2. Une architecture simplifiée

Dans le droit fil des analyses précédentes, il apparaît que le dispositif global des agences, instances et mécanismes n'a pas à être modifié dans son architecture.

* L'AFSSAPS, dans ses pouvoirs, ses compétences et son périmètre, ne connaîtrait pas de changement. Sur ce dernier point quelques légères retouches peuvent être cependant envisagées avec profit pour certains « produits frontières », notamment pour mettre fin à l'existence de certaines « zones blanches ».

Il ne paraît donc pas souhaitable de transférer à l'AFSSAPS l'Agence du médicament vétérinaire, pour des raisons déjà détaillées (cf. supra pages) et parce qu'un tel transfert paraît contraire à l'esprit de la nouvelle structuration.

* L'InVS ne serait pas profondément restructuré ; ses compétences confirmées et précisées par la loi de santé publique du 9 août 2004 seraient pérennisées ; toutefois, il connaîtrait des modifications destinées à garantir l'exercice effectif de certaines fonctions qui pourraient être acquises, conséquences de la disparition de l'AFSSE.

* L'AFSSA elle-même dont le périmètre, les compétences et pouvoirs ne seraient pas non plus modifiés dans la sphère des produits alimentaires (avec le médicament vétérinaire), se verrait confier la « sécurité sanitaire des milieux de vie ». Les compétences actuelles de l'AFSSE qui peuvent être couvertes par cette expression deviendraient ainsi un domaine identifié et spécifique de la nouvelle agence qui s'ajouterait à son domaine actuel.

Les raisons qui militent en faveur d'un tel regroupement sont fortes, mais les réserves qu'il peut susciter ne doivent pas être ignorées ou même minimisées.

-- Parmi les arguments favorables, on relève d'abord l'expérience acquise par l'AFSSA et plus spécialement la DERNS dans l'analyse et l'évaluation des risques. On ne peut que renvoyer à la présentation faite précédemment des travaux de l'Agence dans son « coeur de métier » et qui, de l'avis général, sont une réussite. Les problématiques auxquelles les organismes d'évaluation du risque sont confrontés dans le domaine alimentaire et dans celui des milieux de vie présentent de réelles analogies.

Un secteur illustre particulièrement l'adéquation d'un tel regroupement : celui des produits phytosanitaires. Dans le cadre de la législation actuelle (loi du 1 er juillet 1998), ces produits rentrent indiscutablement dans le champ de compétences de l'AFSSA. Au moment où le maintien d'un ordonnancement contraire à la loi devient intenable avec les arrêts successifs du Conseil d'Etat sur le Régent et le Gaucho à l'encontre des décisions du ministère de l'agriculture, ce dernier sort un projet inconnu « d'Agence de santé des végétaux » . L'argumentation en faveur d'une telle idée est particulièrement légère : on y évoque le fait que la santé des plantes ne peut pas être vue sous le seul angle alimentaire, qu'elle fait question par elle-même et que l'environnement dans son ensemble est intéressé. Dès lors, on se tourne vers l'AFSSE. Mais on devrait également se tourner vers une agence de la sécurité au travail si celle-ci, d'après certaines annonces du ministre compétent, venait à être créée ; et d'ailleurs se pose, quelles que soient les structures, le problème des effets des produits phytosanitaires sur ceux qui les manipulent directement, et ceux qui ensuite, dans l'environnement général, sont à leur contact. Le caractère inextricable de la situation est ici particulièrement parlant. Au moins trois agences sanitaires seraient compétentes, sans parler d'autres instances spécifiques avec lesquelles elles seraient amenées à travailler.

Pour rester dans ce domaine, l'évolution du dossier Régent et Gaucho, a amené logiquement les trois directions ministérielles concernées (DGAL, DGS, DGCCRF) à saisir conjointement l'AFSSA et l'AFSSE de l'ensemble du dossier. Le mouvement se prouvant en marchant, on a là une preuve significative de l'intérêt du regroupement proposé entre ces deux agences.

-- La clarification que permettrait un tel regroupement est appréciable à la lumière des constats de la présente évaluation et aussi à la lumière de certains projets réellement hasardeux de création de nouvelles agences.

-- Les réserves qu'un tel regroupement peut susciter sont de trois ordres : hétérogénéité, taille excessive, complexité de certains processus d'évaluation.

L'hétérogénéité des situations, risques et produits n'est pas niable : la pollution due aux naufrages de pétroliers, les risques que font courir les cabines de bronzage ou ceux que peuvent recéler les produits phytosanitaires, sans parler de l'ESB ou du semicarbazide n'ont pas grand-chose en commun. Pour autant, les méthodologies adaptées aux différents secteurs peuvent procéder en fonds commun. En outre, il s'agit là d'une hétérogénéité que l'on rencontre déjà au sein de l'AFSSAPS.

? La taille excessive de la nouvelle agence peut constituer un argument d'opposition et en tout cas susciter des doutes ; si la parcellisation est à bannir, le gigantisme l'est également. Aussi plusieurs précautions apparaissent-elles souhaitables.

