II. LA PRÉVENTION DE NOUVELLES CONTAMINATIONS

« Si l'on veut éviter une nouvelle catastrophe de type amiante, il faudra aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau 15 ans entre l'identification du risque, et l'interdiction du produit . » C'est ce qu'a déclaré M. Jean-Louis Borloo, lors de la présentation du plan santé environnement en juin 2004.

Alors que, comme l'ont montré les dernières enquêtes, l'exposition des salariés aux produits chimiques tend à s'accroître 124 ( * ) et que le nombre de cancers liés à des pollutions environnementales est en augmentation 125 ( * ) , la veille et l'alerte sanitaires sont aujourd'hui indispensables.

Dans la continuité de la loi du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, dont l'ambition était de poser les fondements d'une véritable politique de prévention, il convient aujourd'hui d'identifier et d'éradiquer les facteurs de mortalité évitables.

A. DES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION RENFORCÉS

« La France a enregistré entre 20 et 30 ans de retard en matière de prévention par rapport à ce que les entreprises américaines ont initié dans le même temps » a déploré le professeur Marcel Goldberg devant la mission, avant de constater qu'aux Etats-Unis, le nombre de mésothéliomes pleuraux diminue aujourd'hui de manière significative, alors qu'il est en augmentation exponentielle en France.

Le docteur Ellen Imbernon, de l'InVS, a confirmé le désintérêt des pouvoirs publics jusqu'à une date récente pour les actions de prévention, en précisant que « l'alerte, en matière de santé publique [...] concernait exclusivement - et concerne encore quasi exclusivement - la prévention de la transmission des maladies infectieuses ».

Dans le même sens, M. Gilles Brücker, Directeur général de l'InVS, a indiqué que les maladies infectieuses avaient bénéficié des dispositions de la loi de santé publique de 1902, ajoutant que « les autres problèmes étaient peu surveillés ».

Comme l'a souligné le professeur Claude Got, le contexte est aujourd'hui fondamentalement différent : « Depuis, il y a eu le SIDA, l'hormone de croissance, l'amiante, le sang contaminé, les hémophiles », autant de drames qui ont fondamentalement bouleversé les comportements et réduit le niveau général d'acceptation du risque, aboutissant à un principe de précaution dans quasiment tous les domaines.

La création, à la fin des années 90, d'agences de sécurité sanitaire (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé - AFSSAPS -, Institut de veille sanitaire - InVS -, Agence française de sécurité sanitaire des aliments - AFSSA -, Agence française de sécurité sanitaire environnementale - AFSSE -) a transformé en profondeur le paysage de la santé publique et les modes d'intervention de la puissance publique en ce domaine.

Par ailleurs, notre législation 126 ( * ) donne désormais une définition de la prévention, entendue comme ayant pour but « d'améliorer l'état de santé de la population en évitant l'apparition, le développement ou l'aggravation des maladies ou accidents, et en favorisant les comportements individuels et collectifs pouvant contribuer à réduire le risque de maladie ». Pourtant, le dispositif français de veille sanitaire souffre encore de graves lacunes.

La plupart des interlocuteurs de la mission ont notamment regretté :

• le manque de moyens dont dispose l'InVS, dont le département « santé-travail », seule structure formellement en charge de la veille de la santé en milieu professionnel, repose sur une trentaine de personnes ;

• la faible place accordée à la « santé au travail », parent pauvre du système de prévention mis en place en 1998 et 2001 ;

• l'absence d'une véritable politique de prévention couvrant les risques environnementaux.

1. L'Institut de veille sanitaire

« Avant la création, en 1998, de l'Institut de veille sanitaire (...) par la loi de sécurité sanitaire (...) aucun organisme n'était (formellement) chargé d'alerter les pouvoirs publics sur les risques pesant sur la santé publique », a déclaré le docteur Ellen Imbernon, responsable du département santé-travail de l'InVS, devant la mission.

Le professeur Claude Got et le professeur Marcel Goldberg ont confirmé l'absence de structure institutionnelle ayant vocation à exercer une veille épidémiologique sur la population avant la mise en place de l'InVS en 1998.

Ministre de l'emploi et de la solidarité lors de la création de l'InVS, Mme Martine Aubry a indiqué que M. Bernard Kouchner et elle-même avaient souhaité que les risques professionnels soient traités au même plan que les maladies infectieuses, les effets de l'environnement sur la santé, les maladies chroniques et les traumatismes. Rappelant que le ministère de la santé « anime et coordonne, en liaison avec la direction des relations du travail, la politique de gestion des risques professionnels en milieu de travail », elle a précisé : « Nous avons placé l'InVS auprès de la direction générale de la santé car c'est elle qui est au contact du terrain et, notamment, des caisses d'assurance maladie ».

