2. Faire prévaloir l'intérêt des personnes handicapées sur la logique institutionnelle

Cet objectif primordial n'a de chance d'être atteint, en particulier, pour les personnes handicapées mentales, que si leurs intérêts sont susceptibles d'être correctement représentés et défendus . D'autant plus que la loi du 2 janvier 2002 érige le représentant légal, lorsqu'il existe, en un interlocuteur privilégié de l'institution, s'agissant tant de l'élaboration du projet individuel que de la participation à l'élaboration du contrat de séjour.

Or, la représentation juridique des personnes handicapées pose aujourd'hui de nombreux problèmes, qu'il s'agisse de la tutelle 68( * ) ou de la curatelle. Cette question a déjà été traitée au chapitre 2.

a) Promouvoir la logique de projet

Les personnes handicapées

L'article 7 69( * ) de la loi du 2 janvier 2002 garantit à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux « une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion , adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement de son représentant légal doit être recherché ».

L'article 8 70( * ) de la même loi indique plus loin : « Un contrat de séjour est conclu ou un document individuel de prise en charge est élaboré avec la participation de la personne accueillie ou de son représentant légal. Ce contrat ou document définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de l'accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet d'établissement. Il détaille la liste et la nature des prestations offertes ainsi que leur coût prévisionnel ».

Ainsi, il résulte de la loi que la personne handicapée doit faire l'objet, au sein de l'établissement qui l'accueille, d'un projet dont elle doit être, dans toute la mesure du possible, actrice. Cette perspective, que renforcerait une réforme des COTOREP visant à réserver aux personnes handicapées un choix quant à leur orientation future, est susceptible d'inférer un surcroît de considération pour la personne handicapée.

Si les fédérations associatives se sont déjà, pour les plus dynamiques d'entre elles, inscrites dans cette logique de projet en dehors de toute obligation juridique -les contrats de séjour sont aujourd'hui pratique courante-, la commission d'enquête se réjouit de la perspective d'une publication rapide des règlements d'application de la loi du 2 janvier 2002, afin que ces contrats deviennent une réalité pour toutes les personnes handicapées, et une source de réflexion pour l'ensemble des personnels.

L'établissement

L'article 12 de la loi du 2 janvier 2002 exige que, pour chaque établissement ou service social ou médico-social, il soit élaboré un projet 71( * ) d'établissement ou de service , qui définisse ses objectifs, notamment en matière de coordination, de coopération et d'évaluation des activités et de la qualité des prestations , ainsi que ses modalités d'organisation et de fonctionnement.

Cette exigence est de nature à remédier à la perte de vigueur de certains projets associatifs , et elle donne l'occasion de convier l'ensemble des acteurs de l'établissement à une réflexion qui ne peut qu'être porteuse sur le plan de la bientraitance .

b) Promouvoir la logique participative

M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'Association des Paralysés de France, a déclaré à la commission d'enquête : « Si les personnes handicapées [...] ont déjà l'habitude de prendre la parole et d'exprimer ce qu'elles vivent en commun, nous pouvons espérer, sans toutefois être sûrs de rien, que tout acte de maltraitance sera révélé. ». Ces pratiques s'inscrivent en faux contre les dérives dictatoriales ou paternalistes.

Les personnes handicapées

La commission d'enquête estime que le propos de M. Dominique Dusigne, chargé du droit des structures de l'Association des Paralysés de France, est éclairant : « En donnant la parole , au travers du conseil de la vie sociale , de groupes de parole ou d'activités d'expression, à des personnes dont on n'attendait pas grand-chose de plus que leur présence , car elles n'exprimaient ni envie ni désir, en se montrant prêt à déceler leurs attentes et/ou en leur donnant la possibilité de les exprimer, il se produit un déclic et il devient possible de passer d'une situation de dépendance à une dynamique qui permettra à la personne de mieux vivre. Si nous prenons au sérieux la loi du 2 janvier 2002 , en ne nous limitant pas à la mise en place d'un projet et à l'élaboration d'un livret d'accueil, mais en initiant cette dynamique, quelque chose de très important peut se produire . »

Rappelons que l'article L. 311-6 du code de l'action sociale et des familles (issu de l'article 10 de la loi du 2 janvier 2002), afin d'associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de l'établissement ou du service, institue un conseil de la vie sociale (un décret en préparation doit en déterminer la composition et les compétences), normalement consulté, par ailleurs, en vue de l'élaboration du projet d'établissement.

