II. L'OCCASION MANQUÉE DE MIEUX TENIR COMPTE DE LA DETTE ET DU CYCLE ÉCONOMIQUE

A. LA DETTE INSUFFISAMMENT PRISE EN CONSIDÉRATION DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE POUR DÉFICIT EXCESSIF

1. Faire de la dette un facteur essentiel : la réforme proposée par de nombreux économistes

Le principal objectif de la discipline budgétaire est de permettre la diminution du poids de la dette dans le PIB.

On peut rappeler à cet égard que la limite actuelle de 3 % du PIB pour le déficit public autorisé a pour propriété de permettre, selon les hypothèses d'une croissance annuelle en valeur de 5 % et d'un endettement initial de 60 % du PIB, la stabilisation de ce dernier 36 ( * ) .

Une solution économiquement rationnelle serait de remplacer la règle actuel de déficit maximal par une règle relative à la dette publique : celle-ci devrait être maintenue au-dessous d'un certain seuil, par exemple 50 % du PIB, et respecter des cibles fixées à moyen terme.

Ainsi, M. Jean Pisani-Ferry 37 ( * ) a proposé, en mai 2002, de donner aux Etats membres la possibilité d'opter pour un « Pacte de soutenabilité de la dette ».

Les Etats parties à ce pacte devraient :

- publier des comptes de leurs finances publiques plus détaillés qu'actuellement, afin de permettre d'évaluer l'impact potentiel de leurs « engagements hors-bilan » ;

- maintenir leur dette publique en-dessous de 50 % du PIB ;

- se fixer une cible à cinq ans, qui servirait de base à l'évaluation de la politique budgétaire.

Les Etats satisfaisant à ces trois conditions seraient automatiquement considérés comme ne se trouvant pas en situation de déficit excessif. En revanche, un Etat ne satisfaisant à aucune de ces conditions ferait automatiquement l'objet d'une procédure de déficit excessif.

Il s'agirait ainsi de ne pas léser les « générations futures » qui auront à acquitter les charges résultant du déficit actuel.

Une telle réforme aurait pour avantage de permettre de ne plus se focaliser sur les équilibres budgétaires annuels.

2. Une porte qui n'avait pas été fermée par la Commission européenne dans ses propositions de septembre 2004

Les propositions faites par la Commission européenne en septembre 2004 n'écartaient pas une réforme de cette nature , tendant à faire de la dette publique un critère essentiel dans le cadre de la procédure relative aux déficits excessifs.

En effet, dans les propositions précitées, la Commission européenne écrivait : « en déterminant une trajectoire d'ajustement appropriée, le PSC devrait mieux prendre en compte les conditions économiques et les fondamentaux de l'Etat membre qui dépasse la valeur de référence de 3 %. (...) Le rythme de l'ajustement pourrait toutefois varier d'un pays à l'autre, la trajectoire d'ajustement appropriée étant définie en fonction des conditions économiques et des niveaux d'endettement ».

Ainsi, il aurait semble-t-il été possible, sans modifier le traité CE et le protocole sur les déficits excessifs, de contourner partiellement l'interdiction d'avoir un déficit public supérieur à 3 % du PIB, par une modulation du rythme de l'ajustement favorable aux Etats peu endettés.

Certes, la Commission européenne estimait qu' « il serait important de prévoir un délai maximal pour la correction du déficit excessif ». Cependant, comme cela a été indiqué ci-avant, le Conseil européen prévoit seulement que la période maximale de déficit excessif peut être portée de 2 ans à 3 ans en cas d' « événements économiques négatifs et inattendus ayant des conséquences très défavorables sur le budget ».

3. Selon le gouvernement, le solde public souhaitable varie entre - 3 % du PIB et l'équilibre, en fonction du taux d'endettement de l'Etat membre concerné

Cette absence de véritable prise en compte de la dette dans le cadre de la procédure relative aux déficits excessifs est d'autant plus regrettable que, selon les estimations du gouvernement, publiées dans le rapport déposé en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2005, le solde public permettant d'atteindre un objectif de dette publique explicite de 40 % dans 20 ans est compris entre environ - 3 % pour l'Irlande et l'équilibre pour la Belgique , comme l'indique le graphique ci-après. La fourchette serait du même ordre de grandeur avec un objectif de dette publique de 60 % dans 20 ans, et prise en compte de la dette implicite. Ce dernier objectif a la préférence de la France, la Commission européenne souhaitant plutôt retenir un ratio d'endettement cible en deçà de 40 % du PIB sans prise en compte des engagements implicites.