D'abord, l'identification des domaines au sein de la nouvelle agence peut et doit être claire et articulée d'une manière opérationnelle. A cet égard, l'AFSSAPS récemment restructurée constitue sinon un modèle, du moins une référence de méthodes et de pratiques.

En second lieu, cette nouvelle architecture ne se conçoit qu'en liaison avec la création parallèle du Groupement d'Intérêt Public (GIP) « substances et produits chimiques » proposé par le rapport d'évaluation des quatre inspections générales. Ce pôle d'expertise sur les produits permettait seul de faire face aux besoins identifiés par le programme européen Reach et à l'insuffisance inquiétante des moyens de la toxicologie. Cette proposition particulièrement nécessaire est présentée intégralement ci-après ; elle paraît, en outre, de nature à éviter le problème du gigantisme que la nouvelle agence pourrait, à défaut, poser :

« Réunir les compétences des différents acteurs en matière d'évaluation des substances chimiques

La structuration des capacités en matière d'expertise sur les substances chimiques est le deuxième volet du renforcement de la capacité de gestion du risque sanitaire en milieu professionnel et dans les autres milieux de vie. Comme il a été exposé plus haut (cf. 1.2.3.), les capacités françaises sont aujourd'hui déjà insuffisantes pour faire face à ses obligations européennes, et le seront encore plus si le projet de règlement REACH voit le jour, ce qui est un scénario probable.

La faiblesse du dispositif français, rappelons-le, tient à deux causes, s'alimentant l'une l'autre : la relative dispersion des moyens entre l'INRS et l'INERIS principalement, mais aussi entre les différentes agences de sécurité sanitaire et d'autres structures (commission d'étude de la toxicité par exemple) qui ont besoin pour leur mission propre de compétences en toxicologie ; la faiblesse de la discipline toxicologique en France, constatée tant en écotoxicologie et en toxicologie expérimentale qu'en toxicologie clinique (ce dont témoigne d'ailleurs la situation en termes de ressources humaines des centres anti-poison et centres de toxico-vigilance, mise en lumière par e rapport conjointement présenté par l'AFSSE et l'InVS en septembre 2003).

Un rapprochement des deux centres d'expertise principaux constitués par l'INRS et l'INERIS, s'il pourrait apparaître souhaitable dans l'absolu, se heurte à la difficulté de la différence de statut des deux instituts, due à la particularité de celui de l'INRS, association dépendante du régime des accidents du travail et maladies professionnelles. Il n'est guère envisageable de requérir les partenaires sociaux, gestionnaires de l'INRS, d'assumer une mission relevant de l'Etat. Il n'est guère concevable non plus, dans la conjoncture présente, de mobiliser des financements d'Etat importants en substitution à e que le régime AT/MP consacre aujourd'hui à la prévention des risques engendrés notamment par l'usage des produits chimiques.

De plus doit être prise en compte l'importance qu'il y a à maintenir les synergies développées à l'INERIS en matière de toxicologie et d'écotoxicologie, nécessaires à l'atteinte des « objectifs associés de sécurité sanitaire et de protection de l'environnement ».

La solution intermédiaire préconisée par la mission est donc celle d'un regroupement des moyens en analyse toxicologique aujourd'hui dispersés entre différents acteurs, via la création d'un groupement d'intérêt public, seule solution juridique permettant de préserver la place (et les financements) de chacune des institutions et de construire une capacité d'expertise à la fois renforcée et organisée dans le domaine des risques liés aux substances et produits chimiques. Un tel groupement, en outre, serait de nature à concilier deux objectifs : rassembler et coordonner les diverses ressources d'expertise mobilisables de manière à atteindre un effet de masse critique ; préserver et valoriser la spécialisation des experts dans leur domaine de compétence. Cette structure devrait par conséquent être ouverte largement à tous les organismes et structures de recherche impliqués dans ce domaine : INSERM, INRA, laboratoires universitaires (Pharmacie, Sciences ...), laboratoire d'écoles vétérinaires ... En effet, au-delà de l'intérêt à atteindre l'effet de masse critique nécessaire à une structuration et à une meilleure organisation de l'expertise en France, ainsi qu'à une action plus marquée à l'échelle internationale, ce regroupement devrait également permettre de développer des recherches destinées notamment à faire évoluer l'approche toxicologique traditionnelle - substance par substance, produit par produit - au profit d'une approche plus globale, prenant en compte l'analyse des effets cumulés ou des interactions en jeu, l'ensemble des voies d'exposition et les modes opératoires.

