1. Mettre en place une gestion du personnel propice à la bientraitance

M. Pascal Chevit, directeur de l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP), l'a souligné à la commission d'enquête : « La maltraitance peut être un acte isolé, mais [...] elle est souvent le symptôme de dysfonctionnements ou d'impasses relationnelles, culturelles ou managériales ».

Il faut en effet éviter, par-dessus tout, une gestion des ressources humaines qui serait opaque ou conflictuelle. En revanche, menée avec discernement, la gestion du personnel peut être propice à la bientraitance.

a) Embaucher avec circonspection

Le personnel médical et paramédical

Il s'agit de s'assurer que la personne embauchée possède les qualités humaines et relationnelles requises pour travailler au service de personnes handicapées.

Toutefois, il convient de rappeler que si la sensibilité au handicap est importante, elle n'est certainement pas suffisante
.

C'est ainsi que M. René Bonneau, directeur d'un CAT (réseau de la Mutualité sociale agricole) analyse la situation dans certains établissements : « Je pense qu'un certain nombre d'institutions recrutent du personnel non qualifié et tiennent compte de la sensibilité de la personne, de sa capacité à comprendre la psychologie des personnes handicapées dont il aura à s'occuper. A mon avis, c'est loin d'être suffisant. Nous devons d'abord recruter des personnes qui possèdent une formation solide . Si nous voulons régler une partie du problème de la maltraitance, il faut d'abord obtenir des garanties très fortes sur la qualité du personnel au niveau du recrutement . »

Il ne s'agirait pas, naturellement, de tomber dans l'excès inverse . M. Hubert Allier, directeur général de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) a ainsi déclaré à la commission d'enquête :  « Nous n'avons sans doute pas assez réfléchi collectivement sur la définition d'un métier qui nécessite le contact avec des personnes fragiles. Les motifs de rejet des candidatures m'ont souvent étonné : il ne fallait pas être trop sensible ou trop proche des personnes ».

Malgré les propos rassurants 66( * ) des formateurs sur la personnalité des diplômés, il semble particulièrement recommandable, dans la période actuelle de pénurie de personnel qualifié, de mener les entretiens de recrutement avec le plus grand soin afin de cerner les compétences personnelles et la valeur humaine des individus. M. Roland Broca, président de la Fédération française de santé mentale (FFSM) a livré à la commission d'enquête ce point de vue sans concession : « Je pense que le changement passe également par un meilleur contrôle au moment du recrutement des personnels des institutions, notamment les plus à risque. Le critère du diplôme ne me paraît pas suffire. Un examen de personnalité par un praticien qualifié ne serait pas superflu et permettrait d'éliminer des professionnels présentant des traits de personnalité pervers ou des tendances pédophiles . Il conviendrait également de vérifier si le candidat n'a pas eu maille à partir avec la Justice, même si cela n'a pas donné lieu à une condamnation inscrite au casier judiciaire numéro deux. ».

Pour commencer, il convient d'appliquer rigoureusement la loi de modernisation sociale, qui prévoit la production du casier judiciaire.

L'encadrement

Le recrutement des directeurs semble lourd d'hypothèques quant à leur personnalité - bien que la commission d'enquête n'ait été amenée à connaître, au cours de ses investigations, que des personnalités paraissant profondément animées par le souci de procurer le plus grand confort à leurs usagers.

