3. La traduction d'une tradition d'interventionnisme économique

La France se caractérise par une pléiade de dispositifs correspondant à des populations extrêmement restreintes voire nulles. Est-ce simplement parce que les pouvoirs publics seraient nettement plus sensibles que dans autres pays aux pressions catégorielles ? Si toutes les exceptions ont pu paraître légitimes, c'est bien parce que, au moment de leur instauration, il paraissait s'y attacher un intérêt en termes de justice sociale ou d'efficacité économique.

L'égalité devant l'impôt est, et doit demeurer, une notion essentielle du système fiscal français. Le Conseil constitutionnel a été amené, à plusieurs reprises, à préciser la portée de ce principe et a sanctionné des mesures qui lui paraissaient ne pas le respecter. En ce sens, il ne fait que conforter le souci de voir pris en compte tous les éléments reflétant la capacité contributive des agents.

Chaque situation est particulière et mérite un traitement spécifique. On ne se pose que rarement la question des effets pervers ou de la neutralisation à terme de la mesure par le jeu d'une sorte d'échelle de perroquet fiscale entre les différentes catégories sociales . Bref, le législateur français se satisfait mal des cotes mal taillées pour préférer des régimes fiscaux sur mesure.

Un exemple très significatif de cette propension au perfectionnisme fiscal peut être donné en matière d'impôt sur le revenu : c'est parce que le système du quotient familial corrigé de toutes les demi-parts supplémentaires données à partir du troisième enfant, aboutissait à surtaxer les célibataires, qu'a été mis en place le système de décote. Or il en est résulté mécaniquement une progressivité accrue des prélèvements à l'entrée du barème, dont un des effets secondaires est la diminution de l'incitation à la reprise du travail salarié.

Mais le souci de justice sociale n'est pas le seul facteur à l'origine de la prolifération des régimes dérogatoires, qui s'alimente aussi largement de la tradition française toujours vivace d'interventionnisme économique . Aujourd'hui encore, en dépit du recul du colbertisme, les aides sectorielles ont tendance à se multiplier, ne serait-ce que parce que chaque nouveau ministre est, pour ainsi dire, contraint de mettre en oeuvre un plan d'action comportant un volet fiscal, et qui, bien sûr, doit porter son nom.

En définitive, on assiste donc à une sédimentation de mesures nouvelles sans jamais, ou du moins rarement, que l'on songe à supprimer les mécanismes d'aides antérieurs. Tel est notamment le cas des aides aux entreprises dont on peut dire qu'elles se caractérisent par une grande instabilité et une extrême complexité, comme l'illustre l'exemple du crédit d'impôt recherche.

La complexité et l'instabilité du crédit d'impôt recherche

Le 21 ème rapport du Conseil des impôts relatif à la fiscalité dérogatoire souligne que le crédit d'impôt recherche a connu depuis sa création en 1983 « d'incessantes modifications portant sur son assiette, son taux, la période de référence ou le plafonnement de ses effets, qui en ont fait l'un des dispositifs les plus complexes à utiliser pour les entreprises ». En particulier, partageant des observations déjà exprimées par votre commission des finances, le Conseil des impôts constate que « le périmètre des dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche présente des ambiguïtés, sources de contentieux entre les entreprises et l'administration fiscale ». Enfin, « par delà les perfectionnements qu'elles cherchent à introduire, [les] modifications successives [issues notamment de la loi de finances pour 1999 et de la loi sur l'innovation et la recherche de 1999] paraissent peu compatibles avec l'orientation des entreprises en matière de recherche, qui relèvent davantage de stratégies de long terme ». L'article 62 du projet de loi de finances pour 2004 propose une nouvelle modification du régime du crédit d'impôt recherche.

Mais les démons du perfectionnisme fiscal se sont révélés, ces dernières années, d'autant plus puissants qu'il a fallu gérer la divergence croissante entre la France et ses principaux concurrents étrangers .

Tel est le cas de l'imposition des personnes. Tandis que l'Allemagne s'est lancée dans une réforme fiscale ambitieuse consistant à diminuer le taux marginal pour le porter à 43 % mais s'accompagnant de mesures pour limiter les pertes d'assiette - on peut citer par exemple la suppression de l'exonération des indemnités versées en cas de rupture du contrat de travail -, la France poursuit une politique d'allègement des prélèvements obligatoires à deux niveaux :

- d'abord, timidement avec le précédent gouvernement et de façon plus déterminée aujourd'hui, est mise en oeuvre une politique de réduction des taux du barème, étant noté que, compte tenu de la faiblesse des marges de manoeuvres budgétaires, l'on se garde bien pour l'instant de toucher aux limites des tranches elles-mêmes ;

- ensuite, cette tendance est accentuée par l'octroi ou l'extension d'avantages fiscaux qu'il s'agisse du mécénat, de l'aide à la création d'entreprises ou du plan d'épargne retraite.

A court terme, la méthode choisie reflète une préférence de structure des Français pour les systèmes fiscaux caractérisés par des taux élevés atténués par une multiplicité d'exceptions .

A plus long terme, il conviendra sans doute de s'orienter progressivement pour chaque grand type de fiscalité vers une remise à plat d'ensemble de nature à réduire le décalage entre pression fiscale nominale et pression fiscale réelle .

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