II. LES TENTATIONS
Face au foisonnement de difficultés de mise en oeuvre, de lacunes et de chevauchement de compétences, plusieurs tentations apparaissent. Elles peuvent correspondre à la résurgence d'idées anciennes ou aux enseignements hâtifs de crises récentes.
1. La tentation unificatrice
* Une première tentation est celle de la création d'une agence de sécurité sanitaire unique. Cette hypothèse avait été sérieusement envisagée en 1997-1998, notamment par M. Bernard Kouchner alors ministre de la Santé (cf. supra 1 ème partie). L'expérience a plutôt validé une organisation différente et il ne paraît pas actuellement envisageable de revenir sur ce choix. Une FDA à la française est moins que jamais séduisante, même si l'existence de plusieurs agences met particulièrement en lumière les difficultés de l'interministérialité. Ce dernier argument est utilisé à l'appui d'une seconde voie.
* Cette deuxième tentation vise à unifier l'autorité ministérielle. Il s'agit là du schéma avancé par l'ancien directeur de la DGS, le Pr. Lucien Abenhaïm dans son livre « Canicules » plus précisément dans son chapitre 10 (« la sécurité sanitaire inachevée »).
Certains aspects de ce schéma ont déjà été abordés dans le présent rapport (cf. 1 ère partie). La proposition centrale consiste en la création d'un « ministère de l'Environnement et de la sécurité sanitaire » qu'il évoque ensuite par l'expression « grand ministère des risques ». Il précise ainsi cette proposition (p. 248 et 249)
« Il faudrait notamment, pour éviter tout conflit de compétences, regrouper l'environnement, l'alimentation, la consommation et les produits, sans oublier les questions de la santé au travail. Un ministère regroupant l'ensemble des composantes de la sécurité sanitaire serait donc considérablement plus efficace. Il devrait reposer sur des agences indépendantes chargées de l'évaluation et de la gestion des risques. Pour parvenir à ce résultat, il faudrait tout d'abord que l'Agriculture se départisse de la sécurité alimentaire, les Finances de la consommation et la Santé de la gestion des risques des milieux, ainsi en fait que de toute la sécurité sanitaire des produits. Tous ces secteurs seraient ensuite regroupés au sein de notre grand ministère - rejoints par la sûreté nucléaire et la radioprotection - et répartis entre les agences ».
M. Abenhaïm supprime le principe de séparation entre les fonctions de gestion et d'évaluation du risque (quelle que soit la dénomination exacte que l'on retienne pour cette dernière fonction qui peut en effet varier) et, propose la création d'un « grand ministère » qui regrouperait de nombreux domaines. Celui-ci perdrait en fait l'essentiel de ses compétences au profit « d'agences indépendantes » et non « autonomes ». « L'indépendance » de ces agences ne serait pas un vain mot puisque l'auteur de ce schéma propose une méthode de désignation de leurs dirigeants hors du champ ministériel :
« Voilà pourquoi je pense que les directions des agences devraient être sélectionnées par leurs conseils d'administration et non par des ministères, après des appels à candidature publics et en s'appuyant sur des comités également indépendants ou siègeraient notamment des scientifiques. Leur position et leur autorité en seraient renforcées ».
Cette perspective appelle naturellement quelques questions. Comment les membres des conseils d'administration seraient-ils désignés ? S'il s'agit de représentants des ministères, il ne s'agit que d'un habillage différent qui peut difficilement être une marque de progrès et un gage d'efficacité. S'il ne s'agit pas de cela, quelle serait alors la légitimité des membres de ces conseils ? Peut-on vraiment envisager de confier l'exercice de responsabilités d'autorités publiques à des « comités indépendants » ? , indépendants de qui ? Des domaines politiques dont la légitimité démocratique est établie, mais peut-être pas d'écoles scientifiques, de chapelles de divers ordres, d'associations en tout genre, d'intérêts économiques et sociaux ouverts ou dissimulés ...
Derrière un débat en apparence technique se profile une question sur la conception de l'Etat, sur ses responsabilités inaliénables, et sur une certaine approche la République. Au-delà d'une mode qui abandonne volontiers les prérogatives naturelles de l'Etat, on ne perçoit pas dans cette approche une réponse à la recherche d'efficacité en matière sanitaire.