JJ. LES SOLUTIONS ENVISAGEABLES
Les structures et les périmètres de compétences des trois principales entités créées par la loi de 1998, l'InVS, l'AFSSA et l'AFSSAPS, constituent des repères validés par l'expérience. La majorité des observateurs s'accorde à les trouver adaptés aux objectifs initiaux et, pour l'essentiel, aux besoins constatés aujourd'hui. On a vu que certaines corrections restent à faire avec l'exercice effectif des compétences de l'AFSSE.
1. L'AFSSE et ses domaines
La loi du 9 mai 2001 avec la création de l'AFSSE visait à résoudre ces problèmes qui avaient déjà été identifiés. Elle n'a pas, d'évidence, pu constituer une solution, ni même la piste d'une solution.
Tout d'abord, la mise en place de l'AFSSE s'est réalisée dans des conditions qui ne lui donnaient pas tous les atouts au départ :
? installation officielle en septembre 2002, les financements minimum n'étant acquis que trois mois plus tard ;
? corrélativement des moyens humains très limités (une trentaine de personnes à ce jour)
? et une installation matérielle dans un provisoire qui semble appelé à durer.
En fait, l'Agence est en état de fonctionner depuis à peine deux ans. Ces considérations ne sauraient évidemment être retenues à son débit, d'autant qu'elle s'est immédiatement mise au travail en constituant ses comités d'experts spécialisés et en traitant les premières saisines. En outre, et cela a été une lourde tâche, l'AFSSE a été en charge de l'élaboration du PNSE (Plan national santé environnement) achevé au début de l'année 2004 et qui constitue désormais une base de réflexion et d'action.
Ce très faible recul ne facilite donc pas l'évaluation de l'application de la loi de 2001. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas été procédé ici d'une manière systématique. En revanche, l'appréciation des difficultés qui se révèlent dans l'ensemble des domaines relevant de la compétence de l'AFSSE montre que des solutions doivent être trouvées sans attendre le résultat d'une telle évaluation. Plus important encore, il apparaît clairement que le positionnement de l'AFSSE par la loi, dès le départ, n'a pas été le bon. Les intentions qui ont présidé à sa création procédaient de philosophies parfois différentes et cette création s'est donc engagée dans une certaine ambiguïté.
Pour prendre un seul exemple, des difficultés du positionnement de principe de l'AFSSE, la loi (art. L. 1335-3-1 du code de la santé publique) disposait qu'un décret en Conseil d'Etat devait « fixer la liste des établissements publics de l'Etat qui apportent leur concours permanent à l'agence », et que « dans un délai d'un an au plus tard après la publication de la loi, chacun de ces établissements négocie avec l'agence la mise à disposition de celle-ci de ses compétences et de ses moyens d'action ». Ce même décret devait « fixer également les modalités selon lesquelles l'agence coordonne et organise les missions d'évaluation conduites par les autres organismes intervenant dans son champ de compétence ».
Or cette mise en oeuvre n'a pas eu lieu ; certes, le décret du 1 er mars 2002 (art. R.795-2 du CSP) a bien déterminé 15 établissements publics supposés mettre à disposition de l'AFSSE compétences et moyens ; deux conventions ont été à ce jour passées avec l'INERIS et l'INSERM.
Le rapport d'évaluation des quatre inspections a ainsi développé le constat des difficultés de principe que pose l'interface AFSSE/InVS(page 82) et qui s'impose à tous les observateurs :
« Les rôles respectifs de l'AFSSE et de l'InVS, dont le département « santé-environnement » préexistant à la création de l'AFSSE développe une activité importante, aussi bien en matière d'identification ou de caractérisation de facteurs ou de situations à risques, qu'en matière d'évaluation de l'impact sanitaire des pollutions chroniques ou accidentelles ne sont toujours pas clarifiés. Les débats entre les deux organismes sont toujours à l'heure actuellement d'une grande vivacité. L'AFSSE a proposé une répartition des attributions, selon une « polarisation » qui ferait de l'InVS une « porte d'entrée » naturelle lorsque le point d'entrée est d'emblée sanitaire (suspicion ou allégation d'un cluster, signaux épidémiologiques issus de la surveillance par exemple), et de l'AFSSE l'opérateur de « première ligne » lorsqu'une question environnementale constitue le « point d'appel » (qualité du milieu, rejets industriels par exemple). L'InVS considère une telle démarcation à la fois « peu réaliste » et juridiquement difficile à tenir pour l'Institut. Peu réaliste, dans la mesure où, d'une part, « tout dossier où une population est exposée nécessite une réflexion sur les dangers des facteurs environnementaux, une évaluation des expositions, un recueil de données sur les effets sanitaires, voire la mise en place d'un système de surveillance », et où, d'autre part, l'InVS auquel la loi confie notamment la mission de :a) ;rassembler, analyser et actualiser les connaissances sur les risques sanitaires, leur cause et leur évolution ; b) détecter de manière prospective les facteurs de risque susceptibles de modifier ou d'altérer la santé de la population ou de certaines de ses composantes, de manière soudaine et diffuse ». En d'autres termes, l'InVS considère qu'en matière de santé environnementale, il n'est généralement pas possible de séparer surveillance, alerte et évaluation du risque (hormis l'évaluation a priori des substances et des produits), les fonctions de surveillance, de détection et d'alerte devant être fondées sur des hypothèses quant aux facteurs de risque et supposant la capacité d'analyser le risque pour valider la pertinence d'un signal d'alerte ».
