2. La hausse des prélèvements sociaux, signe d'une impossibilité de contenir la dépense ?

a) Le rendement parfois aléatoire des prélèvements sociaux

Le recours à l'instrument financier que constituent les prélèvements obligatoires pour équilibrer les comptes sociaux n'est pas toujours fiable. Le creusement du déficit des comptes sociaux en 2002 et 2003 résulte en effet, en partie, d'une progression nettement ralentie des recettes de la sécurité sociale.

Deux exemples illustrant le caractère parfois aléatoire du rendement des prélèvements affectés à la sécurité sociale peuvent être cités.

En 2002, les prélèvements sur les revenus du patrimoine et de placement ont subi les conséquences de la crise boursière . L'ensemble des prélèvements sociaux assis sur les revenus du capital (CSG, CRDS et prélèvement social de 2 %) s'est élevé à 9 milliards d'euros en 2002, soit près de 3 % du total des recettes de la sécurité sociale , 60 % provenant de l'assiette patrimoine et 40 % de l'assiette placement. En outre, la CSG représentait 75 % de ces prélèvements en 2002, soit 6,7 milliards d'euros.

L'année 2002 s'est caractérisée par une première diminution du produit de ces prélèvements depuis 1995 , d'environ 7 % par rapport à 2001, soit plus de 600 millions d'euros, la baisse étant plus marquée sur les revenus du patrimoine que sur les produits de placement. Ce premier recul des prélèvements sociaux sur l'assiette capital a résulté principalement de la dégradation de la situation des marchés financiers en 2001 et 2002 .

A titre de comparaison, cette baisse du rendement des prélèvements sociaux assis sur les revenus du capital entre 2001 et 2002 représentait l'équivalent de 10 % du déficit de l'assurance maladie et plus de 17 % du déficit de l'ensemble du régime général de la sécurité sociale en 2002 .

Evolution des prélèvements sociaux assis sur les revenus du capital depuis 1995

(en milliards d'euros 2002)



Source
: commission des comptes de la sécurité sociale

De même, s'agissant des prélèvements sur les tabacs affectés à la sécurité sociale , la commission des comptes de la sécurité sociale révèle dans son rapport de septembre 2003 que « la croissance du rendement des prélèvements sur le tabac en 2003 se révèle très inférieure à celle qui était initialement prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 . Pour la première fois, une hausse des prix du tabac (celle intervenue au début de l'année 2003) a eu un impact sensible sur la consommation, dont la baisse a pratiquement annulé l'augmentation des droits. L'impact financier a été considérable. Alors que la hausse prévue des droits sur les tabacs était de 1 milliard d'euros, le rendement ne devrait être que de 200 millions d'euros, soit une perte de recettes de 800 millions d'euros par rapport à la prévision ».

Le caractère aléatoire du rendement de certains prélèvements affectés au régime de sécurité sociale incite donc à s'interroger sur les limites de certaines taxes. En matière de droits sur les tabacs, il apparaît ainsi de plus en plus que « l'impôt tue l'impôt ».

b) Agir sur les dépenses pour inscrire les prélèvements sociaux dans une dynamique de baisse des prélèvements obligatoires
(1) L'échec des mécanismes de maîtrise des dépenses sociales

Il ressort du rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de septembre 2003 que c'est l'échec des mécanismes de maîtrise des dépenses sociales qui a conduit à ce que tout le poids de la régulation des dépenses d'assurance maladie soit reporté sur le seul instrument financier que constituent les prélèvements obligatoires .

Le président de la sixième chambre de la Cour des comptes, a ainsi indiqué, lors de son audition par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale le 18 septembre 2003, que l'échec des différents systèmes de régulation des dépenses d'assurance maladie avait conduit tous les gouvernements à avoir recours à des solutions fiscales ou parafiscales pour équilibrer les comptes et qu'il semblait désormais nécessaire d'agir plutôt sur la structure de l'offre de soins et les comportements des usagers .

En outre, l'augmentation des prélèvements sociaux ne permettra pas de rétablir durablement l'équilibre de la sécurité sociale. Un renforcement des mécanismes de régulation des dépenses est nécessaire afin notamment d'éviter un recours trop systématique à cet instrument financier.

