ANNEXE N° 2
EXTRAIT DE L'ENQUÊTE NATIONALE SUR LES VIOLENCES
ENVERS LES FEMMES EN FRANCE (ENVEFF), PRÉSENTÉE EN
DÉCEMBRE 2000
Les
violences conjugales au cours des douze derniers mois
Extrait de l' Enquête nationale sur les violences envers les femmes en
France (ENVEFF) présentée en décembre 2000
Le
concept de violences conjugales s'étend ici à toute relation de
couple, avec ou sans lien légal, avec ou sans cohabitation ; le
conjoint n'est pas seulement l'homme avec qui l'on vit, il peut être le
petit ami, le fiancé. Toutes les femmes ayant vécu une telle
relation au cours des douze derniers mois (5908) ont été
interrogées. Un certain nombre d'entre elles (115) se sont
séparées récemment et ne sont donc plus en plus en couple
au moment de l'enquête. Ces dernières ont déclaré
avoir subi avec cet ex-conjoint, dans l'année écoulée,
trois à quatre fois plus de violences que les autres.
Ainsi qu'il a déjà été mentionné lors de la
présentation des premiers résultats, le terme de
« femmes battues » couramment utilisé ne rend pas
compte de la totalité des violences conjugales puisque les pressions
psychologiques y sont prépondérantes. Ces atteintes
psychologiques comprennent les actions de contrôle (exiger de savoir avec
qui et où l'on a été, empêcher de rencontrer des
amis ou un membre de la famille ou de leur parler) d'autorité (imposer
des façons de s'habiller, de se coiffer ou de se comporter en public),
les attitudes de dénigrement ou de mépris. Cette approche
novatrice dans le domaine, a permis de décrire une forme moderne de la
domination d'un sexe sur l'autre dans un contexte social où la relation
de couple est en droit égalitaire.
Toutefois distinguer séparément des types de violences verbales,
psychologiques, physiques ou sexuelles s'avère peu pertinent, car dans
de nombreux cas ces formes d'agressions s'entrecroisent, le terme de situation
de violences conjugales apparaît plus à même de rendre
compte de la réalité vécue par le plus grand nombre de
victimes. C'est pourquoi nous avons construit un indicateur global de violences
conjugales (cf. tableau ci-dessous) :
9 % des femmes en couple au
moment de l'enquête
ont été en situation de
violences conjugales au cours des douze derniers mois
. Cet indicateur est
subdivisé en deux niveaux afin de montrer la progression de la
gravité des situations. Le niveau « grave »
correspond au plus grand nombre, aux situations les plus couramment
dénoncées : 6,7 % des femmes en couple. Le niveau
« très grave » regroupe les situations de cumul de
presque tous les types d'agressions, les enfers conjugaux : 2,7 % des
femmes en couple.
Violences conjugales et caractéristiques du couple
Avec l'avancée en âge, la proportion de situations de violences
« graves » diminue, ce qui apparaît plutôt
lié au recul du harcèlement psychologique, par contre les
situations « très graves » se rencontrent à
tous les âges de la vie.
Les fréquences de ces situations de violences ne sont pas
affectées par la présence d'enfants, ni par la durée de
vie en couple, ce qui correspond assez bien au schéma du cycle des
violences. Mais au regard du calendrier du déclenchement des actes
violents, la thèse d'un engrenage inexorable des types de violences doit
être nuancée : des situations de cumul de violences peuvent se
déclencher très tôt et perdurer ; à
l'opposé, des situations de harcèlement psychologique peuvent se
dérouler tout au cours de la vie sans passage à des agressions
physiques ou sexuelles.
Si la précocité de la mise en couple n'accentue pas à elle
seule la domination masculine, un écart d'âge de 10 ans ou plus
entre conjoints entraîne un doublement des situations de violences. Les
femmes mariées, et plus généralement celles qui vivent
avec leur conjoint, déclarent nettement moins de violences que les
femmes en couple qui ne partagent pas le même domicile (environ un tiers
en moins).
