2. Faire « respirer » la mixité
Au cours des dernières années, depuis 2000 environ, la mixité a suscité un débat, à partir de travaux de chercheurs qui, bien que leurs avis divergent souvent, ont été largement relayés par la presse, parfois sans nuances, comme l'a indiqué M. Michel Fize s'agissant de son ouvrage.
Cette réflexion trouve d'ailleurs son origine dans l'enseignement catholique qui s'est interrogé sur les modes de fonctionnement de la mixité, à partir de l'observation des difficultés scolaires, mais aussi comportementales, des garçons. Ainsi, Mme Véronique Gass, vice-présidente de l'UNAPEL, a précisé que l'enseignement catholique avait engagé une réflexion sur la mixité à l'école depuis décembre 2001. Elle a précisé qu'il ne s'agissait, en aucun cas, de remettre en cause le principe de la mixité, mais plutôt de réfléchir sur la façon d'en faire un outil pédagogique.
Une expérimentation entreprise par l'enseignement catholique
Le 26 novembre 2003, lors d'un rassemblement des chefs d'établissement des diocèses de Normandie, l'enseignement catholique a lancé un projet d'expérimentation sur la mixité. Cette démarche s'inscrit d'ailleurs dans le cadre d'un partenariat avec l'enseignement public, au niveau des académies de Caen et Rouen.
Les établissements des diocèses concernés doivent travailler dans trois directions possibles :
- étudier le comportement des garçons et des filles dans leurs rapports aux savoirs, aux disciplines scolaires et aux méthodes pédagogiques ;
- élaborer des projets en lien avec la vie scolaire pour passer d'une mixité subie à une mixité réfléchie et réussie ;
- analyser et clarifier les procédures d'orientation, aider à l'évolution des représentations que les jeunes se font des métiers, accompagner les familles et les élèves dans leur réflexion sur les projets d'étude et les choix de filières.
Relevant que, quand « on parle de comportements difficiles, de redoublements, de relégation dans les structures de recours, classes relais, etc., on constate le plus souvent que de 60 à 80 % des élèves concernés sont des garçons », le magazine Enseignement catholique actualités du mois de novembre 2003 41 ( * ) se demande si « peu à peu, plus ou moins consciemment, les enseignants ne sont pas en train de s'habituer à considérer ces garçons comme des « empêcheurs » d'école ». Ce risque de voir les garçons « devenir les mauvais sujets de l'école » discréditerait la mixité, étant désormais bien établi que garçons et filles présentent un niveau de maturité très différent.
Désarroi des garçons en échec scolaire face à la réussite des filles
L'échec scolaire des garçons risque de mettre à mal la cohabitation des deux sexes dans l'école et dans la société. Parce que le jeune garçon, moins mûr que la jeune fille, se vit un peu comme dominé durant les premières années du collège et réagit à l'encontre des filles. De la mise en place d'une virilité (attributs sociaux traditionnellement associés à l'homme qui incluent le courage, la force, la capacité à se battre...) au virilisme - que Daniel Welzer-Lang 42 ( * ) définit comme une forme exacerbée de virilité - il n'est qu'un pas, qu'un jeune garçon en échec franchit d'autant plus aisément.
« Les garçons les plus jeunes qui ont un mauvais cursus scolaire et ne reçoivent pas là de gratifications doivent chercher d'autres stratégies de déviation et de contrôle de leurs pulsions sexuelles. Or, précisément, ce sont eux qui sont le moins bien armés pour s'engager dans des relations symétriques, fondées sur une acceptation des filles comme égales », écrit le sociologue Hugues Lagrange 43 ( * ) . Selon son degré d'exacerbation, ce virilisme peut conduire à une contestation de l'autorité du professeur, au chahut, comme à d'autres dérivés pouvant aller jusqu'aux agressions sexuelles qui scandent la vie de certains établissements ou de certaines cités.
