements sociaux et médico-sociaux ainsi que dans quelques établissements sanitaires, des personnels qui exercent la profession d'aides-soignants sans pour autant avoir suivi de formation adéquate. Il va de soi que l'amélioration de la qualification des personnels constitue une préoccupation constante de la direction générale de la santé. In fine, la prise en charge des malades n'en sera que meilleure. Dans cet esprit, nous pensons que le dispositif récent de validation des acquis d'expérience, mis en place par la loi du 17 janvier 2002, permettra l'accès aux diplômes, donc à la qualification correspondante, des personnels qui exercent depuis plusieurs années sans formation ni diplôme. Nous comptons engager cette action très rapidement. Nous souhaitons en faire bénéficier les aides-soignants en priorité. Nous espérons mettre en place ce dispositif au cours des prochains mois, en tout cas avant le terme de l'année 2004. »

Pour autant, la VAE ne doit pas servir à cautionner l'embauche de personnels sans formation . D'une part, la durée minimale de trois années trouvera rarement à s'appliquer à une population volatile, sans prédispositions particulières pour un métier dont elle ressent surtout les contraintes excessives. D'autre part, rien ne donne autant d'assurance, au moins au commencement de la vie professionnelle, qu'une solide formation initiale. En effet, comment raisonnablement s'accommoder, pour un métier réputé difficile et présentant des risques importants de maltraitance, d'une première formation « sur le tas », même suivie d'une VAE adéquate ? Idéalement, la VAE devrait permettre de favoriser l'évolution de personnels ayant déjà bénéficié d'une formation initiale ( infra ).

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