N° 300

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 6 avril 2006

Dépôt publié au Journal officiel du 7 avril 2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 avril 2006

RAPPORT

de la commission d'enquête (1) sur l' immigration clandestine , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 27 octobre 2005,

Tome I : Rapport

Président

M. Georges OTHILY

Rapporteur

M. François-Noël BUFFET

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mmes Éliane Assassi, Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Cantegrit, Jean-Patrick Courtois, Philippe Dallier, Christian Demuynck, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Gisèle Gautier, M. Alain Gournac, Mme Gélita Hoarau, MM. Jean-François Humbert, Jean-Jacques Hyest, Soibahaddine Ibrahim, Michel Mercier, Louis Mermaz, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Mme Catherine Tasca, M. Jean-Paul Virapoullé.

Voir les numéros :

Sénat : 10 , 31 et T.A. 25 (2005-2006)

Immigration.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs

L'exposé des motifs de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine, déposée par MM. Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, André Dulait et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, et adoptée par le Sénat le 27 octobre 2005, appelait à « un débat de fond, rationnel et dépassionné ».

Sur un semblable sujet, cet appel sonnait presque comme un défi, mais la commission d'enquête en a éprouvé, tout au long de ses travaux, la pertinence.

Suscitée par la misère, entretenue par une exploitation sans scrupule ni merci, l'immigration illégale -qu'elle soit, selon les cas, à proprement parler clandestine ou doive plutôt être qualifiée d'irrégulière- pose en effet des problèmes trop graves pour que l'on puisse espérer les analyser et les résoudre sans faire appel à toutes les ressources de la raison.

La mesure de l'immigration irrégulière doit quant à elle être regardée comme un préalable, car on ne bâtit rien sur l'ignorance, et la commission d'enquête estime que son premier devoir est d'attirer l'attention sur l'urgente nécessité d'approcher la vérité des faits.

Elle tient donc, dès les premières lignes du présent rapport, à exprimer très fermement le souhait que, parmi les 45 recommandations qu'elle formule , soient appliquées sans retard celles qui ont pour objet de recueillir les données et de lancer les travaux statistiques indispensables pour évaluer l'immigration clandestine et en cerner la réalité mouvante. Elle souligne en outre que cet effort d'analyse devrait être étendu à l'immigration régulière, dont la connaissance reste lacunaire.

*

* *

Si l'immigration irrégulière demeure fâcheusement « indénombrable », sa réalité est en revanche perceptible à travers ses conséquences.

A cet égard, le constat qu'a pu faire la commission d'enquête corrobore les analyses récentes de la Cour des comptes : l'immigration irrégulière, dont les premières victimes sont les immigrés eux-mêmes, fait obstacle à l'intégration des étrangers en situation régulière et comporte, notamment à travers le champ qu'elle ouvre au développement de l'économie souterraine, un risque de déstabilisation sociale.

Comme ont pu le mesurer les délégations de la commission d'enquête qui se sont rendues en Guyane, en Guadeloupe, à Saint-Martin, à La Réunion et à Mayotte, l'exemple extrême de ce péril social est malheureusement celui que donnent les départements et collectivités d'outre-mer, submergés par une immigration clandestine massive que l'on a trop tardé à tenter d'endiguer et qui se traduit par l'engorgement des services publics, la plaie du travail clandestin, l'installation anarchique des populations, la montée de la violence et des tensions sociales.

Ce sont, comme souvent, les collectivités territoriales qui assument l'essentiel de la charge résultant de cet afflux de population irrégulière et qui constituent le dernier rempart contre les risques d'explosion sociale qu'elle comporte : sans préjudice des autres mesures qu'appelle la situation dramatique de l'outre-mer, la commission d'enquête insiste donc pour que les dotations qu'elles reçoivent soient au plus vite adaptées à l'importance réelle de leur population.

Tout compte fait, les seuls bénéficiaires de l'immigration irrégulière sont donc les trafiquants de tous ordres -passeurs, faussaires, nouveaux esclavagistes- qui ont su en faire un marché florissant dont ils exploitent, avec une indéniable créativité, toutes les potentialités.

Dans les pays sources, ils prospectent leurs « clients » et prélèvent sur les ressources de leur famille ou de leur communauté le prix exorbitant de leurs services. Dans les pays de destination, ils s'entendent également à tirer profit de la dépendance des « clandestins » qui, vivant en marge de la loi, échappent à sa protection.