D'ores et déjà, de nombreuses associations ont soit devancé ces obligations, soit initié des formes originales de participation des personnes handicapées.

Une difficulté particulière a été signalée dans les CAT : les personnes handicapées n'y ayant pas le statut de salarié, ils ne peuvent accéder à aucune forme de représentation syndicale. Une participation plus poussée à la vie de l'établissement que celle résultant de la présence des travailleurs handicapés au conseil de la vie sociale semblerait cependant opportune .


Proposition

Explorer les voies d'un renforcement de la participation des travailleurs handicapés des CAT à la vie de leur établissement.


Les familles

Une participation souhaitable à la vie de l'établissement

La loi du 2 janvier 2002 ne traite pas précisément ce point, mais les associations plaident, avec une belle unanimité, pour la participation des familles, directement, ou en relais de la personne handicapée.


Ainsi l'Union nationale des associations familiales (UNAF) s'est toujours prononcée pour la participation des familles aux conseils d'établissements. Dans une charte de l'UNAPEI, il est inventorié, sous le label « bonnes pratiques », la « présence majoritaire des parents au sein des instances élues ». Il convient également de rappeler (supra) la structuration exemplaire de l'APF, qui a organisé la représentation des parents de l'établissement jusqu'au niveau national.

Pour sa part, M. Jean-Pierre Picaud, Président de la confédération des personnes handicapées libres, suggère d'attribuer des congés de représentation aux représentants des familles afin d'assurer leur indemnisation en cas d'absence causée par la réunion des conseils d'établissement.

Une participation parfois problématique à la gestion de l'établissement

Les problèmes causés par les « associations à double casquette », qui assurent à la fois la défense des personnes handicapées et la gestion des structures qui les accueillent, ont été souvent signalés à la commission d'enquête
. La défense des personnes handicapées serait souvent oubliée au profit de la gestion de l'établissement, et la logique institutionnelle l'emporterait sur la défense des personnes. Ainsi, M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, ancien collaborateur à l'INSERM, auteur de « La maltraitance institutionnelle », a livré cette constatation à la commission d'enquête : « dans une minorité de cas, les associations de parents d'enfants handicapés, après avoir rendu des services magnifiques, oubliaient les raisons pour lesquelles elles s'étaient créées. Les parents y deviennent en quelque sorte des super-gestionnaires . ». Bachir Kerroumi membre du Collectif des démocrates handicapés (CDH), a relevé cette anomalie : « Lorsqu'un parent occupe un rôle actif au sein d'une association gestionnaire, il a naturellement tendance à favoriser sa propre famille. Au final, les parents qui ne font pas partie de ladite association sont délaissés . Cela n'est guère démocratique . ». Enfin, Mme Dominique Gillot, ancienne secrétaire d'Etat aux personnes âgées et aux personnes handicapées, a déclaré à la commission d'enquête : « les gestionnaires politiques sont souvent des parents dont les enfants se trouvent dans l'établissement. Lorsque survient un conflit avec un agent résultant du constat d'un manquement professionnel, il est difficile pour un parent de changer de rôle et d'assumer pleinement sa responsabilité de gestionnaire : des craintes pèsent sur les conséquences que cela pourrait entraîner sur son enfant . Cela peut même aller jusqu'à la peur que cet enfant perde son lieu d'accueil, soit rejeté . »

Afin de porter remède à cette situation, il est indispensable, non pas de revenir sur le principe d'une gestion associative (qui a permis aux parents de faire fonctionner de très nombreux établissements qui, sans eux, n'existeraient pas), mais d'établir, ainsi qu'il a déjà été noté, une délégation plus claire des prérogatives de gestion de nature à préserver l'authenticité des projets associatifs.

Dans l'attente d'une telle évolution, il n'est sans doute pas fortuit que l'Association française des myopathies (AFM) ait réitéré, en octobre 2001, son refus de rentrer dans le système gestionnaire.

En tout état de cause, cette question délicate mérite d'engager une réflexion.


