III. UNE HYPOTHÈQUE : Y-A-T-IL DES RÉSERVES POUR LA CONSOMMATION DES MÉNAGES ?

La consommation des ménages est le moteur des scénarios de croissance ici présentée . Son dynamisme est une condition primordiale mais il ne pourra pas reposer uniquement sur la progression des revenus des ménages. Une modification des comportements de consommation plaçant celle-ci sur une trajectoire plus rapide est nécessaire. Au regard de cet impératif, l'instauration d'un climat général de confiance est un enjeu majeur.

A. DES SCÉNARIOS CONDITIONNÉS À UNE FORTE DYNAMIQUE DE LA CONSOMMATION DANS UN CONTEXTE DE PROGRESSION MODÉRÉE DU REVENU DES MÉNAGES

Dans le « scénario central », et, plus encore, dans le « scénario haut » à 3 % de croissance annuelle, la consommation des ménages est le moteur principal de l'activité .

Dans le premier cas , elle évolue à un rythme un peu supérieur à 2,6 % l'an en moyenne sur la période ; dans le second au rythme de 3,1 %.

Ces variations sont plus dynamiques que celles observées sur la période récente . Entre 1995 et 2005 , la consommation des ménages n'a progressé que de 2,2 % par an .

En outre, elles sont nettement plus rapides que les gains de pouvoir d'achat du revenu des ménages . Ceux-ci sont limités à 1,9 % dans le « scénario central » et à 2,4 % dans le scénario à 3 % . Dans les deux projections, l'ajustement structurel des comptes publics se traduit par un impact négatif des relations financières entre les administrations publiques et les ménages.

Une baisse sensible du taux d'épargne des ménages 7 ( * ) apparaît nécessaire pour que leur consommation soit aussi robuste. Cette évolution nécessite que la tendance longue à l'augmentation du taux d'épargne des ménages se retourne. Entre 1987 et 1994, il est passé de 11 à 15,5 points de revenu. Après une certaine stabilité jusqu'en 1999, un nouvel épisode de hausse est intervenu.

TAUX D'ÉPARGNE DES MÉNAGES FRANÇAIS

(en pourcentage du revenu disponible brut des ménages)

1999

2000

2001

2002

2003

15,3

15,7

16,2

16,7

15,8

Source : INSEE, base 1995 des Comptes nationaux

La perspective, souhaitable en projection, d'une baisse du taux d'épargne des ménages venant soutenir la croissance, invite à envisager quels sont les déterminants de la consommation et du taux d'épargne, afin de préciser quelles mesures d'ordre économique seraient susceptibles de baisser la propension à épargner des ménages français ou, ce qui revient au même, de dynamiser leur consommation.

B. PRÉCISIONS SUR L'ÉVOLUTION DU TAUX D'ÉPARGNE

La flexion du taux d'épargne des ménages n'est pas une condition envisageable au regard des expériences passées. Mais, pour être utile, il convient qu'elle accompagne la croissance et soit pro-cyclique au cours d'une période de projection marquée par l'accélération des revenus.

1. Le lien entre épargne et revenu est traditionnellement fort mais l'épargne est un résidu qui dépend de la dynamique de la consommation avant tout, et donc d'autres variables

Les déterminants traditionnels de l'épargne sont impuissants à rendre compte de ces évolutions récentes. En particulier, les variations du revenu, variable majeure de l'évolution théorique du taux d'épargne échouent à expliquer les évolutions observées. L'épargne relève sans doute de facteurs qui lui sont propres, mais les années qui viennent de s'écouler conduisent à rappeler une de ses caractéristiques premières : l'épargne est un résidu de la consommation.

Le taux d'épargne (revenu non consommé/revenu des ménages) est le négatif de la dynamique unissant revenu et consommation, aux opérations financières près. Il faut souligner qu'en comptabilité nationale, l'épargne des ménages est un résidu qui mesure la non-consommation.

L'épargne n'est pas directement déductible du revenu non-consommé . Une partie de la consommation n'est pas financée par le revenu disponible brut des ménages mais par des opérations de crédit réalisées par eux. Ces crédits n'entrent pas dans le revenu des ménages ; on considère qu'ils sont directement investis ou consommés.Ainsi, en cas d'augmentation du volume des crédits alloués à la consommation , une hausse de celle-ci intervient , qui comptablement vient réduire le niveau de l'épargne. Comme, en revanche, le supplément de consommation est indépendant du revenu disponible brut, le taux d'épargne diminue alors mécaniquement.