Violences conjugales, milieu social et autonomie
économique des femmes
|
||||
Catégorie socioprofessionnelle et statut d'activité |
Effectifs |
Taux Global |
Dont |
|
Niveau grave |
Niveau
|
|||
Actives : Agricultrices, artisanes, commerçantes, chefs d'entreprise |
n=131 |
7,7 |
6,6 |
1,1 |
Cadres, professions intellectuelles |
n=425 |
8,7 |
6,1 |
2,6 |
Professions intermédiaires |
n=1189 |
8,3 |
6,8 |
1,5 |
Employées |
n=1726 |
8,3 |
6,3 |
2,0 |
Ouvrières |
n=311 |
7,9 |
4,6 |
3,3 |
Chômeuses |
n=489 |
11,9 |
9,0 |
2,9 |
Etudiantes |
n=176 |
11,1 |
9,8 |
1,3 |
Autres inactives |
n=1346 |
9,4 |
6,3 |
3,1 |
Ensemble |
n=5793 |
9,0 |
6,7 |
2,3 |
Les
chômeuses et les étudiantes ont l'indicateur global le plus
élevé (plus de 11 %). Toutefois les chômeuses sont
deux fois plus que les étudiantes dans une situation
« très grave » de violences (2,9 % contre
1,3 %), elles sont ainsi proches des autres inactives, et des
ouvrières (environ 3 %), et de façon plus inattendue des
femmes cadres (2,6 %). La sensibilité aux actes violents
diffère d'un groupe social à l'autre ; ce
phénomène est certainement perceptible dans le niveau
« grave » où la part du harcèlement
psychologique est relativement importante, mais il joue très peu dans
les situations de cumul. Ce qui permet de confirmer que les violences
conjugales gravissimes traversent tous les milieux sociaux.
Si la violence conjugale ne suit pas la hiérarchie sociale, une grande
instabilité professionnelle et le retrait du monde du travail semblent
favoriser l'émergence de situations de cumul de violences.
L'instabilité professionnelle masculine a un impact encore plus grand
sur la violence conjugale. Celle-ci est très présente chez les
chômeurs non indemnisés (16 % dont 8 % de situations de
violences « très graves ») ou autre inactifs, sans
doute exclus du marché de l'emploi. Pour l'un ou l'autre des
partenaires, avoir vécu une seule fois une période de
chômage accroît relativement peu le développement de
situations de violences conjugales, par contre la multiplication des
périodes de chômage double la proportion globale des situations de
violences et triple celle des violences « très
graves ».
Le lien entre le niveau de revenus et les situations de violences est
ténu ; il ressort que c'est moins le niveau de revenus qui importe
que l'accès direct à l'argent du ménage : les femmes
qui n'ont aucun accès à un compte bancaire (3 % de femmes en
couple cohabitants) déclarent un maximum de violences conjugales
(5 % de violences « très graves »).
Violences conjugales et éléments socioculturels
S'il apparaît que la perpétration des violences conjugales n'ait
pas grand chose à voir avec le capital scolaire des femmes,
l'infériorité du capital scolaire du conjoint semble accentuer
l'exposition au risque de violences pour sa partenaire.
Ainsi, des critères socioéconomiques tels que la catégorie
socioprofessionnelle, le niveau d'études ou les revenus qui expliquent
nombre de phénomènes sociaux sont peu discriminants s'agissant
des mécanismes sous-jacents aux situations de violences conjugales.
D'autres facteurs explicatifs sont à rechercher, en liaison plus
étroite avec les représentations des rôles et fonctions
masculines et féminines au sein du couple, et plus globalement des
images sociales des femmes, ce sont des caractéristiques plutôt
d'ordre socioculturel.
Parmi ces éléments, la religion incarne une vision des rapports
entre les sexes et un ensemble de règles de vie. L'éducation
laïque, sans doute un peu plus égalitaire entre les sexes, semble
moins engendrer de violences conjugales que l'éducation religieuse
quelle qu'elle soit. De plus on observe une forte corrélation entre
l'importance accordée à la religion et les situations de
violences conjugales, notamment gravissimes qui touchent 5,2 % des femmes
qui accordent de l'importance à la religion, contre moins de 2 %
parmi les autres. La grande imprégnation du religieux dans la vie
quotidienne explique en partie que les situations de cumul de violences sont
quasiment multipliées par trois chez les femmes musulmanes. C'est parmi
les femmes immigrées d'origine étrangère qu'on trouve les
plus fortes proportions de femmes accordant de l'importance à la
religion, cette proportion dépasse 80 % chez les femmes d'origine
maghrébine.
