1. Une compétitivité du « site France » affaiblie par le manque d'avantage comparatif en matière de fiscalité

Sur la base des stocks d'investissements directs à l'étranger, la France apparaît à la quatrième place mondiale, une place cohérente avec son poids économique réel. De nombreux rapports et études ont, du rapport Lavenir « l'entreprise et l'hexagone » au rapport de nos collègues Denis Badré et André Ferrand « Mondialisation : réagir ou subir » 10( * ) , mis en exergue en revanche la trop forte spécialisation de la France dans des activités à faible valeur ajoutée, liée à une fiscalité dissuasive pour attirer et retenir les talents qui fonderont, à moyen terme, la compétitivité d'un pays développé.

a) Un classement en termes d'investissements directs étrangers faussement rassurant

Les investissement directs étrangers (IDE) entrant en France en 2002 se sont élevés à 52,4 milliards d'euros, en recul certes par rapport à l'année 2001, mais d'un montant désormais supérieur à la plupart de nos principaux concurrents européens. De ce point de vue, la situation en termes d'attractivité de la France paraît bonne. Celle-ci ne manque pas d'atouts : sa situation géographique est exceptionnelle et la taille de son marché constitue une incitation forte pour une implantation commerciale. L'indicateur « IDE », s'il constitue une approche intéressante pour tenter de mesurer la compétitivité d'un pays, ne peut dispenser, dans le cas de la France, d'une analyse plus qualitative. Sur le plan micro-économique, les multiples exemples de sociétés européennes qui ne retiennent pas la France pour la localisation de leurs activités incitent à nuancer le jugement positif qui pourrait être tiré du stock d'investissements directs étrangers . Certains pays proches, de taille pourtant plus modeste, sont aujourd'hui en mesure de rivaliser avec la France : la position de la Belgique dans le classement est ainsi exemplaire.

Investissements directs

(en milliards d'euros)

 

Entrants

Sortants

 

2000

2001

2002

2000

2001

2002

France

46,6

58,8

52,4

- 190,5

- 92,5

- 70,9

Allemagne

220,4

37,9

40,4

- 61,7

-47,0

- 26,1

Etats-Unis

336,1

146,2

32,4

- 192,2

- 143,2

- 131,6

Pays-Bas

65,5

56,8

30,7

- 79,7

- 54,1

- 28,9

Royaume-Uni

129,2

69,1

26,1

- 275,0

- 75,7

- 43,3

Canada

73,0

30,8

23,4

- 51,5

- 39,9

- 29,2

Espagne

40,7

31,3

22,5

- 59,3

- 37,0

- 19,6

Belgique et Luxembourg 11( * )

242,7

98,6

20,5

- 23,6

- 112,5

- 14,5

Italie

14,5

16,6

16,9

- 13,4

- 24,0

- 20,9

Japon

9,0

6,9

10,0

- 34,9

- 42,7

- 33,5

Source : rapport sur la compétitivité du conseil d'analyse économique - octobre 2002

Les investissements directs étrangers masquent en effet les faiblesses françaises en ce qui concerne la localisation de sièges sociaux et d'activités de services à forte valeur ajoutée . Ainsi, l'accroissement des investissements directs étrangers est, d'une certaine façon, un indicateur de performance à l'égard des centres de décision situés à l'extérieur. En cas de crise, ce sont en général les sites implantés hors du pays d'origine d'un groupe industriel qui subissent les premiers ajustements nécessaires. Or, les récentes localisations de sièges sociaux de grands groupes européens, nés de la fusion de sociétés françaises avec leurs partenaires étrangers, ont toutes évité la France : Dexia a implanté son siège social en Belgique ; EADS s'est installé aux Pays-Bas, tout comme Euronext.

Pour ces implantations stratégiques, la fiscalité, tant celle de l'entreprise que celle du cadre supérieur ou de l'entrepreneur, joue un rôle majeur.

b) Un impact avéré de la fiscalité sur la localisation de facteurs de production de plus en plus mobiles

Des études consacrées aux déterminants de la localisation des entreprises, trois leçons peuvent être retenues en matière fiscale :

- la fiscalité ne joue pas sur le choix entre exporter et investir à l'étranger, mais influence la localisation une fois que la décision d'investir à l'étranger est prise ;

- en moyenne, une hausse de l'impôt sur les sociétés de 1 point réduit l'investissement direct étranger entrant de 3,3 % et cet effet se renforce au cours de la période récente ;

- les investissements ex nihilo sont plus sensibles aux différences de fiscalité.