2. Le taux d'épargne n'est pas stable

L'année 2003 montre que, d'une année sur l'autre, un repli sensible du taux d'épargne peut intervenir . En outre, dans un passé plus lointain , la période entre 1978 et 1987 a vu une importante diminution du taux d'épargne des ménages (- 9 points). Enfin, sous réserve de difficultés d'ordre technique, les comparaisons internationales montrent que le taux d'épargne des ménages est, en France, plutôt élevé .

3. L'évolution du taux d'épargne est très contrastée et joue moins qu'avant un rôle contra-cyclique

L'évolution du taux d'épargne apparaît particulièrement heurtée depuis 1978, nettement plus que celle du revenu ou de la consommation.

Ce constat est, partiellement, le résultat des opérations financières décrites ci-dessus. Par ailleurs, on peut estimer que cette observation est a priori banale puisque l'épargne est traditionnellement censée amortir les fluctuations du revenu. En ce sens, l'épargne jouait traditionnellement un rôle contra-cyclique. Ainsi, après le deuxième choc pétrolier de 1979, la baisse du taux d'épargne, qui passe de 15 % en 1980 à 11 % en 1987, permet d'atténuer l'impact du ralentissement du revenu des ménages sur la consommation.

Toutefois, le rôle contra-cyclique du taux d'épargne semble perturbé depuis le début des années 90 . Entre 1990 et 1994, le revenu ralentit fortement mais le taux d'épargne poursuit sa progression. Le ralentissement du revenu n'étant pas compensé par une baisse de l'épargne des ménages, se répercute pleinement sur la consommation qui ne progresse presque plus. Ce comportement pro-cyclique des ménages restaure la force du lien entre revenu et consommation. Inversement, à la fin des années 90, période de forte croissance des revenus, le taux d'épargne des ménages diminue légèrement alors qu'une augmentation, même modeste aurait dû intervenir.

C'est sur un tel processus qu'il faut compter dans les exercices de projection du présent rapport.

C. QUELS DÉTERMINANTS POUR LA CONSOMMATION ?

La croissance de la consommation à long terme dépend traditionnellement du revenu, de l'inflation et, du moins, pour les biens durables, du chômage.

Toutefois, ces différentes variables ne permettent pas toujours d'expliquer correctement les évolutions de la consommation. Deux autres catégories d'éléments sont susceptibles de l'influencer :

- les éléments d'ordre financier, tels que les taux d'intérêt, la valorisation des actifs des ménages ou encore l'accès au crédit ;

- des éléments d'ordre qualitatif, réductibles à la notion de « confiance des ménages ».

1. Les variables traditionnelles échouent à rendre compte de la dynamique de la consommation

Une étude de l'INSEE portant sur les années 90 montre que le revenu disponible brut des ménages et la consommation ont alors connu, en France, une progression identique en moyenne annuelle (1,4 % en volume dans les deux ans).

Cependant, cette homogénéité peut être qualifiée d'accidentelle. En effet, les évolutions respectives des deux grandeurs ont été nettement disparates dans chacune des deux parties des années 90.

CONTRIBUTIONS À LA CROISSANCE DE LA CONSOMMATION TOTALE

(évolution moyenne annuelle en %)

 

1990-1999

1990-1994

1995-1999

Dépenses de consommation

1,4

0,8

1,9

Contributions

. pouvoir d'achat du revenu
. inflation
. taux de chômage
. libéralisation financière
. prime à la casse
. résidu

1,4
0,2
0,0
-0,3
0,0
0,1

1,5
0,1
0,0
-0,5
0,0
-0,3

1,3
0,2
0,0
0,0
0,0
0,4

Source : INSEE

Ainsi, dans les années 90 à 94, la contribution théorique du revenu disponible à la consommation excède de près de deux fois la consommation effective (de 1,5 % contre 0,8 %). Inversement, entre 1995 et 1999, la consommation est sensiblement plus dynamique que le pouvoir d'achat le laisse escompter. Elle progresse au rythme annuel de 1,9 % contre une contribution prévisible du pouvoir d'achat de seulement 1,3 %. Au cours de cette dernière période, la baisse de l'inflation exerce sans doute un effet favorable sur la consommation, mais ces deux variables ne permettent pas, à elles seules, d'expliquer le rythme de la consommation.