Des mécanismes de régulation obsolètes

Dans le domaine des mécanismes de régulation mis en oeuvre depuis les années 1970, trois leviers d'actions existent mais n'ont pas produit les effets escomptés :

- l'ajustement par les prélèvements obligatoires et les déremboursements est contrebalancé par le fait que 90 % de la population bénéficie d'une complémentaire santé et que six millions de malades en affection de longue durée bénéficient d'une prise en charge à 100 % ;

- la limitation des dépenses par la détermination d'enveloppes ou de lettres-clés flottantes a été largement obérée par l'impossibilité de mettre en application des dispositifs instables et contestés sur le plan juridique ;

- la politique conventionnelle avec les professions de santé aurait dû constituer le support de la maîtrise médicalisée des dépenses. Divers instruments, malheureusement peu opératoires, ont ainsi été mis en place, tels l'accréditation de seulement 400 établissements sur 3.000, la formation médicale continue obligatoire mais sans texte d'application, l'évaluation des pratiques médicales fondée sur le volontariat qui ne concerne que 180 praticiens sur 130.000 en exercice.

Source : Cour des comptes

Le déficit actuel de l'assurance maladie ne résulte pas essentiellement du fléchissement des recettes, contrairement à ce qui avait été observé en 1992-1993, mais de l' accélération des dépenses , tenant à un ensemble de décisions publiques et aux dysfonctionnements plus profonds de la régulation. Il en résulte que, même le retour d'une croissance forte ne suffirait pas à rétablir l'équilibre : au-delà des mesures immédiates d'ajustement, des progrès dans la régulation, tant de court que de long termes, sont indispensables .

(2) Les pistes de réforme envisageables

La valorisation du vote de la loi de financement par le Parlement et la fixation d'objectifs de dépenses réalistes doivent aujourd'hui figurer parmi les priorités de la réforme de notre système de santé : la sous-estimation des dépenses en loi de financement a en effet été si forte qu'elle a dispensé de prévoir dans la loi des mesures de nature à financer les dépenses ou à les limiter.

A ce sujet, la Cour des comptes propose une modification de l'architecture de la loi de financement de la sécurité sociale et des conditions dans lesquelles elle est préparée, discutée et, le cas échéant, révisée, car « la part des décisions de l'Etat et de l'assurance maladie dans l'accélération récente des dépenses montre la nécessité d'améliorer le cadre dans lequel elles interviennent ».

En outre, à moyen et à long termes, la mise en oeuvre d'une réelle politique de régulation des dépenses sociales , notamment des dépenses de santé, devrait permettre, en partie, de contourner le recours à l'instrument « prélèvements obligatoires ».

Certes des éléments structurels et inéluctables, tels le vieillissement de la population ou l'amélioration des techniques médicales, contribuent sans équivoque à la dynamique de croissance des dépenses sociales. Toutefois, comme l'a rappelé le rapporteur général chargé du rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale lors de son audition par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale le jeudi 18 septembre 2003, « quand on regarde des pays, comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, qui connaissent un vieillissement plus rapide que la France, on ne constate pas d'accélération similaire des dépenses de santé ».

Sans présager du diagnostic et des pistes de réforme qui seront définis par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, installé par le Premier ministre le 13 octobre 2003, il est possible de tracer aujourd'hui quelques pistes de réformes structurelles s'agissant de la maîtrise des dépenses de santé.

Dans un premier temps, il convient de s'appuyer sur la réflexion menée par les trois groupes de travail constitués au sein de la commission des comptes de la sécurité sociale par M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, en septembre 2002.

Le premier groupe, présidé par Mme Rolande Ruellan, conseiller maître à la Cour des comptes, constitué en vue d'établir un état des lieux partagé des relations entre l'Etat et l'assurance maladie , n'avait pas vocation à faire des propositions concrètes mais à amorcer un processus de concertation entre l'Etat et la Caisse nationale d'assurance maladie et notamment d'insister sur la nécessité d'en revenir à une gestion paritaire de l'assurance maladie.

Le second groupe, présidé par M. Jean-François Chadelat et ayant vocation à réfléchir à une nouvelle répartition des rôles entre régimes obligatoires et organismes complémentaires , a rendu son rapport en avril 2003 et a notamment proposé de créer une couverture maladie généralisée, par l'intervention conjointe des régimes de base et de l'assurance complémentaire. Cette proposition intéressante a eu le mérite de relancer le débat sur le partage des rôles entre assurance maladie de base et assurance complémentaire. Dans ce schéma, une aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire devrait faciliter l'accès à une telle couverture généralisée de ceux ne bénéficiant pas de la CMU sans percevoir toutefois des revenus suffisants pour financer l'adhésion à une mutuelle ou la souscription d'un contrat d'assurance. En outre, le rapport insistait sur la possibilité de définir certains actes ou certaines catégories d'actes pour lesquelles les assurances maladie complémentaires pourraient devenir les acteurs pilotes du dispositif, sans pour autant être les acteurs uniques. Dès lors on pourrait envisager un partage des compétences entre l'assurance maladie obligatoire, ayant plutôt vocation à améliorer la prise en charge des affections de longue durée, et les assurances complémentaires, ayant plutôt vocation à prendre en charge certains risques santé, tels l'optique, le dentaire ou le domaine de l'appareillage au sens large.