Dans les deux cas, l'objectif de solde public structurel de la France serait de l'ordre de - 1 % , ce qui, comme cela est indiqué ci-après, lui permettrait en outre en principe d'avoir en permanence un déficit public inférieur à 3 % du PIB.

L'objectif de solde public qui devrait être retenu pour chaque Etat, selon le gouvernement

(en points de PIB)

Source : rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques, déposé par le gouvernement en vue du débat d'orientation budgétaire pour 2005

Le taux d'endettement public connaît en effet d'importantes variations entre Etats membres, comme l'indique le graphique ci-après.

Le taux d'endettement des différents Etats membres de l'Union européenne (2004)

(en points de PIB)

Les « bâtons » en noir correspondent aux Etats ayant adopté l'euro.

Source : Commission européenne, prévisions économiques du printemps 2005

4. Le taux d'endettement public pourrait être davantage pris en compte par les marchés financiers

Les marchés financiers pourraient à l'avenir davantage prendre en compte le taux d'endettement public pour la détermination des taux d'intérêt à long terme.

L'adoption de l'euro a jusqu'à présent conduit à une forte convergence des taux d'intérêt au sein de la zone euro : alors que les pays d'Europe du Sud (Grèce, Italie, Portugal, Espagne) avaient des taux d'intérêt nettement plus élevés que les autres Etats de la future zone euro, cet écart est désormais négligeable, comme l'indique le graphique ci-après.

Les taux d'intérêt à long terme au sein de la zone euro

(en %)

Source : Commission européenne, prévisions économiques du printemps 2005

Cependant, s'il n'existe pas de corrélation entre taux d'endettement public et taux d'intérêt à long terme à l'échelle de l'Union européenne, une telle corrélation peut être constatée parmi les Etats membres ayant adopté l'euro, comme l'indique le graphique ci-après.

Le taux d'endettement public et le taux d'intérêt à long terme (2004)

Taux d'intérêt à long terme (en %)

Dette publique (en points de PIB)

Source : Commission européenne, prévisions économiques du printemps 2005

Ainsi, globalement les Etats membres de la zone euro les plus endettés tendent à avoir des taux d'intérêt plus élevés que les Etats les moins endettés.

Certes, cette corrélation est modeste, et n'implique que de faibles écarts de taux d'intérêt, compris entre 4 % pour l'Allemagne et 4,3 % pour l'Italie et la Grèce. Par ailleurs, il existe des exceptions : l'Autriche et le Luxembourg ont des taux d'intérêt plus élevés que ce que suggèrerait leur dette, l'Allemagne se trouvant dans la situation inverse. En outre, il semble exister un effet de seuil : 6 Etats membres ont un taux d'intérêt identique, de 4,1 %, alors que leurs dettes s'échelonnent entre 30 % pour l'Irlande et 66 % pour la France ; en revanche, tous les Etats ayant un taux d'endettement public supérieur à 95 % (Belgique, Italie, Grèce) ont un taux d'intérêt supérieur à la moyenne.

Il n'en demeure pas moins que les marchés financiers pourraient sanctionner significativement un Etat dont ils auraient le sentiment qu'il s'écarte durablement de la discipline budgétaire. Ainsi, l'agence de notation internationale Standard and Poor's (SP) a indiqué, le 7 mars 2005, qu'une réforme du pacte de stabilité qui conduirait à un relâchement de la discipline budgétaire pourrait l'amener à revoir certaines notes souveraines, comme elle venait de le faire pour l'Italie, la Grèce et le Portugal.

* 36 En effet, le déficit public (en points de PIB) permettant la stabilisation du ratio dette/PIB est égal au produit de la croissance du PIB en valeur et de la dette (en points de PIB).

* 37 Jean Pisani-Ferry, « Fiscal Discipline and Policy Coordination in the Eurozone : Assessments and Proposals », mai 2002.

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