Aucun État de droit ne peut s'accommoder de pareils abus qui, pour la commission d'enquête, suffisent à justifier une lutte résolue contre l'immigration irrégulière.

*

* *

Au long de ses travaux, à travers les informations recueillies à l'occasion des 57 auditions auxquelles elle a procédé, de ses déplacements outre-mer mais aussi en métropole -dans le Rhône, à Roissy, dans les Bouches-du-Rhône, à Paris- et à l'étranger -aux Comores et en Roumanie- la commission d'enquête a tenté de centrer sa réflexion sur l'adaptation des moyens juridiques, administratifs, voire diplomatiques, susceptibles de contribuer au contrôle de l'immigration irrégulière, contrôle qui impose à la fois :

- de faire preuve d'une fermeté qui n'est pas toujours comprise quand elle paraît dirigée contre ceux qui cherchent, de façon bien compréhensible, à échapper à la misère ;

- de faire face à la situation d'urgence qui sévit outre-mer ;

- de traiter « au fond » le problème de l'immigration irrégulière en approfondissant la politique de coopération et de co-développement avec les pays sources.

Pour la commodité de l'exposé, la commission d'enquête a choisi de distinguer, dans le présent rapport, entre les moyens tendant à prévenir l'immigration irrégulière, et ceux qui ont pour objet de la traiter.

Elle considère que les efforts doivent porter en premier lieu sur la prévention de l'immigration irrégulière, c'est-à-dire sur la réduction des flux .

Ce premier volet de l'action à mener est en effet le plus complexe :

- il met en jeu des moyens très divers -contrôle de l'accès au territoire, lutte contre la fraude, politique du développement ;

- il se pose en des termes très différents en métropole et outre-mer ;

- il doit prendre en compte, tant en ce qui concerne la maîtrise de l'entrée et de la circulation sur le territoire national que la stratégie d'aide au développement, l'étendue des compétences de l'Union européenne.

La maîtrise de l'accès au territoire métropolitain a incontestablement bénéficié des mesures législatives prises dans les dernières années pour renforcer le contrôle de la délivrance des visas de court séjour, sans préjudice des expériences menées pour améliorer l'accueil des étudiants étrangers, qui bénéficieront autant au contrôle de l'immigration irrégulière qu'au développement d'une immigration choisie.

Mais, en matière de politique des visas et de lutte contre la fraude documentaire, les perspectives les plus prometteuses sont sans doute celles qu'ouvrent les initiatives française et européenne tendant au développement des visas biométriques, dont il importe de souligner qu'en facilitant le contrôle de l'utilisation des visas, ils permettront aussi d'alléger les contrôles préalables à leur délivrance.

Les contrôles aux frontières ont quant à eux bénéficié du très sensible renforcement des moyens de la police aux frontières, désormais en mesure de s'affirmer comme le chef de file d'une « police de l'immigration » pouvant lutter à armes égales avec les filières d'immigration illégale.

Cependant, si le contrôle aux frontières doit pouvoir être une arme de dissuasion crédible contre les réseaux de passeurs, cette exigence doit être conciliée avec celles de l'accès au territoire des demandeurs d'asile, qu'il ne paraît pas souhaitable de contraindre à de hasardeux périples, ou de la prise en compte du cas particulier des mineurs isolés.

En ce qui concerne ces derniers, la commission d'enquête proposera de renforcer la protection de leurs droits et de clarifier les conditions de leur prise en charge.

Outre-mer, la problématique du contrôle de l'accès au territoire est toute différente, la perméabilité des frontières et la proximité des pays sources incitant les candidats à l'immigration à préférer, si périlleuse qu'elle puisse être, la voie de l'entrée clandestine. Cet état de fait, qui peut également nuire à l'efficacité des mesures d'éloignement, ne doit cependant pas servir d'alibi à l'insuffisance des moyens. La commission d'enquête juge donc indispensable la poursuite de l'effort de rattrapage récemment engagé sur ce plan et qui doit porter aussi bien sur les effectifs que sur les matériels.

Enfin, les dispositifs de lutte contre l'obtention frauduleuse d'un droit au séjour, voire de l'accès à la nationalité -fraude documentaire, mariages de complaisance et, surtout outre-mer, paternités fictives- demeurent perfectibles, et la commission d'enquête partage les préoccupations qui ont inspiré les dispositions tendant à les renforcer prévues par le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages et par le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration.