Proposition

Engager une réflexion sur les conditions dans lesquelles une association de défense des personnes handicapées peut assurer la gestion d'établissements sociaux et médico-sociaux.

c) Promouvoir les droits de la personne

La loi du 2 janvier 2002 est particulièrement riche de dispositions visant, directement ou indirectement, à assurer le respect des droits fondamentaux de la personne handicapée :

« Une charte nationale est établie conjointement par les fédérations et organismes représentatifs des personnes morales publiques et privées gestionnaires d'établissements et de services sociaux et médico-sociaux. Cette charte porte sur les principes éthiques et déontologiques afférents aux modes de fonctionnement et d'intervention, aux pratiques de l'action sociale et médico-sociale et aux garanties de bon fonctionnement statutaire que les adhérents des fédérations et organismes précités sont invités à respecter par un engagement écrit » (article 6 72( * ) );

« L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires », lui sont notamment assurés « le respect de sa dignité, de son intégrité , de sa vie privée , de son intimité et de sa sécurité », « la confidentialité des informations la concernant », « l' accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge , sauf dispositions législatives contraires », ainsi qu'« une information sur ses droits fondamentaux et les protections particulières légales et contractuelles dont elle bénéficie, ainsi que sur les voies de recours à sa disposition » (article 7 73( * ) );

« Afin de garantir l'exercice effectif des droits [...] et notamment de prévenir tout risque de maltraitance, lors de son accueil dans un établissement ou dans un service social ou médico-social, il est remis à la personne ou à son représentant légal un livret d'accueil » auquel est notamment annexée « une charte des droits et libertés de la personne accueillie , arrêtée par les ministres compétents » (article 8 74( * ) ).

Le milieu associatif s'est déjà largement investi de la réflexion en matière de définition des droits fondamentaux de la personne handicapée, et sur les moyens d'en assurer le respect .

Ainsi, Philippe Calmette, directeur général du Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés (SNAPEI), a indiqué à la commission d'enquête que son organisme travaillait à l'élaboration d'un code déontologique et d'un guide de bonnes pratique, où les chapitres consacrés à la maltraitance bénéficieront d'un espace relativement important, considérant que sur un tel sujet, il est très important de ne pas laisser les professionnels démunis et livrés à eux-mêmes.

Cependant, il semblerait naturel à la commission d'enquête que le rôle de l'Etat demeurât central sur ces questions de définition et de respect des droits fondamentaux - ce qui doit normalement découler de l'application la loi du 2 janvier 2002 .

Dans cette perspective, les propos tenus par M. Roland Broca, président de la Fédération française de santé mentale (FFSM) à la commission d'enquête méritent d'être rapportés : « Il me semble qu'il conviendrait d'élaborer une charte rigoureuse des droits et devoirs des professionnels s'occupant de personnes vulnérables qui traduise en termes clairs, pratiques et compréhensibles une éthique des bonnes pratiques . Il ne faut pas laisser des questions aussi importantes à l'appréciation individuelle de tel directeur d'établissement ou de tel président d'association, en fonction de sa morale personnelle. Il ne faut, par conséquent, pas confondre éthique et morale ou même déontologie car il s'agit de points de vue différents. En effet, ces critères ne sont pas des outils assez fins, assez aiguisés pour orienter les pratiques dans le sens souhaité.

L'éthique est, à nos yeux, la notion qui découle du respect des droits fondamentaux et des libertés de la personne, et peut se décliner en une « éthique des bonnes pratiques ». Il devrait y avoir un enseignement, une véritable catéchèse des critères éthiques appliqués à la relation d'aide concernant ces personnes particulièrement vulnérables.
»

Pour sa part, M. Pierre Marécaus, administrateur de l'Association des Paralysés de France, estime qu' « il est dommage que l'article 12 de la loi du 2 janvier 2002, qui précise le contenu du projet d'établissement, ne soit pas plus explicite sur la référence aux droits fondamentaux , au sens et aux valeurs du projet associatif ». Il est exact qu'aux termes de cet article, le contenu impératif du projet d'établissement est limité à la définition des objectifs de l'établissement « en matière de coordination, de coopération et d'évaluation des activités et de la qualité des prestations », et à « ses modalités d'organisation et de fonctionnement », et il paraîtrait judicieux de combler cette lacune.

Par ailleurs, la protection de certains des droits de la personne requiert une attention particulière :

Vie affective et sexuelle

Concernant, en particulier, les personnes handicapées mentales, il est probable qu'une gestion libérale de la vie affective et sexuelle dans les établissements se heurtera longtemps à une incompréhension fondamentale. Mme Hélène Strohl, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS), a ainsi déclaré à la commission d'enquête : « Sans doute faut-il se garder de tout jugement rapide, d'autant que - comme nous l'avons signalé dans notre rapport - la sexualité des personnes handicapées fait toujours peur, notamment aux biens portants. Les femmes ayant plusieurs partenaires nous ont toujours été décrites comme des femmes violées ou prostituées, mais jamais comme des femmes auxquelles il plaisait d'avoir plusieurs partenaires. Etant considéré que l'on peut difficilement demander aux malades mentaux d'avoir une sexualité « normale », de couple et de famille - car aucune incitation ne va dans ce sens - il est difficile de juger anormales des pratiques différentes . »

