B. UN RÉGIME DE « PRÉRETRAITE AMIANTE » SOUMIS À DES PRESSIONS CONTRADICTOIRES

En dépit des élargissements successifs du périmètre d'intervention du FCAATA, le fonctionnement du dispositif de cessation anticipée d'activité demeure inégalitaire. Les associations de victimes en demandent l'extension à de nouveaux publics, ce qui inquiète les employeurs, qui assument l'essentiel de son financement. Des dérives se sont enfin manifestées dans le passé, qu'il convient désormais de corriger.

1. Les modalités d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA font l'objet de vives critiques

Devant la mission, les associations de victimes et les syndicats de salariés ont vivement critiqué les modalités d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA.

Les décisions d'inscription sur les listes sont souvent jugées arbitraires ; elles excluraient du dispositif un grand nombre de salariés qui ont pourtant été exposés aux poussières d'amiante.

C'est le point de vue défendu par l'ANDEVA, qui considère que « les listes d'établissement n'ont pas été établies de façon sérieuse et rigoureuse. Des sièges sociaux figurent ainsi dans les décrets alors que les filiales manipulant de l'amiante en sont exclues » . La FNATH juge pour sa part que les conditions d'accès à l'ACAATA « sont draconiennes et difficiles à mettre en oeuvre. Elles entraînent un certain nombre de dysfonctionnements et d'injustices. En effet, le travailleur en contact avec l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas dans les établissements où celui-ci a été utilisé, ne sera pas bénéficiaire du système. Il existe donc, d'abord, un problème de fonctionnement du système avec l'existence d'une liste fermée. Par ailleurs, le dispositif consiste à faire remonter les informations au niveau national et confie au ministre le soin de déterminer les entreprises qui ont utilisé de l'amiante sur certaines périodes. En conséquence, le système est lourd. Il ne répond pas complètement à la problématique en termes d'appréhension des populations concernées. Enfin, il provoque un certain nombre d'injustices entre catégories de salariés ».

Lors de la table ronde réunissant les organisations syndicales, le Dr Bernard Salengro, représentant la CFE-CGC, a fait part, en termes très vifs, de l'incompréhension des salariés : « selon que vous êtes dans l'entreprise A ou B, vous y aurez droit ou non [à l'ACAATA]. Il suffit parfois de traverser la route ou de changer de raison administrative ! Combien de salariés ont la boule dans la gorge parce qu'ils ne sont pas pris en charge, ne peuvent pas sortir de ce guêpier et de cette situation et ne bénéficient pas du FCAATA ? » .

Mme Martine Aubry a estimé que « aujourd'hui, le vrai sujet est la difficulté de faire inscrire une entreprise qui, de façon évidente, a manipulé de l'amiante de manière intensive ». Elle a fait part de son engagement aux côtés des salariés de SI Energie, entreprise qui dépendait autrefois du groupe Alstom, et dont l'inscription sur les listes a été obtenue de haute lutte : « Nous avons commencé le combat en avril 2003, j'ai accompagné les salariés dans toutes les instances, j'ai été auprès d'eux, nous sommes intervenus auprès du ministère et ce n'est qu'en mars 2005 que nous avons obtenu gain de cause ».

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur-adjoint de la mission, a également signalé, à l'occasion de l'audition du ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, M. Gérard Larcher, le cas d'une entreprise de sous-traitance dont l'inscription sur les listes a été refusée, alors qu'elle fabriquait des joints en caoutchouc et amiante pour les sous-marins de la Défense nationale.

Au cours de la même audition, le directeur des relations du travail, M. Jean-Denis Combrexelle, a admis que le dispositif posait des problèmes « en termes de justice et d'équité ». Il a pointé deux difficultés qui peuvent expliquer les injustices ressenties par les personnes exposées à l'amiante :

- l'instruction des dossiers, lorsqu'un établissement demande à figurer sur les listes, est généralement difficile ; comme il n'existe pas en France « d'état civil des entreprises », il est extrêmement ardu de retracer l'activité passée de sociétés qui ont souvent changé de nom et d'adresse ; des erreurs peuvent donc avoir lieu au cours de l'instruction, éventuellement corrigées par des rectificatifs ;

- le dispositif n'a pas vocation à bénéficier à l'ensemble des salariés exposés à l'amiante au cours de leur carrière, puisque le FCAATA ne concerne, de par la loi, que les établissements ayant oeuvré dans certains secteurs d'activité : fabrication de matériaux contenant de l'amiante, flocage, calorifugeage, construction et réparation navale. En conséquence, comme l'a rappelé M. Jean-Denis Combrexelle, il peut arriver qu'un « établissement dont un salarié a été exposé à l'amiante ne bénéficie pas pour autant de la cessation anticipée [ ... ] parce que son activité n'est pas définie par la loi » .

La mission considère que ce mode d'organisation pose un véritable problème en termes d'égalité de traitement. Tout en préconisant le maintien du système des listes pour les secteurs qui ont été de gros utilisateurs d'amiante, elle suggère de réfléchir à la mise en place d'une nouvelle voie d'accès à l'ACAATA , qui bénéficierait, sur une base individuelle, à des salariés ayant été exposés à l'amiante, de manière significative et durable, dans un établissement appartenant à un secteur non visé par la loi.

Il existe déjà des possibilités d'obtenir l'ACAATA de manière individuelle ; comme l'a rappelé Mme Martine Aubry, le ministère des affaires sociales, par circulaire commune avec la sécurité sociale, a reconnu aux épouses de salariés de l'amiante exposées à la fibre dans le cadre domestique la possibilité de bénéficier d'une cessation anticipée d'activité. Les responsables de DCN rencontrés à Cherbourg ont également indiqué que les personnels des entreprises sous-traitantes ou d'intérim qui ont travaillé sur leur site pouvaient se voir reconnaître, au cas par cas, le bénéfice de l'ACAATA, après examen de leur situation par la direction départementale du travail et de l'emploi et la CRAM.

Il conviendrait cependant d'institutionnaliser davantage cette voie d'accès. Pour identifier plus facilement les salariés concernés, des comités de site , rassemblant l'ensemble des acteurs concernés (représentants de l'entreprise, des salariés, de l'État, de la caisse primaire d'assurance maladie...) pourraient être instaurés, afin de recouper, de manière contradictoire, les informations disponibles.

Un tel dispositif permettrait notamment de mieux prendre en compte les droits des salariés des entreprises sous-traitantes, ou des salariés intérimaires, qui ont pu travailler pendant des années dans des établissements utilisant l'amiante, sans faire partie de leurs effectifs salariés, et qui de ce fait n'ont pas droit aujourd'hui à l'ACAATA.

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