Mais, pour la commission d'enquête, le « chantier » principal de la lutte contre les flux migratoires irréguliers doit être celui de l'aide au développement des pays sources d'immigration.

Elle s'est donc tout spécialement attachée, dans le présent rapport, à recenser les moyens qui pourraient y contribuer aux niveaux européen, national, régional ou local et les cadres juridiques -coopération multilatérale ou bilatérale, co-développement, coopération régionale ou décentralisée- dans lesquels elle pourrait s'inscrire.

Elle préconise, pour sa mise en oeuvre, 10 recommandations de portée diverse mais qu'elle a voulues aussi concrètes que possible.

La commission d'enquête souhaite en effet faire partager sa conviction que le développement des pays sources constitue, à terme, la seule solution de fond au problème de l'immigration irrégulière et, en particulier, le seul moyen d'alléger la pression migratoire qui s'exerce sur les départements et collectivités territoriales d'outre-mer.

Elle souligne à cet égard l'intérêt potentiel du co-développement, dont elle se félicite qu'il ait été retenu comme une priorité de l'action du ministère des affaires étrangères en 2006 : elle souhaite que cette priorité annoncée privilégie les régions ou les zones originaires de forts courants d'immigration irrégulière.

Enfin, de manière plus générale, la commission d'enquête voudrait souligner que la dimension « humaine » de la politique de coopération lui semble devoir être remise à l'honneur. La présence d'une assistance technique française, les échanges de personnel, les actions de formation sur place ont été naguère un facteur important de l'efficacité de notre politique d'aide au développement. Peut-être serait-il opportun de s'en souvenir.

Le second volet de la politique de lutte contre l'immigration irrégulière porte sur le traitement des « stocks » de population séjournant irrégulièrement sur le territoire.

Il se déploie sur trois plans : la lutte contre la transformation de l'entrée régulière en séjour irrégulier ; l'action dirigée contre les pourvoyeurs des moyens - travail illégal ou logement indigne - permettant aux immigrés en situation irrégulière de se maintenir sur le territoire national ; enfin, les moyens de mettre fin au séjour illégal, de nature et de portée très diverses, voire antinomiques, que sont la régularisation, les aides au retour et l'éloignement.

Dans l'attente de la généralisation à l'échelle de l'espace Schengen des visas biométriques -et de l'issue des négociations européennes en cours qui doivent déterminer les fonctionnalités du futur système d'information sur les visas- le problème du contrôle du retour des titulaires de visas de courte durée demeure entier : la commission d'enquête proposera de lui apporter une solution provisoire.

La loi du 10 décembre 2003 réformant le droit d'asile avait également pour objet de tarir une « source » généralement considérée comme importante du séjour irrégulier : les déboutés du droit d'asile. La commission d'enquête préconisera quelques mesures ponctuelles tendant à garantir que, comme le souhaitait le législateur, l'application de la réforme concilie la maîtrise des délais de procédure avec le renforcement des garanties accordées aux demandeurs d'asile.

En ce qui concerne la lutte contre le travail clandestin et les « marchands de sommeil », la commission d'enquête se félicite tout particulièrement de la mobilisation sans précédent des services qui en sont chargés et des mesures prises ou annoncées pour renforcer les sanctions applicables aux employeurs d'étrangers en situation irrégulière. Elle préconise cependant une application plus rigoureuse de ces sanctions ainsi qu'un renforcement des moyens de rechercher la responsabilité des donneurs d'ordres. Elle estime, par ailleurs, que les droits sociaux reconnus par la République aux étrangers en situation irrégulière méritent d'être préservés, dans la mesure où ils répondent strictement à des impératifs de protection des mineurs et de santé publique.

Quant aux moyens de résorption de l'immigration irrégulière, la commission d'enquête estime, d'une part, que la régularisation doit être réservée au règlement de cas individuels et constate, d'autre part, le caractère marginal et l'utilité problématique des « aides au retour ».

Enfin, la commission d'enquête considère que l'éloignement constitue la pierre de touche des politiques de contrôle de l'immigration : sauf à renoncer en fait à tout contrôle de l'entrée et du séjour sur son territoire, l'État doit en effet savoir afficher sa détermination, au besoin par la contrainte mais dans le respect du droit des personnes, à mettre fin au séjour irrégulier.

Le bon sens et l'humanité imposent cependant que l'éloignement suive le plus rapidement possible l'entrée sur le territoire et que soit examiné avec attention le cas des familles présentes en France depuis plusieurs années et dont les enfants sont scolarisés.

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