Il convient au moins d'accepter que les personnes handicapées puissent accéder à cette sexualité « normale » , ce qui suppose de surmonter encore bien des préjugés. M. Roland Broca, président de la Fédération française de santé mentale (FFSM), en a donné une explication à la commission d'enquête : « Par voie de conséquence, cette question prête à un grand nombre de malentendus. Le plus important de ces malentendus résultant, à mon sens, de la difficulté de dissocier l'exercice habituel de la sexualité de sa dimension reproductive, appréhendée comme un risque pour les personnes handicapées et pour leur descendance ».

Pour les personnes handicapées physiques se pose parfois le problème de l'accès à une sexualité qui pourrait être qualifiée de « minimale » , susceptible de requérir un certain degré de compréhension de la part d'un personnel parfois insuffisamment averti.

Ainsi, il faut insister prosaïquement sur le fait que les personnels sont souvent démunis, faute d'instructions, de précédents, de dispositions figurant dans le règlement intérieur, et plus généralement, de références à des bonnes pratiques qui leur seraient accessibles . Or, il semble à la fois aléatoire pour les personnes handicapées, et pénible pour les personnels, que ces questions soient laissées à l'appréciation morale de ces derniers. M. Roland Broca a bien insisté sur cet aspect des choses : « Laisser les éducateurs en proie à leurs interrogations et à leurs doutes, fermer les yeux sur un problème aussi important n'est pas tolérable, deux siècles après celui des Lumières. L'inscription de règles de conduite dans un règlement intérieur constituerait une garantie contre l'arbitraire et les comportements des personnes en la matière ne dépendraient plus de leur appréciation morale individuelle mais de principes clairement énoncés. »

Ainsi, il est impératif que les règlements intérieurs ou les chartes posent des prescriptions ou des lignes de conduite dans le domaine de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées, que les personnels soient en mesure d'appliquer .

Nourriture

Le sujet, déjà évoqué, est moins anodin qu'il n'y paraît. Mme Gloria Laxer, directeur de recherches à l'Université de Lyon, maître de conférences, chargée de mission « Public à besoins éducatifs spécifiques » à l'Académie de Clermont-Ferrand, a ainsi déclaré à la commission d'enquête  : « Pour bon nombre de personnes handicapées, le seul plaisir est la nourriture. Ce plaisir ne peut plus exister dans la mesure où il n'est même pas permis de laisser un morceau de fromage dans un réfrigérateur entre le déjeuner et le dîner. Les personnes vivant en institution n'ont même plus le droit d'avoir une petite faim dans l'après-midi et d'aller chercher un aliment dans le réfrigérateur car ceci est interdit par le règlement sanitaire . »

Par ailleurs, la nourriture peut encore être l'objet d'un chantage, ne pas correspondre à la culture des individus, ou être administrée en quantité insuffisante, faute de temps. La réglementation, les règlements intérieurs et les chartes doivent s'appliquer à introduire les éléments de souplesse et de respect nécessaires à une véritable bientraitance alimentaire des personnes handicapées.

Droit à l'éducation et à la formation

La personne handicapée faisant désormais l'objet d'un projet, il semblerait naturel
, comme cela a déjà été évoqué, de relancer le chantier l'éducation et de la formation à leur attention.

*

* *

La commission d'enquête, sans s'estimer tenue de la commenter, retransmet la réflexion que M. Pierre Matt, président du Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés (SNAPEI), lui a livrée : « La personne handicapée, autant que les autres, a le droit de se trouver confrontée au tabac ou à l'alcool. Sommes-nous prêts à accepter cela ? Nous avons déjà parlé de sexualité. Il s'agit encore d'un autre domaine . ».

En tout état de cause, les textes à élaborer concernant la garantie des droits devront également s'attacher à fixer des règles et des lignes de conduite en matière de contention, de médicalisation et de pratiques religieuses.


Proposition

Veiller à la précision et à l'exhaustivité de la charte des droits et libertés de la personne accueillie, qui doit être arrêtée par les ministres compétents, y compris dans le domaine de la vie affective et sexuelle, afin d'en favoriser une application facilitée et généralisée par les professionnels concernés.

Dans la même perspective, veiller à la bonne articulation de cette charte avec la charte nationale à établir conjointement par les fédérations et organismes représentatifs des personnes morales publiques et privées gestionnaires d'établissements et de services sociaux et médico-sociaux.

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