PREMIÈRE PARTIE -UN DRAME ÉVITABLE ?

I. UNE INDIFFÉRENCE SINGULIÈRE FACE À UNE MENACE CONNUE DE LONGUE DATE

« Une erreur de gestion ». C'est ainsi que le professeur Claude Got, lors de son audition par la mission, a qualifié la manière dont le drame de l'amiante a pu se produire. Si l'erreur - ou plutôt la cascade d'erreurs - est avérée, c'est avant tout l'indifférence de l'ensemble des acteurs, employeurs et pouvoirs publics notamment, qui, dans cette affaire, est inexplicable.

M. Jacques Barrot, ancien ministre du travail et des affaires sociales, l'a lui-même reconnu devant la mission : « Je dois dire que je n'ai pas éclairé le mystère. Je ne comprends pas pourquoi, après 1978, il y a eu une très lente appréhension du problème par les ministères ».

Certes, comme l'a noté le professeur Got, dans un parallèle avec la silicose des mineurs de charbon, « on accepte la mort au travail d'une façon différente en fonction des époques ». Toutefois, la comparaison est à nuancer dans la mesure où les mineurs connaissaient ces risques, ce qui n'était apparemment pas le cas de ce qu'il est convenu d'appeler les « travailleurs de l'amiante ». En outre, la mission a pu se rendre compte qu'aucune mesure de sécurité au travail n'a été prise, des décennies durant, contre les dangers de cette fibre, pourtant connus avec une précision croissante. L'affaire de l'amiante illustre le faible intérêt qui a trop longtemps été porté aux questions de santé au travail. « Il y a tout de même eu une forme de négation de cette réalité du risque par les industriels » estimait le professeur Got. Hélas, la réalité de l'amiante a aussi été niée par les pouvoirs publics, tant il apparaît que l'administration s'est montrée incapable de passer de la connaissance à la prise de décisions .

M. François Malye, journaliste, auteur de Amiante : 100.000 morts à venir 5 ( * ) , a insisté sur « la véritable culture du mensonge » à laquelle il s'était heurté lorsqu'il a débuté son enquête sur l'amiante, en 1994, à une époque où ce matériau était toujours utilisé : « Il n'en reste pas moins que tous mentaient, un mensonge parfaitement organisé avec l'assentiment de l'État, ce qui rendait tout travail journalistique difficile et délicat. A l'époque, on comptait déjà 3.000 morts en Grande-Bretagne mais la France, elle, ne déplorait officiellement « que » 200 morts. Sécurité sociale, assureurs, patronat, le mensonge s'est installé à tous les niveaux, chacun craignant qu'éclate au grand jour un scandale aux immenses effets collatéraux. La classe politique prétendait ne pas être au courant et fuyait le problème par la création d'une structure dédiée à l'amiante. Cette stratégie du mensonge et le discours des communicants auront ainsi réussi à nier les conclusions de plusieurs milliers d'études épidémiologiques »... « De leur côté, les scientifiques français ont menti par omission. Ils n'ont pas tiré assez tôt le signal d'alarme. Or, les textes fondateurs de l'INSERM précisent clairement que la mission de l'Institut consiste aussi à alerter les pouvoirs publics », a-t-il ajouté.

A. L'UTILISATION INTENSIVE DE L'AMIANTE EN FRANCE

Pour ses qualités ignifuges, la France a abondamment utilisé l'amiante, de l'avant-guerre à son interdiction en 1997, plutôt tardive en Europe, en particulier au cours des décennies 1950 à 1970.

1. L'amiante, une fibre naturelle

Le terme amiante 6 ( * ) recouvre une variété de silicates formés naturellement au cours du métamorphisme des roches, qu'une opération mécanique appropriée transforme en fibres minérales utilisables industriellement . On distingue deux variétés d'amiante : les serpentines et les amphiboles.

Les serpentines ne comportent qu'une variété d'amiante, le chrysotile (ou amiante blanc), et les amphiboles comptent cinq variétés : l'anthophyllite, l'actinolite, la trémolite, l'amosite (ou amiante brun) et la crocidolite (ou amiante bleu), ces deux dernières variétés étant ou ayant été exploitées industriellement et commercialement. Les fibres d'amphiboles sont beaucoup plus dangereuses que celles de chrysotile.

L'amiante se distingue des matières fibreuses artificielles, telles que la laine de roche ou la fibre de verre, par sa structure cristalline et par l' extrême finesse de ses fibres . Dans le chrysotile, les fibres sont courbées et particulièrement fines, les fibres des amphiboles étant droites et d'un diamètre trois à dix fois plus gros selon la variété.

La finesse des fibres d'amiante, qui constituent en fait un ensemble formé de plusieurs dizaines ou centaines de fibrilles plus ou moins solidement agglomérées, est importante à deux titres :

- les propriétés physico-chimiques des fibres d'amiante sont propices aux phénomènes d'absorption et aux propriétés d'isolation ;

- leur dimension particulièrement réduite est en partie à l'origine des pathologies provoquées par ce matériau, puisque la taille et la géométrie des fibres sont les principaux facteurs qui déterminent la pénétration de l'amiante et sa distribution dans les voies respiratoires. Ainsi, la dimension des fibres est déterminante pour évaluer leurs effets sur la santé : plus une particule est petite, plus elle peut pénétrer profondément dans l'appareil respiratoire ; plus les fibres sont longues et fines, plus l'organisme a des difficultés à les éliminer, et plus elles sont dangereuses.

Caractéristiques des trois principales variétés d'amiante

SERPENTINE

AMPHIBOLES

Chrysotile

Amosite

Crocidolite

Couleur

blanc

brun

bleu

Longueur max. des fibres

40 mm

70 mm

70 mm

Diamètre des fibrilles

0,02 um

0,1 um

0,08 um

Eléments associés aux SiO4 7 ( * )

Mg

Mg, Fe

Fe, Na

Source : INRS

* 5 Editions Le cherche midi, octobre 2004.

* 6 Le terme asbeste est un synonyme d'amiante et provient du latin asbestos, qui signifie incombustible.

* 7 Tétraèdres silicate.

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