Des schémas de développement de l'AFSSE visant à lui permettre d'atteindre les objectifs fixés ont été envisagés, notamment par sa directrice générale ; ils comprendraient par exemple l'intégration de moyens actuellement situés à l'INERIS, au BRGM et à l'InVS, voire d'autres établissements pour permettre une expertise en interne, au-delà des validations d'expertises réalisées dans d'autres structures. Ce genre de proposition rendrait encore plus complexe et pour tout dire inextricable des domaines qui ne le sont déjà que trop.
Les constats auxquels on parvient convergent vers le non-maintien de l'AFSSE. La mission d'évaluation des quatre inspections a d'ailleurs listé l'essentiel de ces constats dans des termes qui résument la question (ibidem page 85) :
« Mais la mission considère, au terme de son enquête, qu'aucun de ces arguments ne paraît à la mission de nature à remédier aux problèmes de fond que la création de l'AFSSE n'a pu régler :
- les difficultés à définir une ligne de partage de compétences cohérente avec l'InVS ;
- la complexification des circuits induite par le positionnement de l'AFSSE à la fois en tant qu'organisateur d'une expertise susceptible d'être rationalisée par d'autres voies (cf. recommandation suivante), et en tant que producteur d'expertise et de connaissances (la préparation du plan national santé environnement, qui a donné l'occasion à l'agence de tenir le secrétariat des travaux de la commission d'orientation, ne pouvant guère faire illusion) ;
- l'accentuation des problèmes de coopération et de coordination posés par la multiplication des interfaces entre organismes à champs de compétences frontaliers, interpénétrés ou concurrents ;
- la difficulté structurelle des autorités publiques à assurer efficacement leurs missions de supervision stratégique, de coordination et d'évaluation d'un dispositif à opérateurs multiples ;
- la dispersion des moyens : d'une part, la réunion au sein de l'AFSEE en vue de la doter d'une taille critique et d'une plus grande capacité d'expertise interne, des compétences en sécurité environnementale existant dans d'autres structures (InVS, INRS, INERIS ...) n'est guère envisageable pour des raisons à la fois techniques, tenant aux missions mêmes des organismes susceptibles d'être concernés, et juridiques (statut de l'INRS) ; d'autre part, il serait contre-productif, à supposer que ce soit financièrement possible, de dupliquer au sein de cette agence l'expertise par ailleurs disponible, en matière de produits, à l'INRS et à l'INERIS) ;
- la meilleure prise en compte nécessaire de la protection des écosystèmes qui n'est pas mieux garantie par l'existence d'une agence de sécurité sanitaire spécifique pour l'évaluation des risques d'origine environnementale, et qui mériterait une réflexion sur l'opportunité d'instituer un opérateur dont les missions porteraient sur la protection de l'environnement en général.
C'est pour cet ensemble de raisons que la mission estime que les difficultés de mise en place de l'AFSSE s'expliquent non par des facteurs d'ordre conjoncturel, mais bien par des défauts de conception structurels, et qu'elle considère que la tentation d'accorder à l'AFSSE un délai d'installation dans le dispositif supplémentaire ne constituerait pas une solution pertinente à long terme ».
Le pragmatisme qui a été préconisé précédemment (cf. supra) pour conforter sans les bouleverser des institutions et des mécanismes existants doit de la même manière inspirer les choix de la puissance publique, mais en faisant prévaloir une architecture institutionnelle viable, adaptée à des réalités évolutives.