L'INNOVATION EST AU CoeUR DE LA PERFORMANCE ÉCONOMIQUE

Les effets des innovations sur la croissance économique ont été largement traités par les modèles théoriques de la croissance. Les études appliquées confirment que, par leurs impacts sur la productivité des facteurs et la qualité des biens et des facteurs et sur la compétitivité, les innovations permettent une croissance du PIB. Les études portant sur leurs conséquences en termes d'emploi sont moins unanimes. Nous étudions tour à tour ces différents éléments d'analyse du lien entre innovation et performance économique.

I. L'APPORT DES NOUVELLES THÉORIES DE LA CROISSANCE

Les travaux de Solow et de Swan, publiés en 1956, ont montré que la croissance économique est déterminée par l'intensité du progrès technique et l'accroissement de la population active, tous deux exogènes. Les études empiriques qui ont suivi ont mis en évidence que la contribution du progrès technique à la croissance était comprise entre 50 et 80 %. La théorie néoclassique met ainsi en lumière l'importance des innovations. Elle va permettre d'expliquer le processus de rattrapage des pays européens envers les États-Unis après guerre, et la stagnation des pays en développement. Elle implique cependant qu'aucune politique économique ne peut influencer le taux de croissance de long terme de l'économie. En outre, cette théorie souffre d'un défaut d'explication du progrès technique lui-même.

Les recherches menées dans les années 1980, à la suite des travaux de Romer publiés en 1986 et 1990, se sont efforcées d'expliciter les raisons du progrès technique. 53 ( * ) Les modèles de croissance endogène voient ainsi dans l'investissement privé en capital physique, les innovations technologiques, le capital humain et le capital public les sources du progrès technique, et donc de la croissance. 54 ( * ) Les connaissances revêtent un statut particulier dans ces modèles : contrairement au capital physique, dont la productivité marginale décroît dans les théories traditionnelles de la croissance, la connaissance s'accumule au fil du temps. Le savoir engendre le savoir. Pour reprendre la phrase, souvent citée, de Bernard de Chartres au XII e siècle, et reprise par Newton, « nous sommes juchés sur les épaules de géants. » De la recherche naît l'invention, fondement même des connaissances. L'invention conditionne l'innovation au côté des possibilités offertes par le marché et des moyens dont dispose l'entreprise. L'innovation se diffuse et génère de nouveaux produits et de nouvelles technologies (Boyer, Didier, 1998). Elle alimente à son tour le stock de connaissances, qui bénéficie à l'ensemble des entreprises, même si, par des brevets ou simplement le secret, un innovateur peut s'approprier, pour un temps donné, la connaissance dont il est la source. L'économie bénéficie alors de rendements d'échelle croissants. Les externalités à l'origine des rendements d'échelle croissants sont analysés de façons diverses dans les modèles de croissance endogène 55 ( * ) . Ces modèles ne sont pas exempts de défauts. Ils ont néanmoins porté un nouvel éclairage sur les raisons du progrès technique, mettant en avant le rôle primordial joué par les innovations dans la croissance économique. Ils ont également réhabilité les politiques économiques comme facteurs influents de la croissance économique

La possibilité d'agir sur le taux de croissance de long terme

Dans les modèles de croissance exogène comme celui de Solow, les rendements décroissants sur les facteurs accumulables sont à l'origine de la dichotomie entre les comportements des agents et le taux de croissance de l'économie. En effet, puisque la main d'oeuvre croît à un rythme exogène, la seule façon d'augmenter la croissance sur le long terme consiste à développer davantage les facteurs non rares, c'est-à-dire accumuler plus de capital ou (et) de R&D. Mais la décroissance des rendements partiels des facteurs bloque ce processus ; par exemple, l'accumulation du capital fait décroître la productivité marginale du capital, qui ne peut durablement demeurer au dessus du taux d'intérêt. Les agents se détournent alors de l'investissement, trop peu rentable. L'accumulation du capital est, dès lors, stoppée.

Dans les modèles de croissance endogène, la possibilité de rendements non décroissants des facteurs de production 56 ( * ) permet que le processus d'accumulation ne se bloque pas. Aussi est-il possible d'agir durablement sur le taux de croissance, alors que dans la croissance exogène, l'action sur le taux de croissance n'était que transitoire. Tout ce qui va modifier le rythme d'accumulation (taux d'épargne, effort de R&D) est de nature à modifier le taux de croissance de long terme. Les agents économiques et donc la politique économique vont alors pouvoir agir sur le taux de croissance de long terme.

L'hypothèse de rendements non décroissants a été l'objet de nombreuses discussions et controverses de divers ordres 57 ( * ) , comme la controverse sur l'effet d'échelle qui fait dépendre le taux de croissance d'une économie de sa taille figurée par sa population (propriété qui est manifestement contre intuitive). Plusieurs réponses ont été apportées à cette critique :

• Jones (1995) développe des modèles de croissance « semi-endogène » : à partir d'une innovation majeure (la machine à vapeur, l'électricité, l'informatique, les nouvelles technologies de l'information et de la communication), la grappe d'innovation qui suit est « exhaustible », c'est-à-dire que plus on innove, et plus est faible la probabilité d'innover, ce qui conduit à des rendements décroissants de la R&D.

• Segerstrom (1998) et Kortum (1997) construisent des modèles à deux secteurs d'innovation (qualité, variété) qui préservent les propriétés de la croissance endogène tout en éliminant l'effet d'échelle.

• Quant à Kremer (1993), il n'hésite pas à affirmer que la globalisation des échanges devrait faire adopter pour seule variable d'échelle la population mondiale.