Comme votre rapporteur général en exprimait la crainte dans son rapport d'information consacré à « La concurrence fiscale en Europe » 12( * ) , l'adoption de l'euro favorise les comparaisons de prix et, du même coup, dissipe l'illusion monétaire qui pouvait dissimuler les écarts de taxation. Un pays doté d'un grand marché et à fiscalité élevée constitue donc une aubaine pour un voisin de plus petite taille, surtout en ce qui concerne la mobilité des personnels les plus qualifiés et celle des entreprises. Les deux mobilités vont d'ailleurs de pair pour les activités les plus innovantes ou à très haute valeur ajoutée.

Le rapport du conseil d'analyse économique relatif à la compétitivité 13( * ) évalue l'importance du facteur « fiscalité » : « bien que la France dispose de nombreux atouts (infrastructures, tissu industriel, qualification de la main d'oeuvre, accès au marché européen) la plaçant parmi les destinations d'investissements directs étrangers privilégiées en Europe et dans le monde, plusieurs rapports ont stigmatisé la position de la France, sur un ton souvent alarmiste : trop fortement régulée, dotée d'un marché du travail excessivement rigide, décourageant l'effort en raison de prélèvements publics démesurés et poussant les firmes à la délocalisation en raison d'un impôt sur les sociétés la plaçant parmi les cancres européens, la France serait peu attractive, donc peu compétitive. Concernant les entreprises, la position relative de la France en matière d'impôt sur les sociétés est en effet très mauvaise. Et le principe même de la taxe professionnelle, qui n'est pas un impôt assis sur le résultat, aggrave ce constat. Et même si la question de la fiscalité n'est pas centrale dans les choix de localisation, l'impact de ce déterminant est avéré. L'existence d'effets d'agglomération 14( * ) peut de surcroît enclencher un phénomène cumulatif de désintérêt pour le « site France », passé un certain seuil ».

Comme le montre l'étude de l'OFCE réalisée à l'appui du rapport d'information sur les réformes fiscales en Europe entre 1992 et 2001 15( * ) , les pratiques d'optimisation fiscale sont omniprésentes dans la localisation des holdings et des sièges sociaux . Cette localisation dépend non d'un niveau global de prélèvements obligatoires mais de paramètres bien ciblés, liés au traitement fiscal des opérations de restructuration : entrent en ligne de compte l'imposition des plus-values de cessions d'actifs et les systèmes de compensation de la double imposition pour les actionnaires personnes physiques.

La conclusion du rapport, celui d'une France à la traîne, ne peut qu'inquiéter : les réformes fiscales réalisées par nos voisins ont une conséquence négative en termes d'attractivité du « site France » car elles élèvent le taux de pression fiscale relatif de notre pays.

Taux légal de l'impôt sur les sociétés en Europe

 