D'abord, il convient de rapporter les propos que M. Pascal Chevit, directeur de l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP), a tenu à la commission d'enquête quant au manque de garanties concernant la personnalité des titulaires du CAFDES 67( * ) , qu'elle appelle donc à combler dans les meilleurs délais : « Je souhaiterais mentionner un dernier point découlant de notre double expérience d'institution de formation des cadres de service public et du secteur privé. Les cadres de service public suivant notre enseignement ont préalablement été recrutés par concours et seront titularisés et prendront leur fonction une fois leur formation achevée et validée. Nous disposons donc d'une double expérience dans le secteur public et dans le secteur privé à travers le dispositif CAFDES, par le biais duquel nous assurons l'accompagnement et la certification des centres de formation -qui sont au nombre de 16 en France- d'une part et l'organisation des épreuves de validation d'autre part. Nous avons le sentiment que les dispositifs de recrutement, tant dans le public que dans le privé, ne sont pas toujours à même d'accorder la place qu'il conviendrait à la personnalité des candidats et à leur aptitude relationnelle, voire au repérage de sujets ayant un comportement à risque vis-à-vis des usagers . Par ailleurs, lorsque les personnes sont engagées dans le circuit, il n'est pas avéré que les inquiétudes et signaux d'alarme que nous pouvons parfois être conduits à émettre -le temps de formation constituant un temps d'observation privilégié- soient systématiquement entendus et débouchent sur des décisions difficiles, parfois douloureuses, mais indispensables . Un champ de progrès possible s'ouvre probablement à nous dans ce domaine. [...] Le temps de stage est, par ailleurs, extrêmement important. Nous avons énormément travaillé sur ce sujet au cours des dernières années. Nous disposons désormais d'un cahier des charges pour chaque stage, non seulement pour le stagiaire mais également pour le maître de stage. Nous commençons à développer des formations pour les maîtres de stage. Il est une évidence que la période de stage est un moment privilégié pour évaluer l'aptitude, les handicaps, voire les inaptitudes d'un individu à tel ou tel aspect décisif de la fonction. Nous nous efforçons, dans l'évaluation des stages, d'être aussi rigoureux que possible à travers un recueil d'évaluation très formalisé, une incitation explicite au maître de stage de s'exprimer et une procédure aussi respectueuse que possible envers le maître de stage et le stagiaire. En effet, le rapport de stage doit être cosigné par le stagiaire et son maître de stage. Il est envoyé à l'école et une note lui sera attribuée par une commission. Il convient de noter que cette note compte de manière significative dans la validation de la formation. Il serait certainement présomptueux et erroné d'affirmer que nous sommes en mesure de repérer l'ensemble des inaptitudes. Nous sommes probablement capables de détecter la majorité des inaptitudes, ces phénomènes étant, au demeurant, assez rares. Cela étant, comme je vous l'indiquais précédemment, nous n'avons malheureusement pas toujours la possibilité qu'il soit pleinement tenu compte de nos observations . Ceci constitue, à nos yeux, une réelle préoccupation . [...] Des formations ne sont parfois pas validées et des titularisations sont de temps en temps refusées. Nous proposons occasionnellement une prolongation de stage, pour donner une deuxième chance au candidat ou lorsque nous avons le sentiment que des circonstances particulières sont susceptibles d'expliquer les difficultés rencontrées par l'intéressé. Il arrive de temps à autre que la personne soit licenciée. La décision revient au ministère étant à l'origine du recrutement. ».

Par ailleurs, il est avéré que tous les candidats ne sont pas diplômés ( supra ).

Le danger est alors celui d'un recrutement par les conseils d'administration qui ne s'effectuerait que sur des critères de gestion .

Certaines fédérations d'associations prennent des précautions qui pourraient inspirer l'ensemble des établissements . Ainsi, Mme Camille Blossier, de l'Association Perce-Neige, a déclaré à la commission d'enquête qu' « en ce qui concerne le recrutement des cadres, en particulier des directeurs, nous évaluons leur intérêt pour la personne handicapée. Nous ne leur demandons pas d'assurer la vie quotidienne, mais, par leur attitude, d'apporter aux équipes qui seront sous leur autorité un exemple de respect, de considération et de souci de qualité, et ce jusque dans le détail. [...] un des critères fondamentaux du recrutement des cadres est que, aussi gestionnaire soit-il -les directeurs sont, bien entendu, aussi des gestionnaires-, le cadre ne doit pas négliger l'intérêt à la personne. Si le cadre ne possède pas un sens clinique et un intérêt réel pour la personne, il ne sera pas un bon directeur d'établissement aux yeux de l'association. [...leur sensibilité...] apparaît dans [leur] discours [...]. Nous ne recrutons jamais une personne après un seul entretien. Nous en menons plusieurs de manière croisée et en présence de différents interlocuteurs. D'une manière générale, nous parvenons à construire une synthèse nous permettant de mieux cerner la personne à qui nous avons affaire . »

L'adhésion aux valeurs associatives constitue également un ressort intéressant , ainsi que M. Serge Lefèbvre, vice-président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH), l'a indiqué à la commission d'enquête : « Lors du recrutement et sur les fiches de poste, singulièrement celles de l'encadrement, il nous faut stipuler que nos personnels travaillent pour une fédération qui défend un certain nombre d'idéaux. Par conséquent, travailler dans un de nos établissements signifie respecter un contrat conclu avec nous . Ce contrat ne se résume pas au nombre d'heures effectuées chaque semaine, à la gestion de telle structure ou à la tenue du budget : il doit faire passer nos valeurs . Je crois très sincèrement qu'il s'agit de l'angle d'attaque du problème et qu'il faut jouer là-dessus. »


