2. Audition de Réserves naturelles de France (23 avril 2003)

Le réseau Natura 2000 regroupe l'ensemble des sites pris en compte au titre des directives européennes sur les oiseaux (1979) et sur les habitats (1992). Il s'agit d'un outil majeur de la conservation du patrimoine naturel dans notre pays, tant du fait de son importance spatiale (plus de 1200 sites, soit plus de 8 % du territoire), que par le caractère innovant de la démarche, fondée sur la notion de développement durable et le principe de contractualisation.

Les réserves naturelles constituent une partie notable de ce réseau du fait de leur richesse écologique exceptionnelle (la plupart d'entre-elles abritent un patrimoine naturel remarquable (pour chaque réserve, plus de 8 espèces ou 9 habitats d'intérêt communautaire)) et de leur large répartition en France. Elles constituent un très large échantillon de la biodiversité nationale. Elles abritent 68 % des habitats français de la directive, 61 % des espèces de l'annexe 2 de la directive Habitats et 78 % des espèces d'oiseaux nicheurs de la directive Oiseaux. En outre, près de 20 % des sites Natura 2000 comptent une ou plusieurs réserves naturelles.

Les réserves naturelles constituent également des sites d'expérimentation privilégiés. Depuis des décennies, les réserves naturelles sont devenus des sites pilotes en matière d'étude des écosystèmes, d'expérimentation des techniques de gestion des habitats et de concertation avec le milieu socio-économique local.

Les gestionnaires de Réserves Naturelles et leur réseau Réserves Naturelles de France se sont investis dès l'origine dans la démarche Natura 2000 qui constitue en quelque sorte le prolongement logique de leur action. Cette implication s'est traduite sur le plan local par la participation aux inventaires, aux documents d'objectifs et à leur mise en oeuvre.

Sur le plan national, le réseau des réserves s'est impliqué très fortement : coordination des 37 documents d'objectifs expérimentaux, rédaction du guide méthodologique des documents d'objectifs (Valentin Smith, 1998), réalisation de transparents de présentation de la démarche, participation à l'élaboration des cahiers d'habitats...

Par ailleurs, Réserves Naturelles de France dans le cadre des publications de l'ATEN finalise prochainement l'édition d'un document qui a pour objet d'apporter un éclairage sur la mise en oeuvre de cette politique, en particulier sur tous les thèmes qui ont fortement évolué depuis la publication du guide méthodologique.

La démarche de mise en place du réseau Natura 2000, telle qu'elle a été prévue par la France, va d'une logique de zonage (détermination des enveloppes des sites) vers une logique de contrat (mise en place des contrats Natura 2000), en passant par l'élaboration concertée d'un document de planification donnant un cadre aux objectifs et aux mesures à prévoir dans les contrats (le document d'objectifs).

L'étape d'inventaire des sites a été une des plus contestée. Le principal problème provient de la détermination des limites des sites. Comment faire pour que celle-ci soit issue d'une analyse scientifique et serve en même temps de base à une réflexion concertée ?

Sans revenir sur les erreurs initiales commises pour la mise en oeuvre de cette étape (manque d'information, hétérogénéité d'un site à l'autre, inadéquation avec les limites « habituelles » de gestion, inadéquation avec le fonctionnement des écosystèmes, inadéquation avec les limites administratives,...), plusieurs problèmes restent encore à résoudre.

- Selon quelles modalités (démarche administrative, processus de concertation, limitation des possibilités de modification) pourrait-on procéder à une révision de limites problématiques pour assurer une meilleure prise en compte des espèces et des habitats concernés et une meilleure adéquation au contexte socio-économique ? Il semble urgent de prévoir ces modalités. Le terme du premier document d'objectifs (après six ans de mise en oeuvre) semble le bon moment pour conduire, sur chacun des sites, ce travail de révision des limites.

- Comment clarifier les liens entre Natura 2000 et les autres statuts existants ? Cela paraît nécessaire pour une meilleure compréhension des différents outils et pour que leurs actions soient en cohérence et en complémentarité. La question se pose spécialement pour les zones de protection spéciale (ZPS) et les statuts réglementaires de protection. La place que peut jouer la protection réglementaire (une réserve naturelle par exemple) à l'intérieur d'un site Natura 2000 est à affiner et à expliquer : fonction de noyau dur, fonction de site de référence pour une bonne gestion, ...

Par ailleurs, si la suppression des zonages d'intervention relatifs à la protection de la nature ne peut être envisagée, compte tenu des enjeux forts de conservation d'éléments du patrimoine naturel d'intérêt national, communautaire ou international, il apparaît important :

- que des formes de simplification puissent êtres envisagées afin de superposer, quand cela est possible, les limites d'espaces protégés existant (Natura 2000 et espaces protégés, ZPS/ZSC, ZPS/Ramsar). La mise en place du réseau Natura 2000 doit être l'occasion de simplifier, sur un même territoire les zonages existants, en s'appuyant sur l'élaboration des documents d'objectifs.

- que les procédures de désignation ou de classement des espaces naturels soient harmonisées.