Il conviendrait que cette structuration nationale s'appuie également sur une rénovation du réseau des centres anti-poison et des centres de toxico-vigilance, qui suppose sans doute un renforcement de leurs moyens humains. Cette évolution est indispensable pour assurer le développement des capacités d'expertise en toxicologie clinique et renforcer les réseaux de vigilance 47 ( * ) . Ce réseau des centres anti-poison et centres de toxico-vigilance devrait s'inscrire à l'avenir dans le réseau des centres de référence et réseaux sentinelles coordonnés par l'InVS, avec les mêmes modes financiers de conventionnement pour leurs missions d'expertise et d'alerte. »

? La complexité des processus d'évaluation, notamment lorsque trois structures sont amenées à intervenir (InVS, nouvelle agence, pôle d'expertise extérieur) n'est pas niable, mais elle serait inférieure à la situation actuelle surtout et elle pourrait être rationalisée, voire diminuée par l'élaboration de procédures rigoureuses entre des organismes aux compétences clairement déterminées, qu'il s'agisse du pôle d'expertise ou de l'InVS. Au sujet de ce dernier, cette délimitation des missions est effectivement l'une des conditions de la réussite du regroupement AFSSA-AFSSE en une nouvelle agence.

La nouvelle précision apportée aux missions générales de l'InVS par la loi de santé publique du 9 août 2004 (cf. supra) indique clairement le champ très large de ses compétences de veille proprement dite : surveillance et investigation des facteurs de risque et des expositions, enquête sur des risques spécifiques locaux ou sectoriels, et déclenchement des alertes. La nouvelle agence, chargée strictement de l'évaluation aurait pour mission l'expertise et l'évaluation des risques a priori (substances et produits nouveaux, des produits de consommation, risques sanitaires d'installations, d'équipement, de procédés, d'agents physiques).

Une dernière difficulté peut se profiler avec le périmètre de la nouvelle agence : celle des tutelles, de leur nombre et de leur condition d'exercice. On a noté au sujet de l'AFSSA les difficultés d'exercice de la tutelle de l'Etat du fait de la multiplicité des ministères. On peut imaginer les situations complexes que l'existence d'au moins six tutelles pourrait entraîner. Cette difficulté ne devrait pas constituer un obstacle dirimant, mais devrait être soigneusement analysée et résolue avant l'élaboration de l'architecture institutionnelle retenue.

La réalisation de ce diagnostic préalable à la décision amènera aussi les administrations ministérielles à préciser les fonctions qui restent dans leurs domaines respectifs et d'éviter à l'avenir des interférences entre évaluateurs et gestionnaires des risques et, a fortiori, opérateurs.

RÉSUMÉ DE LA QUATRIÈME PARTIE

La réforme de 1998, pour profonde et novatrice qu'elle soit, n'a pas apporté toutes les simplifications que l'on pouvait espérer. Elle a maintenu des organismes dont les compétences se recoupent, mais surtout elle a été suivie par des modifications qui ont souvent encore compliqué la situation.

Une clarification s'avère nécessaire, d'une part, pour l'ensemble du champ de la sécurité sanitaire dans les domaines relevant de la compétences des agences (AFSSA, AFSSAPS) et de l'InVS ; d'autre part, deux domaines actuellement mal couverts appellent une réorientation importante. Il s'agit de la santé au travail et des produits chimiques qui n'entrent pas dans le champ de l'AFSSA et de l'AFSSAPS, ainsi que de la sécurité sanitaire de l'environnement ou des milieux de vie.

L'AFSSE et ses domaines

Créee par la loi du 9 mai 2001, l'AFSSE n'a pas fait l'objet d'une évaluation à l'instar des agences de la loi de 1998. Sa mise en place s'est faite à la fin de l'année 2002 dans des conditions qui lui confèrent une faiblesse inévitable. C'est d'autant plus regrettable que l'ensemble des responsables de cette nouvelle agence ont fait face à la situation et aux nombreuses saisines avec détermination et efficacité (préparation du PNSE - Plan national santé environnement) en 2003-2004 par exemple.

Mais le positionnement en effet inadapté de l'AFSSE, la conception erronée de son architecture, ainsi que l'urgence d'une réponse, exigent une première réforme. De très nombreuses et importantes questions sont en cause. Il est donc proposé de regrouper l'évaluation des risques afférents aux milieux de vie dont la santé au travail et les produits chimiques, au sein d'une Agence de Sécurité sanitaire des aliments et des milieux de vie , rapprochement fonctionnel de l'AFSSA et de l'AFSSE ; les règles de fonctionnement et les compétences actuelles de l'AFSSA dans le domaine alimentaire resteraient inchangées.

Néanmoins les enjeux environnementaux et les attentes de la société commandent l'ouverture du chantier qui doit permettre de disposer d'une grande Agence de l'Environnement. Dotée de moyens significatifs résultant pour une part des regroupements de services et d'organismes actuels, et d'autre part, de la création de nouvelles unités, elle disposera d'une véritable capacité d'expertise, d'alerte et de préconisation autonomes.

Par ailleurs, en complément de cette proposition essentielle, l'évaluation des substances et produits chimiques appelle la constitution d'un groupement d'intérêt public, proposé par les quatre inspections générales. Seule cette structure permettra de faire face à des besoins considérables et de prendre part efficacement aux travaux conduits dans le cadre européen (programme Reach).

* 47 Banque nationale des cas et des demandes d'information toxicologiques des centres anti-poison, données toxicologiques du réseau national de vigilance des pathologies professionnelles des centres de pathologie professionnelle, réseau de toxico-vigilance agricole de la Mutualité sociale agricole

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