B. UNE SOCIÉTÉ TRAVERSÉE PAR LES INÉGALITÉS

Les transformations qu'a connues la Russie au cours de la décennie 1990 ont creusé le fossé entre les riches et les pauvres, laissant au bord du chemin une large partie de la population.

Comme le relève l'auteur d'un récent article 1 ( * ) , « la société russe oscille entre innovations et pratiques de repli » :

- d'un côté, ont émergé de nouveaux groupes sociaux au niveau de revenu élevé : ce sont ceux qui ont su et pu s'adapter aux nouvelles règles du jeu de l'économie de marché ; il s'agit principalement de la jeune génération, habitant les grandes villes et bénéficiant d'un niveau d'études supérieures élevé, facteur déterminant de mobilité sociale ;

- de l'autre, des catégories sociales appauvries souffrent d'une certaine nostalgie du régime précédent ; si la situation économique s'est rapidement améliorée après la crise financière de 1998 et si la pauvreté a reculé, plus de 20 % des foyers russes vivent encore sans le minimum de subsistance 2 ( * ) ; les différences entre villes et campagnes sont considérables ; comme les membres de la délégation ont pu le constater le long de la route reliant Moscou à Novgorod, cette frange de la société, qui se compose essentiellement des générations les plus âgées, subsiste grâce au repli sur l'économie domestique (la vente sauvage du produit du potager) et les réseaux familiaux d'entraide ; toutefois, le départ des plus jeunes pour les villes et leur autonomisation ébranle les solidarités familiales.

Par ailleurs, les mutations intervenues au cours des années de transition ont vu l'apparition de « nouveaux pauvres », par exemple les enseignants, les médecins, les salariés du complexe militaro-industriel ou les membres des institutions scientifiques, dont le niveau de vie a chuté brutalement.

Les inégalités sociales sont aujourd'hui perçues avec un fort sentiment d'injustice, suscitant un malaise incontestable dans la société russe : on perçoit la nostalgie un peu désespérée de ceux qui avaient cru en la réforme, facteur de liberté, et qui constatent que leur génération n'en bénéficiera pas et qui doutent même de l'avenir de leurs enfants.

Les manifestations massives qui ont marqué les premiers jours de l'année 2005 ont été l'expression de la vulnérabilité et des incertitudes face à l'avenir d'une large partie de la population. Les retraités et vétérans du travail ont protesté contre les réformes du gouvernement revenant sur des « acquis » de la période soviétique. En effet, les avantages en nature qui leur étaient accordés (la gratuité des transports publics par exemple) sont remplacés par des allocations financières, à la charge des régions.

Ces réactions illustrent combien la protection sociale reste au coeur des préoccupations de la société russe. Dans un sondage de juillet 2004, à la question « Parmi les droits et libertés garantis par la Constitution russe, quels sont pour vous les plus importants ? », 40 % des personnes interrogées ont répondu le droit à la santé et à l'aide médicale, 34 % le droit au logement, 20 % le droit à l'emploi. Seuls 6 % ont cité la liberté d'exprimer son opinion, et 5 % la liberté d'aller et venir. Dans une société civile encore embryonnaire, le souci d'ordre prévaut sur la défense de la libre expression : d'après un sondage réalisé en 2001, 63 % considèrent que l'État doit exercer un contrôle sur la télévision, et 58 % pensent de même en ce qui concerne l'activité de la presse.

* 1 Kathy Rousselet, « Les grandes transformations de la société », article paru dans la revue Pouvoirs, « La Russie de Poutine », n° 112 (2005).

* 2 2 143 roubles mensuels en 2003, soit 75 dollars

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