b) Les reproches adressés à la loi du 10 juillet 2000

A l'occasion d'un recours devant la juridiction pénale, le juge d'instruction de Dunkerque et la chambre d'instruction de la cour d'appel de Douai se sont appuyés, dans l'ordonnance de non-lieu, sur la « loi Fauchon » pour rejeter les plaintes et clore ainsi l'instruction, un pourvoi en cassation non encore jugé ayant été formé contre ce non-lieu.

Toutefois, cette interprétation a été contestée, au cours de son audition, par Me Philippe Plichon, l'avocat des employeurs dans les procès portant sur l'amiante. Pour lui, la décision des juges de Douai aurait été motivée par plusieurs considérations :

- le témoignage d'un médecin du travail : « L'usine Sollac de Dunkerque, filiale du groupe Usinor, regroupait 10.000 salariés, cinq CHSCT et plusieurs médecins du travail. Celle qui a été entendue à l'audience travaillait dans cette entreprise depuis 1977. Elle connaissait parfaitement le dossier amiante et a tenté de sensibiliser le personnel. Personne ne l'a écoutée. En effet, les salariés ne pouvaient croire qu'ils tomberaient malades 40 ans plus tard. [...] De plus, la direction des relations du travail du ministère n'a pas soutenu ce médecin du travail. Elle n'a jamais reçu d'instructions » ;

- la difficulté rencontrée par le juge d'instruction pour obtenir des informations de la part des inspecteurs du travail : « Le ministère du travail leur avait en effet interdit de répondre sous prétexte d'un quelconque secret. Cette allégation est indiquée dans le dossier. La caisse régionale a finalement fait éclater la vérité. Elle a reconnu n'avoir mené aucune action de prévention jusqu'en 1995. L'employeur n'a donc pas été sollicité » ;

- l'inadéquation des mesures d'empoussièrement : « Le décret d'août 1977 définit la limite à deux fibres par centimètre cube dans l'air. Or les mesures d'ambiance de la sidérurgie font apparaître 0,6 fibre. En effet, un hall d'aciérie compte 80 mètres d'altitude et la ventilation y est très efficace. [...] les mesures d'empoussièrement ne sont pas significatives dans ces halls, ni nulle part ailleurs selon moi. L'employeur ne pouvait se sentir concerné par le décret d'août 1977 puisque ses relevés étaient largement en deçà des limites stipulées » ;

- les syndicats n'auraient pas rempli leur mission : « A l'instar de l'administration, ils n'ont rien entrepris alors qu'ils sont fortement représentés dans les CHSCT de la sidérurgie. [...] La dangerosité était donc identifiée mais les syndicats ne s'en sont pas préoccupés. Ils nous ont expliqué avoir été obnubilés par la silicose et ne pas s'être intéressés à l'amiante ».

M. Michel Parigot, vice président de l'ANDEVA et président du comité anti-amiante de Jussieu, a résumé de la manière suivante les reproches adressés à la loi du 10 juillet 2000 par les associations de victimes 44 ( * ) : « Nous reprochons à cette loi d'aller à l'envers de ce qu'il convenait de faire en matière de bonne gestion des risques. La distinction cause directe/cause indirecte est le principal problème de ce texte de loi. Les juristes interrogés à l'époque se sont du reste prononcés contre une telle séparation qui conduit à une inégalité entre les justiciables. Pour une faute de même importance, la condamnation dépend en définitive du caractère plus ou moins direct de la responsabilité dans le dommage. Cette innovation juridique va à l'encontre du principe de prévention des catastrophes sanitaires pour lesquelles les responsabilités sont précisément indirectes. [...] Selon nous, le fait de rendre plus difficile la recherche des responsabilités indirectes n'est pas seulement une erreur ; c'est une faute du point de vue de la gestion du risque. En matière de catastrophe sanitaire, il est important de pouvoir identifier l'ensemble des responsabilités, directes et indirectes, en les plaçant au même niveau ».

Les représentants de l'ANDEVA rencontrés lors du déplacement d'une délégation de la mission à Dunkerque ont estimé qu'en matière de santé publique, les dommages étaient forcément indirects et les responsables nombreux, voire très nombreux. Dans ces conditions, la « loi Fauchon » interdirait toute poursuite, d'autant plus qu'elle exige une faute caractérisée pour engager la responsabilité. Or, une telle faute serait précisément impossible à démontrer dans l'affaire de l'amiante, tant les acteurs étaient nombreux à s'être trompés.

Ils ont également considéré que la loi du 10 juillet 2000 a des conséquences sur la gestion des risques collectifs. Selon l'ANDEVA, le risque, dans une société aussi complexe que la nôtre, est beaucoup plus difficile à identifier qu'à l'époque de la rédaction du code pénal, les responsabilités étant souvent indirectes. Or la « loi Fauchon », qui a mis un terme à l'instruction des plaintes dans l'affaire de l'amiante, a envoyé un « message terrible » susceptible d'entraîner des conséquences négatives en termes de prévention. La « loi Fauchon » conduirait ainsi à punir davantage l'exécutant que le décideur dans un contexte où des catastrophes sanitaires pourraient se reproduire.

Me Jean-Paul Teissonnière a lui aussi exposé les reproches adressés à la « loi Fauchon » en développant une argumentation relativement proche : « La distinction entre auteur direct et auteur indirect n'est pas pertinente [...] le risque étant - si vous me passez l'expression - que l'auteur direct soit le « lampiste ». Autrement dit, en protégeant, dans une certaine mesure, l'auteur indirect, on a privilégié la condamnation du lampiste ou, en tout cas, on a pris le risque de condamner le lampiste. Je n'étais donc pas partisan d'une distinction entre auteur direct et auteur indirect ».

Il convient pourtant de rappeler, comme l'a indiqué M. Didier Saffar, que, pour l'instant, il n'existe pas encore de décision spécifique de la Cour de cassation faisant le lien entre l'existence de la loi du 10 juillet 2000 et le sort des procédures liées à l'amiante .

La chambre de l'instruction, dans ce cas d'espèce, a clairement dit qu'elle ne condamnait pas parce que la loi était venue mettre des conditions supplémentaires à la responsabilité pénale du chef d'entreprise et, plus généralement, de ceux qui ont une responsabilité indirecte dans la survenance des dommages et des préjudices.

* 44 Notons toutefois que les associations ne sont pas unanimes sur ce point, l'Association des accidentés de la vie (FNATH) portant une appréciation plus nuancée sur la « loi Fauchon ». Elle a notamment considéré que la distinction entre responsabilité directe et responsabilité indirecte ne lui apparaissait pas poser problème.

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