1986

1991

1995

1998

2001

Différence 1986-2001

Allemagne

56,0

50/36

45/30

45/25

25,0

-31,0

Autriche

50,0

30,0

34,0

34,0

34,0

-16,0

Belgique

45,0

39,0

39,0

39,0

39,0

-6,0

Danemark

50,0

38,0

34,0

34,0

30,0

-20,0

Espagne

35,0

35,0

35,0

35,0

35,0

-0,0

Finlande

33,0

23,0

25,0

28,0

29,0

-4,0

France

45,0

42,0

33,3

41,6

36,4

-8,6

Grèce

49,0

46,0

35/40

35/40

35,0

-14,0

Irlande

50,0

43,0

40,0

32,0

20,0

-30,0

Italie

36,0

36,0

36,0

37,0

36,0

-0,0

Luxembourg

40,0

33,0

33,0

30,0

30,0

-10,0

Pays Bas

42,0

35,0

35,0

35,0

35,0

-7,0

Portugal

42/47

36,0

36,0

34,0

32,0

-15,0

Royaume-Uni

35,0

34,0

33,0

31,0

30,0

-5,0

Suède

52,0

30,0

28,0

28,0

28,0

-24,0

Moyenne UE

44,3

36,7

35,1

34,9

32,0

-12,3

Etats Unis

46,0

34,0

35,0

35,0

35,0

-11,0

Japon

50,0

50,0

47,5

46,4

46,4

-3,6

Source : OCDE

c) Une expatriation des patrimoines et des hauts revenus bien réelle

Votre rapporteur général, au cours des débats en séance publique sur le projet de loi pour l'initiative économique, a communiqué le 27 mars 2003 les résultats d'une étude réalisée à partir de chiffres de la direction générale des impôts qui montre l'impact de la fiscalité du patrimoine sur les délocalisation des personnes et de capitaux . L'exemple de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est particulièrement éclairant pour mesurer les effets de la fiscalité du site « France » sur ses propres contribuables.

Les chiffres habituellement communiqués, qui raisonnent en nombre annuel de contribuables délocalisés, ou même en pertes annuelles en droits, ne permettent pas de prendre en compte l'ampleur du phénomène, et, en fait le minimisent volontairement.

Plus de 300 redevables à l'ISF se délocalisent chaque année. Ce chiffre, qui parait minime par rapport au nombre global de redevables à l'ISF, correspond tout de même sur cinq ans (1997-2001) à un total de 1.792 contribuables ayant choisi de quitter le territoire national. Néanmoins il ne permet pas de se faire une idée complète du phénomène des délocalisations liées à l'ISF car, en ce domaine, une approche qualitative est nécessaire : tous les départs n'ont pas le même impact fiscal ou économique.

Nombre de redevables à l'ISF délocalisés

1997

1998

1999

2000

2001 (1)

Total

370

383

350

359

330

1.792

(1) 2001 : chiffres non encore définitifs

Les pertes annuelles en droits paraissent également relativement limitées puisqu'elles ne représentent annuellement que 10 à 20 millions d'euros. En cinq ans, le budget de l'Etat a perdu 70 millions d'euros en raison de ces délocalisations. Mais un tel indicateur ne rend pas compte de la réalité économique : la perte en droits n'est rien si on la compare avec la perte en capital enregistrée par l'économie française en raison des délocalisations liées à l'ISF. C'est davantage à l'aune des délocalisations de capitaux qu'à l'aune du nombre de départs annuels de redevables à l'ISF ou à l'aune de la perte en droits pour le budget de l'Etat que doit être évalué l'impact économique de l'ISF.

Les pertes en capital pour l'économie française liées à la délocalisation de redevables à l'ISF sont importantes. Le cumul sur cinq ans laisse apparaître a minima des pertes en bases imposables à cause de l'ISF de 7,3 milliards d'euros . Une étude précise de l'année 2001 montre que les capitaux réellement expatriés sont bien supérieurs, d'au moins 50 %, ce qui correspond à la valeur des biens professionnels transférés, aux autres éléments du capital non taxable à l'ISF, aux patrimoines délocalisés avant d'avoir atteint le seuil de taxation, etc. Par rapport au chiffre « bases imposables », la réalité des délocalisations de capitaux doit donc être réévaluée de +50 %. En 5 ans, 11 milliards d'euros de capitaux détenus par des redevables à l'ISF ont été délocalisés.

Pertes annuelles en bases imposables liées aux délocalisations ISF

(en millions d'euros)

1997

1998

1999

2000

2001 (1)

Total

2.022,8

2.021,4

1.163,8

1.107,1

978,4

7.300

(1) 2001 : chiffres non encore définitifs

Les contribuables qui sortent du territoire ne rentrent pas : les retours de capitaux enregistrés annuellement et pris en compte pour l'ISF n'excèdent guère les 100 millions d'euros.

Une typologie des contribuables à l'ISF qui se délocalisent fait apparaître en outre deux traits saillants. Le patrimoine des contribuables ISF délocalisés est en moyenne près de 2,5 fois plus élevé que celui des autres redevables ISF. Ces personnes ont en moyenne 52 ans contre 67 ans pour la moyenne de l'ensemble des redevables de l'ISF : elles sont encore actives au moment où elles quittent la France. Ce sont donc les contribuables les plus dynamiques qui quittent le territoire national.

Les destinations géographiques privilégiées restent les Etats-Unis pour 16 % des personnes, la Belgique pour 16 %, le Royaume-Uni pour 15 % et la Suisse pour 13 % où n'existe pas d'impôt de solidarité sur la fortune.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page