Ces données sont relativement fragiles car basées sur des estimations économétriques nécessairement tributaires de choix de méthode contestables 8 ( * ) . Toutefois, la déconnexion qu'elles suggèrent entre revenu disponible brut des ménages, inflation et consommation est une conclusion robuste.

Pour cerner les déterminants de la consommation, il faut, par conséquent, convoquer d'autres variables.

2. D'autres variables doivent être prises en compte

Celles qui sont évoquées dans l'étude mentionnée sont relatives à l'impact des opérations financières des ménages sur leur consommation et à une ligne dite « résidu » correspondant, dans l'étude, aux anticipations des ménages.

a) L'accès au crédit

Les opérations financières des ménages sont mentionnées dans l'intitulé « libéralisation financière ». Elles auraient pesé négativement sur la consommation des ménages français au cours des années 90.

De fait, le point bas de l'épargne atteint à la fin des années 1980 fut le résultat d'un ensemble de réformes financières qui modifièrent, un temps, les comportements d'épargne et de crédit des ménages. Une fois la phase d'adaptation passée, le taux d'épargne aurait retrouvé un trend haussier, qu'il n'a pas quitté depuis.

Les années 1985-1986 furent en effet marquées par la fin de l'encadrement du crédit, et par la réforme des marchés financiers. Les banques ont cessé d'être limitées dans le montant des crédits qu'elles pouvaient prêter aux ménages. Dans le même temps, les entreprises ont développé leur recours aux marchés financiers afin de lever des capitaux directement par émission d'actions ou d'obligations, de sorte que les banques ont disposé de capitaux inemployés qu'elles ont proposés aux ménages.

Comme l'illustre le graphique suivant, relatif au taux d'endettement, les ménages français ont nettement développé leur recours au crédit à partir du milieu des années 1980.

Source : OFCE

La réduction du taux d'endettement des ménages au début des années 90 puis sa quasi-stagnation se soldent par un impact négatif sur leur consommation de 0,3 points par an. Cet effet, cumulé, retire 3 points de consommation des ménages sur la période et compte tenu du poids de celle-ci dans la croissance, environ 1,6 point de PIB à l'économie française.

Cet apparent « malthusianisme » contraste avec la forte augmentation de l'endettement des ménages américains.

En pourcentage du revenu disponible, l'endettement des ménages français est deux fois moins élevé qu'aux États-Unis .

Une partie croissante de l'endettement des ménages américains provient des prêts hypothécaires . La mobilisation du patrimoine immobilier des ménages américains leur a permis d'extraire du marché hypothécaire des ressources grandissantes et très significatives .

Les capitaux extraits auraient représenté 90 milliards de dollars en 2001 (1,3 % du RDB des ménages), 130 milliards en 2002 (1,7 % du RDB) et 190 milliards encore en 2003 (2,3 % du RDB) contre moins de 20 milliards en 2000.

Ces ressources ont favorisé la résilience de la croissance américaine à l'occasion du récent ralentissement intervenu à la suite d'une crise de sur-investissement et ont dopé la reprise en cours .

Le mécanisme en cause traduit l'impact d'une politique monétaire très accommodante qui a nourri l'appréciation du patrimoine immobilier des ménages et favorisé l'octroi de refinancement par les banques. Mais, elle est égalemen t, sans aucun doute, la traduction d'un contexte marqué par des éléments structurels particuliers : la concurrence entre les établissements de crédit , la foi des ménages américains dans la capacité des autorités à conduire des politiques conjoncturelles adaptées 9 ( * ) et la confiance des ménages dans la dynamique de leurs revenus futurs .

Cette série de considérations appelle une réelle attention. Des mesures visant à dynamiser le marché hypothécaire et à favoriser l'accès au crédit, une politique monétaire vigoureusement tournée vers le soutien de la croissance et l'amélioration des perspectives des ménages, devraient compter au rang des objectifs prioritaires de politique économique. Par ailleurs, les autorités budgétaires européennes devraient être mieux à même de contrecarrer avec force les « creux » conjoncturels.

b) Le climat de confiance

Dans l'étude de l'INSEE précitée, une autre partie des évolutions de la consommation est due à un « résidu » .

