C. LE CHOIX DE LA RÉPARATION INTÉGRALE ET LA CRÉATION DU FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA)

Un bref rappel des règles d'indemnisation de droit commun des accidents du travail et des maladies professionnelles s'impose pour comprendre l'originalité du dispositif d'indemnisation des pathologies provoquées par l'amiante. Ces règles d'indemnisation de droit commun reposent sur un « compromis historique », arrêté en 1898. Longtemps perçu comme favorable aux salariés, il est toutefois paru inadapté dans le cas du drame de la contamination par l'amiante.

1. Les règles de droit commun en matière de réparation des maladies professionnelles

La très grande majorité 52 ( * ) des contaminations par l'amiante étant intervenues dans un cadre professionnel sont, de ce fait, redevables d'une indemnisation par la branche AT-MP de la sécurité sociale.

Le système de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles repose sur le « compromis » suivant : en contrepartie d'une indemnisation forfaitaire , le salarié est dispensé d'avoir à démontrer la faute de l'employeur pour obtenir réparation. Toute maladie figurant dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau est ainsi présumée d'origine professionnelle. Les tableaux 30 et 30 bis de la sécurité sociale sont relatifs aux maladies de l'amiante. De même, un accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé d'origine professionnelle, sans que le salarié n'ait à établir la faute de l'employeur.

La victime perçoit des indemnités journalières et, le cas échéant, une rente si la maladie entraîne une incapacité permanente totale ou partielle.

En principe, le salarié n'a pas la possibilité d'agir en justice contre l'employeur pour obtenir réparation de la totalité du préjudice (principe d'immunité de l'employeur). Ce principe connaît cependant quelques exceptions : en cas de faute inexcusable de l'employeur , un recours en justice peut permettre d'obtenir une réparation complémentaire et une majoration de rente ; en cas de faute intentionnelle, le salarié peut exercer un recours de droit commun.

2. Les missions du FIVA : assurer une réparation intégrale et rapide du préjudice subi par les victimes de l'amiante

L'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 a institué le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). L'exposé des motifs du projet de loi indique que le FIVA a été créé « afin que les victimes et leurs familles puissent obtenir une réparation intégrale en évitant des procédures longues et difficiles ». Beaucoup de victimes engageaient en effet des actions en justice pour percevoir une indemnisation supérieure à la réparation forfaitaire accordée par la branche AT-MP.

Mme Martine Aubry, même si elle n'était plus membre du Gouvernement au moment où la loi a été votée, est à l'origine de la création de ce fonds. Elle a indiqué avoir beaucoup travaillé alors avec l'ANDEVA et souligné la célérité avec laquelle le projet a été élaboré : « Les premières études concrètes de faisabilité de ce fonds, notamment de son financement, ont été menées en juin 2000 et, le 2 août, j'ai écrit au Premier ministre pour l'informer de mon souhait de voir se créer ce Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. L'article de loi qui l'a créé était au JO quatre mois plus tard. Nous n'avons pas perdu de temps parce que [...] nous pensions qu'il y avait urgence ».

Comme l'ont reconnu les dirigeants du FIVA lors de leur audition, la mise en place du fonds fut, en revanche, plus lente et laborieuse : il s'est écoulé plus de deux ans entre le moment où le principe de sa création a été adopté (décembre 2000) et la date des premiers versements définitifs (avril 2003). La parution du décret nécessaire à l'application de la loi n'est intervenue que dix mois après sa promulgation, six mois supplémentaires se sont écoulés avant que ne se tienne la première réunion du conseil d'administration, qui est parvenu à un accord sur un barème indicatif d'indemnisation après neuf mois de discussion.

Dans l'attente de la mise en place du FIVA, l'instruction des demandes d'indemnisation fut confiée au fonds de garantie contre les accidents de circulation et de chasse (FGA), en application d'une convention conclue en juin 2002 entre le FIVA et cet organisme. Ce choix, qui peut surprendre à première vue, est en réalité assez logique, puisque le FGA gère déjà plusieurs fonds d'indemnisation (des victimes d'actes de terrorisme depuis 1986, des victimes d'infractions depuis 1991, des transfusés et hémophiles contaminés par le virus du sida depuis 1992) et dispose donc d'une grande expérience en la matière. Au total, 6.600 dossiers ont été traités par le FGA.

a) L'organisation du FIVA

Le FIVA jouit d'un statut d' établissement public administratif .

