2. Les raisons de son utilisation intensive : le « magic mineral »

L'amiante présente des propriétés exceptionnelles, qui varient selon la variété considérée :

- une remarquable qualité de résistance à la chaleur et au feu ;

- une faible conductivité thermique, acoustique et électrique ;

- la résistance mécanique, à la traction, à la flexion et à l'usure ;

- la résistance aux agressions chimiques ;

- l'élasticité ;

- la possibilité d'être filé et tissé.

En outre, l'amiante est un matériau peu cher.

Ces qualités « exceptionnelles » ont d'ailleurs très longtemps constitué le fondement de l'argumentaire des industriels sur les « bienfaits » de l'amiante, argumentaire qui n'a d'ailleurs pas complètement disparu. Ainsi, M. Dominique de Calan, président du groupe de travail sur l'amiante au MEDEF et délégué général adjoint de l'UIMM 8 ( * ) , a tenu à souligner, au cours de la table ronde des représentants des employeurs organisée par la mission, que « l'amiante a été aussi un matériau qui, à un moment donné, a sauvé bien des vies par ailleurs ».

Toujours est-il que les qualités de l'amiante expliquent l'utilisation massive de cette fibre 9 ( * ) , particulièrement en France.

La consommation d'amiante en France a atteint un pic au milieu des années 1970, soit environ 150.000 tonnes par an en 1975 10 ( * ) .

Le tableau ci-dessous illustre la forte croissance de cette consommation entre 1951 et 1975 :

Consommation d'amiante brut en France par secteurs d'activité
Moyennes quinquennales (1951-1975)

Consommation moyenne par an
en tonnes

1951-1955

1956-1960

1961-1965

1966-1970

1971-1975

Amiante-ciment

38.450

59.320

78.030

93.600

103.900

Revêtement de sol

1.830

5.060

8.060

9.190

12.140

Filature

1.970

3.440

3.060

3.670

4.160

Cartons/papiers

2.360

3.485

6.265

7.560

10.103

Joints

790

995

1.160

1.560

1.935

Garnitures de friction

645

1.175

2.055

2.970

4.180

Objets moulés et calorifuges

2.260

2.180

2.730

2.790

2.715

Autres

1.150

1.680

1.915

2.450

3.600

Source : Association française de l'amiante (1996) ; citée par la Cour des comptes
dans le rapport d'information n° 301 (2004-2005).

Le matériau à base d'amiante le plus répandu est l'amiante-ciment. Il s'agit du matériau le plus utilisé en France dans le second oeuvre depuis la fin des années 1960, et c'est aussi l'un des matériaux de couverture les plus répandus dans le monde.

L'amiante à Saint-Gobain

La compagnie Saint-Gobain a occupé un rôle leader sur le marché français et même au-delà, grâce à ses filiales, aux Etats-Unis et au Brésil en particulier, où elle avait acquis des mines d'amiante.

Au cours de son audition, M. Claude Imauven, directeur général adjoint de la Compagnie et directeur du pôle produits pour la construction, a retracé l'histoire de l'amiante à Saint-Gobain.

Saint-Gobain comporte trois branches historiques :

- la branche canalisation, essentiellement la société Saint-Gobain PAM, anciennement Pont-à-Mousson ;

- la branche isolation, connue en France essentiellement avec Saint-Gobain Isover ;

- les activités de la branche matériaux de construction, en grande partie héritière du passif d'utilisation de l'amiante.

L'amiante est entré dans le groupe avec la société Everitube qui fabriquait des tuyaux et des plaques en amiante-ciment, lors de la fusion avec Pont-à-Mousson en 1970.

Pont-à-Mousson, qui fêtera ses 150 ans en 2006, a toujours été axée sur la fonte. Au début du XX e siècle, une concurrence avait vu le jour, essentiellement avec la société française Everite, qui commençait à mettre sur le marché des produits, de moins bonne qualité que la fonte, mais bien meilleur marché, qui étaient les tuyaux d'amiante-ciment.

Ces tuyaux, utilisés pour l'assainissement et l'adduction d'eau potable, constituaient une concurrence redoutable pour Pont-à-Mousson. Les directions de l'époque ont jugé qu'il fallait réagir et prendre pied sur ce segment de marché.

La première usine avait été créée, en dehors de Saint-Gobain, par Everite en 1917. Il s'agissait de Bassens, mais les titres ont été acquis par Pont-à-Mousson en 1933.

En 1924 a été créée l'usine de Dammarie-les-Lys. Il y a alors eu fusion entre Everite et la société Sitube, avec la création d'Everitube, partie de Pont-à-Mousson.

Une troisième usine est créée en 1964 par Everitube, l'usine de Descartes, puis une quatrième en 1966, Andancette.

Ce sont les quatre premières usines historiques, destinées à fabriquer des tuyaux qui venaient compléter la gamme de Pont-à-Mousson.