L'originalité de l'étude consiste à identifier ce résidu comme étant sensiblement égal à la variation des anticipations des ménages sur leur situation particulière et à montrer que les évolutions les concernant ne sont pas entièrement assimilables à des modifications de grandeurs réellement observables (le revenu, l'inflation, le chômage...) mais proviennent aussi d'un sentiment impalpable de confiance .

L'analyse confirme qu'une valeur élevée de l'indicateur de confiance mesuré à partir des enquêtes d'opinion de l'INSEE a un impact positif sur la consommation future des ménages, indépendamment des effets macroéconomiques mesurés par ailleurs.

Cette conclusion invite certes à des recherches supplémentaires pour identifier les ressorts de la confiance des ménages. Elle plaide aussi, sans conteste, pour éviter de céder aux facilités du catastrophisme, qui est trop souvent le mode dominant des discours économiques. A tout le moins, les autorités en charge de la responsabilité des politiques économiques devraient réévaluer leurs interventions publiques à l'aune des dégâts que provoque un alarmisme chronique.

C'est aussi sous cet angle qu'il faut juger le cadre européen de la politique économique et, en particulier, le pacte de stabilité et de croissance.

D. QUELQUES QUESTIONS SUPPLÉMENTAIRES

Les perturbations qui ont affecté la consommation des ménages conduisent à s'interroger sur des variables qui sont trop souvent négligées :

- le décalage entre l'inflation observée et l'inflation ressentie par les ménages ;

- les évolutions réelles du pouvoir d'achat de chaque ménage ;

- la composante par classe de revenu des gains de pouvoir d'achat.

1. Les effets d'une augmentation de l'inflation ressentie ?

Il existe un double lien entre l'inflation et la consommation : l'inflation ampute plus ou moins durablement le pouvoir d'achat des ménages ; l'inflation peut décourager la consommation, soit que les ménages temporisent dans l'attente d'un retournement des prix, soit qu'au terme d'une dévalorisation de leurs actifs patrimoniaux, ils souhaitent reconstituer leur épargne (effet d'encaisses réelles). L'inflation peut donc agir directement sur la consommation, ou indirectement, à travers ses effets sur le pouvoir d'achat du revenu, ou à travers ses effets autonomes sur le taux d'épargne.

On peut constater ces dernières années un décalage important entre l'inflation mesurée et l'inflation ressentie par les ménages, telle qu'elle apparaît dans les enquêtes de conjoncture (de l'ordre du simple au double).

Ce processus pourrait avoir atténué la dynamique de la consommation des ménages. Il importe donc de prendre toutes mesures pour qu'il cesse.

Cependant, il y a lieu de s'interroger sur d'autres éléments.

2. Le pouvoir d'achat des ménages est-il correctement mesuré ?

Le BIPE a présenté en cours d'année une analyse « attribuant la langueur de la consommation à des défauts de conception des méthodes usuellement employées pour mesurer le pouvoir d'achat et ses évolutions.

a) L'approche du BIPE, une méthode originale...

L'approche du BIPE consiste, en effet, à s'interroger sur d'autres éléments à mesurer le pouvoir d'achat du revenu du consommateur et non celui des ménages .

Le revenu disponible brut des ménages qui, déflaté par l'indice des prix de la consommation finale des ménages, sert habituellement à appréhender leur pouvoir d'achat est défini comme la somme des revenus du patrimoine et des transferts (prestations de sécurité sociale notamment) moins les impôts et cotisations sociales payés par les ménages.

Le BIPE estime cette méthode d'évaluation du pouvoir d'achat excessivement globale et susceptible de fausser l'appréciation du pouvoir d'achat pour trois raisons :

- elle masque les différences entre consommateurs qui n'ont pas tous le même profit de revenus et/ou de dépenses ;

- elle élude l'aspect important de l'évolution du nombre et de la structure des ménages ;

- elle ne prend pas en compte le caractère contraint ou non contraint de la consommation.

Sur ce dernier point, le BIPE élabore un concept nouveau : le « revenu libéré ». Poursuivant la logique du revenu disponible brut, qui est de mesurer la capacité d'emploi du revenu, une fois les prélèvements obligatoires soustraits, l'institut observe que, de nombreuses dépenses étant contraintes, il faut, pour mesurer le revenu réellement disponible, les retrancher, tout comme les impôts, des revenus perçus par les ménages. Les « charges contraintes » sont identifiées comme étant les charges de logement, les loyers, les assurances et les dépenses de transport collectif.

