II. LA GESTION DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Le ministère des affaires étrangères dispose d'un parc immobilier important dont la surface totale est de l'ordre de 2,4 millions de mètre carrés. Près de 90 % de ce parc est situé à l'étranger, et le ministère des affaires étrangères en est propriétaire d'un peu moins des trois quarts.

A. UN PROBLÈME STRUCTUREL DE FINANCEMENT

Votre rapporteur spécial a pris conscience, au cours de sa mission, de l'ampleur des difficultés auxquelles est confronté le ministère des affaires étrangères pour la gestion de ses investissements immobiliers à l'étranger. Le décalage entre les besoins recensés par les postes à l'étranger et les crédits disponibles sur le titre V du budget du ministère des affaires étrangères est croissant, ce qui entraîne des conséquences particulièrement néfastes. Lors de sa communication relative à sa mission en Turquie, le 22 juin 2004, votre commission des finances a souhaité approfondir ce sujet. Elle a donc entendu, le 30 juin 2004, M. Hubert Colin de Verdière, secrétaire général du ministère des affaires étrangères, et M. Patrick Roussel, directeur du service de l'équipement du ministère des affaires étrangères, sur la politique de gestion immobilière du Quai d'Orsay. Le compte rendu de cette audition figure, comme la communication de votre rapporteur spécial, en annexe au présent rapport.

1. Un décalage croissant entre les besoins et les ressources...

Votre rapporteur spécial observe, depuis plusieurs années, une diminution régulière des crédits du titre V du ministère des affaires étrangères, dont le montant est loin de permettre le financement de l'ensemble des opérations prévues par le ministère.

La contrainte budgétaire pesant sur les crédits d'investissement du ministère s'est ainsi considérablement alourdie au cours des dernières années. A l'instar de l'ensemble du budget du ministère des affaires étrangères, et compte tenu de l'importance des frais de personnel et de fonctionnement, mais également de la priorité accordée par le président de la République à l'aide publique au développement, la dotation du titre V a été progressivement réduite, contraignant à l'abandon de certains projets, et, plus généralement, à des retards considérables par rapport aux prévisions initiales pour la plupart d'entre eux. Dans ce contexte, le ministère des affaires étrangères se voit contraint de « parer au plus pressé », en fonction des priorités politiques, d'une part, et de la nécessaire mise aux normes de sécurité de ses bâtiments (désamiantage, mise aux normes anti-sismiques notamment), d'autre part.

Votre rapporteur spécial a obtenu du ministère des affaires étrangères la liste des opérations immobilières en cours. Le ministère lui a transmis cette liste, en précisant toutefois : « les restrictions budgétaires apportées par les réserves d'innovation et les annulations des AP et des CP en 2003, rendent la lisibilité des opérations immobilières incertaine. Dans ce contexte, certaines opérations n'ont pu être lancées ou poursuivies faute de ressources suffisantes. (...) Les perspectives 2004 ne permettent pas encore d'évaluer les retards qui seront causés par la situation des crédits accordés ».

L'ensemble des opérations immobilières en cours représente un coût prévisionnel global de 752,2 millions d'euros. Sur cette somme, un montant d'autorisations de programme (AP) de 296 millions d'euros a été ouvert avant 2003, et de 24,3 millions d'euros, au cours de l'année 2003. S'agissant des crédits de paiement (CP), un montant de 179,4 millions d'euros a été dépensé avant 2003 et de 31,4 millions d'euros au cours de l'année 2003. Le fossé est donc considérable : au rythme actuel, il faudrait entre 15 et 20 ans pour financer l'ensemble des opérations prévues à la fin de l'année 2003.