Le professeur Claude Got a ajouté que la création de l'InVS s'était accompagnée d'une innovation institutionnelle, à savoir la création d'un département « santé et travail », en rupture par rapport à « la séparation [traditionnelle] très nette, en France, à l'échelon des pouvoirs publics et de l'État, (entre) ce qui relevait du monde du travail et ce qui relevait du monde de la santé ».

En vertu de la loi du 1 er juillet 1998 127 ( * ) , modifiée par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, l'InVS, qui a succédé au réseau national de santé publique, a pour mission :

- la surveillance et l'observation permanente de l'état de santé de la population ;

- la veille et la vigilance sanitaires. A ce titre, l'institut est chargé d'actualiser les connaissances sur les risques sanitaires, de détecter de manière prospective les facteurs de risques susceptibles d'altérer la santé de la population, d'étudier et de répertorier les populations les plus fragiles ;

- l'alerte du ministre sans délai en cas de menace pour la santé.

La loi d'août 2004, tirant les leçons des dysfonctionnements relevés à l'occasion de la crise de la canicule de l'été 2003, a ajouté aux missions de l'institut la contribution à la gestion des situations de crise sanitaire, et élargit en conséquence ses sources d'information à tous les acteurs susceptibles de signaler des menaces pour la santé 128 ( * ) .

Les modifications les plus substantielles introduites par la loi d'août 2004 portent sur :

- la définition d'une priorité de santé publique accordée aux populations les plus fragiles. « Il est bien entendu impossible de ne pas voir là les conséquences de la canicule qui ont souligné la vulnérabilité des personnes âgées », ont souligné les rapporteurs du projet de loi au Sénat ;

- la prise en compte des déterminants sociaux ;

- la centralisation, par l'InVS, de toutes les données concernant les accidents du travail ;

- la participation active de l'InVS à la gestion des crises.

Établissement public, l'InVS est organisé en cinq départements, inégalement dotés en effectifs comme en moyens d'intervention 129 ( * ) . Pour mener à bien sa mission de surveillance, l'Institut dispose, outre ses moyens centraux, de cellules interrégionales d'épidémiologie de la santé (CIRES) 130 ( * ) qui ont pour mission l'épidémiologie d'intervention et l'évaluation quantifiée des risques, principalement dans les domaines des maladies transmissibles et des maladies liées à un environnement nocif.

Le plan santé-travail (PST) présenté en février 2004, qui vise un « changement d'échelle dans la connaissance des risques professionnels » renforce notamment le rôle et les missions de l'InVS.

Comme l'a indiqué M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, l'un des volets du plan, dont l'objectif est de systématiser la surveillance épidémiologique des travailleurs exposés sur le lieu de travail, va se traduire :

• au niveau financier, par l'allocation de nouveaux moyens au département santé au travail de l'InVS ;

• au niveau institutionnel, par la formalisation de la collaboration de l'InVS avec le ministère du travail, notamment par la cosignature des saisines, la coprésidence du comité de liaison DGS/BRT/InVS/DST, la prise en compte de l'avis de la DRT sur la partie santé travail du contrat d'objectifs et de moyens de l'institut ;

• au niveau opérationnel, par le développement de partenariats avec la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), le renforcement des compétences des structures régionales (CIRE) et l'accentuation du rapprochement déjà opéré sous forme de convention-cadre entre le département santé travail de l'InVS et le département épidémiologie en entreprise de l'INRS.

On rappellera, par ailleurs, que la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 a permis une avancée importante dans la collecte des données relatives à la santé au travail par l'InVS : ne disposant auparavant que des informations transmises par les services de santé au travail, le département santé au travail de l'InVS aura désormais un accès direct aux informations statistiques en matière d'accident du travail et de maladies professionnelles détenues par les entreprises.

M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a souligné l'action du département santé et travail de l'InVS. Mme Catherine Procaccia, membre de la mission, a souligné à cet égard le rôle de l'InVS lors de l'apparition de quatre cas de cancers dans une école de Vincennes. Face à l'inquiétude de la population, qui établissait un lien entre les cancers touchant les enfants et l'ancienne activité industrielle du site, les investigations diligentées et les informations fournies par les services de l'InVS ont contribué à rassurer la population.

Depuis sa mise en place, l'InVS a développé de nouveaux outils et des méthodes qui ont fait progresser la veille sanitaire. Néanmoins, l'institut pâtit toujours d'une insuffisance de moyens financiers et humains.