Au total, elles s'élevaient à 203 milliards d'euros en 2002, soit 20,5 % du revenu disponible des ménages. Le « revenu libéré » serait de 785 milliards d'euros, soit 79,4 % du revenu disponible des ménages (988 milliards d'euros). C'est sur la base de ce revenu qu'il conviendrait d'apprécier le pouvoir d'achat des ménages et son évolution.

Le BIPE ajoute que l'évaluation du pouvoir d'achat doit être entreprise au regard, non pas des ménages, mais des consommateurs.

Cette observation se fonde sur l'idée selon laquelle le secteur institutionnel des « ménages » doit céder la place à un référent plus significatif.

Il est préconisé de diviser le revenu disponible brut par le nombre de ménages, et, au sein d'un ménage, par le nombre d'unités de consommation (U.C.) avec la convention suivante 10 ( * ) : une U.C. pour le premier adulte, 0,5 U.C. pour chaque adulte supplémentaire, 0,3 U.C. par enfant (cette méthode s'appuie sur le fait que la vie commune entraîne des « économies d'échelle » : loyer, chauffage, etc.).

Cette approche se justifie notamment par l'augmentation rapide du nombre de ménages, au sens statistique du terme, au cours des dernières années. Celle-ci peut en effet se traduire par une déconnexion entre l'évolution du revenu par ménage et l'évolution globale du revenu des ménages, telle qu'elle est décrite par l'INSEE.

Sur la base de ces méthodes, le BIPE conclut à une dégradation du pouvoir d'achat effectif du consommateur en 2003 : celui-ci aurait diminué de 1,1 % alors que l'INSEE affiche une progression du pouvoir d'achat du revenu des ménages de 1,2 %.

b) ... qui a suscité plusieurs objections

Les objections formulées contre les estimations du BIPE ont mis l'accent sur la fragilité du concept de « revenu libéré » , et sur le caractère erroné des critiques formulées contre la méthode d'évaluation des variations effectives du pouvoir d'achat des ménages .

Incidemment, une polémique s'est déclenchée sur la validité de l'indice des prix, laquelle a suscité des réactions de l'INSEE, mais le BIPE ne remettait pas en cause cet aspect du problème.

Une première objection a fait valoir que le concept de « revenu libéré » repose sur des conventions qui sont nécessairement arbitraires . Le BIPE a retenu une liste de « dépenses contraintes », mais il aurait très bien pu, par exemple, l'élargir à des produits alimentaires de base.

Un premier problème est que les choix de convention qui sont opérés sont susceptibles de biaiser l'information : plus les dépenses jugées contraintes sont élevées, moins le « revenu libéré » l'est. En variation, plus la consommation contrainte est dynamique, moins le revenu libéré l'est ;

Plus fondamentalement, le concept de « revenu libéré peut être jugé faiblement significatif. Les « charges contraintes » ne sont pas équivalentes à des prélèvements obligatoires . Ceux-ci regroupent des obligations légalement sanctionnées de payer sans, par ailleurs, qu'aucune contrepartie directe ne soit offerte au contribuable.

Même si les catégories de dépenses identifiées par le BIPE abritent des dépenses « contraintes », on peut dire que le niveau de ces dépenses pour chaque ménage n'est pas contraint car il dépend de choix de consommation largement discrétionnaires. Une partie des charges de logement, celles correspondant par exemple à des charges pour résidences secondaires, ou une partie des dépenses d'assurance, celles correspondant à la propriété de telles résidences ou de voitures surnuméraires peuvent difficilement être considérées comme indépendantes de la discrétion des consommateurs. Leur dynamique peut s'expliquer par des choix de consommation.

Une seconde objection a tendu à mettre en évidence le caractère abusif de la comparaison du calcul du pouvoir d'achat du BIPE avec le résultat obtenu par l'INSEE . Celui-ci a souligné que le pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages avait pour ambition de mesurer le pouvoir d'achat de l'ensemble de la population , tandis que le pouvoir d'achat mesuré par le BIPE représente un pouvoir d'achat par ménage.