Proposition

Donner les instructions propres à garantir que les conséquences d'une inadéquation avérée de la personnalité de candidats au certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (CAFDES) soient systématiquement tirées

b) Dynamiser la vie professionnelle

Il a été évoqué à plusieurs reprise devant la commission d'enquête le caractère excessivement rigide de la convention collective du 15 mars 1966 régissant les établissements et services privés pour personnes handicapées et inadaptées à but non lucratif, dont l'application implique des évolutions de carrière linéaires, ne tenant pas suffisamment compte du mérite personnel . Outre qu'une révision de la convention collective conforme à cette logique se heurterait à de nombreuses résistances, il semble à la commission d'enquête que cette voie doit être explorée avec beaucoup de circonspection , car les professionnels concernés nécessitent aussi d'être sécurisés dans leurs fonctions, qui sont particulièrement exigeantes.

D'autres moyens semblent susceptibles de donner aux professionnels le souffle nécessaire à une recherche active et continue de la bientraitance des usagers .

Comme cela a été évoqué précédemment, la généralisation de la validation des acquis de l'expérience serait de nature à satisfaire, au moins en partie, à la nécessité de proposer des carrières moins statiques et le développement de la mobilité sous toutes ses formes pourrait relancer un intérêt professionnel vacillant ; de même, l'utilité d'une formation continue consistante et adéquate a déjà été soulignée.

Par ailleurs, une généralisation de l'évaluation du personnel serait propre à aiguiser la réflexion des salariés sur leurs pratiques et leurs objectifs. M. Claude Meunier, directeur général adjoint de l'Association des Paralysés de France, a indiqué à la commission d'enquête la direction à suivre : « ... un nouveau dispositif est apparu depuis quelques années, qui ne s'adresse pour l'instant qu'aux cadres : l'évaluation. Nous avons ainsi mis en place à leur intention une évaluation au moins annuelle des pratiques. Ces mêmes cadres sont invités à faire de même avec les chefs de service. Nous souhaitons que ces entretiens d'évaluation, que nous appelons entretiens « d'évolution » pour leur donner un aspect positif et non pas évoquer une sanction, soient étendus à tout le monde pour faire un point et ne pas laisser l'usure s'installer

Enfin, le développement de lieux de « parole » et « d'échanges » est susceptible de maintenir l'attention des professionnels sur la pertinence de leurs pratiques.

Ainsi, M. Gérard S oumet, directeur de l'action sanitaire et sociale et des services aux personnes de la Mutualité sociale agricole (MSA), a déclaré à la commission d'enquête : « Il faut constamment renouveler les idées et ne pas hésiter, à partir d'un événement qui s'est produit dans l'établissement, à impliquer chacun dans une réflexion qui sera positive et constructive et qui ne sera pas forcément stigmatisante. »

Pour sa part, M. Christophe Lasserre-Ventura, président de l'Association Perce-Neige, estime que cette méthode s'est avérée fructueuse dans les établissements de son ressort : « au sein même des maisons, est mise en place une analyse des pratiques selon différentes formes. Elle habitue le personnel à une mise à distance des situations relationnelles difficiles. Ces échanges constituent un contrôle en douceur du groupe par le groupe . Ils ont pour fonction de réguler les dérives ou les excès . Ils engendrent une solidarité permettant ensuite l'exercice d'un relais entre collègues lorsque la prise en charge d'un résident se révèle particulièrement pénible, notamment dans le cas de troubles du comportement. Ces regroupements participent au perfectionnement constant des personnels. »

Toutefois , il ne faudrait pas sous-évaluer les difficultés inhérentes à ce type d'exercice . M. Serge Lefèbvre, vice-président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) a tenu ces propos à la commission d'enquête : « Cela étant, la tâche n'est pas simple. En effet, même si la pratique est de plus en plus courante, certains professionnels répugnent à exposer devant leurs collègues ou devant un tiers leurs difficultés . Tout se passe comme si être en proie à des difficultés signait leur incompétence. Cela signifie qu' il faut instaurer un climat de confiance au sein de l'établissement et que l'encadrement puisse lui-même exposer ses difficultés et en parler de manière sincère pour que nous recherchions ensemble des réponses . Il faut également faire en sorte que tous ces lieux de parole et d'échange soient des lieux authentiques qui fonctionnent réellement, et non des structures froides à l'intérieur desquelles sont organisées des réunions parce qu'un papier le prévoit. Certains comptes rendus de réunion mentionnent ainsi que l'ordre du jour ne comprenait qu'un point et qu'aucune question n'a été posée en séance. »

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