Se sont ajoutées à la diminution des crédits d'investissement, pour l'année 2003, les mesures de régulation budgétaire décidées par le gouvernement, dont votre rapporteur spécial a eu l'occasion de souligner à plusieurs reprises les effets négatifs sur l'exécution du budget du ministère des affaires étrangères. On rappellera en effet que, dès le 3 février 2003, 3,974 milliards d'euros avaient été mis en réserve pour le budget général. Dès le 14 mars 2003, un premier décret d'annulation était publié, portant sur 1,4 milliard d'euros, soit 36 % des crédits mis en réserve et 0,52 % des ouvertures de crédits votées en loi de finances pour 2003. Sur le budget du ministère des affaires étrangères, la mise en réserve des crédits avait porté (hors aide publique au développement) sur environ 63 millions d'euros en février 2003, dont la moitié a fait l'objet d'une annulation en mars 2003. Par ailleurs, une part importante des crédits reportables à la fin de l'année 2002 avait été gelée.

Dans la synthèse de son rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'année 2003, la Cour des comptes a insisté sur les difficultés de gestion résultant de ces mesures, et émis un certain nombre de remarques générales sur la gestion des crédits de paiement et des autorisations de programme :

« L'exercice 2003 a été caractérisé par une régulation complexe et drastique, marquée par des à-coups. Freinage de la dépense et annulations ont dominé l'exercice et pesé sur l'ensemble des gestionnaires de crédits.

« Dans le cadre d'un budget d'investissement en stagnation globale, les affichages de la LFI ont été souvent contredits en exécution : le budget exécuté en 2003 s'écarte ainsi notablement de l'autorisation parlementaire initiale.

« La gestion des crédits de paiement (CP) :

« La gestion des crédits de paiement a été dominée par le souci de limiter la dépense sans remettre en cause les priorités affichées. Cette gestion a entraîné des retards de paiement sur des opérations engagées, générateurs d'intérêts moratoires, et des reports de charges sur l'exercice suivant, même si les dotations disponibles ont été mieux utilisées, comme en témoigne la baisse tendancielle des reports de crédits. L'échéancier de la couverture des autorisations de programme par les crédits de paiement a été systématiquement étalé. Les dépenses d'investissement des services civils ont progressé de 1,1 %, soit une baisse en termes réels, les dépenses militaires augmentant en 2003 quatre fois plus vite que les dépenses civiles.

« La gestion des autorisations de programme (AP) :

« La LFI pour 2003 affichait une stagnation des AP (soit une diminution en euros constants), en même temps qu'une nouvelle et forte priorité pour la défense, alors même que la loi de programmation militaire 1997-2002 a été engagée en quasi-totalité. Les dotations en AP civiles étaient en chute sensible. (...)

« Dans le cadre de l'exécution annuelle, les efforts de gestion des ministères se sont souvent révélés efficaces, même si, dans une perspective pluriannuelle qui est celle des autorisations de programme, la baisse des ouvertures d'AP si elle se poursuivait pourrait remettre en cause le respect des engagements de l'Etat » 10 ( * ) .

En loi de finances pour 2004, les crédits inscrits au titre V, qui financent les investissements exécutés par l'Etat, ont été marqués par une nouvelle diminution des autorisations de programme : - 23,48 %, après - 13,3 % en 2003 et - 3,1 % en 2002.

Le total des autorisations de programme s'établit donc à 45 millions d'euros, dont :

- 26,08 millions d'euros pour l'« acquisition, la construction, la réhabilitation et l'entretien du domaine de l'Etat à l'étranger - contrôle des flux migratoires » (soit une diminution de 1,92 million d'euros, après une diminution de 6,3 millions d'euros dans la loi de finances pour 2003) ;

- 8,17 millions d'euros pour les établissements d'enseignement (contre 15 millions d'euros dans la loi de finances pour 2003) ;

- 3,13 millions d'euros pour les instituts et centres culturels français (soit un retour au niveau de 2002, après une dotation de 10 millions d'euros dans la loi de finances pour 2003) ;

- 4,21 millions d'euros pour les travaux de gros entretien à l'administration centrale (contre 2 millions d'euros dans la loi de finances pour 2003). Par ailleurs, les autorisations de programme concernant le chiffre et la communication sont en très légère diminution, à 3,42 millions d'euros.

Après une diminution de 13,5 % en loi de finances pour 2003, les crédits de paiement diminuent à nouveau en 2004 de 10,3 %, pour s'établir à 42 millions d'euros.