Les deux mesures se différencient par la prise en compte de l'évolution du nombre des ménages dans le second cas.

L'INSEE a ainsi pu mettre en évidence une certaine cohérence entre ses propres résultats, une fois intégrés les phénomènes démographiques, et ceux du BIPE.

Pouvoir d'achat

Évolution moyenne par an
1990-2002

Pouvoir d'achat des ménages
Indicateur fondé sur le revenu disponible des ménages
( INSEE - Comptabilité nationale)

1,9 %

Pouvoir d'achat effectif du consommateur
Indicateur fondé sur le revenu « libéré » ( BIPE )

1 %

Pouvoir d'achat par ménage
Indicateur fondé sur le revenu disponible des ménages
( INSEE - Comptabilité nationale)

0,9 %

Source : INSEE

On peut ajouter que le découpage en unités de consommation est un exercice à la méthode peu robuste.

c) ... sans que les questions posées par le BIPE puissent être négligées
(1) Une explication de l'inertie de la consommation ?

Il existe une tendance historique à l'augmentation du nombre des ménages , qui résulte d'évolutions démographiques. On ne peut attribuer à ce processus continu des variations de la consommation qui, elles, sont fortement discontinues.

En revanche, le constat d'un fort écart entre le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages et celui de chacun des ménages est incontestable. La question qui se pose est de savoir s'il n'existerait pas un lien entre la croissance du pouvoir d'achat par ménage et les comportements de consommation et d'épargne globaux , qui ne sont que l'agrégation d'une série de comportements individuels.

Le fait que le pouvoir d'achat de chaque ménage soit sensiblement moins dynamique que celui de l'ensemble des ménages pourrait conduire les études purement macroéconomiques à des conclusions erronées.

CROISSANCE ANNUELLE 1990-2003 DES INDICATEURS DE POUVOIR D'ACHAT

En particulier, le pouvoir d'achat individuel semble plus réactif à la baisse en période de faible croissance et, au contraire , moins sensible à la hausse en phase de reprise . Dans le premier cas, l'épargne des ménages devrait diminuer plus que ce que prédisent les études macroéconomiques. Dans le second, il devrait augmenter moins rapidement.

L'observation des années 90 ne confirme pas entièrement ces effets. Mais il est possible qu'il faille prendre en compte une autre variable. La progression modérée du pouvoir d'achat de chaque ménage pourrait jouer comme facteur limitant de leur consommation . La relative inertie montrée par celle-ci pourrait provenir d'une constante, attribuable au pessimisme individuel des ménages.

(2) Un impact des prix relatifs sur la consommation ?

Si, le concept de « revenu libéré » est contestable, les analyses visent à mettre l'accent sur les effets d'une variation du système de prix sur la consommation ne peuvent pas être écartées sans autre forme de procès.

A titre liminaire , il semble utile de s'interroger sur la pertinence des corrections apportées au calcul de la variation des prix après application de la méthode des « prix hédoniques » . Les prix observés sont corrigés par l'INSEE pour tenir compte d'effets de qualité. Ainsi, un prix inchangé sera-t-il considéré comme en diminution du fait de la prise en considération d'éventuelles améliorations apportées au produit. Cette méthode n'est pas propre à la France. Si elle est justifiée dans une certaine mesure, elle peut aussi comporter quelques faiblesses dès lors que les prix observés, et donc ressentis, s'éloignent, par le haut, des prix calculés. L'INSEE a du reste mis en place un groupe de travail à ce sujet.

Les questions posées par la déformation du système des prix relatifs sont de même nature . Il n'est pas à exclure que la hausse plus rapide des prix des biens et services de consommation « quasi-contrainte », conduise à surestimer l'impact de ces augmentations sur le pouvoir d'achat des ménages.

3. Un effet de la répartition gains de pouvoir d'achat par classe de revenu ?

Au cours de la période 1990-2002, le pouvoir d'achat des ménages a progressé au rythme moyen annuel de 1,9 %. Cette augmentation du pouvoir d'achat a été légèrement plus dynamique que celle du PIB. Dans le même temps, le taux de marge des entreprises est resté stable à 32,4 % ; ainsi, les gains salariaux ont augmenté comme le PIB. L'écart entre la croissance du pouvoir d'achat du revenu et celle du PIB est attribuable aux facteurs suivants :

- une part des gains de pouvoir d'achat des ménages est attribuable à des gains réalisés sur des revenus non salariaux (revenus des indépendants, de la propriété ou revenus nets tirés des relations avec les administrations publiques) ;

- les ménages ont bénéficié de l'intermédiation financière réalisée par les administrations publiques.