Mais l'importance de l'enjeu, en termes théoriques et surtout en termes de politique économique, est telle que les études indirectes, c'est-à-dire ne portant pas sur les rendements mais sur leurs conséquences pour la croissance endogène, ont été abondantes. On peut consulter à ce sujet Cameron (1998), Temple (1998), Bagnoli (2002). Ce denier cite les travaux de Bean (1990) et d'Ireland (1990), qui, en utilisant les tests de causalité de Granger, montrent que le modèle de croissance endogène est plus probable que le modèle traditionnel. Lau et Shin (1994) arrivent à la même conclusion en utilisant les techniques de co-intégration. De même Kocherlakota et Yi (1996) ainsi que Mc Grattan (1998) prouvent la supériorité du modèle à rendements non décroissants.

La possibilité d'intervenir sur le taux de croissance de long terme redonne du même coup une portée considérable aux politiques structurelles de croissance (fiscalité, aides et subventions, dépenses d'infrastructures) et bien sûr aux politiques liées à l'effort de R&D.

Les transferts de connaissances et les externalités technologiques

Les rendements non décroissants des facteurs accumulables posaient un problème d'analyse économique pour déterminer le niveau d'investissement de la firme individuelle ; il fallait y ajouter de nombreuses hypothèses ad-hoc , comme les coûts d'ajustement, pour y arriver. L'intuition qui a permis de résoudre plus simplement la question est celle qui consiste à distinguer les rendements privés des rendements collectifs ou sociaux de la recherche. Les rendements privés sont plus faibles que les rendements sociaux (et à la limite les premiers peuvent être décroissants et les seconds croissants) en raison de transferts de connaissances ( spillovers ) entre les différents acteurs : firmes, secteurs, nations,... L'innovation produit des effets dans l'entreprise mais la diffusion de cette innovation par différends canaux (brevets, littérature scientifique, échanges de savoir faire, échanges de personnels, échanges de biens entre firmes ou nations) va produire des effets complémentaires très importants qui vont augmenter les rendements de la recherche au point qu'ils peuvent devenir non décroissants.

L'ensemble des externalités issues du processus d'innovation se répartit en quatre types (Jones et Williams (1997), Cameron (1998)) :

• Les transferts technologiques ( technological spillovers ) dus à la diffusion du savoir, au brevetage ou aux mouvements de la main d'oeuvre : ces transferts peuvent être inter-entreprises, inter-sectoriels ou internationaux.

• Les transferts de surplus : l'innovateur, même en l'absence de spillovers , ne peut garder tous les gains sociaux d'une innovation, notamment en raison de la baisse des prix qu'elle peut entraîner. L'ampleur de l'appropriation des gains dépend de la structure du marché (Griliches, 1992).

• La troisième externalité est une externalité négative, elle résulte du processus Schumpeterien de destruction créatrice (Aghion et Howitt (1992)) : les nouvelles idées accélèrent le déclassement des anciens processus de production, ce qui entraîne des pertes.

• Les effets de congestion liés aux interrelations entre les innovations : si les innovations sont substituables, cette externalité est négative car elle conduit à la duplication de l'effort de R&D. On pourrait, dans ce cas, aboutir pratiquement au même résultat de la recherche avec une moindre R&D et une plus grande diffusion de l'innovation. En revanche, en cas de complémentarité des innovations, cette externalité est positive car chacune augmente la rentabilité sociale des autres. Dasgupta et Maskin (1987) admettent que les innovations sont substituables, alors que David (1985) et Katz et Shapiro (1994) optent pour la complémentarité des innovations.

Les auteurs s'accordent sur l'importance de ces transferts tant entre entreprises qu'entre secteurs et entre nations, importance qui explique l'écart très significatif entre la rentabilité privée et la rentabilité publique de la R&D (Cameron, 1998, Bagnoli, 2002).

* 53 Les premières théories du progrès technique endogène précèdent de près de 25 ans les théories de la croissance endogène. En 1962, Arrow publie un modèle d'apprentissage ( learning by doing ) qui relie la productivité globale des facteurs à l'expérience (représentée dans le modèle par l'investissement brut cumulé). Dans le courant hétérodoxe, Kaldor et Mirrlees (1962) rejettent l'utilisation de la fonction de production et proposent la même année un fonction de progrès technique.

Les travaux empiriques sur le progrès technique endogène sont également plus anciens que la croissance endogène ; ils proposent de relier, comme les avancées théoriques, la productivité globale des facteurs respectivement aux dépenses (ou stock de R&D) et à l'expérience à l'aide de courbes d'expérience.

* 54 De très bonnes revues de la littérature sont fournies par Aghion et Howitt ( 1998), Barro et Sala-I-Martin (1995), Guellec et Ralle (1995) et Jones (2000).

* 55 Les externalités sont engendrées par l'investissement en capital physique dans le modèle de Romer de 1986, elles proviennent directement du secteur de la recherche sur les biens d'équipement dans celui de 1990, et de l'innovation de qualité dans le modèle d'Aghion et Howitt de 1997.

* 56 Pour simplifier, en se référant au modèle mono-sectoriel, si la somme des exposants des facteurs accumulables est supérieure ou égale à l'unité dans la fonction de production, on se trouve dans le cas d'une croissance endogène. Le taux de croissance de long terme n'est alors plus exogène, c'est-à-dire dépendant du taux de croissance de la population et du progrès technique (exogènes), mais va dépend des comportements des agents économiques (l'épargne, l'investissement, l'accumulation de R&D,...).

* 57 Elle a, en particulier, donné lieu à des études économétriques sur la valeur des exposants des facteurs dans la fonction de production.

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