2. Au travail : de l'exclusion à la discrimination

Dans un article intitulé Du travail à l'emploi : l'enjeu de la mixité 30 ( * ) , publié en 1987, Margaret Maruani et Chantal Nicole analysent plusieurs études de cas permettant de démonter certains mécanismes de ce qu'elles appellent « la mise au travail différentielle des hommes et des femmes ». L'une de ces études de cas, concernant le milieu professionnel de la typographie, fait apparaître la qualification comme une construction sociale sexuée .

Ces chercheuses du CNRS notent ainsi : « la mixité ne s'obtient pas par simple addition : rajouter des femmes là où il n'y a que des hommes, augmenter le taux de féminité d'une branche, ne signifie pas que l'on fait sauter les barrières de la division sexuelle du travail. Ainsi l'entrée des femmes dans cette branche traditionnellement masculine [la typographie] ne s'est-elle pas accompagnée d'une féminisation de la profession. Elle n'a fait que créer un ghetto féminin dans une forteresse masculine : à côté des métiers masculins qualifiés naissent des fonctions « spécifiquement » féminines et non qualifiées ».

Il apparaît bien souvent que, dans un espace mixte, en particulier professionnel, la domination masculine ne s'éteint pas : elle ne fait que se déplacer. Plutôt que de mixité, il conviendrait de parler de coexistence et de division sexuée du travail.

Dans un article intitulé De la ségrégation sexuelle des postes à la mixité au travail : étude d'un processus 31 ( * ) , Sabine Fortino estime qu'« il n'existe pas, dans le champ du travail, d'« an 1 » de la mixité - et rien ne permet de dire non plus [...] que les « dernières heures » de la ségrégation sexuelle ont véritablement sonné ». En effet, ce n'est pas parce que les femmes sont majoritaires dans un métier ou un grade de la fonction publique qu'elles auront de meilleures carrières que celles des hommes, ni même des carrières équivalentes.

Ainsi, le même auteur constate, à partir d'enquêtes empiriques réalisées au sein de deux organisations du secteur public, que « le mouvement de mixité se construit sur fond de sur-sélection des femmes recrutées. En d'autres termes, ces dernières paient au prix fort leur ticket d'entrée dans les « travaux des hommes ». On peut ainsi observer que les candidatures féminines à l'embauche sont plus sévèrement triées que celles des hommes ». Ce constat réalisé au niveau des procédures de recrutement se retrouve en matière de promotion professionnelle, parfois avec des effets plus importants encore, les femmes présentant des retards de carrière importants par rapport aux hommes, qui s'expliqueraient par « une pratique assez répandue d'auto-élimination (elles se présentent moins aux concours que les hommes) ».

Sabine Fortino conclut ainsi : « la coexistence entre les sexes que suppose la mixité au travail n'égalise nullement les situations professionnelles des hommes et des femmes. [...] Le fait de partager le même espace de travail et la même activité ne crée pas, de facto ni en soi, les conditions d'une plus grande égalité entre les sexes. En réalité, ce que l'étude de la mixité au travail révèle à ce niveau est un processus [...] que l'on pourrait définir par ces quelques mots : là où s'arrête l'exclusion, commence la discrimination ».

La mixité au travail n'est donc pas l'espace privilégié d'une réduction des inégalités. Elle ne provoque pas non plus le changement des représentations du masculin et du féminin, les stéréotypes ayant la vie dure, tandis que se recréent de façon permanente des espaces ségrégués.

Ce phénomène se retrouve jusque dans l'éducation nationale. Si la profession enseignante est fortement féminisée - 77,4 % des enseignants du primaire sont des femmes et, dans le secondaire, 60,5 % parmi les certifiés et 51,4 % chez les agrégés -, les personnels d'encadrement sont majoritairement des hommes. Ainsi, le personnel de direction de l'administration centrale du ministère de l'éducation nationale comprend 30 % de femmes, les recteurs et secrétaires généraux 23,3 %, les inspecteurs généraux 15,8 %, les administrateurs civils 26 %, les inspecteurs d'académie et adjoints 13 %, les inspecteurs de l'éducation nationale 32 %, les personnels de direction d'établissement 35,8 % 32 ( * ) . Du reste, la proportion de chefs d'établissements femmes a diminué avec la mixité à l'école, même si beaucoup d'établissements difficiles sont dirigés par une femme. Enfin, dans l'enseignement supérieur, les femmes ne représentent que 36,5 % des maîtres de conférences et 14,2 % des professeurs des universités.

* 30 Article paru dans la revue Sociologie du travail n° 2-87, pages 237 à 250, 1987.

* 31 Article paru dans la revue Sociologie du travail n° 41, pages 363 à 384, 1987.

* 32 Ces chiffres ont été cités par Nicole Mosconi à l'occasion du colloque organisé pour le 25 ème anniversaire de l'association française des administrateurs de l'éducation.

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