Une observation importante s'impose : les gains de pouvoir d'achat n'ont pas été homogènes pour toutes les classes de revenu.

L'hétérogénéité des dynamiques propres à chaque origine de revenus trouve une illustration assez nette dans les évolutions des niveaux de vie moyens entre 1996 et 2001 dans chaque décile de la population.

ÉVOLUTION DES NIVEAUX DE VIE MOYENS ENTRE 1996 ET 2001
DANS CHAQUE DÉCILE DE LA POPULATION

Champ : individus appartenant à des ménages dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n'est ni étudiante ni militaire du contingent.
Lecture : le niveau de vie moyen des individus qui appartenaient aux 10 % les plus modestes de la population en 2001 a progressé de 16,3 % par rapport à celui des 10 % d'individus les plus modestes en 1996.

Source : enquêtes revenus fiscaux de 1996 à 2001, Insee-DGI

Au cours de cette période, ce sont les niveaux de vie des deux déciles inférieurs et du décile supérieur qui ont le plus fortement augmenté. Dans le premier cas, les évolutions positives de niveaux de vie sont à relier aux revalorisations des prestations sociales et des revenus de remplacement (ces revenus constituent les deux tiers des revenus des plus modestes).

Pour le décile supérieur, les revenus ont été favorablement orientés à partir de 1998 avec la reprise de l'activité et ont bénéficié de la bonne tenue des revenus du patrimoine sur l'essentiel de la période.

En revanche, le niveau de vie des classes moyenne et aisées a augmenté plus modérément (à un rythme de l'ordre de 1,5 % contre 3 % pour les plus pauvres et 2,4 % pour les plus riches).

Cette composition structurelle des gains de pouvoir d'achat pourrait expliquer le maintien d'un niveau élevé du taux d'épargne des ménages français.

Les gains de pouvoir d'achat des ménages les plus aisés, qui ont été particulièrement dynamiques donnent lieu, traditionnellement, plus que les autres, à une épargne. Pour les revenus les plus faibles, les personnes concernées sont hors d'état d'épargner, mais le passage dans ces niveaux de revenu est de courte durée en moyenne. Et, l'endettement contracté alors donne ensuite lieu à une épargne pour le résorber. La relativement faible augmentation du pouvoir d'achat des revenus intermédiaires aurait pu tendre vers une diminution corrélative du taux d'épargne. Mais il est probable que ces revenus étant perçus par des actifs, d'autres considérations aient joué. Leur âge les place au rang des « épargnants » si l'on en croit la théorie du cycle de vie de Modigliani. Cette caractéristique a pu être accentuée par les inquiétudes sur la pérennité du système de retraite et par la volonté d'acquérir, dès leur vie active, un revenu supplémentaire en contrepartie d'une épargne préalable pour compenser le faible dynamisme de leur revenu observé par eux. En toute hypothèse, il serait certainement fructueux d'étudier l'impact d'une autre composition de la répartition des gains du pouvoir d'achat sur la dynamique générale de la consommation des ménages, et, du reste, question plus large, de s'interroger sur les effets d'un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux ménages.

* 7 - 2,5 points dans le « scénario central » entre 2005 et 2009 ; - 3,5 points dans le « scénario haut ».

* 8 En particulier, l'étude rapportée ne comprend pas de test de « l'effet de richesse » sur la consommation qui, dans des travaux ultérieurs, se voit doter d'un impact significatif sur la consommation.

* 9 L'augmentation de l'endettement des ménages américains a été conjointe avec un très fort creusement du déficit public et apporte un démenti pratique à la théorie selon laquelle une augmentation du déficit des administrations publiques serait neutralisée par une augmentation de l'épargne des ménages, en raison des craintes ressenties par eux de devoir financer à l'avenir les besoins de financement des administrations (théorie d'équivalence entre l'emprunt et l'impôt) (de Ricardo Barro).

* 10 Cette convention est directement dérivée de l'OCDE, et, plus précisément, de l'échelle d'équivalence dite de l'OCDE.

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