On rappellera par ailleurs que le ministère des affaires étrangères verse, sur les crédits du titre VI (chapitre 68-80, article 40), des subventions d'investissement immobilier au bénéfice des Alliances françaises et des Centres culturels franco-nationaux. Ces subventions ont pour objectif de contribuer à :

- l'entretien lourd du patrimoine existant et son adaptation aux besoins des établissements culturels dont la vocation et les méthodes de travail évoluent avec la généralisation des nouvelles technologies de l'information ;

- l'accession à la propriété d'établissements pilotes jouant un rôle régional et servant de relais à l'action culturelle des postes, afin de les mettre à l'abri de la spirale inflationniste des marchés locatifs.

En réponse à une question posée par votre rapporteur spécial à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, le ministère des affaires étrangères a indiqué que « compte tenu de l'érosion importante des moyens disponibles au cours des trois derniers exercices (...)

« Il n'est plus vraiment possible de poursuivre la mise en oeuvre d'une politique qui commençait à porter ses fruits.

« Cette évolution budgétaire défavorable met en difficulté, outre le service gestionnaire, les Ambassades et nos partenaires des Alliances Françaises à l'étranger, à qui il est demandé de constituer des dossiers complexes et détaillés impliquant la participation de nombreux partenaires locaux (municipalités, mécènes, architectes, banquiers, membres des comités...) ».

2. ...dont la traduction pose d'importants problèmes...

L'insuffisance des crédits d'investissement a été telle, au cours de l'exercice 2003, que le ministère des affaires étrangères n'a pas été en mesure de régler l'ensemble des factures correspondant à ses investissements. En réponse à une demande de votre rapporteur spécial, le ministère des affaires étrangères a indiqué les opérations immobilières pour lesquelles des factures resteraient impayées à l'issue de l'exercice 2003, qui sont retracées dans le tableau ci-dessous.

Opérations immobilières dont les factures demeureraient impayées

Lieu

Opération

Montant (en euros)

Abidjan

rénovation ambassade et consulat

300.000

Annaba

extension du consulat général

1.100.000

Alger

lycée

1.500.000

Bamako

rénovation ambassade

500.000

Milan

lycée

1 500.000

Moscou

lycée

500.000

Nairobi

résidence rénovation

250.000

Oran

consulat (études)

230.000

La Courneuve

archives (études)

550.000

Paris

rue La Pérouse (solde Léon grosse)

2.100.000

Rome

lycée site de Strolh Fe

600.000

Tokyo

ambassade (concours)

320.000

Varsovie

ambassade

700.000

Zagreb

ambassade

300.000

Diverses opérations

 

1.000.000

Total

 

11.450.000

Source : ministère des affaires étrangères

Le montant des factures impayées correspondant aux opérations d'investissement immobilier du ministère des affaires étrangères s'élèverait donc à plus de 11 millions d'euros à l'issue de l'exercice 2003.

Votre rapporteur spécial souligne que ce phénomène n'est pas spécifique au ministère des affaires étrangères. Ainsi, la Cour des comptes a souligné, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'année 2003, que « au 31 décembre 2003, les dettes commerciales de l'Etat auprès des fournisseurs publics interrogés s'élevaient à 807 millions d'euros hors EDF, contre 585 millions d'euros au 31 décembre 2002. (...) Pour les entreprises dont les données 2002 sont connues à périmètre égal, cette dette a augmenté de près de 29 % en un an. La tendance est donc à la hausse de la dette commerciale de l'Etat, qui s'analyse comme un transfert d'une partie de son déficit courant sur les comptes de ses fournisseurs » 11 ( * ) .