En 1971, l'usine de Saint-Etienne-du-Rouvray est créée et, en 1972, après la fusion avec Saint-Gobain, on assiste à des reclassements de titres. Everitube quitte Pont-à-Mousson et devient partie de Saint-Gobain Industries, avec différents changements de noms, et élargissement de la gamme à des produits de couverture.

Des restructurations internes conduisent, en 1981, à l'arrêt et à la fermeture de Saint-Etienne-du-Rouvray, de Saint-Eloy-les-Mines en 1984, de Bassens en 1987. A ce moment, Everitube, qui ne fabrique plus de tubes, prend le nom d'Everite et, en 1989, la dernière usine qui fabriquait des tuyaux, Andancette, change à nouveau de propriétaire interne au sein de Saint-Gobain, revenant à Pont-à-Mousson. En 1993, Dammarie-les-Lys ferme et, en 1996, la production d'amiante-ciment cesse à Descartes, puis l'usine d'Andancette ferme, en raison de l'interdiction de l'amiante à compter du 1 er janvier 1997.

La partie amiante-ciment relevait de la branche matériaux de construction, qui représentait environ 10 % du chiffre d'affaires. « La part de l'amiante-ciment à l'intérieur des matériaux de construction a toujours représenté quelques pour cent du chiffre d'affaires » selon M. Claude Imauven.

Il y a actuellement entre 250 et 300 cas de salariés ou anciens salariés de Saint-Gobain touchés par une maladie causée par l'amiante.

Plus de 3.000 produits à utilisation industrielle ou domestique ont ainsi été fabriqués à base d'amiante, perçu comme un matériau « miracle ». On peut les distinguer ainsi qu'il suit :

- l'amiante brut en vrac était utilisé pour l'isolation thermique en bourrage ou en flocage (c'est-à-dire en projection) ;

- l'amiante tissé ou tressé était aussi utilisé pour l'isolation thermique de canalisations, d'équipements de protection individuelle, de câbles électriques... ;

- l'amiante sous forme de plaques de papier ou carton d'épaisseur variable, de 5 à 50 mm, était utilisé pour l'isolation thermique d'équipements chauffants, de faux-plafonds, de joints... ;

- l'amiante sous forme de feutre servait surtout à la filtration ;

- l'amiante incorporé sous forme de poudre était présent dans des mortiers à base de plâtre, dans des mortiers-colles, des colles, des enduits de finition ;

- l'amiante mélangé à du ciment (amiante-ciment, ensuite dénommé fibre-ciment) a permis de fabriquer de multiples composés pour la construction : plaques ondulées, éléments de façade, gaines de ventilation, canalisations ;

- l'amiante comme charge minérale était incorporé à des peintures, des vernis, des mastics, des mousses d'isolation... ;

- l'amiante mélangé à des matières plastiques ou à des élastomères permettait de fabriquer des joints, des revêtements, des ustensiles ménagers, des garnitures de freins... ;

- l'amiante incorporé aux bitumes servait pour l'étanchéité des toitures, contre la corrosion, pour les revêtements routiers...

Le chrysotile est la variété qui a été la plus utilisée, l'amosite ayant été surtout employé pour l'isolation thermique et la crocidolite pour sa résistance mécanique et sa tenue aux acides.

Le rapport de l'expertise collective de l'INSERM de 1997 rappelle que, « à la fin des années 1970, 80 % du chrysotile mondial était produit par le Canada et la Russie, alors que l'essentiel de la crocidolite et de l'amosite provenait de l'Afrique du Sud. L'évolution de la production mondiale d'amiante de 1987 à 1990 montre un relatif maintien des quantités produites pour la plupart des pays producteurs. D'une manière générale, l'essentiel du tonnage mondial produit se retrouve sous la forme d'amiante-ciment (65 à 70 % du tonnage total) ».

De très nombreuses industries ont donc massivement utilisé l'amiante : le bâtiment, la construction navale, le textile, l'automobile, les matières plastiques, l'industrie alimentaire et pharmaceutique, l'étanchéité...

L' exposition professionnelle à l'amiante concerne les personnes qui, dans le cadre de leur activité professionnelle :

- produisaient l'amiante (extraction et transformation) ;

- utilisaient ce matériau directement pour diverses opérations de transformation (textile, amiante-ciment...) ou d'isolation thermique ou phonique ;

- intervenaient sur des matériaux contenant de l'amiante ; on peut rattacher à cette catégorie diverses activités parfois considérées comme une exposition para-professionnelle (vêtements de travail) et domestique (planche à repasser, panneaux isolants, grille-pain...).

En pratique, de très nombreux métiers étaient ainsi concernés par le risque amiante, tant dans le secteur privé que public. Selon l'Institut de veille sanitaire (InVS), un quart des hommes actuellement à la retraite ont été exposés professionnellement à l'amiante.

* 8 Union des industries et métiers de la métallurgie.

* 9 On estime à 174 millions de tonnes l'amiante produit dans le monde au cours du XX e siècle.

* 10 Rappelons que le professeur Claude Got a estimé qu'au XX e siècle, la France avait importé l'équivalent de 80 kg d'amiante par habitant.

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