D. L'ACCENTUATION ÉVENTUELLE DES DIFFÉRENCES SEXUÉES DANS UN GROUPE MIXTE
Il peut même arriver que les distinctions tendent à s'accentuer et à se sexualiser dans un groupe mixte, chacun se définissant par contraste et s'identifiant lui-même par opposition à l'autre.
1. L' « effet Pygmalion »
Dans un article déjà mentionné 33 ( * ) , France Rollin note que ne doivent pas être négligés « le rôle que joue, chez les jeunes adolescents, l'image sociale attachée à chaque sexe et le besoin de sécurité et d'amour qui les pousse à y adhérer : s'en écarter, c'est s'exposer à n'être pas admis. Ainsi les filles très rationnelles ou très dissipées, les garçons très dociles ou très sensibles risquent-ils toujours, dans une classe mixte, de se voir exclus de leur groupe d'appartenance sexuelle et de subir les conséquences souvent pénibles d'un tel rejet. S'ils se trouvaient dans une classe non mixte, ils pourraient y constituer des éléments pondérateurs : ils y joueraient en effet le rôle de « l'autre » dans un groupe trop homogène, car tout groupe a besoin d'une diversité interne pour survivre. Mais dans une classe mixte, ils se situent en porte-à-faux, ne pouvant peut-être ni modifier leur comportement spontané, ni le conserver sans en assumer les effets sociaux ».
C'est ce que l'on appelle l' « effet Pygmalion » de l'enseignant sur ses élèves : « si le professeur s'attend à ce que, dans la classe, les garçons soient inattentifs et les filles régulières, il contribue - par toute son attitude implicite ou explicite - à la réalisation effective de cette attente ».
De ce point de vue, le genre du professeur lui-même a une influence non négligeable.
L'influence du sexe du professeur
Le fait que le professeur soit un homme ou une femme influe de manière notable sur les comportements des élèves. [...] L'enseignant définit en partie la situation d'interaction par ses caractéristiques dont l'une des plus évidentes pour les élèves est bien son sexe. [...] Les professeurs de sexe masculin, de par leur manière de gérer la relation pédagogique autant que par les conceptions que peuvent en avoir les élèves, génèrent des comportements de concentration en classe : regarder le tableau par exemple, écouter et prendre des notes lorsque le professeur parle, et ceci autant chez les filles que chez les garçons. La présence d'un professeur femme tend à susciter des comportements plus souvent chahuteurs, et ceci dans leurs formes les plus extrêmes : les grimaces, gestes et rires sont plus fréquents avec des femmes qu'avec des hommes, et ceci autant chez les filles que chez les garçons.
Notons que ces formes extrêmes de chahut sont celles qui remettent le plus visiblement en cause l'exercice de l'autorité pédagogique. Les déplacements illicites des élèves en cours sont intéressants à ce propos. Ce type de comportement n'apparaît que chez les garçons avec un professeur femme ! Mais là n'est pas la seule spécificité des enseignantes. Elles tendent à favoriser les comportements de participation en classe, l'expression orale des élèves entre eux (travail de groupe) ou en interaction avec le professeur (pose, répond à une question).
Source : Georges Felougis, « Interactions en classe et réussite scolaire », Revue française de sociologie, 1992.
L'ethnologue Julie Delalande, dans un entretien accordé au magazine Enseignement catholique actualités de novembre 2003 34 ( * ) , explique elle aussi que la mixité peut renforcer les différences entre les genres : « la promiscuité des uns et des autres amène chacun à affirmer sa spécificité. Quand les filles sont entre elles dans une école qui n'accueille pas de garçons, elles construisent leur identité autrement, en se distinguant les unes des autres, en fonction de critères plus nuancés. Face aux garçons, elles cherchent au contraire à affirmer leur spécificité et elles véhiculent plus facilement des stéréotypes féminins, comme celui de filles craintives, attachées à leur apparence ».
Catherine Marry, dans sa conférence susmentionnée du 16 octobre 2003, dresse le même constat : « l'hypothèse la plus souvent énoncée, en France et ailleurs, est celle d'un renforcement, dans un contexte mixte, de l'adhésion des filles aux stéréotypes sexués, en particulier dans les disciplines où elles sont minoritaires (informatique, mathématiques, physique). Le souci de plaire aux garçons et de ne pas entrer en compétition avec eux, renforcerait la tendance des filles à se sous-estimer, à se montrer moins ambitieuses et plus soucieuses de leur apparence physique. [...] les filles sont moins persuadées de leur compétence en milieu mixte alors que la mixité n'affecte pas l'auto-attribution de compétence des garçons. [...] la hiérarchie inter-groupes - le rapport dominant/dominé - rend difficile aux dominés l'accès à une identité propre en les maintenant dans une identité catégorielle : les individus dominants (garçons et enfants des classes supérieures) s'auto-attribuent des traits singuliers, les groupes dominés (les filles et les enfants de classes défavorisées) des traits de leur catégorie d'appartenance ».
* 33 Revue Etudes, décembre 1987.
* 34 Enseignement catholique actualités, n° 278, novembre 2003.