La forte érosion des crédits consacrés aux investissements immobiliers entraîne donc d'importantes difficultés :

- non-paiement des factures et intérêts moratoires, évoqué ci-dessus ;

- opérations différées rendant nécessaire de recourir à des solutions provisoires qui durent, et absence de visibilité, dans les postes, quant à l'échéancier des travaux devant être réalisés ;

- entretien insuffisant du parc immobilier et surcoûts provoqués par le fait de laisser en déshérence des bâtiments qu'il convient de rénover ;

- conditions de travail des agents du ministère et d'accueil du public dégradées ;

- temps considérable consacré sur place par les diplomates français pour gérer les questions immobilières et leurs conséquences, tant vis-à-vis des communautés françaises que des autorités locales.

3. ...qui impliquent des choix drastiques

Le financement du patrimoine de l'Etat à l'étranger constitue un problème structurel : en effet, les dotations actuelles ne lui permettent pas à la fois d'entretenir correctement le parc existant et d'engager des opérations nouvelles de grande envergure (telles que la construction d'une nouvelle ambassade de France à Berlin, et, s'agissant des projets en cours, des ambassades à Pékin et Tokyo, ou de la construction d'un bâtiment pour le service des archives du ministère à la Courneuve) 12 ( * ) .

La décision de construire de nouvelles ambassades prestigieuses, commandées à des architectes renommés, apparaît, dans ce contexte budgétaire fortement contraint, quelque peu déplacée. Votre rapporteur spécial en veut pour exemple la réalisation de l'ambassade de France à Berlin : s'il comprend et accepte tant les motifs politiques que la portée symbolique de la réinstallation de l'ambassade de France sur son terrain historique, il n'en considère pas moins que cette construction a été excessivement coûteuse et que le ministère des affaires étrangères devra acquitter d'importantes charges d'entretien et de fonctionnement à l'avenir, de l'ordre de 1 million d'euros par an.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial s'interroge également, dans ce contexte budgétaire, sur la capacité de la France à entretenir un des réseaux diplomatiques et consulaires les plus importants du monde. Depuis de nombreuses années, il souligne la nécessité pour la France de fermer un certain nombre de consulats dans l'Union européenne, en particulier en Allemagne. Il considère en effet que ces consulats, s'ils rendent un réel service aux populations françaises expatriées, ne constituent plus des priorités pour la France dans un contexte d'approfondissement de l'Union européenne et de développement des moyens de communication. Leur fermeture permettrait de dégager des économies, à la fois par la vente des biens immobiliers correspondants, et par la possibilité de redéployer les personnels qui y travaillent.

4. La mise en oeuvre de ces choix est rendue difficile par des procédures complexes

La politique immobilière du ministère des affaires étrangères apparaît toutefois manquer de priorités clairement définies, les arbitrages semblant être effectués « au coup par coup », en fonction du degré d'urgence des besoins exprimés par les postes à l'étranger. Elle apparaît également manquer de réactivité, s'agissant de la capacité du ministère à procéder à des ventes ou à des achats de bien immobiliers. Des efforts ont certes été engagés : inventaire des biens français à l'étranger, volonté de regrouper l'ensemble des services français dans les capitales à l'étranger sur un site unique... Toutefois, des problèmes importants persistent. Ils tiennent certes, pour partie, à la difficulté liée à la coexistence de services relevant de différents ministères à l'étranger, en particulier, entre le ministère des affaires étrangères et la direction des relations économiques extérieure (DREE) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Toutefois, ces difficultés, qui appellent une meilleure coordination entre les services français à l'étranger, sont ponctuelles. Une difficulté davantage structurelle résulte de la lourdeur des procédures : soumis au droit domanial français, le ministère des affaires étrangères ne peut procéder facilement à des opérations d'achat ou de vente de ses biens à l'étranger.

* 10 Cour des comptes, synthèse du rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'année 2003, juin 2004, page 10.

* 11 Cour des comptes : Rapport sur l'exécution des lois de finances en vue du règlement du budget de l'exercice 2003, annexe IV : « Les dettes de l'Etat auprès de ses fournisseurs publics » p. 103.

* 12 On notera d'ailleurs que, d'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, une partie des factures impayées à l'issue de l'année 2003 résulterait d'un accord interministériel entre le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, programmant des reports de crédits sur l'année 2004 pour financer le projet d'ambassade à Pékin.

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