Concernant le zonage d'inventaire, il paraît important d'aller vers un seul inventaire national du patrimoine naturel, fondé sur des données scientifiques fiables, et reconnu par tous, au même titre que l'inventaire national du patrimoine culturel.

La démarche d'élaboration du document d'objectifs est en cours. Actuellement sur 1.172 propositions de sites d'intérêt communautaire identifiés et transmis à la commission européenne, 180 sites ont réalisé leur document d'objectifs et 420 autres sites ont entamé son élaboration.

Par rapport à l'étape précédemment citée, celle-ci se passe plutôt bien. L'explication concrète de ce qui pourrait être mis en oeuvre, rassure les parties concernées. Avec le recul, il serait intéressant de faire une « évaluation à mi-parcours » de l'outil afin de faire ressortir les questions qui se posent concernant la phase d'élaboration d'un document d'objectifs. Cela permettrait d'apporter des réponses claires et ainsi de permettre que l'élaboration des documents d'objectifs se poursuive de manière homogène.

- Pour cela, il faut compléter la boîte à outils existante. On peut citer, par exemple, les problèmes qui se posent concernant la cartographie des habitats et des mesures de gestion. En effet, la liberté (absence de cadrage méthodologique) qui a été laissée aux opérateurs sur ce point, a induit une grande diversité de rendus qui ne laissent plus aucune possibilité de rassembler les données au niveau national pour les analyser ensemble et ainsi évaluer correctement la contribution de la France au réseau Natura 2000. Il semble également que le volet « évaluation de la mise en oeuvre du document » mériterait également un cadrage méthodologique, au travers d'outils partagés. Des travaux sont d'ailleurs menés actuellement dans ce sens, par l'ATEN, sur commande du ministère de l'écologie et du développement durable.

- Vu la diversité des sites, il paraît important d'adapter l'outil en fonction de la taille des sites, pour que le niveau d'opérationnalité soit clair. Il ne peut évidemment être le même entre les très grands sites et les petits.

- De plus, l'on constate chez la plupart des opérateurs une sous-estimation du temps d'animation. L'animation est en effet un outil essentiel pour convaincre et développer des partenariats entre les acteurs et la gestion des espaces. Il est absolument nécessaire de maintenir et de développer des moyens financiers spécifiques pour assurer la mission essentielle d'animation.

- La référence à des « bonnes pratiques » paraît une démarche intéressante, mais cette notion doit impérativement être affinée, en particulier si l'on envisage de l'utiliser comme critère pour la détermination des mesures contractualisables.

Enfin, l'inquiétude est forte quant à la mise en oeuvre du dispositif de contractualisation pour gérer les sites désignés, alors même que toute l'efficacité de Natura 2000 « à la française » repose sur sa réussite.

Les questions non résolues à ce jour justifient cette inquiétude :

- Les acteurs socio-économiques accepteront-ils de signer de tels contrats, alors même que l'on n'a aucun recul sur ce dispositif qui apparaît comme complexe de prime abord et pour lequel on n'a aucune visibilité quant aux moyens financiers que l'Etat est prêt à mettre en oeuvre.

- Les contrats pourront-ils inclure les mesures adaptées aux réels besoins de conservation et au contexte local ? En effet, en répondant à des contraintes de gestion administrative et financière des contrats (restrictions du nombre de mesures contractualisables, « normalisation » de ces mesures,...), on réduit les possibilités d'adaptation du contrat aux besoins spécifiques du site et de son patrimoine. Cela va en sens inverse de la démarche des documents d'objectifs : se fonder sur une concertation locale pour déterminer, avec les acteurs, les objectifs du site et les mesures à mettre en oeuvre pour y parvenir. Le cas de l'évolution des mesures contractualisables par les agriculteurs est assez éloquent. En effet, le contrat d'agriculture durable (CAD) venant en remplacement du contrat territorial d'exploitation (CTE), censé être le dispositif de contractualisation avec les agriculteurs dans le cadre de Natura 2000, suscite d'importantes interrogations. Il limite le nombre de mesures contractualisables, obligeant à focaliser l'action seulement sur quelques éléments de l'exploitation (et donc du patrimoine du site). De plus il ne sera en action que tardivement par rapport à la nouvelle prime à l'herbe, beaucoup plus simple et peut être même plus rémunératrice.

- La référence aux « bonnes pratiques » pose également des difficultés. Selon leur mode de détermination, leur caractère de référence peut être ou non justifié. De plus, il est absolument nécessaire de trouver un moyen de valorisation pour les acteurs qui les respectent, soit par une forme de valorisation directe, soit par la pénalisation de ceux qui sont en deçà des bonnes pratiques.

- L'évaluation de la mise en oeuvre des mesures de gestion est également une question importante à laquelle il n'y a actuellement pas de réponse satisfaisante. En effet, les mesures les plus adaptées à la conservation ne sont pas toujours facilement quantifiables et donc facilement évaluables. Cette difficulté risque d'inciter à une simplification et à une normalisation des mesures dans l'objectif de faciliter leur contrôle, et cela au dépend de l'objectif de conservation.

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