Le choix de ce mode d'organisation a été défendu par le président de son conseil d'administration, M. Roger Beauvois, lors de son audition par la mission : il a estimé que la gravité du drame de l'amiante et le nombre de dossiers à traiter plaidaient pour un « dispositif autonome qui ne soit pas animé des seuls réflexes d'assureurs ». Il est vrai que la présence des représentants des associations de victimes au sein du conseil d'administration du FIVA garantit que les intérêts de ces dernières seront pris en considération.

La Cour des comptes, dans son rapport 53 ( * ) remis à la commission des affaires sociales du Sénat, regrette que la voie d'une gestion du FIVA par un organisme d'indemnisation déjà existant n'ait pas été davantage explorée, estimant que cela aurait permis de réaliser des économies de gestion. Elle considère qu'aucun des arguments avancés par le FIVA pour justifier la création d'un établissement public distinct n'est véritablement décisif.

Confier l'indemnisation des victimes de l'amiante à un fonds existant, le FGA par exemple, aurait cependant imposé à ce dernier d'effectuer des recrutements importants pour faire face à l'afflux des dossiers. Les économies de gestion envisageables auraient donc été, en tout état de cause, fort limitées et auraient eu pour inconvénient une moindre lisibilité du dispositif pour le grand public, en raison de l'absence de spécialisation du fonds. Les dépenses de gestion administrative du FIVA représentent, en tout état de cause, moins de 1 % de son budget total en 2004, soit cinq millions d'euros sur 505 millions.

Par ailleurs, le FIVA s'est engagé, depuis deux ans, dans une démarche volontaire de mutualisation de ses moyens avec l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), ce qui devrait être source d'économies de gestion. Cette démarche concerne non seulement des équipements (locaux, matériel informatique, équipements de bureau), mais aussi des membres du personnel (accueil, informatique, agence comptable).

Le FIVA est dirigé par un conseil d'administration composé de vingt-deux membres : cinq représentants de l'État, huit représentants des organisations siégeant à la commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la CNAMTS (trois représentants des employeurs, cinq des salariés), quatre représentants des organisations d'aide aux victimes de l'amiante, quatre personnalités qualifiées (dont le directeur de la CNAMTS et un membre de l'IGAS). Il est présidé par un magistrat, nommé par décret, et choisi parmi les présidents de chambre ou les conseillers, en activité ou honoraires, à la Cour de cassation.

Les auditions auxquelles a procédé la mission ont révélé que le fonctionnement du conseil d'administration était souvent difficile , ce que confirme le rapport de la Cour des comptes. Il n'existe pas de majorité de gestion claire à l'intérieur de cette instance, alors qu'elle dispose de compétences étendues pour définir la politique d'indemnisation du fonds, mais aussi pour connaître de dossiers individuels lorsque ceux-ci sont susceptibles « d'avoir un retentissement particulier ou un impact financier important sur le fonds » 54 ( * ) . De forts conflits d'intérêt s'y expriment, opposant notamment les représentants des employeurs, qui sont les principaux « financeurs » du fonds, aux représentants des associations de victimes. Ils sont tranchés par les personnalités qualifiées ou par le président, ainsi placés en position d'arbitre. Ce manque de sérénité nuit à l'efficacité du fonds, comme l'illustre l'adoption tardive du barème d'indemnisation, due aux divisions à l'intérieur du conseil ; le barème fut finalement adopté à une voix de majorité (dix contre onze), ce qui explique qu'il ne possède qu'une faible légitimité aux yeux de certains membres du conseil d'administration et que les associations de victimes encouragent fréquemment leurs adhérents à contester en justice les offres d'indemnisation du FIVA. Il arrive également que les ministères de tutelle (santé et finances) refusent d'approuver des décisions du conseil d'administration.

* 52 95 % des personnes indemnisées par le FIVA sont reconnues atteintes d'une maladie professionnelle causée par l'amiante.

* 53 Cf. Rapport d'information n°301, « Amiante : quelle indemnisation pour les victimes ? », 2004-2005.

* 54 Article 6 - I° du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001.

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