Les femmes immigrées d'origine étrangère (à
l'exception des italo-ibériques) sont plus fréquemment que les
autres en situation de violences conjugales. Les femmes du Maghreb et de
l'Afrique subsaharienne se trouvent plus souvent en situations de violences
conjugales du niveau le moins grave, elles déclarent deux fois plus de
harcèlement psychologique que les autres femmes. Ces résultats
sont très liés aux caractéristiques démographiques
de ces groupes notamment l'âge, le mode de vie ; ils
dépendent également d'autres critères comme l'isolement,
la précarité, les conflits culturels.
Pour les femmes issues de l'immigration (couramment nommées de la
deuxième génération), de parents marocains ou
algériens, l'indicateur global de violences conjugales est
doublé. Ce taux élevé est dû principalement aux
situations de violences « très graves ».
Quel que soit l'indicateur, les situations de violences sont plus
fréquentes parmi les couples mixtes que parmi ceux de même
origine. Seules les femmes d'origine maghrébine ou africaine semblent
vivre des situations de cumul de violences lorsque le conjoint est de
même origine.
Violences conjugales et entente conjugale
Les mécanismes des violences conjugales s'articulent sur les divers
aspects constitutifs du degré de complicité au sein du couple. Il
existe un lien assez fort entre les situations de violences et la
répartition inégalitaire du travail domestique et de
l'éducation
des enfants plus particulièrement dans les cas
de violences « très graves » dont la proportion
passe de 1,2 % à 4,2 % lorsque la femme s'occupe seule des
enfants.
La confiance dans le conjoint, qui relève d'un bon niveau d'entente du
couple, est une attitude très majoritaire des
enquêtées ; celles qui n'ont pas cette connivence avec leur
partenaire sont trois fois plus victimes de violences, quel qu'en soit le
niveau. L'absence de sentiment amoureux est rare parmi les répondantes
(4 %) ; parmi celles qui n'aiment plus ou n'ont jamais aimé
leur partenaire, une sur deux se déclare victime de violences
conjugales, dont une sur cinq de cumul de violences.
Un climat de perpétuelles disputes est sans conteste
générateur de violences : les 30 % de femmes qui ont
répondu « ne jamais ou rarement se disputer avec leur
conjoint » présentent les plus basses fréquences
globales de violences (2,6 %), et sont presque dix fois moins en situation
de cumul que le tiers qui connaît des disputes très
fréquentes.
L'alcoolisme du conjoint -attesté par 2 % des
enquêtées- multiplie par cinq les situations de violences globales
et par dix les situations gravissimes. On ne peut nier l'existence d'un lien
entre consommation d'alcool et violence agie. Cependant on doit aussi retenir
que 70 % des agressions de conjoints se sont produites alors qu'aucun des
partenaires n'avait bu d'alcool.
Violences conjugales et histoire personnelle
Parmi les femmes qui ont déclaré avoir vécu des
difficultés pendant l'enfance, 4 % des répondantes ont
mentionné au moins quatre problèmes différents. Plus d'un
quart (26 %) des femmes ayant subi ce cumul de handicaps sont victimes de
violences conjugales contre 6 % de celles qui n'ont dénoncé
aucune difficulté durant l'enfance. Les liaisons les plus fortes
s'observent pour les sévices et les coups répétés
(28 %) et le placement en institution ou famille d'accueil (27 %),
intervenu souvent à la suite de mauvais traitements pour celles qui ne
sont pas orphelines.
Les femmes victimes de violences sexuelles avant l'âge de 18 ans sont
presque trois fois plus que les autres en situation de violences conjugales.
Celles qui ont subi des attouchements répétés par des
proches sont cinq fois plus en situation de violences « très
graves » que l'ensemble (12 % contre 2,5 %).