Enfin, le troisième groupe de travail, présidé par M. Alain Coulomb, directeur général de l'ANAES, avait pour mission de rechercher les moyens de médicaliser l'ONDAM . Les principales conclusions de ce groupe ont porté sur l'impossibilité de se référer à la seule notion de « besoin de santé » pour déterminer l'objectif de dépenses des régimes. En effet, les besoins sont illimités du fait du caractère subjectif de la santé et ils sont difficiles à quantifier. Si certaines causes prédéterminent assez précisément le niveau de la dépense, des actions correctrices, orientées vers le bon usage des soins, permettent de peser sur l'évolution de la dépense pour la rendre compatible avec les moyens de financement.

Au-delà de la réflexion menée par ces trois groupes de travail, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie , installé le 13 octobre 2003, doit permettre d'engager les réformes structurelles de l'assurance maladie en établissant notamment un diagnostic partagé.

Les six pistes de réflexion du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, définies par le Premier ministre

1- L'amélioration de la gestion des dépenses

Elle passe par un renforcement des outils de gestion, notamment la mise en place d'un corps de contrôle puissant destiné à lutter contre les abus, la mise en oeuvre du dossier médical électronique partagé visant à une meilleure coordination des soins ainsi que le décloisonnement de l'offre de soins et une meilleure gestion de cette offre sur le territoire.

2- Le principe de la « gouvernance » des soins

Sans étatiser ni privatiser la sécurité sociale, il s'agit d'aboutir à une clarification des responsabilités respectives de l'Etat et des partenaires sociaux, notamment par le biais du renouveau de la gestion paritaire de l'assurance maladie.

3- La généralisation de la couverture complémentaire santé

Il s'agit d'améliorer l'accès de tous à un régime d'assurance maladie complémentaire en créant à cette fin une aide spécifique pour les personnes disposant de revenus insuffisants.

4- Le développement des informations de pilotage

Les statistiques des dépenses d'assurance maladie ne peuvent suffire et doivent être complétées en temps réel par des indicateurs d'activités, de qualité et de coût. Cette piste recouvre la réflexion relative au contenu de l'ONDAM et au rapport qualité/prix des soins prodigués.

5- Une meilleure organisation de l'offre de soins

Les difficultés de recrutement dans les hôpitaux et les cliniques, le manque de médecins et d'infirmières dans certaines zones rurales ou de banlieue masquent une forte densité médicale et une mauvaise répartition des professionnels de santé sur le territoire. Dans cette perspective, la démographie médicale et la carte hospitalière constituent des chantiers majeurs. La réflexion doit dès lors porter sur les mesures d'incitation à l'installation des professionnels de santé dans les zones désertées, la nécessité d'orienter la liberté d'installation des professionnels sur le territoire ou encore la clé de répartition des différents établissements de santé sur le territoire.

6- La question du juste équilibre entre la solidarité collective et la responsabilité individuelle

L'assurance maladie repose sur l'idée que le remboursement social garantit l'accès aux soins de tous. Aujourd'hui, cette protection étendue couvre une grande part de la demande de santé, faite de besoins essentiels et de besoins plus subjectifs. La réflexion doit aujourd'hui porter sur une plus grande responsabilisation de tous les acteurs du système de santé, en incluant notamment les assurés sociaux eux-mêmes. En outre, la question de la distinction entre les frais devant être pris en charge par la solidarité collective et ceux pouvant relever de la responsabilité individuelle se pose. Ainsi, des mécanismes personnalisés et individuels pourraient venir renforcer l'assurance maladie dans sa gestion des mécanismes de solidarité.

La mise en oeuvre de réformes structurelles de l'assurance maladie ainsi que la définition et l'application de nouveaux outils de régulation des dépenses devraient permettre de maîtriser, en partie, l'évolution des dépenses sociales, tout au moins de ne pas ajouter à la croissance tendancielle et inéluctable des dépenses de santé, une croissance injustifiée, fruit de l'échec des mécanismes de régulation mis en place au cours des dix dernières années.

Dès lors, il est possible d'envisager qu'à long terme, même les prélèvements sociaux pourront s'inscrire dans une stratégie globale de baisse des prélèvements obligatoires .

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