b) L'exigence d'une qualité accrue des instructions

La loi du 10 juillet 2000 a indéniablement rendu nécessaire la conduite d'instructions plus approfondies, ce qui ne peut que servir la cause des victimes.

Les dossiers liés à l'amiante en constituent une parfaite illustration.

Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy a pu parler d'un « travail d'archiviste », citant l'exemple des instructions relatives à l'affaire du sang contaminé ou à celle de l'hormone de croissance. Ce sont des investigations assez lourdes à effectuer, notamment aux Archives nationales et dans les administrations concernées : la direction générale de la santé, la direction des relations du travail, l'INRS, entre autres, pour l'amiante.

Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy a même considéré que « le pénal n'est pas en fait très adapté à ces affaires de santé publique » en raison des règles de la prescription de l'action publique. Par exemple, dans l'affaire de Jussieu, les infractions qui ne sont pas prescrites sont seulement les homicides involontaires, les trois ans de prescription débutant alors à la date du décès, et les blessures involontaires, ces trois ans débutant à partir du dernier certificat médical datant de plus de trois mois.

En outre, « c'est dans le lien de causalité que réside la grande difficulté dans les affaires de santé publique. Il est normal qu'il faille établir un lien de causalité entre un dommage et une faute, mais c'est vraiment difficile comme pour l'amiante de préciser une période de contamination ».

C'est cette instruction plus difficile, car plus exigeante à conduire que Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy visait quand elle a estimé, au cours de son audition, que la « loi Fauchon » constitue « une difficulté supplémentaire dans les affaires de santé publique ».

Elle a d'ailleurs précisé sa pensée : « Sans être trop critique à l'égard de certains collègues, on peut dire qu'il est plus facile de décider qu'il y a application de la « loi Fauchon » du fait d'un lien indirect que de rechercher vraiment la faute caractérisée et la connaissance du risque par l'auteur de la faute. En fait, tout dépend de la qualité de l'instruction. Avant le renvoi devant le tribunal correctionnel, il faut voir si la faute caractérisée a été recherchée, si les éléments des infractions ont été déterminés et si les investigations sur la connaissance du risque ont été faites. En ce qui concerne la connaissance du risque en matière de santé publique, il faut remonter parfois plusieurs dizaines d'années en arrière pour retrouver tous les articles scientifiques et toutes les connaissances qu'un décideur public pouvait avoir de telle pathologie et toutes informations de tel danger pour la santé publique qu'il détenait ».

Mme Martine Aubry, au cours de son audition, a estimé que « les termes « violation délibérée » qui sont dans la loi sont aussi importants que « faute caractérisée » » et a rappelé que « c'est sur ce fondement que la cour d'appel de Douai a dit que l'entreprise Sollac, à Dunkerque, n'avait pas respecté pleinement - c'est le problème de l'appréciation des faits - le décret de 1977, mais qu'elle ne l'avait pas fait de façon délibérée ». Cet exemple conforte l'idée que la loi du 10 juillet 2000 rend nécessaire la conduite d'instructions de meilleure qualité, tant il apparaît évident que, dans l'immense majorité des cas, les employeurs, dans les affaires liées à l'utilisation de l'amiante, n'ont pas violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Si c'est sur ce terrain que les magistrats entendent établir la responsabilité pénale des employeurs, il paraît presque certain que la plupart des affaires se termineront par un non-lieu.

Il apparaît donc difficile d'affirmer que la loi du 10 juillet 2000 rend impossible tout procès pénal de l'amiante.

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