Source : « Allez les garçons », Le Monde de l'Education, janvier 2003.
A cet égard, le sociologue Michel Fize considère que la séparation pourrait être envisagée, uniquement sur la base du volontariat, dans quelques situations d'urgence, notamment pour éviter d'éventuelles agressions physiques. Il parle de faire « respirer » la mixité.
Il n'est pas le seul à proposer l'instauration de « moments de séparation ». Ainsi, dans une perspective quelque peu différente, Mme Gisèle Jean, secrétaire générale du SNES, a estimé qu'il était possible, dans certains cas, de constituer des groupes d'élèves non mixtes pour discuter de la perception de l'image de l'autre.
M. Philippe Guittet, secrétaire général du SNPDEN, a indiqué que, selon lui, il était possible d'introduire quelques exceptions à la mixité, et a cité l'exemple des cours d'éducation physique et d'éducation sexuelle.
Mme Marie-Françoise Blanchet, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France, a elle aussi estimé qu'il était sans doute nécessaire de prendre en compte le besoin de motricité des jeunes garçons et de l'encadrer plutôt que de l'empêcher de s'exprimer, ajoutant que cela passait peut-être par des activités physiques différenciées dans lesquelles ils pourraient dériver leur énergie.
M. Antoine Prost, quant à lui, a évoqué l'idée consistant à lancer des expériences limitées de cours différenciés pour les filles et les garçons, notamment pour favoriser l'enseignement littéraire pour les garçons et l'enseignement scientifique pour les filles.
Mme Véronique Gass, vice-présidente de l'UNAPEL, sur la base d'une comparaison entre la famille et l'école, a observé que, si la famille était mixte, il existait néanmoins des moments où les garçons et les filles souhaitent se retrouver dans des lieux distincts. Elle a dès lors évoqué, se référant explicitement aux travaux de Michel Fize, la possibilité de faire la même chose à l'école, ce qui permettrait de faire « respirer » la mixité, notamment à l'occasion de certains travaux. Elle a estimé qu'une telle « pause » devait être organisée, prioritairement, au niveau du collège, indiquant que l'école primaire était soumise de façon moins exacerbée aux éventuels problèmes induits par la mixité, tandis qu'au lycée, la personnalité des élèves est déjà bien souvent construite.
Le SNALC, constatant que, de la sixième à la quatrième, les filles progressent généralement plus rapidement que les garçons et plus rapidement encore quand elles sont dans des établissements non mixtes, estime envisageable de créer des collèges non mixtes mais de maintenir la mixité dans l'ensemble des lycées.
Par ailleurs, il existe un courant de recherche qui semble remettre en cause l'évidence des effets bénéfiques de la mixité sur l'égalité des sexes. Ces recherches relèvent d'approches psycho-sociologiques ou ethnographiques.
M. Luc Ferry, alors ministre de l'éducation nationale, avait considéré que « ces recherches ne peuvent cependant pas être considérées comme conclusives, pour plusieurs raisons. D'une part, d'autres études, du même courant de recherche, montrent que les stéréotypes n'épargnent pas les écoles non mixtes et y prennent simplement d'autres formes. D'autre part, presque toutes les études sur les effets de la mixité ont un défaut méthodologique majeur : elle ne prennent pas en compte le fait que les écoles non mixtes sont souvent plus sélectives, l'origine sociale de leurs élèves y est plus élevée, et leur cursus antérieur mieux réussi. Les rares études qui contrôlent ces effets concluent qu'il n'y a pas d'effet significatif de la mixité sur les performances des filles et des garçons ».
* 41 Le magazine Enseignement catholique actualités n° 278 (novembre 2003) a consacré un dossier au thème « Apprenons ensemble ».
* 42 Daniel Welzer-Lang, Virilité et virilisme dans les quartiers populaires en France, mars 2002.
* 43 Hugues Lagrange, « Le sexe apprivoisé ou l'invention du flirt », Revue française de sociologie, 1998.