« La surveillance sanitaire en milieu de travail, menée par l'InVS, n'est pas encore, faute de moyens, à la hauteur des enjeux ». C'est ce que l'on peut lire dans le plan santé travail et ce qu'ont déploré son directeur général, Gilles Brücker, la responsable du département santé travail, Mme Ellen Imbernon, le directeur de l'unité de santé publique et d'épidémiologie au sein de l'institut, le professeur Marcel Goldberg ainsi que le professeur Claude Got.

a) Le développement de nouveaux outils et de nouvelles méthodes de surveillance sanitaire

Le directeur général de l'InVS, a estimé qu'un certain nombre d'avancées avaient été réalisées depuis l'installation de ses services en 1999. Le premier registre de surveillance d'une pathologie majoritairement liée au travail a été établi : il s'agit du programme national de dépistage du mésothéliome. Initié en 1998 au sein de 17 départements, puis étendu à 22 départements, il constitue la première base de données disponible permettant de mesurer l'incidence de cette maladie en France.

Ce programme de surveillance nationale vise en premier lieu à identifier les sources d'exposition. Après avoir analysé les conséquences des expositions à l'amiante, les données ont été modélisées, pour pouvoir suivre le développement de la pathologie.

Ce registre doit permettre de prolonger la surveillance des populations exposées dans le cadre de leur travail plusieurs années après leur exposition à l'amiante et favoriser le développement du processus d'indemnisation des victimes, à travers le FIVA.

Soulignant qu'il fallait aujourd'hui aller plus loin, et s'intéresser aux nouveaux facteurs de risque que constituent les fibres de substitution à l'amiante, M. Brücker a indiqué qu'un autre programme, dénommé « Evaluatil », était en cours pour mesurer les risques encourus par la population exposée professionnellement à des fibres autres que l'amiante .

Enfin, deux autres actions prioritaires sont en cours de réalisation :

- la finalisation d'un outil MAGENE (Matrice Emploi Exposition) permettant, en reconstituant les itinéraires professionnels des personnes, de mesurer leurs degrés d'exposition aux risques, ainsi que les risques qu'elles encourent ;

- le développement d'un réseau de médecins du travail .

« La situation de la médecine du travail en France, déconnectée de la santé publique et du ministère de la santé, car placée sous la tutelle des ministères du travail et de l'environnement, soulève un certain nombre d'interrogations » a précisé le directeur général de l'InVS.

Nombre d'interlocuteurs de la mission ont déploré pour leur part que les médecins du travail soient isolés et enfermés dans une logique d'aptitude à l'emploi, qui diffère d'une vraie logique de santé.

M. Gérard Larcher a confirmé devant la mission que cet objectif s'inscrivait pleinement dans le cadre des 23 actions du plan santé travail, dont un des objectifs est de mobiliser les acteurs de l'entreprise autour de leur action de prévention.

M. Gilles Brücker a indiqué que le département santé au travail de l'InVS s'était engagé dans la définition d'une organisation cohérente, en partenariat avec les branches et les secteurs d'activités. « Nous tâchons d'organiser ce réseau de manière à bénéficier de signalements ainsi que d'informations remontant les uns et les autres du terrain » a précisé le Dr Ellen Imbernon, responsable de ce département soulignant cependant que la constitution d'un véritable réseau serait un processus long et difficile. D'une part, parce qu'il suppose un véritable bouleversement des mentalités : en raison de leur statut, les médecins du travail travaillent de manière individuelle et indépendante. La réglementation, qui fixe notamment le nombre de visites médicales, et impose de consacrer un tiers de temps à des visites sur les lieux de travail, ne prévoit aucune obligation en ce qui concerne la collecte et le regroupement des données relatives à la santé des salariés. D'autre part, parce qu'il implique la mise en place de procédures d'animation des réseaux et de transmission des informations.

Le professeur Marcel Goldberg a ajouté qu'avec 25 salariés au sein du département santé travail, la tâche s'annonçait difficile. La mission ne peut donc que constater, elle aussi, que les moyens financiers et humains de l'InVS ne sont pas à la hauteur des objectifs poursuivis.

* 124 Enquête SUMER 2002-2003.

* 125 C'est ce qui ressort d'un rapport de l'INSERM remis en juin 2005.

* 126 Article L. 1417-1 du code de la santé publique.

* 127 Relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.

* 128 Ces dispositions sont codifiées dans le nouvel article L. 1413-15 du code de la santé publique.

* 129 Quatre départements par domaine (maladies chroniques et traumatismes ; maladies infectieuses ; santé/environnement ; santé au travail) et un département d'administration générale.

* 130 Par ailleurs, l'unité cancer dispose de relais locaux, notamment par le biais de registres du cancer, et plus récemment des centres de gestion départementaux des dépistages des cancers du sein. Le déplacement des maladies infectieuses peut s'appuyer, pour la surveillance de l'épidémie VIH, sur la procédure de déclarations obligatoires. Le département de la santé au travail doit quant à lui, rechercher ses propres sources de données ; c'est dans cet esprit qu'a été envisagée une collaboration avec les centres d'examen de santé de la sécurité sociale, en vue de les organiser en laboratoires de santé publique chargés de suivre le risque post-professionnel.

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