Circonstances des agressions, réactions des femmes
A
l'exception des violences sexuelles qui se produisent dans l'intimité,
dans plus de la moitié des cas les enfants sont témoins des
scènes de violences, ce d'autant plus que la situation est très
grave et dure depuis longtemps : près des deux tiers des femmes en
situation « très grave » de violences ont
déclaré que leurs enfants étaient présents lors des
agressions.
Près de la moitié des victimes ont parlé des agressions
pour la première fois lors de l'enquête, 31 % de celles qui
vivent des situations très graves et 60 % des autres. Les violences
sexuelles sont les plus cachées (dans 69 % des cas), ou
dénoncées tardivement par rapport aux autres violences dont
environ la moitié des victimes s'étaient plaintes dans
l'immédiat.
L'image de femmes victimes subissant passivement les agressions de leur
conjoint doit être révisée, les réponses des
enquêtées montrant des femmes réactives aux violences de
leur partenaire. Elles réagissent d'autant plus qu'il y a atteinte
physique ou qu'elles sont en situation de violences « très
graves ». Si leur premier réflexe est la discussion
(60 %), elles n'hésitent guère à entrer dans le
conflit en proférant elles-mêmes menaces et insultes
(45 %) ; l'agression verbale répond à l'agression
verbale dans 57 % des cas. Cependant l'émotion est toujours vive,
toutes les formes d'agressions provoquent les pleurs (42 %). Lors
d'agressions physiques, 35 % tentent d'échapper aux coups par la
fuite et 27 % rendent les coups.
La perturbation grave de la sexualité est la conséquence la plus
citée (40 %). La modification de certaines habitudes de vie, la
rupture avec des proches ou l'apparition de troubles nécessitant un
suivi psychologique ont été mentionnés par environ une
femme sur cinq.
Violences dans les relations avec un ex-conjoint
Parmi les femmes qui ont eu des contacts avec un ex-conjoint au cours des 12
derniers mois, 17 % ont déclaré avoir subi au moins un fait
de violences à cette occasion.
Ces agressions atteignent avant tout
les femmes qui ont des relations nécessaires avec leurs anciens
compagnons en raison de la présence d'enfants ou de la forme
institutionnalisée de l'union rompue (divorcée,
séparée). Leur position économique semble plus fragile
(chômage ou profession d'employée). Les atteintes verbales,
comprenant insultes et menaces, touchent 13 % des femmes. Dépassant
largement tous les taux de violences identiques dans les autres cadres de vie,
les agressions physiques marquent les relations avec un ex-conjoint pour
8 % des femmes. Les violences sexuelles, dénoncées par
quatre femmes sur cent, semblent aussi beaucoup plus fréquentes dans les
relations avec un ex-conjoint que dans tout autre cadre de vie.
Un grand nombre de femmes se sont séparées d'un partenaire
violent. Après la rupture, les rapports, quand ils sont obligatoires,
restent très conflictuels, voire brutaux. Quoi qu'il en soit, il est
plus facile de dénoncer les exactions d'un conjoint dont on est
séparé que celles de la personne avec laquelle on vit. Il ne faut
pas oublier que les résultats présentés dans cette partie
concernent les femmes en couple au moment de l'enquête, et que ces
dernières ont été interrogées sur les violences
qu'elles ont subies au cours des douze derniers mois, dans cette relation de
couple. Amenées à parler d'un contexte privé qu'elles ont
en principe choisi, la majorité d'entre elles évoquent un climat
conjugal plutôt serein. Pourtant, au cours du questionnement, nombre
d'entre elles énoncent -pour beaucoup la première fois- des
comportements violents de leur conjoint. On pouvait s'attendre à plus de
réticence à avouer des faits porteurs d'une forte
réprobation sociale. Ce, d'autant plus que les femmes victimes de
violences conjugales se trouvent dans une situation paradoxale, entre le
maintien d'une relation affective ou d'une cellule familiale écrasante
et une aspiration à exister en tant que personne à part
entière. Leurs réponses montrent que pour nombre d'entre elles
« céder n'est pas consentir » et que la
révolte l'emporte souvent sur la soumission.